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Full text of "Revue des deux mondes"

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REVUE 


DES 


DEUX  MONDES 


QUATRIEME  SÉRIE 


IMPRIMERIE  DE  H.  FOURNIBR  ET  C"*, 
KVB  DE  SBIHB,  il  BU. 


REVUE 


DES 


DEUX  MONDES 


TOME   VINGT-TROISIÈME 


QUATRIÈME   SÉRIE 


PARIS 


AU  BUREAU  DE  LA  REVUE  DES  DEUX  MONDES 

BUE  DBS  BEAUX-ABTS,  10 
18(^0 


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COLOMBA 


»o« 


Povera ,  orfana ,  zitella , 
Senza  engin!  carnali  !  -• 
Ma  per  far  la  to  findetta* 
Sla  siguru ,  Tasta  anche  ella. 

(CompWfile  ftm^ftfv  dM  Niolo.) 


Dans  les  premiers  jours  du  mois  d'octobre  181.,  le  colonel  sir 
Thomas  Nevil,  Irlandais,  officier  distingué  de  Tarmée  anglaise,  des- 
cendit avec  sa  fille  à  Thôtel  Beanveau,  à  Marseille,  de  retour  d'un 
voyage  en  Italie.  L'admiration  continue  des  voyageurs  enthou- 
siastes a  produit  une  réaction,  et,  pour  se  singulariser,  beaucoup  de 
tourMes  aujourd'hui  prennent  pour  devise  le  nil  admirari  d'Horace. 
C'est  à  cette  classe  de  voyageurs  mécontens  qu'appartenait  miss 
Lydia,  fille  unique  du  colonel.  La  Transfiguration  lui  avait  paru  mé- 
diocre ,  le  Vésuve  en  éruption  à  peine  supérieur  aux  cheminées  des 
usines  de  Birmingham.  En  somme,  sa  grande  objection  contre  l'Italie 
étittt  que  ce  pays  numquait  de  couleur  locale,  de  caractère.  Explique 
qui  pourra  le  sens  de  ces  mots  que  je  comprenais  fort  bien  il  y  a 
«pielques  années,  et  que  je  n'entends  plus  aujourd'hui.  D'abord  miss 
Lydia  s'était  fiattée  de  trouver  Ki-4dà  des  Alpes  des  choses  que  per- 
flomie  n'aurait  vue»  avant  elle,  et  dont  elle  pourrait  parler  «c  avec  ki 


honnêtes  gens^  »  comme  dît  M.  Jourdain.  Mais  bientôt,  partoat  d^ 
▼ancée  par  ses  compatriotes ,  et  désespérant  de  rencontrer  rien  d'in* 
connu,  elle  se  jeta  dans  le  parti  de  l'opposition.  Il  est  bien  désagréa- 
ble, en  efTet,  de  ne  pouvoir  parler  des  merveilles  de  THalie  sans  que 
quelqu'un  ne  vous  dise  :  «  Vous  connaissez  sans  doute  ce  Raphaël  du 
palais  ***,  à  *•*?  C'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  beau  en  ItaKe.  n  Et  c'est 
justement  ce  qu'ojfî  a  léfpig^d^  vçifr.  Cornue  il  «ttr^p  long  de  tout 
voir,  le  plus  s^||^  c'fs^  de  Iwt  c^n^ayii^r  4^  feijsXi  4)ris. 

A  l'hôtel  Beauveau,  miss  Lydia  eut  un  amer  désappointement.  Elle 
rapportait  un  joli  croquis  de  la  porte  pélasgique  ou  cyclopéenne  de 
Segni ,  qu'elle  croyait  oubliée  par  les  dessinateurs.  Or,  lady  Frances 
Fenwick ,  la  rencontrant  à  Marseille,  lui  montra  son  album ,  où ,  entre 
un  sonnet  et  une  fleur  desséchée,  ftguratt  la  porte  en  question ,  enlu- 
minée à  grand  renfort  de  terre  de  Sienne.  Miss  Lydia  donna  la  porte 
de  Segni  à  sa  femme  de  chambre,  et  perdit  toute  estime  pour  les 
constructions  pélasgiques. 

Ces  tristes  dispo^Uons  étajeojt  pj9^tagées  par  le  colonel  Nevil,  qui, 
depuis  la  mort  (la^  feiXMI^,.  «/&  \&fa\i  les  choses  que  par  les  yeux  de 
miss  Lydia.  Pom  \m^  l'Italie  avait  le  tort  immense  d'avoir  ennuyé  sa 
fille,  et  par  conséquent  c'^it  te  plus  ennuyeux  pays  du  monde.  Il 
n'avait  rie»  àdire^  ttest  vrai,  contre  les  tableaux  et  les  statues;  mais 
ce  qu'il  pouvait  assurer,  c'est  que  la  chasse  était  misérable  dans  ce 
pays-là ,  et  qu'il  fallait  faire  dix  lieues  au  grand  soleil  dans  la  cam- 
pagne de  Rome  pour  tuer  quelques  méchantes  perdrix  rouges. 

Le  lendemain  de  son  arrivée  à  Marseille,  il  invita  à  dîner  le  capî* 
ttMi^fiW^^  sM)  loeien  «^ndanl,  qui  venait  de  pasaeif  sis  sfwaines 
4ip^Coss&>  i^ecaîNÉabie  racoqjba  finit  Mme  miss  hyâià  une  Matoite  de 
i^ftil4ita  9H  atvait  le  mérite  de  œ  nasflendiiftn  nuHemnnfe  ans  biitoipta 
4i^i(0)9«r&dmjb  00  l'a^^t  siaoïwflnt  nntialnwy  sur  h  Boule  de  Itowa 
èi  NpfKlea.  Au  éMWvt,  Isa  deux  hpmœei.,  nealés  seuls  aneo  dfts.  be»« 
tmltm.4&  vin.  d»  Bordeaux ,  paièinanl  chasatv  olj  letolonel  apprit  qu'i 
a'y  a  pa&dapviTs  oà  éÊ^smh  phis  beli|e>q«b'en  (Doim,  plus,  vari^,  |rius 
al|onitaa(te%  -m  On  y  ^aift  fi^^Eoe^sangiierfr,  disait  lecapÛaiBe  BUis^  q^'i 
iNit  appmad^  à  dîalisgaef  >  dsa  o«clionsi  ^MuealîqMft,  qui:  teiar  9M^ 
aOiAlMl  d-un»  «mière  étouaat^iy  «ar,  en.  tuaat  u^  cochon^  Ko»» 
ivfk  Ufm  wmmmtt  afirire  «vec  leui&  gaodien^  Hs  aoiitent  d'u»  tailia 
qHrih  iHMOniMd  mégoUi,  aon^  JMpqafaw  éonte^  se  ibaÉ  f»fm*le$Êm 
Mtes  et  se  roaqueot  ^  ¥ou^  Ymis.  ave»  enqofe  le  rnouAM,  finit 
i(iapfa»ankmi:<pi)'oB.^^Uowapaa8iUiMii»,  fiNMVi^gihifiB,  meé&cyifl- 
Icile.  Gerfs^  daims,  fimins^  penfeieau^,  ja«Miî&o»st  pewnifc 


patron ,  se  chargeait  de  le  loger  dans  un  coin  où  Ton  ne  s'aperce- 
vrait pas  de  sa  présence. 

Le  «colonel  et  miss  Nevil  trouvèrent  singulier  qu'il  7  eût  eh  Corse 
des  famillÉs  où  Von  fût  ainsi  taporal  de  père  en  fils;  mais  comme  ib 
pensaient  pieusement  qu^l  s'agissait  d'un  caporal  d'infanterie,  ils 
eonduiient  que  cTéttaiit  quelque  pauvre  diable  que  le  patron  voulait 
emmener  {iav  charité.  S'il  se  fût  agi  d'un  officier,  on  eût  été  obligé 
de  lui  parler,  As  vivre  avec  lui;  mais,  avec  un  caporal,  il  n'y  a  pas  à 
se  gènçr,  et^^êst  un  être  sans  conséquence  lorsque  son  escouade  n'est 
pas  là,  Miomictte  au  bout  du  fusil ,  pour  vous  mener  où  vous  n'avez 
pas  enviied'iJiUer. 

—  Yoirei  patent  a^-U  le  mal  de  mer?  deiMrida  misis  'Nevil  d'un 
tenseci 

—  Jamais,  mademoiselle.  Le  cœur  ferme  comme  un  ro6,'  sur  mer 
comme  sur  terre. 

—  Eh  bien  !  vous  pouvez  l'emmener,  dit-elle. 

—  Vous  pouvez  l'emmener,  répéta  le  colonel ,  et  ils  continuèrent 
leur  promenade. 

Vere  cinq  heures  du  soir,  le  capitaine  Matei  vint  les  chercher  pour 
monter  à  bord  de  la  goélette.  Sur  le  port,  près  de  la  yole  du  capi- 
taiiie«  ils  trouvèrent  un  grand  jeune  homme  vêtu  d'une  redingote 
bleue  boutonnée  jusqu'au  menton ,  le  teint  basané ,  les  yeux  noirs, 
vife,.lâeaiendus,  l'air  franc  et  spirituel.  A  la  manière  dont  il  effaçait 
les^épaides,  à  sa  petite  moustache  frisée,  on  reconnaissait  facilement 
utt  milUaire;  car  à  cette  époque  les  moustaches  ne  couraient  pas  les 
nies,  et  la  garde  nationale  n'avait  pas  encore  introduit  dans  toutes 
les  fanriDes  la  tenue  avec  les  habitudes  de  corps-de-garde. 

Le  jeune  homme  ôta  sa  casquette  en  voyant  le  colonel,  et  le 
remercia  sans  embarras  et  en  bons  termes  du  service  qu'il  Im'  rendait. 

—  Charmé  de  vous  être  utile ,  mon  garçon ,  dit  le  colonel  en  lui 
faisant  un  signe  de  tête  amical  ;  et  il  entra  dans  la  yole. 

—  Il  est  sans  gène,  votre  Anglais,  dit  tout  bas  en  italien  le  jeune 
homme  au  patron. 

Celui-ci  plaça  son  index  sous  son  œil  gauche  et  abaissa  les  deux 
coins  de  sa  bouche;  Pour  qui  coiâprend*  te  tangage  déâ  signes,  cela 
voulait  diœ  4|ue  f  Ariglais  «ntèndait  rttalieti  ^et  que  c'était  un  homme 
bizarre.  Le  jepne  homme  sd&ril  tégèremenit,  toucha  son  firent  en 
répmse  au  sîgie  deMhteivmmme'poâ^  lui  dire  que  tous  les  Anglais 
avaient  iqueHpie'tihoarf  dV^  tnmrs?  daÉS  la  tète,  ptiis  U  s*assit  auprès 


> 


8  RBVUB  DBS  DEUX  MONDES. 

pandit  corse  qui  nous  a  servi  de  goMev  —  Gomment!  tous  avez  été 
en  Corse?— 

Les  bateaux  à  vapeur  n'existant  point  encore  entre  la  Franee  et  1» 
Corse^  on  s'enquit  d'un  navire  en  partanee  pour  l'Ue  quemifis  Lylia 
se  prpposait  de  découvrir.  Dès  le  jour  mteie,  le  oolaneè  écrivit  à 
Paris  pour  déconunander  l'apputemeet  qui  devait  le -teccf^oir^' et  fit 
marché  avec  le  patron  d'une  goëlette  corse  qui  allait  Suie  voile  pour 
Âjaccio.  Il  y  avait  deux  chambres  telles  quelles*  On  emfaaiqoa  des- 
provisions;  le  patron  jura  qu'un  vieux  sien  matelot  étiit  mû  cqjsinief 
estimable  et  n'avait  pas  son  pareil  pour  la  bouflletakaissô;  il  promit 
que  mademoiselle  serait  convenablement,  qu'^elle  munà  koà  ventât 
belle  mer.  En  outre,  d'après  les  volontés  de  sa  fille,  le.  o61oDel  stipula 
q;i|eJecaBitawe,n(^,pf)9Ôdrait  aucun  passager,  et  qu'il  sfamngerait 
pour  raser  les  côtes  de  l'île  de  façon  qu'on  pût  jouir  de  la  vue^lea 
monti^gçeai,,, ,  j.  .,..i-,. .  .  • 


rUh  i<'       M 


IL 


Au  jour  fixé  pour  le  jd^pfirt,  tout  était  embaHé,  etthérqué-  dès  4e 
matin  :  la  goëlette  devait  partir  avec  la  brise  du  soir.  En  attetidant^'le' 
colonel  se  promenait  avec  sa  fille  dans  la  Canebière,  lorsque  IcpatM»  ^ 
l'aborda  pour  lui  demander  la  permission  de  prendre  i  soa  boM^uai'' 
de  ses  parens»  c'est-à-dire  le  petit  cousin  du  parrain  de^son  fiis  aîné-,'  ^ 
lequel  retournant  en  Corse,  son  pays  natal,  pour  aCGnres  presuntes,  • 
ne  pouvait  trouver  de  navire  pour  le  passer. — C'est  un  efaarmaiit  gar- 
çon, ajouta  le  capitaine  Matei,  militaire,  officier  aux  chasseurs  à  fueA 
de  la  garde,  et  qui  serait  déjà  colonel  si  l'autre  était  encore  empereiir« 

—  Puisque  c'est  un  militaire,  dit  le  colonel...  il  allait  ajouter  :  Je 
consens  volontiers  à  ce  qu'il  vienne  avec  nous.  Hais  miss  LytKa 
s'écria  en  anglais  : 

—  Un  officier  d^iufapt^ie  I  (9on  père  ayant  servi  dans  la  cavalerie^ 
elle  avait  du  mépris  pp«r .  toi|tei  autre  arme,)  un  homme  sans  éduca- 
tion peut-être,  qui  aura  le  mal  de  mer,  et  qui  nous  gâtera  to«C  le 
plaisir  de  la  traversée  1.   .    .  •,  i  

Le  patron  n'eotendiûll'pasiiiot  m^A  d'<a6|^^  mais  ilçàrst  èom^' 
prendre  ce  quoi^wt  jppvisf  Ly4Î94  la.pBt«tf;DiQttô4e^sa  )0|ieJ>du(diëi 
et  il  commei^ça  U9  élQge  w.liQi^.pQJi4a4e  soitfMiént^iqufil 
en  as9un^tqu^  o'é^.wlioiiuw^ti^jeomQleJililart 
de  0apof:a^ff9  et  qu!U  ne.gi^iianÂttenimiDMl  leoUonol^arikiJt 


patron ,  se  chargeait  de  le  loger  dans  un  coin  où  Ton  tte  s'aperce- 
nait  pas  de  sa  présence. 

Le  H^ohmel  et  miss  Nevil  trouvèrent  singulier  qu'il  y  eût  en  Corse 
des  famillÉs  oi  l'on  fût  ainsi  taporal  de  père  en  fils;  mais  comme  ili^ 
pensaient  pieusement  quti  s'agbsait  d'un  caporal  d'infonterie,  ils 
eoncluilent  que  cfétUt  quelque  pauvre  diable  que  le  patron  voulait 
emmener  pat  cbarité.  S'il  se  tdt  agi  d'un  officier,  on  eût  été  obligé 
de  Ittipcffler,  As  vivueavec  lui;  mais,  avec  un  caporal,  il  n'y  a  pas  à 
se  gènçr,  etiv'est  unétre  sans  conséquence  lorsque  son  escouade  n'est 
pas  là,  iMMbmictte  au  bout  du  fusil ,  pour  vous  mener  où  vous  n'avez 
ptts  envife  d'iUlen 

-*-  Yotre  parent  a^-U  le  mal  de  mer?  demàrida  miss  Nevil  d'un 
toBseCi-    :    -  ■  -    ..t  .M    .'..  ^,   .  -. 

—  Jamais,  mademoiselle.  Le  cœur  ferme  comme  un  ro6V  sur  mer 
comme  sur  terre. 

—  Eh  bien  I  vous  pouvez  l'emmener,  dit-elle. 

—  Vous  pouvez  l'emmener,  répéta  le  colonel ,  et  ils  continuèrent 
leur  promenade. 

V^s  cinq  heures  du  soir,  le  capitaine  Màtei  vint  les  chercher  pour 
monter  à  bord  de  la  goélette.  Sur  le  port,  près  dé  la  yole  du  capi- 
tajne;  ils  trouvèrent  un  grand  jeune  homme  vêtu  d'une  redingote 
bkue  boutonnée  jusqu'au  menton,  le  teint  basané,  les  yeux  noirs, 
vil^biea  fendus;  l'air  franc  et  spirituel.  A  la  manière  dont  il  effaçait 
les^épaules,  à  sa  petite  moustache  frisée,  on  reconnaissait  facilement 
un  miMatre;  car  à  cette  époque  les  moustaches  ne  couraient  pas  les 
rue»,  et  la  garde  nationale  n'avait  pas  encore  introduit  dans  toutes 
les  famiHes  la  tenue  avec  les  habitudes  de  corps-de-garde. 

I^  jeune  homme  ôta  sa  casquette  en  voyant  le  colonel,  et  le 
remercia  sans  embarras  et  en  bons  termes  du  service  qu'il  lui  rendait. 

—  Charmé  de  vous  être  utile ,  mon  garçon ,  dit  le  colonel  en  lui 
faisant  un  signe  de  tète  amical  ;  et  il  entra  dans  la  yole. 

—  il  est  sans  gène,  votre  Anglais,  dit  tout  bas  eA  italien  le  jeune 
horome  au  patron. 

Celui-ci  plaça  son  index  sous  son  œil  gauche  et  abaissa  les  deux 
coins  de  sa  bouche^  Pour  qui  comprend' le^  tangage  dès  signes,  cela 
voubitdiDe  4|ue  fAnglateMlèndaitlItalieti^et  que  c'était  un  homme 
bizarre.  Le  jefine. homme  s<Airft  légèrement,  toucha  son  firent  en 
répmie  au.fligÀe  teMàtelvcumiue  'pM^  lui  dire  que  tous  les  Anglais 
avai^t tfuel^&tihoafl  dtf  tnmrs'  dans  ia  tête,  puis  U  s*assit  auprès 


8  RBVUB  DBS  DEUX  MONDES. 

iMuidit  corse  qui  nous  a  servi  de  •goMe^  —  Gomment!  tous  avez  été 
en  Corse?.*.  . 

Les  bateaux  à  vapeur  n'existant  point  encore  entre  la  Fniner  etl» 
Gorse^  on  s'enquit  d'un  navire  en  partance  pour  TUe  que  mifis  Lylia 
se  prpposait  de  découvrir.  Dès  le  jour  mteie,  le  oolaneè  écrivit  à 
Paris  pour  décommander  l'appartement  qui  devait  le-fecevoir^  >etflt 
marché  avec  le  patron  d'une  goélette  corse  qui  allait  like  voile  pour 
Âjaccio.  Il  y  avait  deux  chambres  telles  quelles^  On  emfaaiqoa  des 
provisions;  le  patron  jura  qu'un  vieux  sien  matelot  état  mû  cqjsinief 
estimable  et  n'avait  pas  son  pareil  pour  la  bouflletakaissô;  il'promlt' 
que  mademoiselle  serait  convenablement,  qu'-elie  Mmit  hoà  vent^i 
belle  mer.  En  outre,  d'après  les  volontés  de  sa  fille,  le.  ctiloiiel  stipula 
que  lecapitsiine.nçt.pi^drait  aucun  passager,  et  qu'il  sfamngerait 
pour  raser  les  côtes  de  l'Ile  de  façon  qu'on  pût  jouir  de  la  vue  ^tea 
mo^tag^eal•,,  , ,   „,,,..  i  « 


r»Mt  le       il 


IL 


Au  jour  fixé  pour,  le  id^purt,  tout  était  embaHé,  eadriorqué'  dès  4e 
matin  :  la  goélette  devait  partir  avec  la  brise  du  soir*  En  attendant  ^  le  * 
colonel  se  promenait  avec  sa  fille  dans  la  Canebiàre,  lorsque  IcpatM»'  • 
l'abtorda  pour  lui  demander  la  permission  de  prendre  è'Soa  botd>iiiilt' 
de  ses  parens,  c'est-à-dire  le  petit  cousin  du  parrain  de  ^son  fits^alné- '  ^ 
lequel  retournant  en  Corse,  son  pays  natal,  pour  aCGrirespreÉbantes;  • 
ne  pouvait  trouver  de  navire  pour  le  passer. — C'est  un  diarmai*  gap- 
çon,  ajouta  le  capitaine  Matei,  militaire,  officier  aux  chasseurs  à  pied 
de  la  garde,  et  qui  serait  déjà  colonel  si  l'autre  était  encore  empereiln 

—  Puisque  c'est  un  militaire,  dit  le  colonel...  il  allait  ajontier  :  Je 
consens  volontiers  à  ce  qu'H  vienne  avec  nous.  Hais  miss  Lydie 
s'écria  en  anglais  : 

—  Un  officier  d'infapt^  I  (9on  père  ayant  servi  dans  la  cavalerie^ 
elle  avait  du  mépris  pp«r.toi|te  autre  arme,)  un  homme  sans  éduca- 
tion peut-être,  qui  aura  le  mal  de  mer,  et  qui  nous  gâtera  to«C  le 
plaisvde  latray^rséel.  .    .  •  •  .)  -   -    ■ 

Le  patron  n'eotefMtmfcrpasiimi  mfitd'Aftf^v  mais-iLçàrst  èom^ 
prendre  ce  quoi^wt  j^isf  Ly4Wii  la:pBt«tfiDiotiô Je^sa  joilpeJxtuMiëi 
et  il  commei^ça  m  élQge  W«tooi^>pQJi4a<ie'Soaf)«iént^  q^^^^ 
en  assurant  qu^  o'é^.un Jionvm/trèftieoiwieiiiiliMl,  îhmûifiméÊia 
de  caporaMff,  et  qu^'il ne.gftRanÂttenifkiD Ml  leoèlonoli  «êr^krit 


e- 


A-  l 

patron,  se  chargeait  de  le  loger  dans  un  coin  où  Fon  ne  's'aperc 
vtait  pas  de  sa  présence.  ' 

Leîcobnel  et  miss  Nevil  trouvèrent  singulier  qu'il  y  eût  en  Corse 
des  femillÉs  où  Ton  fût  ainsi  icaporal  de  père  en  fils;  mais  comme  iîi^ 
pensaient pieusemlent  qu'il  s'agissait  d'un  caporal  d'infanterie,  ils 
eoncluiient  que  «féttaiit  quelque  pauvre  diable  que  le  patron  voulait 
emmener  par  cbarité.  S'il  se  tdt  agi  d'un  officier,  on  eût  été  obUgé 
de  lui  parler, ^  vivi^ avec  lui;  mais,  avec  un  caporal,  il  n'y  a  pas  à 
se  gën^r^  eto'éstunétre  sans  conséquence  lorsque  son  escouade  n'est 
pas  là,  iMiiolmette  au  bout  du  fusil ,  pour  vous  mener  où  vous  n'avez 
pas  envik  d'âUerj 

-- Yotre  parent  a^-il  le  mal  de  mer?  demarida  miss  'Névil  d'un 
tonseci     :  ■;    .  '  ■'''''    "    "'"  '     '    "■ 

—  Jamais,  mademoiselle.  Le  cœur  ferme  comme  un  ro6V  sur  mer 
comme  sur  terre. 

—  Eh  bien  1  vous  pouvez  l'emmener,  dit-elle. 

—  Vous  pouvez  l'emmener,  répéta  le  colonel,  et  ils  continuèrent 
leur  promenade. 

Vers  cinq  heures  du  soir,  le  capitaine  Màtei  vint  les  chercher  pour 
monter  à  bord  de  la  goélette.  Sur  le  port,  près  de  la  yole  du  capi- 
teine;  Hs  trouvèrent  un  grand  jeune  homme  vêtu  d'une  redingote 
bleue  boutonnée  jusqu'au  menton,  le  teint  basané,  les  yeux  noirs, 
viffibient  fendus;  l'air  franc  et  spirituel.  A  la  manière  dont  il  effaçait 
les^épaules,  à  sa  petite  moustache  frisée,  on  reconnaissait  facilement 
UR  miKtaire;  car  à  cette  époque  les  moustaches  ne  couraient  pas  les 
riies^  et  la  garde  nationale  n'avait  pas  encore  introduit  dans  toutes 
les  familles  la  tenue  avec  les  habitudes  de  corp»-de^-garde. 

Le  jeune  homme  ôta  sa  casquette  en  voyant  le  colonel,  et  le 
remercia  sans  embarras  et  en  bons  termes  du  service  qu'il  lui  rendait. 

—  Charmé  de  vous  être  utile ,  mon  garçon ,  dit  le  colonel  en  lui 
faisant  un  signe  de  tête  amical  ;  et  il  entra  dans  la  yole. 

—  U  est  sans  gêne,  votre  Anglais,  dit  tout  bas  en  italien  le  jeune 
homme  au  patron. 

Celui-ci  plaça  son  index  sous  son  œil  gauche  et  abaissa  les  deux 
coins  de  sa  bouche*  Pour  qui  coiâprend' lé^  langage  deâ  signes,  cela 
vouMtdine  ipie  l'Anglais  étendait  lltalieti  *et  que  c'était  un  homme 
bizarre.  Le  jefine- homme  sciurft  légèrement,  toucha  soh  front  en 
repose  au  fligie  deMhteivcomme'pM^  lui  dire  ^e  tous  les  Anglais 
avaient iquel^^ofaoaÉ  dtf  Uwrers:  dons  la  tête,  ptiis  U  s*assit  auprès 


10  REVUE  DSP^  WW^  MONDES. 

tinence,  sa  jolie  eompagne  de  voyage. 

-^  11^  qi4  bopn^  touriMare,  oes^seU^ti  QBMfaîa,  dk  1^  oaldiei  à  sa 
fUft  «ta  ai^Mp  ;  afts^  m  ^tr-op>  Ausiteioeaft  des  officiera. 

&fÎ8^  s;(l4f«ss«iit  ea  ftwcaisr  a«  jeune  bovme  : 

-r^  Dite^^oi.,  qapfi  bime,  daasquel  régimeatave^vous^sem? 

Celtt^i  donoa  m  tégier  coup  de  coude  au  père  du  filleul  de  son 
potit  cou«|ift,  et,  compriniaBtuD  sourire  irooiqiie,  répondit  qu'il  avait 
élé  dans  tes  qbasseurs  à  pied  de  la  garde,  et  que  présentenent  il 
spirtait  du  7"''' lég^* 

—  Est-ce  que  vous  avez  été  à  Waterloo?  Vous  étea biea  jeune* 
-r-  KaaNioa,  mon  coMel  ;  c'est  ma  seule  campagne. 

—  Elle  compte  double,  dit  le  colonel. 
L^  jewe  GQcse  se  mordit  les  lèvres. 

—  Papa,  dit  miss  Lydia  en  anglais,  demandez-lui  donc  si  les  Corses 
aiment  beaucoup  lemr  Bonaparte. 

Autant  qii^  le  eolwel  eût  traduit  la  question  en  français ,  le  jeune 
homme  répondit  en  assez  bon  anglais,  quoique  avec  ua accent  pro- 
pane: 

—  Vo^asavez^  mademoiselle,  que  nul  n'est  prophète  en  son  pays. 

Noo^  autres  compatriotes  de  Napoléon,  nous  l'ain^ons  peut-être 
^loins.qpie  Ifs  Français..  Quaat  à  moi,  bien  que  ma  bmille  ait  été 
autrefq^  r^unemie  de  la  sienne,  je  l'aime  et  l'admire. 
-T-VouspadezanglaisI  s'écria  le  colonel, 
-^  Eort  v^r  comme  vous  pouvez  vous  en  apençevoir. 
Biep  qu'un  peu  choquée  de  son  ton  dégagé,  miss  Lydia  ne  put 
s'empêcher  de  rire  en  pensant  à.  une  inimitié  personnelle  entre  un 
caporal  et  un  empereur.  Ce  lui  fut  comme  un  avantr-goAt  des  singu- 
larités 4ef  la  Corse,  et  eUe  se  promit  de  noter  le  trait  sur  son  journal. 

—  Fei4*^e  ayez-vous  été  prisonnier  en  Angleterre?  demanda  le 
colonel. 

—  Nw,  m^n  colonel.  J'aî  appris  l'anglais  en  France,  tout  jeune, 
d'un  prisonnier  de  votre  nation. 

Fqî^»  s'adr^ssant,  à  miss  Nevil  : 

—  Matei  m'a  dit  que  vous  reveniez  d'Italie.  You^  parlez  sans  doute 
le  ppv  toscau,  ipad^en^iseUe-,.  vous  serez  m»  peu  «mharrassée,  je  le 
crains  pour  compsendre  notre  patois. 

—  Ma  fiUe  enteiad  tau3  les  patois  italiens*  répondit  le.  culoo^;  efle 
a,lçi  dcp^  det  I|»|i9Ai?s-  ^  ^'^^  P^  comme  mci. 


de  nos  chansons  corses?  C'est  un  berger  (|iit  dit  à  utté  tefgèt-é  : 

S'entraflsi  *n<)ru  Paradisti,  santu^  santu, 
Ë  ntUn  tnivassi  à  tla,  mt  n^esdria  (1). 

Afi»  LydW  comprit,  et  tmnvant  la  dtàUéci  aiidAdi^ttfte,  et  ^ 
encore  le  fiâgard  qui  Vat^isompàgnail^  mé  tèf^Att  tn  Hû0mSM  : 
GêpitvBi 

^^  Et  vous  retôuriieK  dffiis  votre  pajrB  eu  seUiestHg?  demau^  te 
colonel. 

^  Non^  moD  colotieli  lis  m'ont  mfé  en  detnlniold^^  prol>àblénient 
parce  que  j'ai  été  à  Waterloo  et  que  je  suii  compatriote  de  Napoléon  ; 
Je  retourne  chez  moi,  léger  d'espoir,  léger  d'argent,  comtiie  dit  ta 
chanson. 

Et  il  soupita  eii  regardant  le  cieL 

Le  colonel  mit  la  nAsdn  à  sa  poche ,  et  retottrnant  entre  ses  dnigts 
une  pièce  d'or^  il  obeirhait  une  phrase  pour  la  gUsfter  poliment  i^n% 
la  main  de  ton  ennemi  malheu^eut* 

-^  Et  moi  aussi ,  dit-il  d'un  ton  de  bonne  humeur,  on  ih'a  tùià  en 
deDû-«oide;  mais...  Arec  votre  deUii-solde,  vous  n'aVeÉ  pàë  dé  quoi 
vous  anheler  du  tabac.  TeneE^  caporal. 

Et  il  essaya  de  faire  entrer  la  pièce  d'or  dahs  Itt  main  fehuée  quë 
le  jeune  homme  appuyait  sur  le  bord  de  la  yole» 

Le  jeune  Coi^se  rougit,  se  redressa ^  se  mordit  lés  lèvres,  et  parais- 
sait disposé  à  répondre  avec  emportement  «  quand  tout  à  (idup,  chan- 
geant d'expression ,  il  éclata  de  rii^.  Le  eoldnd ,  lA  pièce  à  la  mdin , 
demeurait  tottt  ébahia 

-^  Colosel  f  dit  te  jettfie  hdmme  reprenant  son  sérieux ,  pettnetté^- 
moi  de  vous  dbnnet*  deux  avis.  Le  pr^fnier,  c'est  de  ne  jamais  oîMt 
de  l'argent  à  un  Gèfse,  car  il  y  a  de  mes  compatriotes  assel  impolis 
pour  vous  le  jete^  à  la  tète;  le  second  ^  c'est  de  né  pas  donner  aux 
gens  des  titres  qu'ils  ne  réclament  point;  Vous  m'appeleÉ  caporal ,  et 
je  suis  lieutenant  Sans  doute ,  la  différence  n'est  pas  bien  grande , 
mais 

^  Ueutenaét!  s'éorla  »r  Thomas  4  lieutenant  I  mais  le  patron  m'a 
dit  que  vous  étiez  capotai ,  ahisi  que  votre  père  et  tnus  les  hommes 
de  votre  famille. 

A  ces  mots  le  jeune  homme,  se  laissant  aller  à  la  renverse,  se  mit 

(1)  «  Si  j'entrais  dans  le  paradis  ^int,  saint,  et  si  je  ne't*y  trouvais  pas,  j*en 
sortirais.  »  (  Serenata  di  Zicavo,  ) 


11  REVUB  DES  tfÊtfX  MONDES. 

à  lire  de  p\m  befie,  et  de  si  boniie  graee  que  le  patroa  et  ses  deux 
matelots  éolaiêrent  en  chœur. 

—*  Pardon,  colonel,  dit  enfin  le  jeune  homme;  mais  le  quiprotpio 
est  admirsA>le,  je  ne  Fai  compris  qu'à  l'instant.  En  effet,  tua  famille 
se  glorifie  de  compter  des  caporaux  parmi  ses  ancêtres  ;  mais  nos 
caporaux  corses  n'ont  jamais  eu  de  galons  sur  leurs  habits.  Vers  l'an 
de  grâce  1100,  quelques  communes,  s'étant  rétoMées  cotHre  la  tyran- 
nie des  seigneurs  montagnards,  se  choisirent ties  chefs  qu^eDes  nom- 
mèrent caporaux.  Dans  notre  lie,  nous  tenons  à  hotfneur  de  des- 
cendre de  ces  espèces  de  tribuns. 

—  Pardon,  monsieur,  s'écria  le  colonel,  mille  fois  pardon.  Puisque 
vous  comprenez  la  cause  de  ma  méprise,  j'espère  que  vous  vonétez 
bien  l'excuser. 

Et  il  M  tendit  la  main. 

*-*  C'est  la  juste  punition  de  mon  petit  orgueil,  colonel,  M  le  jeune 
homme  riant  toujoucs  et  serrant  cordialement  la  main  de  l'Anglais  ; 
je  ne  vous  en  veux  pas  le  moins  du  monde.  Puisque  mon  ami  Matei 
m'a  si  mal  présenté,  permettez-moi  de  me  présenter  moi-même  ;  je 
m'appelle  Orso  délia  Rebbia,  lieutenant  en  demi-solde,  et  ri,  comme 
je  le  présume  en  voyant  ces  deux  beaux  chiens,  vous  venez  en  Corse 
pour  chasser,  je  serai  très  flatté  de  vous  faire  les  honneurs  de  nos 
m&quis  et  de  nos  montagnes...  si  toutefois  je  ne  les  al  pas  oubfiés, 
ajouta-t-il  en  soupirant. 

En  ce  moment  la  yole  touchait  la  goëlette.  Le  lieutentmt  offrit  la 
main  à  miss  Lydia,  puis  aida  le  colonel  à  se  guinder  sur  le  pont.  Là , 
sir  Thomas,  toujours  fort  penaud  de  sa  méprise,  et  ne  sachant  com- 
ment faire  oublier  son  impertinence  à  un  homme  qui  datait  de  l'an 
1100,  sans  attendre  l'assentiment  de  sa  fille ,  le  pria  à  souper  en  lui 
renouvelant  ses  excuses  et  ses  poignées  de  main.  Miss  Lydia  fronçait 
bien  un  peu  le  sourcil ,  mais ,  après  tout ,  elle  n'était  pas  fàdiée  de 
savoir  ce  que  c'était  qu'un  caporal  ;  son  hôte  ne  lui  avait  pas  déplu , 
elle  commençait  même  à  lui  trouver  un  certain  je  ne  sais  quoi  aristo- 
cratique; seulement  il  avait  l'air  trop  franc  et  trop  gai  pour  un  héros 
de  roman. 

—  Lieutenant  délia  Rebbia,  dit  le  colonel  en  le  saluant  à  la  ma- 
nière anglaise,  un  verre  de  vin  de  Madère  à  la  main,  j'ai  vu  en  Es- 
pagne beaucoup  de  vos  compatriotes  :  c'était  de  la  fomeose  infan- 
terie en  tirailleurs. 

—  Oui,  beaucoup  sont  restés  en  Espagne,  dit  le  jeune  lieutenant 
d'un  air  sérieux. 


-r*r  Je  «'oublierai  jamais  la  conduite  d'un  bataiHon  corse  à  la  ba^ 
taille,  de  Yitoria,  poursuivit  le  colonel.  Il  doit  m'en  souvenir,  ajoutar*» 
t41  en.se  frottant  la  poitrine.  Toute  la  journée  ils  avaient  été  enitirail* 
leurs  dan^  ksjardins,  derrière  les  haies,  et  nous  avaient  tué  je  ne 
sais  cûiBbiea d'hommes  et  de  chevaux.*La  retraite  décidée,  ib  se  rai* 
lièrent  et  se  mirent  à  filer  grand  train.  En  plaine,  nous  espérions 
prendre  notre  revMche^  mais  mes  drôles — excusez,  Ueutenant,  —  ces 
braves  gens  s'étaient  formés  en  carré,  et  il  n'y  avait  pas  moyen  de  les 
rompis.  Am  milieu  du  carré,  je  crois  le  voir  encore,  il  y  avait  un  officier 
monté  sur  un  petit  cheval  nofa*;  il  se  tenait  à  cAté  ^  l'aigle,  fumant 
soa. cigare  eomme  s'il  eût  été  au  café.  Parfois,  comme  pour  nous 
braver^  leurm^$ique  nous  jouait  des  fanCsffes...  Je  iance  sur  eux  mes 
deux  premiers  escadrons...  Bah!  au  lieu  de  mordre  sur  le  front  du 
carré,  voilà  mes  dragons  qui  passent  à  c6té,  puis  font  demi-tour^  et 
reviennent  fort  en  désordre  et  plus  d'un  cheval< sans  maître...  et  tou- 
jours la  diable  de  musique  !  Quand  la  fumée  qui  enveloppait  le  ba- 
taillon se  dissipa,  je  revis  l'officier  à  cAté  de  l'aigle ,  fumant  encore 
son  cigare.  Enragé ,  je  me  mis  moi^néme  à  la  tête  d'une  dernière 
charge.  Leurs  fusils,  crasses  à  force  de  tirer,  ne  partaient  plus,  mais 
les  soldats  étaient  formés  sur  six  rangs,  la  baïonnette  au  nez  des  che- 
vaux; on  eût  dit  un  mur.  Je  criais,  j'exhortais  mes  dragons,  je  serrais 
la  botte  pour  faire  avancer  mon  cheval ,  quand  l'officier  dont  je  vous 
parlais,  ôtant  enfin  son  cigare,  me  montra  de  la  main  à  un  de  ses 
hommes.  J'entendis  quelque  chose  comme  :  Al  capello  bianco!  J'avais 
ui  pLumet  blanc  Je  n'en  entendis  pas  davantage,  car  une  balle  me 
traversa  la  poitrine.  —  C'était  un  beau  bataillon ,  monsieur  délia 
Rebbia,  le  premier  du  18*  léger,  tous  Corses,  à  ce  qu'on  me  dit  depuis. 

—  Oui,  dit  Orso  dont  les  yeux  brillaient  pendant  ce  récit,  ils  sou- 
tinrent la  retraite  et  rapportèrent  leur  aigle;  mais  les  deux  tiers  de 
ces  braves  gens  dorment  aujourd'hui  dans  la  plaine  de  Yitoria. 

—  Et  par  hasard  I  sauriez-vous  le  nom  de  l'ofBcier  qui  les  com- 
mandait? 

—  C'était  mon  père.  Il  était  alors  major  au  18%  et  fut  fait  colonel 
pour  sa  conduite  dans  cette  triste  journée. 

—  Votre  père  !  Par  ma  foi ,  c'était  un  brave  I  J'aurais  du  plaisir  à  le 
revoir,  et  je  le  reconnaîtrais  j'en  suis  sûr.  Vit-il  encore? 

—  Non  colonel,  dit  le  jeune  homme  pâlissant  légèrement. 

—  Était-il  à  Waterioo? 

—  Oui,  colonel,  mais  il  n'a  pas  eu  le  bonheur  de  tomber  sur  un 
champ  de  bataille...  Il  est  mort  en  Corse...  il  y  a  deux  ans...  Mon 


14  REVUE  D^9  Wmm  MONDES. 

Bien!  qse  cette  oi^r^  beifoi  U  y  «  dix  aM^pe  }t «M  v«  t^MMi- 
teiranée.  -^  Na  troaf6c-<?4m  pM  U  MMtanmétr  plw  keMè.itM 
rOcéao,  nadeiMifleUe? 
~  Je  la  trouve  trop  bleue.*,  el  lea  vigintsiaMliiMtée  gmMlMr. 

—  Yoi»  ainiu  h  liowté  swvsge,  m»4fU9omSkt1  A  ce  cM^rte  je 
crois  que  la  Conse  veui  phôra. 

—  Ma  fille,  dit  le  ootoael,  aime  Co«t  ce  qv  est  eitinimliBfciie; 
c'e^  poorqooi  TUalie  ae  lai  a  guèra  plu. 

—  Je  neoonoais  de  rualîe,  dît  Otfsa«  qae  Piae,  oùf lipesaér^fMkpie 
temps  au  coUége;  Baais  je  ne  puis  p^ser  aam  ■iniiiilie»  mt  CMMpo^ 
Santo,  au  DAme,  i  la  Tour  peuchée,  asCampo^Sanlo  Mrtoul.  Vom  rom 
rappelez  la  Mort  d'Orf  agua.. .  Je  crois  que  je  pourrais  ta  desBJDer,  tant 
elle  est  restée  gravée  dans  ma  mémoire. 

Miss  Lydia  craignit  q^e  If*  le  lîeuteuaul  ne  s'engageât  daus  «ne 
tirade  d'eutbousiasme. 

-^G*eat  trèsjoU^  dit-eUeen  bâiUanI;.  Pardoa,  mm  père,  j*ai  nm 
peu  mal  à  la  tèle,  je  vais  descendre  dans  ma  chambre. 

sue  baisa  aen  pèie  sur  le  fipout^  fit  un  signe  de  lèée  majeatoeiix  à 
Orso  et  disparut.  Les  deux  hommes  causèrent  alors  cbasn  et  guerre. 

Ils  a[^rirent  qu'à  Waterloo  Us  étaient  en  fiMe  l'un  de  Taufav,  et 
qu'ils  avaient  dû  échanger  bien  des  balles.  Leur  boMie  inteHigenceen 
redoubla.  Tour  à  tour  ik  a-itiqudrent  Napoléott ,  Wellington  et  BU^ 
cher,  puis  ils  chassèrent  ensemble  le  daim,  le  sanglier  et  le  mouflon. 
Enfin  la  nuit  étant  déjà  très  avancée,  et  la  dernière  bouteille  de  bor- 
deaux finie,  le  colonel  serra  de  nouveau  la  maîB  du  lieutenant  et  lui 
souhaita  le  bonsoir,  en  eiprimant  l'espoir  de  cultiver  une  conoaissaBoe 
commencée  d'une  bçon  si  ridicule*  Us  se  sé|)anèrent ,  et  chacun  Ait  se 
coucher. 

m. 

La  nuit  était  belle,  la  lune  se  jouait  sur  les  flots,  le  navire  voguait 
doucement  au  gré  d'une  brise  légère.  Miss  Lydia  n'avait  point  envie 
de  dormir,  et  ce  n'était  que  la  présence  d'un  profane  qui  Favait  em- 
pêchée de  goûter  ces  émotions  qu'en  mer ,  et  par  un  clair  de  lune, 
tout  être  humain  éprouve  quand  il  a  deux  grains  de  poésie  dans  le 
cœur.  Lorsqu'elle  jugea  que  le  jeune  lieutenant  dornuit  sur  les  deux 
oreilles,  comme  un  être  prosaïque  qu'il  était,  elle  se  leva,  prit  une 
pelisse,  éveilla  sa  femme  de  chambre  et  monta  sur  le  pont.  Il  n'y  avait 
personne  qu'un  matelot  au  gpuvernaili  lequel  chantait  une  espèce  de 


fSUKSOtKBmé 

MMpMftil^diM»  le  AfiMle  oMlM,  Mt  ur  air MMge  «(  iÉoftÊbtme. 
WM9^Wi»IBÊàerâ&1k  mit,  ooHte  miisiipié  éttuogr  avait  sm  cftarmer. 
Malheureusement  miss  Lydia  ne  comprém^]^  euHèffWBfbttf  ee  qtt 
daiitaiif  KMttatdbt  itai  nrifferr  de^  HiattMrap' 4r  1^^  un 

yftf9  ântt^cpicr'^tcMUt'  viVeiueiiC  suf  ciiridiBilé  ;  mrii^'HoifMt,  w  pAis 
beau  moment,  arrftnibtrtl  qml^tie»  mots' de  patois  donit  lë  sisni  M 
êdlflppaitl  me  (mniirtt  pourtanf  qu'R  était  qfuestloii  êfmt  méuitre. 
Bés"  hnpréeaCfef»' «entre  les  asswsim,  feymgnaees  de  vengeanee,  Vë*- 
Ibge'dii  meit,  fMteeta  éMt  emibAdu^pèfe^nétè;  Hfe'iBUnt  qoeb^ 
vers  que  je  vais  e»arycrde  ttrarfcÉre. 

furm^ehaaip  debaUHIfr-—  comme  im^eïà*éiak  — H  éttiit  le fauoaikaiiiide 
Faigla,  —  miel  des  sabWe  pwiv  ses  amis,  •—  poux  ses  ennemis  la  mer  en  coun- 
toux.  —  Plus  haut  que  le  soleil ,  —  plus  doux  que  la  hine.  —  Lui  que  les 
ennemis  de  la  France  —  n'attendirent  jamais,  —  des  assassins  de  son  pays 
—  Tout  firappé^  par  derrière,  —  comme  Vîtlolo  tua  Saropiero  Corso  (1).  — 
Jamais  ils  n'eussent  osé  le  regarder  en  face.  — ...  Pf aeéz  sur  la  nnirailTe  devant 
monrllt',  —  ma  croix'tf'honneur  bfen  gagnée*.  —  Kouge  ett  est  le  ruban.  — 
Ptas-it)ug»ma  ettemise-.  —  A  nven  fils,  mon  fihrett^loniteîB'  pays,  —  garMk 
ma  oroix  et  ma  chemise  sanglante.  —  Il  y  verra  detti  troum  —  Peur  chaque 
iMHi,.utf  ttBUidami>UMfa«tre  cheaaise.  —  Maïs  la:  iranguMnitra^raM^^eUfr  faite 
alors?— Il  me  faut  bnaainrqiéa  tké,  — Fedt  qwaiifié'r-^le  oorarcpri  a 
pensé...  » 

Le  matelot  s'arrêta  tout  à  coup. — ^Pourqpoi  ne  continuez-vous  pas, 
mon  ami?  demanda  miss  NeviL 

Le  matelot ,  d*un  mouvement  de  tète,,  lui  montra  une  figure  qui 
sortait  du  grand  panneau  de  la  goëlette.  C'était  Orso  qui  venait  jouir 
do  dÉâr  de  lune. 

—  Achevez  donc  votre  complainte,  dîl  miss  CytBa:  Elle  më  faisait 
grand  plaisir. 

Lft  matelot  se  pencha  vers  elle  et  dit  fort  bas  :  Je  ne  donne  le^t»»* 
éM^ffu^àjMrsiHioe». 
-»*' €0*11016111?  te  ....î 
Le  matelot;  sans  répondire,  se  mita  sfflfer. 

—  Xe  vous  prendis  à  admirer  notre  Më£terranée ,  miss  Nevil ,  dit 
Ofs^i  s'a(f»Dça»tau|irè8  d'ielle.  Convenez  qia'oa  ne.  voit  pointailleva 

(f)T;  FHI^^fMi,  IHiKT  A^temm  As  Vlliole  eit  eisert  e»  exéenUon  parmi 
les  Corses.  C*est  aujourd^hni  un  synonyme  de  traître. 


Hfi  BBVUB  DJUJIBIDD  MONDES. 

—Je  ne  la  regudvs  pjM.  J- étais  tooteiOfcapée  à  étudier  (^  orne. 
4]ie.niiitel9t:«  qui  chaotait  uiie  complunte/des'^ustnigkiMi^-s^est 
'«q^^au plus Jbeau moment.  ....      i    .     .Mi..;,'.i^^ 

Lo  .matelot  se  baissa  comme  pour  nueiix  Ike  a«r  la.lm]flspfev  ctltai 
rudement  la  pelisse  de  miss  Nevil.  Il  était  évident  que  sa.iiom{Ualnte 
ne  pouvait  pas  être  chantée  devant  le  lieutenant  Orso.   .il.  ' 

—  Que  chantais-tu  là,  Paolo  France,  dit  Oibo;  e8t^»<9ne  doOMa? 
un  vocero  (1)?  Mademoiselle  te  comprend  et  voudrait  entende  la  fin. 

—  Je  l'ai  oubliée,  Ors*  Anton',  dit  le  matelot.  Ettsnr^èHobanlp  il  se 
mit  à  entonner  à  tue-téte  un  cantique  a  la  Vierge^-  ;  ..<'.•    ! 

Miss  Lydia  écouta  le  cantique  avec  distraedos;  et^në'j^rëisa  pas 
davantage  le  chanteur,  se  promettant  bien  toutefois  de  savok  plus 
tard  le  mot  de  l'énigme.  Mais  sa  femme  de  chambre,  qni,^tantdeFlo- 
rencOt  ne.conprenait  pas  mieux  que  sa  maîtresse  le  dfidecle>  corse, 
était  aussi  curieuse  de  s'instruire,  et  s'adressant  à  Orso  avatit  que 
ceUe^i.pûti  l'AViertir.^ariHn  coup  de  coude  :  Monsieur  le  capitaine, 
dit-elle,  que  veut  dire  donner  le  rimbecco? 

—  Le  rimlMiCCo  !  dît  «Orso,  mois  c'est  faire  la  pbu  mcNrtelle  injure  à 
on  Corse  :  c'est. lui; Jteprocher  de  ne  pas  s'être  vengé.  Qui  vous  a 
parlé  de  rimbecco  (3)  ?  .    .  •     •' 

— C'est  hier,  à  Marseille,  répondit  miss  Lydia  avec  empuessoKhérit, 
que  le  patron  de  la  goélette  s'est  servi  de  ce  mot.  <  '  * 

—  Et  de  qui  parlait-il?  demanda  Orso  avec  vivacité.  >  -* 

—  Oh  1  il  nous  contait  une  vieille  histoire...  du  temps  de...  m^,  je 
crois  que  c'était  à  propos  de  Vannina  d'Omano.  •'<  ^ 

«—  La  mort  de  Yannina,  je  le  suppose,  mademoiselle,  né  vobB  (^pas 
fiiit  beaucoup  aimer  notre  héros,  le  brave  Sampiero? 

(1)  Lorsque  on  homme  est  mort,  parliculièrement  lorsquMl  a  été  assassiné,  oa 
place  son  corps  sur  one  uble,  et  les  femmes  de  sa  famille,  à  lear  défaut,  des  amies 
ou  même  des  femmes  étrangères  connues  par  leur  talent  poétique,  improvisent 
devint  un  luiittdini  nombreux  des  complaintes  en  vers  dans  le  dialecte  du  pays. 
Oa  nomme  ces  femmes  voçttrairiei,  ou ,  suivant  U  prononciation  corse,  Imetratriei, 
et  la  complainte  s*appaUe  voe$fii,  hueêtru,  kuetraiu,  sur  la  côte  orientale,  baikUa 
sur  la  oAté  opposée.  Le  mot  voeero,  ainsi  que  ses  dérivés  vocirar,  voeeratrie9t 
vient  du  latin  voeifiràre.  Quelquefois  plusieurs  femmes  improvisent  tour  k  tour,  et 
Mquemment  la  femmédu  la  fllltf  du  moH  diaaie  eUennéme  la  complainte  ftmè^re. 

(S)  JUMMfortet  italie»- rfgaîfie  rewr^ytr,  riposter,  t^eler*  Dans  kfilldeetfe 
corse,  cela  veut  dire;  a|lres|ifin  «n  lepr^çbct  o(fensa^(  al  pifbUq. '-f  Op,flqpfi0.1f 
rimbeeeu  au  liU  d*un  bomoie  assassiné  <sn  lui  disant  que  son  pè|«^*e8^  p^  VQq|é. 
Le  rimbeeeu  est  une  espèce  de  mise  en  demeure  pour  Thommequl  n^a  pas  encore 
lavé  une  f^iore  dans  kratng.  L^'loî  génoise  ponisteft  trét^éVérèMbl'HaiitdurilHw 


\Uf/    -iHit 


.fT 


^tliiDftitoOMM^ip'Vie'éa  §Dit  Mett  -     '^  — 

'  ^fr,Sf^iCniKAi|ip«ckietBal98i]iiœ«»9mTag60d«^ 
Sampiero  faisait  une  gaerre  à  mort  au  Génois;  <pielle  tonfintAte 
«■raieBCpBiafDb  è»  lui  sea oMipatriotes,  s'il  n'avait  pas  pool  <^Ue 
qui.  d^endiait  à  ifùiter  avec  6énes  ? 

—  Vannina,  dit  le  naitelot,  était  partie  sans  la  permission  4e  son 
iBift  T  SmnpiftTiT  II  Mftn  fuit  de  lui  tordre  le  cou. 

^^  Maia«  dît  mis»  JLydia,  c'était  pour  sauver  son  mari  «  par  amour 
pour.hiivqujoUe 'allait  demander  sa  grâce  aux  Génois. 

—  Demander  sa  grâce,  c'était  l'avilir,  s'écria  Orso. 

— '£t.|a  taer^UiHiièniel  poursuivit  miss  NeviL  Quel  monstre  ce 
dmail^I  '  - 
-^  y OQSraaiv^z. qu'eue  lui  demanda  comme  une  taveur  de  périr  de 

ja  raain..oaieUo,  mademoiselle,  le  regardet-vous -aMst  comme  on 
flKMntoe?  •    '  .-'■''.<    1-. 

*-** Quelle  diflérencel  il  était  jaloux;  Sampietti  n^éiatt  que 4e  la 
Tanité.  *  .î  :■   /  ■"■ 

—  Et  la  jaloaste,  n'est*«e  pas  aussldela'VaÉité?  C'est  la  vanité  de 
ramour,  et  voua  l'excusez  peot^tre  en  ftrvem  dui  molif  ? 

Miss  Lydia  lui  jeta  un  regard  plein  de  dignité,  et  s'adressant  au 
HMkM  lui  demanda  quand  la  goëlette  arrivenit  au  port. 

—  Après-demaio,  dit-U,  si  le  vent  continue. 

—  Je  voudrais  déjà  voir  Ajaccio,  car  ce  navire  m'excède. 

.  Vk  3e  iev*»  prit  le  bras  de  sa  fenome  de  chambre,  et  fit  quelques 
pas  sur  le  tillac;  Orso  demeura  immobile  auprès  du  gouvernail,  ne 
^kanta^il  {devait  se  promener  avec  elle  ou  bien  cesser  une  conver- 
sation qui  paraissait  l'importuner. 

-^  Belle  fille,  par  le  sang  4e  la  madone  1  dit  le  matelot;  si  toutes 
les  puces  de  mon  lit  lui  ressemblaient,  je  ne  me  plaindrais  pas  d'en 
être  mordul 

Miss  Lydia  entendit  peutrètre  cet  éloge  nmï  de  sa  beauté  et  s'en 
efEutMicha^  car  elle  descendit  presque  aussitôt  dans  sa  chambre. 
Bientôt  après,  Orso  se  retira  de  son  côté.  Dès  qu'il  eut  quitté  le  tillac, 
la  fenmie  de  chambre  renaontaft  et  après  iiyQir,  fait  .sqbi^  m  interne 
gatoir*  apipatelpti  iiapporta  les.imseigpeq9ms  suivanaMamaltresse  : 
La  ballÉta  intemompiie  par  lapiésence  é'Qno  avait  été  composée  à 
Tocca^oé^de  la  mort'du  colonel  deBa  ReBMa,  t)ère  du  susdit,  assas- 
siné il  ^  avait  dêtii  ans.  Le  matelot  ne  doutait  pas  qu'Orso  ne  revint 

^.^^^f9Wi/^^fi>h  vmifiV^%^  ç'étjât  son  e^ression,  et  affirmait 

qu*avant  peu  on  verrait  de  la  viande  fraîche  dans  le  village  de  Pietsa» 

Toila  XXIII.  2 


iS  RBYCB  MÊÊÊ  WmW  MONDBS. 

nera.  Tradoctioii  liM db^ «ethMe* ivéMhmA',  fl rèsnIlltSt qne  le  âd- 
ffÊÊênp  OlM'M  pHifUMif*  iluMiUini€»^d^wc  M  iMip  pemmie»'  soup- 
çiHMM§fe»(ytt¥<!#>a*wdiin<  mtf'fSte;  lesqmSIm,  A^itrvéritt;  avaient  été 
iwlkdfisiiéfli^eR>j«attoê*iK>arc«»ftili  mm^^éMeM  tnmée%  Mmgébb 
comme  neige,  attendu  qu'elles  avaient^  dan»  learnuinebe  juge»,  ato^ 
eÉl9|  p*éfelt0l;9MdlirttMi-^lFa'f  a^ni^e  jiMHraen  ajoutait  le 

matelot,  et  je  fais  plaa^deea8»d^HD  bwrfosif  qne^d^ltr  oMaefller  è  Ik 
eoiir royale.  Q«iand^n«a  ud'emieaii;  it'ftmtelioMrentreies  ttois  S  (1). 
Ces  renseignemena  itrtéKeaaaÉS-  di»ii|'iU'ent  d'une  fliçon  notaUe  lea 
manières  et  le»  dhpMMM»  de*  miss-  Lydi»^  k  TéganV  étt  Heatenant 
déOa'lleMntf.  ftis  ce*  mement  il  étett  d^renn  ntr  personnage  em  yeux 
de  la  romanesque  Anglaise.  Maintenant,  cet  air  dlnsouciancv,  ce  ton 
de  limKld89«t  de  6mhv0  tameiiF  qnf  #abord  raveièRt  prérenue  défa^ 
viaratlaHieitl^,  devenaiaatiiMr  aller  un^ mérite  de  ph»,  carc^étaith 
profonde  dissimulation  d*une  ame  énergique  qui  ne  laisse  percer  è 
VesÉâriHur  momi^dia-seDttmeD^qii'eile' renferme.  Orso  hri  parut  une 
espèce  de  Fiesque,  cachant  de  vastes  desseins  sous  une  apparence  âe 
légèreté;  et  queiqu^il-aoitr  maina^beatt  de  tuer  quelqne»  coquins  que 
de  délivrer  su  patrie;  oepencftnl'HM  Mfe  vengeance  est  belle;  et 
d'ailleur»  tes*  femmes»  ament  aBsaz  qu'un  héros  ne  soft  pas  homme 
politique.  Alevs-aealemeiitniisa'Ilevfl'reffiarqQa  que  le  jeune  Ileute^ 
nant  avait  de  fort  grands* ywQx,  des^denta  Manches ,  mie  taHIe  élé- 
gante, derédneaUoHr  et'quelqueinage'db  monde.  Ble'ltxi  parta  sou- 
veart  dans-  la^  j^yumée  suhnnie,  et  sv  eemversation  fhttéressa.  Ilfut 
longoemenC' questionné  sur- soir  pays;  et  H  en  parlait  bien.  La*  Corse*, 
qu'il*  avait  quMée  fert  jeune,  d*aëonP  pour  alfer  an  collège,  pui^à 
rÉcole  militaire,  était  restée  dans  son  esprit  parée  de  couleurs  poé^ 
tiques.  Il  s^Mimatt^en  parhnt'de  se»  monfsagnes,  de  ses  (brèts,  des 
coatunes  origiMdtes  de  ses  baMlM«:  Comme  on  peut  te  penser,  le 
mot  de  vengeance  se  présenta  plus  d'une  fois  dans  ses  récits,  car  il 
est  impoosiMe  dé^  parier  As<  Cèrses  sans  attaquer'  ou  saa»  justifier 
leur  passion  pfu*fert^laie.  OrsatMrprif  am  peu  mns  Nevil  encondam^^ 
nmtd^uM'maflièfre  générale  Hf»  IMitiea  ifUerminaèles  de  ses  compa»- 
triote».  Gbe«  lèa^pitysaM  DèiHtftfa,  il^Hereftait  à  le»  excuser,  e^dbait 
(pie  la  vendette  eal'  le  duel'  di^  pauvre».  Geià  est  si-  vrai ,  dSsait-if  ; 
qu^on*  ne  s'aabasame  qu'apiéir  miF'dSfi'eir  règle*  (cGarde^or,  je  me 
garde,  #•  teHès*  soni  laS'  pareleS'  aacmmentcHte»  qu^hangent  deux 

(f)  Btpi^aslmi  natHmtte,  c'âst^ènlM  ÉMApem,  stûeîtà,  stnOà,  hisfl,  stylet» 
Ail». 


1» 

eMdBMs^avant  éa  s6  tefi4f»de»«iib«M»4M  Vim  à  r«iifee.  11  y  a  plu» 
d*a86asflîMtfr«has  ooHBt  ivoutaHMI»  4m  pactoiit  «iUtws;  mm  îmùm 
vowoe tnw^arfi  une  obum  igmbte è  ceftCMMs*  Now  «van»,  ilast 

Lonqu'il  proiMNifaii  le»^  moto  de  veogeance  9t  de  meurtre,  «isi 
Lydia  le  regtrdait  attootfi^mefti^  miia  saas  découvrir  ëur  se»  traite  ta 
moiiidre  tiaoe  d'émolioii.  Gomme  elle  avait  décidé  iiu'U  avait  ta  force 
d'ame  néeeesaire  pour  se  rendre  mpénétraUe  à  tout  les  yeui,  les 
stans  exoeptéi,  Ue»  eetendu,  elle  continua  de  croive  fermement  que 
les  mânes  du  colonel  delta  Kebbia  n'attendraient  paa  long-temps  ta 
satisfactîoB  qa'elleftféetaïaaienl. 

Déjà  ta  goëleUe  était  en  vue  de  la  Corse*  Le  patioa  nonamait  les 
points  prmoipaia  do  ta  côte,  et^  bien  «pi'itaâment  tons  partaitaoMnt 
inconnus  à  mis»  Lydie,  elle  trouvait  quekHie  plaisir  à  savoir  leur» 
nomSi  Rien  de  plus  ennuyeux  qu'un  paysage  anoiiyme«  Parfois  le 
télescope  du  colonel  faisait  apercevoir  quelque  inaulairey  vêtu  de  drap 
brun,  armé  d*un  long  fusil,  monté  sur  un  petit  cbevaK  et  galopant 
sur  des  pentes  rapides.  Miss  Lydia ,  dans  chacun ,  croyait  voir  un 
bandit,  ou  bien  un  fils  allant  venger  la  mort  de  son  père;  mais  Orso 
assurait*^  que  c'était  quelque  paisible  habitant  du  bourg  voisin  voya- 
geant pour  ses  aftaires;  qu'il  portait  on  fusil  moins  par  nécessité  que 
par  fuianietrie  »  par  mode ,  de  même  qu'im  dendy  ne  sort  qu'avec 
une  oanne  élégmte.  Bien  qu'un  Aisil  soU  une  arme  moins  noble  et 
moins  poétique  qu'un  stylet^  miss  Lydta  trouvait  que,  pour  un  homnae, 
ceta  était  plus  galant  qu'une  canne^  et  eUe  se  rappetait  que  tous  les 
héros  de  lonl  Byron  meurent  d'une  balle  et  non  d'un  ctassiqne  poi- 
gnarda 

Aprèa  trois  jours  de  navigation,  on  se  trouva  devant  ieaSanguinaifes, 
et  le  magnifique  panorama  du  golfe  d'Ajocdo  se  développa  %ux  yeux 
de  nos  voyageurs*  C'est  avec  raison  qu'on  le  compare  à  h  vue  lie  la 
baie  de  Naples  ;  et  au  moment  oA  ta  goëleite  entrait  dane  le  port ,  un 
roèquis  en  feu,  couvrant  de  fumée  ta  punta  dî  Girato,  mppelait  te 
Yé^ive,  et  ajoutait  è  ta  Fessembtance»  Pour  qu'elta  fftt  oomplète,  il 
faudrait  qu'une  aimée  d'Attita  vint  s'abattfe  anr  In»  environe  de  Na^ 
pies;  car  tout  est  mort  et  désert  atttour-d'Ajaocio.  Au  lieudeces  élé- 
gantes fabrique»  qu'on  décmivre  de  toua  oMéa.  depuis  *Casteltaffiiare 
jusqu'au  cep  Miaèn^,  on  ne  vwt,  autour  du  golfe  d'Ajaocio,  que  de 
sombres  m&quis  et  derrière  des  montagnes  pelées.  Pas  une  villa ,  pas 
une  habitation.  Seulement,  çà  et  14f  sur  les  bautmvs  autour  de  la 
viUe  t  quelques  confirtruotions  Uancbes  se  détachent  isolées  sur  un 


910  REVUE  dis:  MR^t  1I0NDB8. 

fond  de  verdure;  oe  sont  des  cbapeHes  fanéraimvdes  dombeaintide 
famille.  Tout,  dans  ce  paysage,  est  d'me  beauté  grave  et  triste. 

L'aspect  de  la  ville,  surtout  à  celte  époque,  augmentait  encore  llro- 
pression  causée  par  la  solitude  de  ses  alentours.  Nul  nMmvemfent  dans 
les  rues ,  où  Ton  ne  rencontre  qu'un  petit  nombre  de  figures  oisives 
et  toujours  les  mêmes.  Point  de  femmes,  sinon  quelques  paysatmes 
qui  viennent  vendre  leurs  denrées.  On  n'entend  point  parier  haut, 
rire,  chanter,  comme  dans  les  villes  italiennes.  Quelquefois,  àTooibre 
d'un  arbre  de  la  promenade,  une  douzaine  de  paysaw  annés  jouent 
aux  cartes  ou  regardent  jouer.  Ils  ne  crient  pas ,  ne  se  disputent 
jamais;  si  le  jeu  s'anime,  on  entend  alors  des  coups  de  pistolet,  qui 
toujours  précèdent  la  menace.  Le  Corse  est  natupèlleoient  grave  et 
silencieux.  Le  soir,  quelques  figures  paraissent  pour  jouir  de  la  frat- 
dheur ,  mais  les  promeneurs  du  cours  sont  presque  tous  des  étrangers. 
Les  insulaires  restent  devant  leurs  portes;  chacun  semble  aux  aguets 
comme  un  faucon  sur  son  nid. 


IV. 

Après  avoir  visité  la  maison  où  Napoléon  est  né,  après  s'être  pro*- 
curé  par  des  moyens  plus  ou  moins  catholiques  un  peu  du  papier  de 
la  tenture,  miss  Lydia,  le  second  jour  de  son  arrivée  en  Corse,  se 
sentit  saisir  d'une  tristesse  profonde ,  conune  il  doit  arriver  à  tout 
étranger  qui  se  trouve  dans  un  pays  dont  les  habitudes  insociables 
semblent  le  condamner  à  un  isolement  complet.  Kle  regretta  son 
coup  de  tête;  mais  partir  sur-le-champ ,  c'eût  été  compromettre  sa  ré- 
putation de  voyageuse  intrépide;  miss  Lydia  se  résigna  donc  à  prendre 
patience  et  à  tuer  le  temps  de  son  mieux.  Dans  cette  généreuse  ré- 
solution, elle  prépara  crayons  et  couleurs,  esquissa  des  vues  du 
golfe,  et  fit  le  portrait  d'un  paysan  basané,  qui  vendait  des  melons 
comme  un  maraîcher  du  continent,  mais  qui  avait  une  barbe  blanche 
et  l'air  du  plus  féroce  coquin  qui  se  pût  voir.  Tout  cela  ne  suffisant 
point  à  l'amuser,  elle  résolut  de  faire  tourner  la  tête  au  descendant 
des  caporaux,  et  la  chose  n'était  pas  diffidle,  car,  loin  de  se  presser 
pour  revoir  son  village,  Orso  semblait  se  plaire  fort  à  Ajaccio ,  bien 
qu'il  n'y  vtt  personne.  D'aiHeurs  miss  Lydte  s'était  proposé  une  noble 
tâche,  celle  de  civiliser  cet  ours  des  montagnes  et  de  le  faire  renoncer 
aux  sinistres  desseins  qui  le  ramenaient  dans  son  tie.  Depuis  qu'elle 
avait  pris  la  peine  de  l'étudier,  elle  s'était  dit  qu'il  serait  dommage  de 


laifleree'j6DBft!lioiiimecoiirir  à  «a  perte,  et  que  pear.elie  il  serait 
glorieui4e  coDirertir  un  Corae; 

LesijoiiméeSt  pour  no»  Toyageors^  se  passaient  comne  il  siiiti:  le 
matin,  ieoelonel  et  Ono  allaient  à  la  chasse;  miss  Lydia  dessinait  on 
écmaiti  aesaitiies,  afin  de  pouvoir  dater  ses  lettres  d'Ajaccio.  Vers 
sis  benre»,  les  hooinies  revenaient,  chargés  de  gibier;  on  dinait,  miss 
Lydia  chantait ,  le  colonel  s'endormait,  et  les  jeunes  gens  demeu- 
nânt  fort  tard  à  causer. 

Je  ne  saisqoeUe  CtH-malité  de  passeport  avait  obligé  le  colonel  Nevil 
à  faire une^itite  au  préfet;  celui-ci,  qui  s'ennuyait  fort  ainsi  que  la 
plupart  de  ses  eoUègues,  avait  été  ravi  d'apprendre  l'arrivée  d'un 
Anglais,  riche,  homme  du  monde  et  père  d'une  jolie  fille.  Aussi,  il 
l'avait  parihiteraent  reçu,  et  accablé  d'offres  de  servides;  de  plus, 
fort  peu  de  Jours  après,  il  fut  lui  rendre  sa  visite.  Le  colonel,  qui 
venait  de  sortir  de  table,  était  confortablement  étende  suf  un  sofa, 
tout  près  de  s'endormir;  sa  fille  chantait  devant  un  piano  délabré , 
Orso  tournait  les  feuillets  de  son  cahier  de  musique,  et  regardait 
les  épaules  et  les  cheveux  blonds  de  la  virtuose.  On  annonça  M.  le 
préfet;  le  piano  se  tut,  le  colonel  se  leva,  se  frotta  les  yeux,  et  pré- 
senta le  préfet  à  sa  fille  :  —  Je  ne  vous  présente  pas  H.  délia  Rebbia, 
dit«41,  car  vous  le  connaissez  sans  doute? 

-*^  MoDSieor  est  le  fils  du  colonel  délia  Rebbia?  demanda  le  préfet 
d'un  w  légèrement  embarrassé. 

-^  Oui  r  monsieur,  répondit  Orso . 

-^  J'ai  eu  l'honneur  de  connaître  monsieur  votre  père. 

Les  lieux  communs  de  conversation  s'épuisèrent  bientôt.  Malgré 
lui,  le  colonel  bâillait  assez  fréquemment;  en  sa  qualité  de  libéral, 
Orso  ne  voulait  point  parler  à  un  satellite  du  pouvoir;  miss  Lydia  sou- 
tenait seule  la  conversation.  De  son  cAté,  le  préfet  ne  la  laissait  pas 
languir,  et  il  était  évident  qu'il  avait  un  vif  plîdsir  à  parler  de  Paris  et 
du  monde  à  une  femme  qui  connaissait  toutes  les  notabilités  de  la 
société  européenne.  De  temps  en  temps,  et  tout  en  pariant,  il  obser- 
vait Orso  avec  une  curiosité  singulière. 

—  C'est  sur  le  contfaient  que  vous  avez  connu  M.  délia  Rebbia? 
demanda-tHl  à  misa  Lydia. 

Miss  Lydia  répondit  avec  quelque  embarras,  qu'elle  avait  fait  sa 
connaissance  sur  le  navire  qui  les  avait  amenés  en  Corse. 

—  C'est  un  jeune  homme  très  comme  il  faut,  dit  le  préfet  à  demi- 
voix.  El  vous  a-t-il  dit,  oonthiua->t^il  encore  plus  bas,  dans  quelle 
intention  il  retient  en  Corse? 


M  REVUB  Hatk  MMk  MONDES. 

Mwi.'L^fJk'frit  «m  air  im>wtwMU:-^fe  w-  te  Irt  êipiÊûkif^ 
mandé ,  dit-elle ,  vous  pouvez  rinterrogeiv. 

LepiéflBt  gwîfo  le  «itenoe^^  mirift,  M  moniBfll  iiprtÊ^  «iitenéÉbt 
Ocso  «dPMer  m  oolonel  iio^qoe»  mott  m  niglais:-«»*ydÉ8  «tei 
beaucoup voyafé^  nioiisieiur,  dil»-il,èeeqtt11finilt  VM»iteYM«tolr 
oublié  fei  GMBi..  el  tes  totttnnés. 

—  Il  est  yniy  j'élus  bien  jettne  qiimd  je  r«i  ^uittéd^ 

—  Vous  appartenez  toujours  a  rarméc? 

—  Je  sHîi  «o  dmi'  goWe»  mmsievr. 

-*-  Vous  avez  été  tr^  lon^^eolps  dfens  raituée  firan^se,  po«r  ne 
f9ê  devenir  lout^fiMt  Fmi^^ ,  je  ii*eÉ  daute  pas^  menmiir^ 

U  pronoms  cea  derniera  hmIs  avec  une  empham  niarqiiée. 

Ce  n*«at  pas  flatter  procUgiéliseblMt  Ida  Cereea,  que  ée  iaur  rap»^ 
paier  qik'àt  appartiMBieRt  à  ta  gnioâé  tiatioB.  Hs  vailent  étl<e  tm 
peuple  à  partv  et  oetle  préleHilÎ9&,  Us  la  jusiiidnt  «saea  bien  pwdr 
qu'on  la  leur  aecorde.  OrsO,  un  peii  piqtlé ,  répUq«a  c  «^  Pefeiset^votlB, 
tnottsiettr  la  préfet,  ^o'un  Gorae^  povr  être  boimne  d'honneur,  ait 
besoin  de  servir  dans  Tannée  fiïinçaiae? 

-^  Non  i  certes,  ditle  préfet^  ce  n'eM  nullement  ma  pensée;  je  parle 
seulem^t  de  eértaineS  09fÊtume9  de  ee  payaci ,  ck>ftt  queiqtte»*^ 
unes  ne  sont  pas  telles  qu'un  «dmkrialrateitr  vendrait  les  vniti  ^^  Il 
appuya  sur  ce  met  de  ot^iÊilêméif  ^  et  prit  l'eipression  la  {dus  pave  qne 
sa  figure  comportait.  Bientôt  après,  il  se  leva  et  sortit,  emportant  la 
promesse  que  miss  Lydia  irait  voir  sa  fettmie  à  la  préfecture  i 

Quand  il  kà  partf  t  -^  B  firitait,  dit  miss  Lydia,  que  j'riMse  en 
Corse  I  potDr  apilrèndre  ce  i{ne  c'^tl  qu'un  pi^feti  Celiéici  me  partit 
ass^  aifnfidilèi 

^  Pour  moi  ^  dit  Orao,  je  d'en  samini  dire  autant,  et  je  le  trouve 
bien  singulier  avec  son  air  eiUfitiatique  et  mystérieux. 

Le  colonel  était  plus  qu'assoupi  ;  miss  LyiHa  jeta  un  coup  d'oeil 
de  son  côté,  et,  baiésani  la  voiss  -*^£t  noi ,  je  trouve^  di^Oe^  qu'il 
n'est  pas  si  mystériett  qne  vous  le  préleadeE,  car  je  crois  l'Avoir 
compris. 

~  Vous ôtes,  assurément, Mes  perspicace^  miBSl^tovit';  et.  Si  vous 
voyez  quelque  esprit  dans  ce  qu'il  vient  de  dire ,  û  fMt  atfsitfément 
que  vous  l'y  ayetf  mis. 

—  C'est  une  pbr»e  de  marqoia  de  Mascorilie^  monsimr  ddtat 
Rebbia,  je  crois;  mais...  «  voulez-vous  qne  je  vous  donne  une  prettve  de 
ma  pénétration?  Je  suis  uapeu  aoreiàre,  et  je  sais  ce  que  pensent 
les  gens  que  j'ai  vus  deux  fois* 


je  ne  sais  si  je  devrais  en  être  content  ou  aCBiglK^^ 

—  Monsieur  délia  Rebbia,  continua  miss  Lydia  en  rougissant, 
nous  ne  nous  connaissons  que  depuis  quelques  jours  ;  mais  en  mer, 
et  dans  les  pays  barbares, — vous  m'excuserez,  je  Tespère. . . — dans  les 
imy»  harbarasy  obv  devient  ami  pta^it^fcque  éiiiSfle  OHMie.**  Ainai^  ne 
iMMi»  étowes  pa»,  si  je  vaus  parie  ea  awe,  4»  élmm^^wm  peu  hipn 
ÎBtàittesv  et  doiàt  peulrétva  w  étnanger  ne  d^vnil  pas*»  nMev. 

—  Oh<!  ne  dîtes^pas  ee  meMài,  mîas  Dteitit;  KaiÉKive  piaiaail:  bien 
mieux- 

—  BhbienI  monsieur,  jedoîa  ¥Oiip  dlmvfaii«,  mw^iméb  ^àÊnbbÀ 
savoir  vos  ««rets,  je  me:  trouve  leMWiiv  appitoea  ptrtfe,  el  il  y  oi.a 
qni  m^atligenA.  Je  sais,  monsieur,  te  maHnnr  <pî  ».  fmppè^  volve 
famille;  oe  m'a  beaucoup  pailéMiu  oaiMtèsa  iMîcttlifidfr  vioa^eompa*- 
trietea  et  de  leur  manière  de  ae  veafir..*  H^estHrcapaa  ècaia  qwle 
préfet  faisait  allqsion  ? 

-^Mâsflriydâa  peutrêlte  peiserlt.**  Et' Omirifeviiife  ptle  omm»  la 
morfc. 

-1-  Non ,  monsieur  deHa  Itehfeia,  ditreDee»  Piallmdmpmt-,,  je  sais 
qae  vous  Ctes  un  gentleman  pb»b  4*homieur«  Youan'aireB  dit  hmc- 
nnfiine  ipi'il  n'y  avai^plus  daiisi  votre  paiys  qner  les  gam  du  peuple  q«i 
ewoussenfe  la  umietie...^  cpi'il  vous  platt  éSappeter.  usa  fiatme  dki 
duel... 

—  Me  eieifiesE-vous  done  capable  dt  devewr  jamai»  \m  aasasam? 
-^  Puisque  je  vous  parle  de  eelai,  momrieon  Ova»,  vau»  deivex  bien 

voir  4|ie  je  ne  dwte  pai^de  vous,  eC  sijer vou»iH^ptrlér  powsuivi^eBe 
eu  baissant  lesvy<rax ,  c'est  que  j'ai  cowpris^pie^  de  rela«r  danavotte 
pays>  entouré  peut^ire  de  préjugés  batbareft,  vans  seriez  bien  aise 
de  savoir  qja'U  y  a  quekgi'un  q^  vo«a  esttBwpour  votre  courage>à 
leur  résister^  —  Allons,  dit-eHe  en  se  M^smk^  ne  parkmeptaa  de  oes 
vilaines  ehosesJà;  elles  me  font  mal  à  la  tète^  et  d'ailleurs  il  est  bien 
tard.  Vous  ne  m'en  vontoipasi?  Benaeirv  àl'anfWie.Bt  elle  lui  tendit 
ta  main. 
Orto  la  {fmssa  d^uBiair  pave  et  pénétrée. 

—  MadeîpoiseUe,  dit-iii.  seyearveu^qu'aîy  a  denmanwns  oè  Pins- 
tinet  du  pafys.se  réveille  en  mo^  Quelquefoiâv  loasqpiejerson^a  à  mon 
pauvre  pêne...  alors* cFaSËreuses  idéea  m'obsèdent  fifuee à  vous,  j'en 
suis  à  janviis  délivré.  Merci ^  merci^ 

Il  aUeit  poursuivre;  «pie  miss  Lydîa.Mf  tpaAtr.  nner  «niHerèllié, 
et  le  bruit  révmlla  le  colonel. 


tt  BEVUE  M6"i(Êt^  MOHDBS. 

Vw4>BèlWael)btt,  détmln  à  dnij  hètiires  JEÎncha'ssel  Soyez  exact.,  ,. 

—  Oui,  mon  colonel. 

.'  ■  '  ..1      '     '    '  •  ' 

M}\       '         ."       ■  V. 

Le  lendemain,  un  peu  avant  le  retour  des  chasseurs^  miss^evil, 
<|ai  arait  été  se  promener  au  bord  de  la  mer  avec  sa  femn^e  de  cham- 
bre, regagnait  l'auberge,  lorsqu'elle  remarqua  une  jeune  femme 
vêtue  de  noir,  montée  sur  un  cheval  de  petite  taille,  mais  vigoureux, 
qui  entrait  dans  la  ville,  suivie  d'une  espèce  de  paysan  à  cheval  anssi , 
en  veste  de  drap  brun  trouée  aux  coudes,  une  gourde  en  bandou- 
lière, un  pistolet  pendant  à  la  ceinture;  à  la  main,  un  fusil,  dont  la 
ciosse  reposait  dans  une  poche  de  cuir  attachée  à  Farçon  de  la  selle; 
bref,  en  costume^Miptet  de  brigand  de  mélodrame  ou  de  bourgeois 
corse  en  voyagt:  iîa  bealutè  remarquable  de  la  femme  attira  d'abord 
l'attention  <îéibilss'Ne\41.  Elle  paraissait  avoir  une  vingtaine  d'années. 
EHe  était #nQide,  Mttichè',  les  yeux  bleu  foncé,  la  bouche  rose,  les 
dents  comme  de  l'émail.  Dans  son  expression  on  lisait  à  hi  fois  l'or- 
gueil; l'inquiétade  et  4a  tristesse.  Sur  la  tète,  elle  portait  ce  voile  de 
soie  noire  nommé  meÉzarOy  que  les  Génois  ont  introduit  en  Corse, 
et  qui  sied  si  bien  aux  femn^es.  De  longues  nattes  de  cheveux  châ- 
tains lui  formaient  conune  un  turban  autour  de  la  tète.  Son  costume 
était  propre,  mais  de  la  plus  grande  simplicité. 

Miss  Nevil  eut  tout  le  temps  de  la  considérer,  car  ta  dame  au  mez-  ' 
jBoro  s'était  arrêtée  dans  la  rue  à  questionner  quelqu'un  avec  beau- 
coup d'intérêt,  comme  il  semblait  à  l'expression  de  ses  yeux;  puis, 
sur  la  léponse  qui  lui  fut  faite,  elle  donna  un  coup  de  houssine  à  sa 
monture,  et,  prenant  le  grand  trot,  ne  s'arrêta  qu'à  la  porte  de 
l'hôtel  où  logeaient  sir  Thomas  Nevil  et  Orso.  Là ,  après  avoir  échangé 
quelques  mots  avec  l'hête,  la  Jeune  femme  sauta  lestement  à  bas  de 
son  cheval,  et  s'assit  sur  un  banc  de  pierre  à  côté  de  la  porte  d'entrée, 
tandis  que  son  écuyer  conduisait  les  chevaux  à  l'écurie.  Miss  Lydia 
passa  avec  son  costume  parisien  devant  Fétrangère  sans  qu'elle  levAt 
les  yeux.  Un  quart  d'heure  après,  ouvrant  sa  fenêtre,  elle  vit  encore 
la  dame  au  «eaam  a^se  A  h  même  place  et  dans  la  même  attitude. 
Bientôt  piutirent  lecolbner  et  Oso,  revenant  de  la  chasse.  Alors 
l'hôte  dit  quelques  mots  à  )à  dèfùôiéelle  en  deuil ,  et  lui  désigna  du 
doigt  le  jeune  deUa  Hëbbiti.  Celle-ci  rougit,  se  leva  avec  vivacité,  fit 
quelques  pas  en  avant,  puis  s'arrêta  immobile  et  comme  interdite. 
Orso  était  tout  près  d'elle,  la  considérant  avec  curiosité. 


_,,,  ,   „C(JMBHM. « 

— Vous  Atet^dit-«Upd'ane  voix  émue,  QnoAntonio.dclkRcIMa? 

Moi ,  je  sois  Colomba.  ~ 

—  d^mbal  s'écria  Ono. 

Et  la  prenant  dans  ses  bras,  il  l'eaibrassa  tendremeot,  ce  qui 

étonna  on  peo  le  colonel  et  sa  fille,  car,  en  Angleterre,  on  ne  s'em- 

soUveono' 


el: 

nne  li  ^le  ' 

1  Neril.— ' 


le  cdbselv 
bwatmrfa,  '■ 
«Ib  de  s»i 

a,  et  tons  ' 

e,  qui  ser-  - 

d>bia,  prJH  -. 

ne  dit  pas 

oe  pov  la 

itrètre  elle  se  tronvait  en  présence  d'étraH- 

indant  dans  ses  manières  il  n'y  avait  rien 

!i  elle,  l'étrangeté  sauvait  la  gaucherie,  ^le  ' 

même,  et  comme  il  n'y  avait  pasdechuibro  < 

ne  le  colond  et  sa  suite  avaient  envaU, 

lescendance  on  la  curioaitô  jusqu'à  offrir  à  ' 

ire  dresser  çn  lit  dans  sa  propre  ctaandire. 

ines  mots  de  renerciencnt  et  s-'enpressa 

imbre  de  miss  Nevil  po«r  Ja^  i  sa  toilette 

le  rend  Q^c^swimiip'Voiafle'àchenl  par   . 

m,  elle  B'arp$|^  dejVWt-les<fBBilft^ colonel 
t  de  déposer  d^iff^Ha. coi*  :-^  Las  beltet 

|iV0U6,BM».ftiè«îv,,^.       - 

ijs  f^Dgl^  Wicdonel.iUi  iMt  anasi  bons 


9|-  REVUE  DflS  «HK  ilONDES. 

biable. 

—  U  y  en  a  certainement  un,  dans  ce»4Nblilu<fEdti|faÉliÉiift4 
dJrili  ftebUm  «MoÉi  le  «ihÉHL  il  s'a  >Éeil  «r^  èitfi.  Jfa|jMÉllÉii 
<|Hfltok«evoai|^4e  AéBI^  4nÉoi»»pièiiè»1 

.  Aussitdt  s'établit  on  combat  de  générosité ,  Ans  l«fMl  ^thraiiilt 
Ymamfk  laiptMteMlMBOlion^rie  sa  soeor,  «nmr  ^il  HêH  Intte  ^ 
s'/âkiitpeioiMDir  èAtapiiMita*4ev«fe  cotfKtthie  f^oi  india  tmR^dlMi 
coap  sur  smi  wisage  4oiit  i  tl^nœ  ^  «érâm.  «^  4lKMiB«fc^  «mm 
cher,  disaftteiaeloaiEiL^MdaehiHKt'-^-'Eii  hiwi)!  mwiBmêmOe  iwtfre 
sttMBT  oh(MiimqwnrivMB.»-4Mflnl)ane  «e  te  ft  pasfiire  deaxioit,  «Be 
piit  te«9fn6<flaié  «es  AiiîiB,<tnus4;'éMtiMi«|[eelleol;  Jlattan  de  ^m 
caUiw  .'•«^'âduHci ,  âi^lle,  doit  (bien  (p(ffk»  la  iu^. 

Son  frère  s'embaamaahit  dodsian'reBsaroieaietifi,  lorequeie  dtaer 
ftÊfuHtrià  piwfiliiwarée  tirer  dMlwe.  Mi9sl.7dia  Ife^  éfaarmée^ 
YoirtfHiaCalMBlHU'qAi  ttvait»fiBiiti|tttkpe  «ésistanc^e  ponrseviettn  à 
tAKiet^pitt-'amilf^éÉléap&YviiiB  l«iardtae«0BJbère^  finiait^ett 
bonne  catholique  le  signe  de  la  ooix  avant  de  manger  :  «^  ftoa^  m 
m^t,  voià<qiB«irtfn«Mitf;  €t  eite  se  frooit  de  fam  ptas  d'ode 
obsemaAion'ialétoesftiite  wâr^^e  {eone  iq^fféaenlBBt  riesiiéitteaiÉan 
.de4aCkiitNi«#o«râhrso,41  éWt^évidfcmmeiitufei peUflarià'SM aise,  pKt 
la^araiMte.aBQis  4oiiÉeiQii^  sa  aiMMr iie^dlt  ou «eftt ipieH|iie  ohose^ 
seittt^Bap  flfHi  ^iUqg^  MatoCatotifta  r6èarrwaitfiana«cei8e,  <étiéflait 
t«tts  ûèè  iMWwimfis^air  eeui-de  9ùu  feèm.  (^tapiefbii  «tte  le  mm» 
déeaitfcemefit  lk^aetiAe<étraage  eilprossion de  ttridtease^ «él  alen, « 
lei  ifeuKd^lDvse  renoeBtmeutdeB  ifeas^  M  élaft  le  pmurier  à  éâteciw 
ner^^eH^e^gaMsi,  <oMune  fl'H  efttvmitti  se  9el»tram  «  «m  ipe^&an^cpii 
sa  J9t»w4ui  edaessait  «lettlaleiiMiii  (Bt  ^qu'i  1  «oempiMâit  4rap  Uim.  4}ii 
ploWt  fran(^icia^te  iceleMl^^ifHniiaitiMt  iital«n>iMiBni  Cotônte 
enleikdattle  éingait  et  {irattdDÇBit  oème  ^asiei  ttiefi  le  ipee  ée  tt<MJS 
q«''eUe'étrit1ar(iée^'éiDhaiiga'tfree  ees  béta. 

Aplés  le  diMc,  4e  «olenél,  *9b  avait  imnarq^  l'espèce  de  'oatt"»* 
traatil^  <qiii  drégMÉt  «elM  ie  Mre  ^  keœw^^deaaBdavreesafeBii^ 
diise  ordinaire  à  Orso  s'il  ne  désirait  point  caus^  eeid  ffwt  M^  "CkH- 
l(mbài  ^ettraritdflDS^egaa^deiiiiisMMgfecsaftBe  dan  la  ^àcevmsinè. 
UatoOno  le^iftta  de  le  reertrcier  «t  de  dife  4fii%  anraest  biehte 
temps  de  eauser  à  Pietrtfaeiai  C'tééaît  le  nott  fc  viHage  m  fl  devait 
faiae  -^a  iséaidOMe. 

Le  colonel  prit  donc  sa  place  accoutumée  sur  le  soGbl,  eA<itiiBs  MeM^ 


f 


iMie  iMler  la  bete  CokffilM^  liriftOiia  de  hii  K^ 

d«mk  «Mittàl»  iNTori.  ftm  «hM«t  I»  elMiiÉ  de  ITMfar  m  se  fttw?e 

mieux  ces  sublimes  tercets,  qui  expriment  si  bien  le  danger  de  Mteè 
deux  un  liwe  d'amour.  A  mesure  qu'il  lisait,  Colomba  se  rapprochait 
de  la  table,  relevait  la  tftte  qu'elle  avait  tenue  baissée;  ses  pruoeUes 
Platées  briltateul  d'un  feu  extraordinaire;  eHe  rougissait  et  pâlissait 
tour  à  tour,  elle  s'agitait  convulsivement  sur  sa  chaise.  Admirable 
Oi^aMsitiaii itatleane  qui,  pour  cempmidre  ta  peésie,  n'a  pas  be- 
soin qului  pédant  kii  en  démontre  les  beautés. 

Quand  la  lecture  fUt  terminée  :  —  Que  cela  est  beau!  s'écria^t-elle. 
Qui  a  fait  cela,  mou  frère? 

(^*so  fsA  un  peu  décpiicerté,  et  miss  iydia  t^^pooitit  e&  soinNwJt 
qfi»  c'^aituià  poète  fiiQieB,tMi  loprt  depw  pMwws  pèoles^ 
-f^lete  farailirel^Ilantev  dk  Omt>  qtnid  mu»  WMMàW^^ 
^ManOÎM^iliffrerib  aatbeaml  fépéWtikyioi^ 
iHi  qwhe  teieets  qa'eHe  «vait  lelems,  d^aboad  à  fofat  baïae,  pwa, 
t*aabiuai^,  eHe  les  dédana  teirt  hewl  avee-plaa  i^MipressîM  que-soa 
#b«  B^  avait  mis  à  les  lire. 

Miss  Lydia  très  étonnée  :  -^  Vous  paraissez  ahner  beaucoup  ta 
paésie,  dit«lle.  Que  je  vous  envie  le  bonheur  que  vous  auiez  à  lire  le 
BafltaoeiBme  Ba4i>rre  aowreau! 

^—  y^nrn  vafet,  mias  Nevil,  disait  Orse^  que)  pravoh^oat  tes  vers 
te  Bante^  pour  émouvoir  ainsi  une  petite  sauvagesse  f|uf  nesaîttfiie 
saviiBaBrv .  •  sans ,  |e  laie  «rompe.  #e  me  rappeNe  que  t^oioiima  est  cm 
aMer.  Teial  «RlMit,  eHe  s^eseriBMtt  à  Mve  des  vers,  et  mon  pèfe 
m'écrivait  qu'elle  était  la  plus  grande  voceratrite  de  FMraaeraet  de 
Aax  Haaes  àla  ronde. 

CofcMaba  |gta  a»  coup  dfflBH  sappWaat  àsoa  hè»e.  Hks  Ifefft  atat 

«i  patlerdes  improvisatriees  ewses  et  aM»rail  d'envie  d^e»  entendre 

une.  Aussi  elle  s'empressa  de  prier  Colomba  de  M  (temieruit  échan^ 

tilDaéasaataleat.OP8o§'iBlevpoêaalars,  (iEMit  cofUrarié  de  s'iMre  si 

Mtoraffiii  les  diDpaflUioag  peéli>|qcade  sa  segar.  It  eut  beau  )arer 

(|»itoa  a\itiit  plus  plid  qu'une  MMa  mm,  pfalastor  ^"«oaaler 

éM.fmaoMci  apirès  ceux  d»  Daala,  e'Mail  tsaM^  soopays,  H  ne  M 

fi;Mtor4acapriiedeasiaBl!lei4l,  el  seidlaèttgè,  àhiin,  iedlte 

Ïm  mm  :  M  him\  iMptovis^  qu^qua  sliase,  nais  que  cela  sait 

««art. 


90  BETTE  DBS'linQrjllOllDES. 

ttlMtld  léiti^de  la  taMe,  pute  les^fafttréê'àA  ptotond,  iMftiV  'm^' 
tant  la  main  sur  ses  yeux,  comme  ces  oiseaux qniiMitQMiMnlJcIt 
^voient  1  n'être  point  tus  quand  ib  ne'TMeiil  'poinl  ehr-itibds^ 
cbaiita,  ou  plutôt  déclama,  d'une  voix  nud  asBdréCi  htaeienilaqH^oii 
Ta  lire  :  .    ,        - 

LA  JEUPŒ  FILLE  ET  LA  PALOMBE.  ... 

«  Dans  la  vallée  bien  loin  derrière  les  montagnes,—  le  AQ^il  ^!^  i;^ntia'ttiie 
heure  tons  les  jours.  -*  Il  y  a  dans  la  vallée  une  maison  sc^n;— eirberbey 
croît  sur  le  seuil.  —  Portes,  fenêtres  sont  toujours  fermées,  rr  PmHq  famé^,  ne 
s'échappe  du  toît.  —  Mais  à  midi ,  lorsque  vient  le  soleil ,  —  une  fenêtre  s'ouvre 
alors  —  et  Forpheline  s'assied ,  filant  à  son  rouet.  —  Elle  file  et  chante  en  tra- 
vaillant  —  un  chant  de  tristesse.  —  Mais  nul  autre  chant  ne  répond  au  sien. 
—  XJti  jour^,'  ùà  'jouir ^dé 'printemps,  —  une  palombe  se  posa  sut  tin  arbre 
voisin,  --  et  entendit  lèT (^àiit^de  la  jeune  fiUe.  —  Jeune  fille,  dit-^te,  tu  ne 
pleures  pas  séÀlel'^^HÉ'criielépei^er  m'a  ravi  ma  compagne.  —  Palombe, 
montre-moi  Fépervier  ravisseur;  —  fûlril  aussi  haut  que  les  nuages,  *-  Je 
l'aurai  bieotdt  abattu  es  «rare.  ^-~<  Maïs  moi,  pauvre  fille,  qui  mexendra  mon 
frère,  -—  mon  frère  maintenant  en  lointain  pays?  —  Jeune  fille,  dis-moi  '>eÀ 
est  ton  frère  —  et  mes  ailes  me  porteront  près  de  lui.  »  .,/ ^     ,i 

—  Voilà  une  palombe  bien  élevée,  s'écria  Qrso  eo  ^mbrasw^sa 
sœur  avec  une  émotion  qui  contrastait  avec  le  ton.de  pf^iWBtmâ 
ipt'il  afléctait.  ...  :     ,  xn.  i<,  > 

-*-  Votre  chanson  est  charmante,  dit  miss  Lj[dia,  je  veui;>ipie.iKiUft 
me  l'écriviez  dans  mon  album.  Je  la  traduhrai  en  anglais  el  je  Iftfmî 
naettre ea musique.  .    .'  .^^ 

Le  brave  colonel ,  qui  n'avait  pas  compris  un  mot ,  joignit  ses  eamr 
pUmens  à  ceux  de  sa  fille.  Puis  il  ajouta  :  —  Cette  paiaDd>e  dent 
vous  parlez,  mademptoelte,  c'est  cet  oiseau  que  nous  avons  mangé 
aujourd'hui  «à.  la  crapaudioe?   . 

Miss  Nevil  apporta  son  album  et  ne  fut  pas  peu  surprise  de  voir 
l'improvisatrice  écrire  sa  chanson  en  ménageant  le  papiet  d'une 
façon  singulière.  Au  lieu  d'être  m  vedette,  les  vers  se  suivaient  sur 
la  même  ligne,  tant  que  la  largeur  de  la  feuille  le  permettait,  en 
sorte  qu'ils  ne  oonvenaioit  |[^Iiisà|a  définition oonnuedea  oomporifions 
poétiques  :  De  petites. ligdes,-  ^'Inégale  tongueur^  avee  unei  HMÉgè 
de  chaque  côté,  i»  Il  y  avait  Imb  enccwe^pieliueaiObaervâtiMis  à  fioiiiti 
sur  rortbogDapbe  un  peu  itapriciisuaa  deMi^tiCfUen^  ^qui  v^photchw^ 


ri  ir. 


foift,i!fi^Mirire.(in{tt|IK«¥il%  tanto  qae  la  vanité  fmtâmtlié  dfOi«> 


bt  ;    /'.iir> 


II 


L'beoFe'de  dormir  éèaait  arriTée»  les  deux  jeunes  filles  se  retinèt eut) 
dans  :  leur..  clMmbre.  IA4  tandis  que  miss  Lydia  détachait  colliei^> 
boucles ,  bracelets ,  elle  observa  sa  compagne  qui  retirait  de  sa  roba 
quelque  chose  de  long  comme  un  buse,  mais  de  forme  bien  diffé- 
rente pourtant  Colomba  mit  cela  avec  soin  et  presque  furtivement 
sous  son  mezzaro  déposé  sur  une  table;  puis  elle  s'agenouilla  et  fit 
dévotement  sa  prière.  Deux  minutes  après  elle  était  dans  son  lit.  Très 
cnrieuse'de  Ma  naturel  et  lente  comme  une  Anglaise  à  se  déshabiller, 
miss  LydSà  s'approcha  de  la  table,  et  feignant  de  chercher  une  épingle, 
souleva  le  mezzaro  et  aperçut  un  stylet  assez  long,  curieusement 
monté  en  nacre  et  en  argent;  le  travail  en  était  remarquable  et  c'était 
une  arme  ancienne  et  de  grand  prix  pour  un  amat^ur^ 

—  Est-ce  l'usage  ici ,  dit  miss  Nevil  c;n  SQ^rifint,,  qi)ie  le?  dempi- 
sdles  portent  ce  petit  instrument  dans  leur  cm^t?  .„.,;. .   . 

—  n  le  faut  bien,  répondit  ColoiQbaeiisoupjtant,.lly.a  tant  de 
méchantes  gens! 

—  Et  aurie3&-vou8  vraiment  le  courage  d'e»éoimer  un  coup  comme 
«la?     ' 

Et  miss  Nevil ,  le  stylet  à  la  main ,  faisait  le  geste  de  frapper,  comme 
on  frappe  au  théâtre,  de  haut  en  bas. 

'-^'Oui  ;  si'  cela  était  nécessaire,  dit  Colomba  de  sa  voix  douce  et 
miolGrie,  pour  me  défendre  ou  défendre  mes  amis...  Mais  ce  n*est  pas 
comme  cela  qu'il  faut  le  tenir;  vous  pourriez  vous  blesser,  si  la  per^ 
amme^evous  voulez  frapper  se  retirait.  —  Et  se  levant  sur  son 
aéaiit  :  -*4-Tenez«  c'est  ainsi,  en  remontant  le  coup.  Comme  cela  il 
est  mortel,  dit-on.  Heureux  les  gens  qui  n'ont  pas  besoin  de  telles 
armesl 

Elle  $0iipira,  abandonna  sa  tête  sur  Toreiller  et  ferma  les  yeux.  On 
n'aurait  pu  voir  une  tête  plus  belle,  plus  noble,  plus  virginale.  Phi^ 
^^îas,  pour  sculpter  sa  Minerve,  n'aurait  pas  désivé  un  autre  modèle. 


VI. 


•  i< 


1' 


.    ■.! 


•    I  >  I 


Cest.pourflaecanfonxierauinréccpt&dllMMevqiie  je  mesuis  lancé 
ôMMmàimmediatresjJémdQnïïatiqiM  tonfadort^  et  k|  belle  Colomba, 
elle  c<rfcMdl  et 4» «filievî^aqisiraice  moment  pour  instruire  mon  leo* 

^^il  ne  .doit  pas  ignorer,  s'il  veut 


90  REVUE  BM  mrr  mondes. 

f»énéfr«r  diflmtita^  éms  cette  vérMl!|tte 'Mstoif».  H  ^Mit!4l|è '<|M  le 
colonel  ddla  liebbia ,  père  dTh^,  éMt  mort  «BMêrfné.  Or,  on  n^eA 
pas  assasshié  eo  Corse,  comme  on  fest  en  France,  par  le  prenlier 
échappé  ^des  galères,  qui  ive trouve  pas  4e  metHenr  fiie>;en  poÉr  vons 
voler  votre  argenterie:  on  est  assassiné  par  ses  enncwife?  mais  le 
rootK'pottr  lequel  on  a  des  ennemis,  H  est  souvent  fbrt  «Kflcile  de  le 
dite.  Bien  des  (iimilles  se  haïssent  par  vieille  iiabitigide,  cA  la  traditiOB 
de  la  eanse  originelle  de  leur  haine  s'est  perdue  coniptètonent. 

La  fhmiHe  à  laquelle  appartenait  le  colonel  deMa  Rebbia,  haïssaift 
plusieurs  autres  f^nflles,  mais  sînguHèrefnent  ceAe  é^  Bsrricinf; 
quelques-4nis  disaient  qne,  dans  le  xrt  siècle ,  w>  dettu  Rebkia  aratt 
séduit  une  Barricini,  et  avait  été  poignardé  ensuite  par  un  parent  de 
la  demoiselle  outragée.  A  hi  vérité,  d'autres  racontai^ent  raflhjre  dif- 
féremment, prétendant  que  c'élatt  une  deHa  Behbia  qui  avait  été 
séduite,  et  xm  Barriehii  poignardé.  Tisnt  il  y  a  que,  pour  ne  servir 
d'une  expression  consacrée,  il  j  avait  du  sang  entre  les  denx  n^alsons. 
Toutefois,  corttre  Fnsage,  ce  meurtre  n*en  avait  pas  produit  d*autres; 
c'est  que  les  délia  Rebbia  et  les  Barricini  avaient  été  également  per- 
sécutés par  le  gouvernement  génois,  et  les  jeunes  gens  s'étant  expa- 
triés, les  deux  familles  furent  privées,  pendant  plusieurs  génér»- 
tiotts ,  de  lenrs  représentant  énergi€[ues.  A  hi  fin  du  siècle  dernier,  un 
délia  Rebbia ,  ol'ficier  au  service  de  ^Tapies ,  se  trouvant  dans  nn  tripot, 
eut  une  cpiereHe  avec  des  militaires ,  qui,  entre  autres  Injures ,  rap- 
pelèrent ebevrier  corse;  il  mit  fépée  è  la  main,  mais,  seul  contre 
trois ,  il  eut  mot  passe  son  temps ,  si  un  étranger,  qui  jouait  UMis  le 
même  lieu,  ne  se  fût  écrié:  Je  suis  Corse  aussi!  et  n'edt  pris  sa 
défense.  Cet  étranger  était  un  Barrickit ,  qui  d^aiieurs  ne  connafsseit 
pas  son  compatriote.  Lorsqu'on  s'eipliqua,  de  part  et  d^autre  ce 
furent  de  grandes  politesses  et  des  sermens  d'amitié  étemeHe,  car, 
SUF  le  couittnenc ,  les  uorses  se  fient  Riciicment;  c  est  tout  te  contraire 
dans  leur  tte.  On  le  vit  Men  duns  cette  circonstance  r  delfea  Rebbia  et 
.^VnviOMi  'Wyemf  amis  tstimes  tant  qo  ns  uemcurcrens  en  Hflne,  mais, 
de  retour  en  Corse,  ils  ne  se  virent  plusque  rarement,  bien  que  habitant 
tous  les  deux  le  même  village,  et,  quand  ils  moururent,  on  disait  qu'il  y 
avait  bien  cinq  ou  six  ans  qu'ils  ne  s'étaient  salués.  Leurs  fils  vécurent 
de  même  en  étiquette,  comme  on  dît  dans  l'Ile.  L'un,  Ghilfuccio, 
le  père  d'Orsos  M nrititsaire;  Vfg^ti^,  €iiud<ce  Barricini,  fM  avocat. 
Vewenus  l'un  ot  fautre  chef^  dteGmrilie,  et  séparés  par  leur  proffes^ 
siOD,  11^  n'eurent  presque  aticune  occasîon  de  se  voir  ou  d^enten*e 
parier  Pun  de  l^Hitro^. 


O^feotlmU,  4111  jom;,  yoib  4ilP9,  ftiuAte  Jlpowt  ta  Wnrtit»  «da^s  «w 

témoins,  ^nii'jl^n'^ii  était ,pt6.ftiiipmn«altaiiâu  (yie  Iç sénéical  *** ^wih- 
IÔgeaitu.ftaûUt.  CeinatJM  niiQMiyté'à  ^Utfuccio  à  Viemei,le4iifldi 
dtt  à  OB  coflqjniMale  qu'^mb  mtaiir  .m  Corae  il^oNHweiail  6ittdi«e 
tten.fîohe^guivee  fiu'jl  tirait  ptaiftjd^aK^^  sest^wsaejierdiies^^iie 
de  ^celles  jqu'il  ffigfmi.  On  «n'a  jamais  w  «'il  jnainoait  3>ar  là  .fue 
r«voQtf  iiahiawiit  ses  cUens^  4m  a'jl  se  •bovnait  à  fémettoe  cette  védié 
twate,  qu'une  mawiiseaffaîœ  rigipoite  jilna  &  «n  iioonne  de  loi 
qa'aBe.bonne.t»nBae.  Quoiqu'il  «n.floît«  l'avoaatitaRiaîniient^eonnniaN 
sanoe'de  i'^épigEamsie ,  etne  rnuhUapas.  En48i8ffldenundaîtà^fttae 
QQaiDMi  DiaiietdemcttmnHiBeiet  waittmibev^ 
le4)éiiéc«l  ***  i6cnwit««Bipvéfet,  iMiur  M  wemuMAder  iwfwont^e  Ja 
fanuBie deGhilfiuiaia;  le  préfet s'^eBipseaaadf  ae naQfMBer<attx«déaifa 
d»  général,  «t  .Baoridni  ne  ^uta  fMaut  (fii'^l  «ne  Mt  'Sa  décoofaBW 
asx  intrignea  de  OhHfîiaoio.  «▲  la  okutede  l'eiw|iai«iir,  «t  1814». le 
jBtttégé  du  ^ésal  fiit  4énonaé  comne  lionmwtiate»  4ît  wnaplao^ 
par  Bancinî.  ▲san'tour,  «e damner £lt destitué tdana les ^centiou^ 
nais,  après  aette  tenipète,  ilnipriten  yaudefonape  jiBMaoiion  4ii 
cadietfdelatiiaine  et4e5ir6gjatreadej'étafe«¥îl.  ^ 

Deceflionieiit ,  son  éto9edeiniit|dfiSibc9lante4|ne  jamais*  JLe«cida- 
mI  délia  Bebbia,  ^mis ^en  demMoMe, «et  i^etiré  é  j^ietEanera*,  eut  à 
seatenfa' centre  lui  inwignerra  sfMiide  de  olnaRies  «ans  *cei^ 
valées  ;  tantôt  il  était  acaîgné  «n  riép^ntion  'de  danoMiges  ounniis 
paraontdieval  dMls.ies^GléturesdeM.  je  maire;  tanlét«ahur6i«  wua 
piéleuta  de  réparer  le  pavé  de  J'église^Aisaiteideferiime^aUebBiBte 
qfBi.parlaitlesMimeMles  dalla  AebhiaHiet^w  oott¥iiait4e  tombeau  d'4m 
membre  de  cette  famille.  Si  les  ehèvres  mangeaient  les  jeunes  plants 
dn  ^selnayel ,  les  ^epriétaisas  de  »ces  mrimatix  tmuweni;  ^cutection 
auprès  du  maire;  suceeaaivement ,  J'épicier  tcpii  tenait  le  èuDoau^le 
poste  de  JKetranena,  et  Je  gaEde-ebaaipMre,  "muu  acddat  mulîlé^ 
tws  les  deuft  4>li€ns  des  duUa  ftebbia»,  faiaent  ^asBteés  vet  remplacés 
par  des  a-éatnres  des  Barricink 

La  femme  du  colonel  mourut,  exprimant  le  désir  d'être  enterrée  m 
milieu  d'un  petit  bois  ou  eUe^aimait  àse  promener;  aussitét  le  maire 
dédam  qu'elle  serait  .inhumée  4l«ns  le  cimetiéns  de  la  commune^ 
attendu  qaH  n'ayaîft  pas  reçu^'auterisatiea  fiour  pacmettae  pne^égml- 
tpK  isolée,  JLe  colanel  funeus^  déotora  qu'en  .attendanit  isette  antoi^ 
saMon*»  ja  femme  aemit  antecrée  lai  Ueu  qu'aile  avait  ^oisi ,  et  il  .y  fit 
creuser  une  fosse.  Be  soq  ioélé,  ternaire  «n  fit  Iwe  une  dans  lecin^ 


èi  RBVOB  DBS  BE0X  MONDES. 

fîére,  et  manda  la  gendarmerie,  afin ,  disait-il ,  que  force  restât  â  la  loi. 
I^jorn*  de  renterrement,  les  deux  partis  se  trouvèrent  en  présence, 
et  rôn  put  craindre  un  moment  qu'un  combat  ne  s*engageAt  pour  la 
possession  des  restes  de  M*"'  délia  Rebbia.  Une  quarantaine  de  paysans 
bien  armés ,  amenés  par  les  parens  de  la  défunte ,  obligèrent  le  curé, 
en  sortant  de  l'église,  à  prendre  le  chemin  du  bois;  d'autre  part,  le 
maire ,  ses  deux  fils ,  ses  cliens  et  les  gendarmes  se  présentèrent  pour 
faire  opposition.  Lorsqu'il  parut  et  sohuna  le  convoi  de  rétrograder,  il 
fut  accueilli  par  des  buées  et  des  menaces  ;  l'avantage  du  nombre 
était  pour  ses  adversaires ,  et  ils  semblaient  déterminés.  A  sa  vue , 
plusieurs  fusils  furent  armés ,  on  dit  même  qu'un  berger  le  coucha  en 
joue ,  mais  le  colonel  releva  le  fusil  en  disant  :  Que  personne  ne  tire 
sans  ition  ordre  I  Le  maire  a  craignait  les  coups  naturellement  »  comme 
Panurge  ;  et ,  refusant  la  bataille ,  il  se  retira  avec  son  escorte  :  alors 
la  procession  funèbre  se  mit  en  marche ,  en  ayant  soin  de  prendre  le 
plus  long,  afin  de  passer  devant  la  mairie.  En  défilant,  un  idiot,  qui 
s'était  joint  au  cortège,  s'avisa  de  crier  vive  l'empereur!  Deux  ou 
trois  voix  lui  répondirent ,  et  les  rebbianistes ,  s'animant  de  plus  en 
plus,  proposèrent  de  tuer  un  bœuf  du  maire,  qui,  d'aventure,  leur 
barrait  le  chemin,  fieureusement,  le  colonel  empêcha  cette  violence. 

On  pense  bien  qu'un  procès-verbal  fut  dressé ,  et  que  le  maire  fit 
au  préfet  un  rapport  de  son  style  le  plus  sublime ,  dans  lequel  il  pei- 
gnait les  lois  divines  et  humaines  foulées  aux  pieds ,  — la  majesté  de 
lui ,  maire,  celle  du  curé ,  méconnues  et  insultées ,  —  le  colonel  délia 
Rebbia  se  mettant  à  la  tête  d'un  complot  buonapartiste  pour  changer 
l'ordre  de  successibilité  au  trône ,  et  exciter  les  citoyens  à  s'armer 
les  uns  contre  les  autres,  crimes  prévus  par  les  articles  86  et  91  du 
code  pénal. 

L'exagération  de  cette  plainte  nuisit  à  son  eflet.  Le  colonel  écrivit 
au  préfet ,  au  procureur  du  roi  :  un  parent  de  sa  femme  était  allié  à 
un  des  députés  de  l'Ile ,  un  autre ,  cousin  du  président  de  la  cour 
royale.  Grâce  à  ces  protections,  le  complot  s'évanouit.  M"'  délia  Reb- 
bia resta  dans  le  bois ,  et  l'idiot  seul  fut  condamné  à  quinze  jours  de 
prison. 

L'avocat  Barricini ,  mal  satisfait  du  résultat  de  cette  afTaire,  tourna 
ses  batteries  d'un  autre  côté.  Il  exhuma  un  vieux  titre,  d'après  lequel 
il  entreprit  de  contester  au  colonel  la  propriété  d'un  certain  cours 
d'eau  qui  faisait  tourner  un  moulin.  Un  procès  s'engagisa  qui  dura 
long-temps.  Au  bout  d'une  année,  la  cour  allait  rendre  son  arrêt,  et 
suivant  toute  apparence  en  faveur  du  colonel ,  lorsque  Mi  Barricini 


du  roi  Dne  lettre  $igpée,par  jua 
>  menaçait,  lui  maire,  d'incendia 
^(entions.  On  soit  qu  en  Corse  U 
rchée,  et  que  pour  obliger  leurs 
dans  les  querelles  particulières^ 
lorsqu'un  nouvel  incident  vint 
:inî  écrivit  au  procureur  du  roi 
tson  écriture,  et  jeté  des  doutes- 
r  pour  un  homme  qui  trafiquait 
faussaire,  disait-il  en  terminant 

3t.  » 

int  écrit  la  lettre  menaçante  au 
lient  les  Barricini ,  çt  vice  veriâ. 
naces,  et  la Justice  ne  savait  de- 

uccio  futBSsassipé.ypki  l^s  Tait^ 
Le  3  août  18...,  le  jour  tombant 
ain.  à  Pietranera  entendit  deux 
comme  il  lui  semblait,  dans  ua 
environ  cent  cinquante  pas  de 
iiussit6t  elle  vit  un  homme  qui 
-  des  vignes,  et  se  dirigeait  vers 
itant  et  se  retourna  ;  mais  la  dis- 
istjnguer  ses  traits ,  et  d'ailleurs- 
^e  qui  lui  cachait  presque  tout 
i  un  camarade  que  le  témoin  ne 

'deau,  monta  le  sentier  en  cou- 
rant,  et  trouva  le  colonel  délia  Rebbia  baigné  dans  son  sang ,  percé  de- 
deui  coups  de  feu,  mais  respirant  encore.  Près  de  lui  était  son  fusil 
chargé  et  armé,  comme  s'il  s'était  mis  en  défense  contre  une  per- 
sonne qui  l'attaquait  en  face  au  moment  où  une  autre  le  frappait  par 
derrière.  Il  râlait  et  se  débattait  contre  la  mort,  mais  ne  pouvait 
prononcer  une  parole,  ce  que  les  médecins  expliquèrent  par  la 
averse  le  poumon.  Le  sang 
e  u|ie  mousse  rouge.  En  vain 
isa  quelques  questions.  Elle- 
'.  pouvait  se  faire  comprendre, 
la  main  à  sa  poche,  elle  s'em- 
qu'elle  lui  présenta  ouvert. 


^  REVUE  rais  DEUX  MONDES. 

lié  blëstô  i^  lé  crayoA  du  portefeuille  et  dierchà  à  écrire.  Dé  tsit, 
te  témoin  le  vit  foi^mer  avec  peidé  plusiéui^  cai^ctèresi  mais  àe  sacluuiit 
pas  l&re,  elle  ne*  put  en  compi^enlfré  lé  sens.  Épuisé  par  cet  effort,  lé 
colonel  laissa  Hé  portefedHle  dans  la  lilain  de  la  femme  Pietri ,  qu^il 
^Ttsi  avec  force,  en  la  l'egardant!  d*un  air  singulier,  éomme  s'il  vou- 
lait lui  dire,  ce  sont  les  paroles  du  témoin  :  <  C'est  important,  c'^ 
lé  nom  de  mon  assas^n  !  x> 

La  femme  Pïétri  montait  au  village  lorsqu'elle  rencontra  Mf.  lié 
maire  Bàrriëini  avec  sén  fils  Vincentello.  Alors  il  était  presque  ndit. 
Elle  conta  ce  Qu'elle  avait  vu.  Le  maire  prit  le  portefeuille,  et  coui^t 
à  la  mairie  ceindre  son  éch&rpe  et  appeler  son  secrétaire  et  Ih  gen^ 
dhrinerie.  Restée  seule  avec  le  jeune  Yincenlello,  Madeleine  Pietri 
ibî  proposa  d'aller  porter  secours  au  colonel  dans  le  cas  où  il  serait 
encore  viVant  ;  toàh  VincenfeUo  répondit  que  s'il  approchait  d'uik 
homme  qui  avait  été  l'ennemi  acharné  de  sa  fomille,  on  ne  manque^ 
i^i!  pas  de  Taocuseï*  dé  l'avéir  tué.  Peu  après  le  maire  arriva,  trouva 
le  coibnel  moirt ,  fit  enlever  le  cadavre,  et  dressa  proéès-veri)al. 

Maljgré  son  trouble,  naturel  dat^  éétté  écca^on,  M.  KirriciM 
S'éMt  empressé  de  mettre  séus  les  séellés  le  portefeuille  du  colonef, 
et  de  faire  toutes  les  recherches  en  son  pouvoir;  mais  aucune  n'amena 
de  découverte  importante.  Lorsque  vint  lé  juge  d*^structibn ,  6A 
éùvrtt  le  ^rtiéfeiUllé,  et  su)r  ùné  ]^ge  souillée  dé  sang  èh  vit  qûél^ 
q^es  lettrés  tracées  ^r  uhe  main  défeillante,  bien  Ifeibles  pouiïànt. 
H  y  avait  écrit:  A^sti....,  et  le  juge  ne  douta  pas  (Jué  lé  eoloùél  n'eût 
voulu  ifésigAér  Ag^mî  cémme  sôh  assassin.  CepedduAt'  Colbmba  delUi 
Kebbia ,  Aj^elëe  par  lé  jugé ,  demanda  à  éxàmiber  le  portefeuille'. 
Après  l'avoir  long-temps  feuilleté,  elle  étendit  là  main  vers  le  maire 
et  s'écria  :  Voilà  l'assassin  !  Alors ,  avec  utte  précision  et  une  clarté 
starprenaute  dans  le  transport  dé  douleur  otf  die  était  plongée,  elle 
raicoiita  que  sén'  péré  ayant  reçu  peu  dé  jours  auparavant  une  letti*é 
de  son  fils,  Favait  brûlée,  mais  qu'avant  de  le  faire,'  il  avait  écrit  ad 
crayoft,  smr  soft  portJéféuilte,  l'adressé'  d'Orso,  qui  venait  dé  changer 
dé  garnison.  Or,  cette  adresse  ne  se  trouvait  lihis  dahs  lé  portefeuille, 
et  Colomba  éoncluait  que  le  maire  avait  arraché  le  feuillet  6&'  elle 
étéit  écrite,  apû  aurait  été  le  même  que  céMi  sui*  lequel  son  ^èi'e  avait 
tracé  lé  lïom  dé  son  mémtrier;  et  à  ée  nom  le  màîi^ ,  au  dire  dé 
Cofomba,  attrait  substitué  celui  dTAgosfini.  Le  jUge  vit  éû  effet  qù'uA 
feuillet  manquait  au  cahier  de  i^apier  sur  leqtteï  lé  nom  était  écrit  ; 
mais  bientôt  ili^emarquà  que  des  feuillets  manquaieM  également  daûi 
tes  autres  céhiers  du  mêmeportiefeuttlé,  et  des  témoins  diéciarèrent  que 


COLOMBA.  35 

Je  colonel  avait  Thabitude  de  décliirer  ainsi  des  pages  4e  son  porte- 
feuille lorsqu'il  voulait  allumer  son  cigare;  rien  de  plus  probable  donc 
qu'il  eût  brMé  par  mégarde  l'adresse  qu'il  avait  copiée.  En  outre,  oa 
constata  que  le  maire,  après  avoir  reçu  le  portefeuille  de  la  femme 
Ketri,  n'aurait  pu  lire  à  cause  de  l'obscurité;  il  fut  prouvé  qu'il  ue* 
^'était  pas  arrêté  un  instant  avant  d'entrer  à  la  mairie,  que  le  briga- 
dier de  gendarmerie  l'y  avait  accompagné,  l'avait  vu  allumer  une 
lampe,  mettre  le  portefeuille  dans  une  enveloppa  et  la  cacheter  sous 
aes  yeux. 

Lorsque  le  brigadier  çut  terminé  sa  dépositipn,  Colomba,  hors 
d'elle-même,  se  jeta  à  ses  genoux  et  le  supplia,  par  tojA  ce  qu'il  avait 
de  plus  sacré,  de  déclarer  s'il  n'avait  pas  laissé  le  maire  seul  un  instant. 
JLe  brigadier,  après  quelque  hésitation,  visiblement  ému  par  l'exalta- 
tion de  la  jeune  Qlle,  avoua  qu'il  avait  été  chercher  dajns  une  pièci& 
voisine  une  feuille  de  grand  papier,  mais  qu'il  n'était  pas  resté  une 
minute,  et  que  le  maire  lui  avait  toujours  parlé  tancKs  qu'il  cherchait 
à  tâtons  ce  papier  dans  un  tiroijr.  Au  reste,  il  attestait  qu'à  son  retour 
le  portefeuille  sanglant  était  à  la  même  place  sur  la  table  où  |e  maire 
l'avait  jeté  en  entrant. 

M.  Barricini  déposa  avec  le  plus  grand  calme.  Il  excusait,  disait-iU 
l'emportement  de  M"''  délia  Hebbia ,  et  voulait  bien  condescendre  à 
se  justifier.  Il  prouva  qu'il  était  resté  toute  la  soirée  au  village;  que 
aojD  fils  Yincentello  était  avec  lui  devant  la  mairie  au  moment  du 
.crime;  enfin,  que  son  fils  Orlanduccjio,  pris  de  la  fièvre  ce  jour~ià 
même,  n'avait  pas  bougé  de  son  lit.  U  produisit  tous  les  fusils  de  sa 
maison,  dont  aucun  n'avait  fait  feu  récemiment.  Il  cyouta  qu'à  l'égard 
du  portefeuille  il  en  avait  tout  de  suite  compris  l'importance;  qu'il 
l'avait  mis  sous  le  scellé  et  l'avajjt  déposé  entre  les  nuiins  de  son  ad- 
joint, prévoyant  qu'en  raison  de  son  inimitié  avec  le  colonel  il  pour- 
rait être  soupçonné.  ï;nfin  il  rappela  qu'Agostini  avait  menacé  de 
jport  celui  qui  avait  écrit  ^ne  lettre  en  son  nom ,  et  insinua  que  ce 
^ûsérable  ayant  probablement  soupçonné  le  colonel,  l'avait  assassiné. 
Dans  les  mœurs  des  bandits,  une  pareille  vengeance  pour  un  motif 
analogue  n'est  pas  sans  exemple. 

Cinq  jours  après  la  mort  du  colonel  délia  Rebbia ,  Agostini ,  sur- 
pris par  un  détachement  de  voltigeurs,  fut  tué  en  se  battant  en  déses- 
péré. On  trouva  sur  lui  une  lettre  de  Colomba  qui  l'adjurait  de  décla- 
1er  s'il  ^att  ou  fuyi  co,upable  ^n  meuitrç  qu'on  ^ui  imputait.  Le 
Jb^it  n'ayant  point  faH  4^  réponse,  on  en  conclut  assez  générale- 
mept  qu'il  n'Ay^t  pas  e?  le  cçurs^e  ^  dire  à  une  fille  qu'il  avait  tué 

3. 


^36  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

ison  père.  Toutefois,  les  personnes  qui  prétendaient  connaître  bien  le 
caractère  d*Agostini ,  disaient  tout  bas  que ,  8^9  «Ût  tué  fe  colonel,  il 
yen  serait  vanté.  Un  autre  bandit,  connu  sous  le  nom^ie  Bran'dolâcdo, 
remit  à  Colomba  une  déclaration  dans  laquelle  il  attestait  $u^  rhofi" 
neur  l'innocence  de  son  camarade;  mais  la  seule  preuve  qu'il  allé- 
guait, c'était  qu'Âgostini  ne  lui  avait  jamais  dit  qu'il  soupçonnât  le 
-colonel. 

Conclusion,  les  Barricini  ne  furent  pas  inquiétés;  le  juge  construc- 
tion combla  le  maire  d'éloges,  et  celui-ci  couronna  sa  belle  conduite 
'^  en  se  désistant  de  toutes  ses  prétentions  sur  le  ruisseau  pour  lequel 
il  était  en  procès  avec  le  colonel  délia  Rebbia. 

Colomba  improvisa ,  suivant  l'usage  du  pays,  une  baihtia  devant  le 
cadavre  de  son  père ,  en  présence  de  ses  amis  assemblés.  Elle  y 
exbala  toute  sa  haine  contre  les  Barricini  et  les  accusa  formellement 
de  l'assassinat»  les  menaçant  aussi  de  la  vengeance  de  son  frère. 
C'était  cette  ballata^  devenue  très  populaire,  que  le  matelot  chantait 
devant  missLydia,  En  apprenant  la  mort  de  son  père,  Orso,  alors 
4ans  le  uord  de  la  Fcance^  demanda  un  congé,  mais  ne  put  l'obtenir. 
D'abord,  sur  une.  lettre  de  sa  sœur,  il  avait  cru  les  Barricini  cou- 
pables, mais  bientôt  il  reçut  copie  de  toutes  les  pièces  de  l'instruc- 
tion, et  une  lettre  particulière  du  juge  lui  donna  à  peu  près  la  con- 
viction que  le  bandit  Agostini  était  le  seul  coupable.  Une  fois  tous  les 
trois  mois  Colomba  lui  écrivait  pour  lui  répéter  ses  soupçons  qu^etie 
appelait  des  preuves.  Malgré  lui,  ces  accusations  faisaient  bouillonner 
son  sang  corse,  et  parfois  il  n'était  pas  éloigné  de  partager  les  préjugés 
de  sa  sœur.  Cependant,  toutes  les  fois  qu'il  lui  écrivait,  il  lui  répétait 
que  ses  allégations  n'avaient  aucun  fondement  solide  et  ue  méritaient 
nulle  créance.  Il  lui  défendait  même ,  mais  toujours  en  vain,  de  lui  en 
parler  davantage.  Deux  années  se  passèrent  de  la  sorte,  au  bout  des- 
quelles il  fut  mis  en  demi-solde,  et  alors  il  pensa  à  revoir  son  pays, 
uon  point  pour  se  venger  sur  des  gens  qu'il  croyait  innocens,  mais 
j)our  marier  sa  sœur  et  vendre  ses  petites  propriétés,  si  elles  avaient 
assez  de  valeur  pour  lui  permettre  de  vivre  sur  le  continent. 


VIL 

r  É 

Soit  que  l'arrivée  de  sa  sœur  eût  rappelé  à  Orso  avec  plus  de  force 

le  souvenir  du  toit  paternel,  soit  qu'il  souffrit  un  peu  devant  ses  amis 

«civilisés  du  costume  et  des  manières  ^auv&e^  deGolomba,  il  annonça 


.    COLOMBA*  anr 

dès  rto  lendemaiBf  le  projet  de  quitter  A  jaccio  et  de  retourner  à  Pietnn 
ners.  Maitf  oèpendant  fl  fit  promettre  au  colonel  de  venir  prendre 
un  gtte  dans^n  tmnible  manoir,  lorsqu'il  se  rendrait  à  Bastia,  et  en 
revanche  il  s'engagea  à  lui  faire  tirer  daims ,  faisans ,  sangliers  et  le 
reste* 

La  veille  de  son  départ,  au  lieu  d'aller  à  la  chasse,  Orso  proposa 
une  promenade  au  bord  du  golfe.  Donnant  le  bras  à  miss  Lydia ,  il 
pouvait  causer  en  toute  liberté ,  car  Colomba  était  restée  à  la  ville 
pour  bire  ses  emplettes ,  et  le  colonel  les  quittait  à  chaque  instant 
pour  tirer  des  goélands  et  des  fous ,  à  la  grande  surprise  des  pas- 
sans  qui  ne  comprenaient  pas  qu'on  perdit  sa  poudre  pour  un  pa« 
reil  gibier. 

Ils  suivaient  le  chemin  qui  mène  à  la  chapelle  des  Grecs,  d'où  l'on 
«  la  plus  beUe  vue  de  la  baie;  mais  ils  n'y  faisaient  aucune  attention. 

—Miss  Lydia...  dit  Orso  après  un  silence  assez  long  pour  être  de- 
venu embarrassant;  franchement,  que  pensez-^ous  de  ma  sœur? 

—  Elle  me  platt  beaucoup,  répondit  miss  Nevil.  Plus  que  vous, 
ajouta-t-elle  en  souriant ,  car  elle  est  vraiment  Corse,  et  vous  êtes  un 
aauvage  trop  civilisé. 

—  Trop  civilisé I...  Eh  bîenl  malgré  moi,  je  me  sens  redevenir 
aaavage  depuis  que  j'ai  mis  le  pied  dans  cette  Ne.  Mille  affreuses  peu- 
jées  m'agitent,  me  tourmentent...  et  j'avais  besoin  de  causer  un  peu 
«vee  vous  avant  de  m'enfoncer  dans  mon  désert. 

"<»  Il  fSaat  avoir  du  courage ,  monsieur  ;  voyez  la  résignation  de 
Totie  sœur,  elle  vous  donne  l'eiemple. 

—  Ahi  détrompez-vous.  Ne  croyez  pas  à  sa  résignation.  Elle  ne 
m'a  pas  dit  un  seul  mot  encore,  mais  dans  chacun  de  ses  regards  j'ai 
lu  ce  qu'elle  attend  de  moi. 

—  Que  veut-elle  de  vous  enfin? 

—  Ohl  rien...  seulement  que  j'essaie  si  le  fusil  de  monsieur  votre 
père  est  aussi  bon  pour  l'homme  que  pour  la  perdrix  ! 

«— >  Quelle  idée  !  Et  vous  pouvez  supposer  cela  I  quand  vous  venez 
d'avouer  qu'elle  ne  vous  avait  encore  rien  dit.  Mais  c'est  affreux  de 
votre  part. 

—  S  elle  ne  pensait  pas  à  la  vengeance,  elle  m'aurait  tout  d'abord 
parié  de  notre  père;  elle  n'en  a  rien  fait.  Elle  aurait  prononcé  le  nom 
de  eem;  qu'elle regan!?...  à  tort,  je  le  sais,  comme  ses  meurtriers. 
Eh  bieiil  non,  pasun'Oot.  C'est  que,  voyeaHfous,  nous  autres  Corses, 
non»  aorniiet  une  raoè  raiée«  EHe  comprend  qu'elle  ne  me  tient 
pas  complètement  en  sa  puissance,  et  ne  veut  pas  m'eflfrayer  lor»- 


9B  REVUE  DSi  WfB%   MONDES. 

916  je  pai9  m'éd^f^  encore.  Une  fops  ipi'elle  m'wra  oonikut  an 
bord  4u  piécipîce,  fprsque  la  tète  me  tournera,  elle  me  poossera  étm 
YMtm. — Alors  Orso  donna  à  mû»  Nevil  quelques  détail  sur  la  mort 
de  son  père,  et  rappprta  les  principales  preuves  qyi  se  féwîiment 
pour  lui  faire  regarder  Âgostini  comme  le  meurtrier.  «*-  Rien,  QJMtf* 
t41,  n'a  pn  convalacie  Colpmba.  fe  l'ai  vu  par  sa  dernière  kttre.  Elle 
a  juré  la  mortdes  Barriejni;  et.«.  miss  Nevil,  voyez  <fueUe  oonfiamoe 
fiai  jeu  vous...  peirinètre  ne  seraient-ils  ptas  de  ce  monde, si,  par «0 
de  Cfss  préJBgâ»  qn^eicuse  son  i&ducatfon  ^uvage,  elle  ne  se  peraïUK 
dait  qi^e  rexécnUon  de  la  ven^ance  m'appa^rat  en  laa  qualité  de 
chef  de  famille,  et  que  mon  honneur  y  est  engagé. 

—  En  vérité ,  monsieur  délia  Rebbia ,  dit  miss  Nevil ,  vaus  calom- 
niez Yotre  siQsnr. 

*^  N]on,  vous  l'avez  dit  vaasHnénie...  ^e  est  Corse...  eMe  pense 
ce  qu'ils  pensent  tous...  €avez-vous  pourquoi  j'étais  si  triste  hier? 

-^  Non,  maïs  depuis  quelque  temps  vous  êtes  sujet  à  ces  accès 
d'humeur  noire....  Vous  étiez  plus  aimable  aux  premiers  jours^  de 
Botre  connaissance. 

—  Hier,  au  contraire ,  j'étais  plus  gai ,  plus  heureux  cp'è  l'anih- 
iiaire.  Je  vojos  avais  vue  si  èonne,  si  indulgente  pourmaaOBur  {...  Keus 
revenions,  le  colonel ^  moi,  en  jbaleaii.  SavjCi-votts  ce  q«e  ne  dit  dp 
des  bateliers  dans  son  infernal  patois  :  ^  Vous  avez  tué  hien  du  fihéaPt 
Ors'  Anton'  mais  vous  trouverez  Orlanduoeio  Barrictni  plus  grand  dna* 
aeur  que  toiks.  a 

— Eh  bien  1  quoi  de  si  terrible  dans  oes  parales?  Ajrez-va«s  donc 
tant  de  préliantiosis  à  ^tre  adroit  diassenr? 

—  Ijtai^  vous  ne  vpyez  pas  que  ce  nusézable  disait  que  je  n'aura» 
pas  le  courage  de  tuer  Orlanduccio? 

—  Savez-vous,  monsieur  délia  fUMk,  que  vous  me  faîtes  pem*.  II 
fMffttt  que  l'air  de  votre  tte  ne  donaie  pas  seulement  la  fièvre,  nais 
qu'il  rend  fou.  Heureusement  que  nous  attops  hientôt  la  ipiitter. 

—  Pas  avaaut  4'aMoir  élié  à  Pietiviiera.  Vous  Tavez  pronuf  à  ma 

—  Et  si  nous  manquions  à  cette  promesse,  nous  devrions  sans 
4oute  nous  attendis  à  ^^eMltte  atroce  Feogeance? 

f— Yons  rappek^^o^s  œ  que  nous  oontaît  l'autre  jour  monaoïr 
YOtre  père  de  ^ces  Indiens  qiii  menaoeot  les  gawv^rnaui^  4e  la  Goaar 
pa|^  de  se  lapss^  mottrir4e  faim  s'jh  ne  font  droite  leiars  reçiètesf 

-—  C'estrÂ-diire  que  vpus  vous  kâsiieijez  mourir  de  fioim?  J'en  donte. 
Yions  restiei^  up  î(w  aans  ai^iiM^  GaiMèa  yMS  pn^ 


projet 

— Vous  éles  cnielle  dans  vos  railleries,  miss  Nevil;  vous  devriez 
me  ménager.  Voyez  ^  je  sois  seii^iéî.  Je  o^avais  que  vous  pour  m'em* 
pécher  de  devenir  fou,  comme  vous  dites.  Vous  étiez  mon  ange  gar* 

-^MuiéeMnè,  dM  Mas  Lydia  d'tm  ton  éérfétix,  Vous  afrez pour 
tMteifr  «etCa^  raiÉbn  si*  facile  à  ébranter,  votre  homieuir  dliomme  tX 
ée^BriMaàté,  cf....  pMr^ufvit-ene  ett  se  cKtom^naM  poni^  coMllir  xsM 
fléor^  si  cela  pettt  qiiek|Qe  chose  sur  vous,  le  souvenir  de  vôtfe  atkgè^ 
gardien. 

•^  Ah!  iilss  Neffl,  si  jepoutais^ penser  que  vous  prenes^  réiiUenienC 
tfBkkfts^  kitérét.... 

—  ÉeMièz,  lÉonsfeur  ëtfht  KebMft ,  di(  iniss  Nef  il  ûtréeA'émué, 
pni^qnie  vôuis  êtes  wi  enfant,  je  vous  traiterai  en  enfirot.  lorsque 
yéCais^  petite  fille,  ma  itaère  me  dohna  un^  beau  cèlfiér  qtfe  je  désiniid 
aMfenmenf;  mais  elle  me  dit  :  —  Chaque  foiii  q^e  tu  mettras  ce  <^ol^ 
■èr,  SDUvien^toi'  que  tu  ne  sais  pas  encore  te  flrançafe.  -^  Le  éollfféif 
pMft  à  mes  yeux  an  peu  de  ^n  n^érité.  Il  était  deVena  pôtàr  tùot 
iamme  iW  remords  ,•  nkais  je  le  portai  et  je  sus  le  françuis .  Voyez-> 
vous  cette  bague?  C'est  un  scarabée  égyptien  trouvé ,  s'il  vous^  plaît  y 
du»  ittie  pymmidë.  Cette  figure  bizarre  que  vous  prenez  peiit-étre 
po«r  mie  bouteille ,  ceb  veut  (fire  la  vie  kwnnine.  II'  y  a  dans  tabd 
pays  dfes  gerts  qui  trouveraient  riiiéroglyphe  très  bien  approprié.  Ce-' 
hii-ci  qui  vient  après,  c'est  un  bouclier  avec  un  bras  tenant  une' 
Httioe.  Celb  veut  dire  combat ^  (lataiik.  Doue  la  réunion  dés  déui  ca- 
Mstère»  forme  cetfe  dévisé,  que  je  trouve  assez  belle  :  La  vie  est  uri 
embat.  Né  votts  aViSez  pa^  dé  crotte  que  je  tradùiîs  les  bSérogiypherf 
êôumnment;  c'est  mi  savant  eh  us  qui  m'a  expliqué  ceu5^-là.  Tenez, 
je  Tou^  dbnne  mon  sbarabée.  Quand'  vou^  aurez  quelque  mauvaise 
pensée  corse,  regardez  mon  talisman  et  dites^vous  qu'il  (but  soîtir 
iÊkàiÊfjjM  de  la  bataillé  que  nous  livrent  les  mauvaises  passions.  — 
HMft,  eu  vérité,  je  rié  prêché  pas  mal'. 

•^#©  penserai  à' vous,  râlss  NeVM,  et  je  me  dîM...% 

— Dites-vous  que  vous  avez  une  amie  qui  serait  désolée....  èe...v 
^Û9  savoir  pendu.  Cela  ferait  d'ailîeurs  trop  <te  péiile  à  ibéssiéuiis^  les 
étpotUtfr  voë*  ancêtres.  --  A  ces  itofe  elle  qûitttf  en  riiint  le  ^ttxÉ 
dr€KM>v  et  oMrakkl  vei^  soh'  ]bère  :  Fapà,  d!t-^e,  laissez  là'  ôés  pau- 

(f)'^^dèe  de  Ih^mâgé  à'ià  eifèilfé,  c«titVC*dst  im  ibëu  nanoiâi  éa  C6M. 


M  BEVUE  DBS  MBOX  MOHDES. 

fm  mMOMy  et  fenez  avec  noos  ùke  êe  la  poMe^  te»  la  gfotte  4» 
KipcriéoD. 

VIII. 

n  y  a  toujours  quelque  chose  de  solennel  dans  im  dé|>art,  même 
quand  on  se  quitte  pour  peu  de  temps.  Orso  detait  partir  avec  sa 
sœur  de  très  bon  matin,  et  la  veille  au  soir  il  avait  pris  congé  de  miss 
Lydia,  car  il  n'espérait  pas  qu'en  sa  faveur  elle  Ht  eûLceçtion  à  se» 
habitudes  de  paresse.  Leurs  adieux  avaient  été  froids  et  graves.  De- 
puis leur  conversation  au  bord  de  la  mer,  miss  Lydia  traignaît  d'avoir 
montré  A  Orso  un  intérêt  peut-être  trop  vif,  et  Orso,  de^son  côté^ 
avait  sur  (e  cœur  ses  railleries,  et  surtout  son  ton  de  légèreté.  Un 
moment  U  avait  cru  démêler  <kns  les  manières  de  la  jeune  Anglaise 
un  sentiment  d'afiiedion  naissante;  maintenant,  déconcerté  par  ses 
plffls<mteries^  il  se  disait  qu'il  n'était  à  ses  yeux  qu'une  simple  coih 
naissance  t  qui  hientM  serait  oubliée.  Grande  fut  donc  sa  surprise, 
lorsque  le  matin,  assis  à  prendre  du  café  avec  le  colonel,  il  vit  enter 
miss  Lydia  suivie  de  sa  sœur.  Elle  s'était  levée  à  cinq  heures,  et> 
pour  une  Anglaise,  pour  miss  Nevil  surtout,  l'effort  était  assez  grand 
pour  qu'il  en  tirftt  quelque  vanité. 

— Je  suis  désolé  que  vous  vous  soyez  dérangée  si  matin,  dit-Otso» 
C'e^  ma  sœur,  sans  doute,  qui  vous  aura  réveillée  malgré  mes  m^ 
commandations ,  et  vous  devez  bien  nous  maudire.  Vous  me  soufaaftes 
déjà  pendu  peut-être? 

—  Non,  dit  miss  Lydia  fort  bas  et  en  italien,  évidemment  pour 
que  son  père  ne  l'entendit  pas.  Mais  vous  m'avez  bowi^  hier  peur 
mes  innocentes  plaisanteries ,  et  je  ne  voulais  pas  vous  laisser  em^ 
porter  un  souvenir  mauvais  de  votre  servante.  Quelles  terribles  gens 
vous  êtes ,  vous  autres  Corses  !  Adieu  donc  ;  à  bientôt ,  j'espère. — Et 
elle  lui  tendit  la  main. 

Orso  ne  trouva  qu'un  soupir  pour  réponse.  Colomba  s'approcha  de 
lui,  le  mena  dans  l'embrasure  d'une  fenêtre,  et,  en  lui  montrant 
quelque  chose  qu'elle  teoait  sous  son  mezzaro^  lui  parla  un  moment 
à  voix  basse. 

— Ha  scBur,  dit  Orso^  à  miss  NevH,  veut  vous  fonne  un  singuliflar 
cadeau,  mademoiseUe;  mais^  nous  autres  Corses,  nous  n'avons  pas 
grand'chose  à  donner^,  excepté  notre  affection...  quelie  temps  nfeê- 
fdce  pas.  Ma  sœiff  me  dit  q«e  vous  avez  xc^dé .  avec  cioiositéice 
g^let.  ^'esEt  une  antiquité  dans  la  &miUe.;  ProbaUement  il  pendait 


'       '    'COLOMBA.  Ii)t 

^ntofQÎft  à  la  odnture  d'un  de  ces  caporaux  à  qui  je  dois  rhonneUir 
de  votre  coDuaissaoce.  Colomba  le  croit  si  précieux,  qu'elle  m'a  ée^ 
mandé  ma  permission  pour  vous  le  donner,  et  moi  je  ne  sais  trop  si 
je  dois  raccorder,  car  j'ai  peur  que  vous  ne  vous  moquiez  de  nous. 

— Ce  stylet  est  charmant,  dit  miss  Lydia,  mais  c'est  une  arme  de 
lamille ,  et  je  ne  puis  l'accepter. 

— Ce  rfest  pas  le  stylet  de  mon  père ,  s'écria  vivement  Colomba. 
Il  a  été  donné  à  un  des  grands  parens  de  ma  mère  par  le  roi  Théo* 
dore.  Si  mademoiselle  l'accepte,  elle  nous  fera  bien  plaisir. 

— Voyez,  miss  Lydia,  dit  Orso,  ne  dédaignez  pas  le  stylet  d'un  roi. 

Pour  un  amateur,  les  reliques  du  roi  Théodore  sont  infiniment  plus 
précieuses  que  celles  du  plus  puissant  monarque.  La  tentation  était 
forte  «  et  miss  Lydia'  voyait  déjà  l'effet  que  produirait  cette  arme  posée 
sur  une  table  en  laque  dans  son  appartement  de  SaintJamesVPlace. 
Mais,  difc-^Ue,  en  prenant  le  stylet  avec  l'hésitatioti  de  quelqu'un  qitf 
veut  accepter,  et  adressant  le  plus  aimable  de  ses  soorires^àColomba  : 
— Chère  mademoiselle  Colomba.. ,  je  ne  puis...  je  n'oserais  vous 
laisser  ainsi  partir  désarmée. 

—  Mon  frère  est  avec  moi ,  dit  Colomba  d'an  tcm  fier,  et  nous  avons 
le  bon  fusil  <pie  votre  père  nous  a  donné.  *— Orso ,  vous  l'avez  chargé 
à  balle? 

Miss  Nevil  garda  le  stylet,  et  Colomba,  pour  conjurer  le  danger 
qitfon  court  à  donner  des  armes  coupantes  ou  perçantes  à  ses  amis, 
exigea  im  sou  en  paiement. 

Il  fallut  partir  enfin.  Orso  serra  encore  une  fois  la  main  de 
miss  MevU,  Colomba  l'embrassa,  puis  après  vint  offrir  ses  lèvres  de 
rose  au  colonel  tout  émerveillé  de  la  politesse  corse.  De  la  fenêtre  du 
salon,  miss  Lydia  vit  le  frère  et  la  sœur  monter  à  cheval.  Les  yeux 
de  Colomba  brillaient  d'une  joie  maligne  qu'elle  n'y  avait  point  encore 
remarquée.  Cette  grande  et  forte  femme,  fanatique  de  ses  idées 
d'honneur  barbare,  l'orgueil  sur  le  front,  les  lèvres  courbées  par  un 
sourire  sardonique ,  emmenant  ce  jeune  homme  armé  comme  pour 
une  expédition  sinistre ,  lui  rappela  les  craintes  d'Orso ,  et  elle  crut 
voir  son  mauvais  génie  l'entraînant  à  sa  perte.  Orso,  déjà  à  cheval, 
leva  la  tète  et  l'aperçut.  Soit  qu'il  eût  deviné  sa  pensée ,  soit  pour  lui 
dire  un  dernier  adieu ,  il  prit  l'anneau  égypCieH  qu'il  avait  suspendu 
à  un  cordon ,  et  le  porta  à  ses  lèvres.  Miss  Lydia  quitta  la  fenêtre  en 
rougissant^  pms  s'y  remettant  presque  aussitôt,  die  vit  les  deux 
Corses  s'étoigner  rapidCTient  au  galop  de  leurs  petits  poneys ,  se  diri* 
gewt  vers  tes- montagnes*  Une  demi-heure  après,  le  colonel,  m 


MB  REVUE  UBSWECOt  MONDES. 

im^ecn  4e  sa^hmette ,  tes lraanoiitia'loiigeMitlefoBd4lQ  golfe,  et  âHe 
xX  qu'OPSo^oornait  jËcéquosinient  la  tftie  vers  la  vJHe.  H  •disparst  enfin 
t^ei;rièi:e  Jes^aréeages  f einiplaoés  aujourd'lnipar  une  bt^  pépimève. 

J|Hp^(L^a«  en  ae  legardant  dans  ^  ^aœ ,  se  trouva  pèle. 

^H3u^  .49it.pQnaer.de  imoî  ce  jeune  iiooMue?  dit-elle,  et  moi ,  que 
pensé-je  de  lui?  et  pourquoi  y  pensé-je?..  \k»e  connaissanee  de 
v^)i]^ige?..  .iQuesutfrjetxetnie  faîie  en  Corse?...  Oh  !  je  ne  l'aioiepeint.. . 
]^,  qoPvâ'tôUeiWQela eat  jmposaiUe...  St€oloniba...  Moi  laèeUe- 
sœur  d'upe  voceratdce !  qui  porte  un  grand  stylet!  Et  elte  s'aperçut 
.4\1t'€^  jtena^  à  la  foaiii  celui  du  xoi  Théodore.  £lle  le  jeta  sur  sa  toi- 
Jet<)e.—Cak)fnbaài/>ndre6,  dansant  à  Almaok's  !...  Q^ 
4>ieu,  à  montrer... C'est  qu'elle  ferait  fureur  peut-être....  il  m'aime, 
j'ep f  uip  $i^...  «C'est  .on  héros  de  roman  dont  j'ai  interrompu  >la  ear- 
^èfe  AvenUireuse...  Mais  avait-il  réellement  envie  de  venger  son  père 

À  ^.coisïe?....  (7iélait  quelque  chose.entre  un  Conrad  et  un  dandy 

jj'eo;!  iBtt  loJt  :iui  pur  dandy ,  et  un  dandy  qui  a  un  taîHeurcorae!... 

jBlle.se  jeta  fitBT  son4it  et  voulptdormH-,  mais  cela  lui  fut  impossible, 
et  je  n'entreprendrai  pas  de  continuer  son  long  monologue,  dans 
jaqpel iOUe^  .dit  plus  de  cent  fois  que  M.  délia  Rebbia  n'avait  été, 
n!ét«tt  et  ne  aevait  jamais  rien  pour  elle. 


IX. 

Cependant  Orso  cheminait  avec  sa  sœur.  Le  mouvement  rapide  de 
leurs  chevaux  les  empêcha  d'abord  de  se  parler;  mais  lorsque  les 
montéestrop  rudes  les  obligeaient  d'aller  au  pas,  ils  échangeaient  quel- 
ques mots  sur  les  amis  qu'ils  venaient  de  quitter.  Colomba  parlait  avec 
enthousiasme  de*la  beauté  de  miss  Nevil,  de  ses  blonds  cheveux ,  de 
ses  gracieuses  manières.  Puis  elle  demandait  si  le  colonel  était  aussi 
fiche  quHl  le  paraissait,  si  M""  Lydia  était  fille  unique.  Ce  doit  être 
un  bon  parti,  disait-elle.  Son  père  a,  comme  il  semble,  beaucoup 
d^amitié  pour  vous...  ^  comme  Orso  ne  répondait  rien ,  elle  conti- 
nuait :  Notre  famiHe  a  été  riche  autrefois,  elle  est  encore  des  plus 
considérées  de  l'tle;  ions  ces  signori  (2]  sont  des  bâtards.  Il  n'y  a  plus 


(1)  A  cçtte  épo^e,  c^  donnait  ce  nom  en  Angleterre  aux  personnes  gui  9e  ùSr 
saàeni  remarquer  par  quelque  chose  d*extraordinaire. 

{a)  On  Appelle  âignori  les  descendans  des  seigneurs  féodaux  de  la  Cknrse.  Entre 
jes  fiimUlûs  des  Mig^nori  pi  cdles  des  e^^poraii  rivalité  pour  la  noblesse . 


de  àoèfej^  que  dans  lès  foniliès  caporaleè,  et  rouâ  sa?ez ,  Orso ,  que 
YfSti  descettfdez  deâ  premiers  caporaux  de  Ttle.  Vous  save2  que  tiotre 
fiBSttffle  est  originaire  d'au-delà  des  monts  (1) ,  et  ce  sont  les  guerres 
civiles  qulndmt  ont  obligés  à  passer  de  ce  c6té-cf .  Si  j'étais  à  votre  place, 
Orso,  je  nliésiterais  pas,  je  demanderais  miss  Nevil  à  sou  père... 
(  CMo  levait  les  épaules.  )  De  sa  dot,  j'achèterais  les  bois  de  la  Fat- 
selfai  et  les  vignes  en  bas  de  chet  nous;  je  bâtirais  une  beRe  maisoh  en 
pierres  de  taille ,  et  j'élèverais  d'un  étage  la  vieille  tour  oâ  Sambu- 
cuccio  a  tué  tant  de  Maures  au  temps  du  comté  Henri  le  bel  Mis-- 
sere  (i). 

— Gdomba,  tu  es  une  folle,  répondait  Orso  eti  galopant. 

•^Vous  êtes  homme.  Ors'  Anton',  et  vous  savez  sans  doute  niieux 
qtfofiè  femme  ce  que  vous  avez  à  faire.  Mais  je  voudrais  bien  savoir 
ce  que  cet  Anglais  pourrait  objecter  contre  notre  alliance.  Y  a-t-il 
des  caporaux  en  Angleterre?.. 

Après  une  assez  lobgue  traite,  devisant  de  la  sorte,  le  frère  et  la 
s<Èur  arrivèrent  h  un  petit  village  non  loin  de  Bocognano,  où  ils  s'ar- 
râtèrent  pour  dîner  et  passer  la  nuit  chez  un  ami  de  leur  famille.  Us 
y  furent  reçus  avec  cette  hospitalité  corse  qu'on  ne  peut  apprécier 
que  lorsqu'on  l'a  connue.  Le  lendemain ,  leur  hôte,  qui  avait  été  com- 
père de  M"^  della  ftebbia,  les  accompagna  jusqu'à  une  lieue  de  sa 
demeure. 

—  Toyez-vous  ces  bois  et  ces  maquis,  dit-il  à  Orso  au  moment  de 
se  séparer;  un  homme  qtli  aurait /ai^  un  malheur  y  vivrait  dix  ans  en 
paix  sans  que  gendarmes  ou  voltigeurs  vinssent  le  chercher.  Ces  bois 
touchent  à  la  forêt  de  VIzzavona ,  et  lorsqu'on  a  des  amis  à  Bocognano 
ou  aux  environs,  on  n'y  manque  de  rien.  Vous  avez  là  un  beau  fusil  ; 
il  doit  porier  loin.  Sang  de  la  Madone I  quel  calibre!  On  peut  tuer 
avec  cela  mieux  que  des  sangliers. 

Orso  répondit  troidement  que  son  fusil  était  anglais ,  et  portait  le 
plomb  très  loin.  On  s'embrassa,  et  chacun  continua  sa  route. 

Déjà  nos  voyageurs  n'étaient  plus  qu'à  une  petite  distance  de 

(i)  G*esl-à-dire  de  la  côte  orientale.  Cette  expression  très  usitée,  di  là  deimonii, 
change  de  sens  suivant  la  position  de  celui  qui  remploie.  —  La  Corse  est  divisée  du 
nord  au  sud  par  une  chaîne  de  montagnes. 

(i)  y.  Filîppini,  lib.  II.  —  Le  comte  Arrigo  hel  Misten  mourut  vers  Tan  1000; 
ca  4it  qu'à  aa  mort  uae  voix  a^entendlt  dans  Tair,  qui  chantait  ces  paroles  prophé- 
tiques: 

E  morto  il  twUe  Arrigo  bel  Missere^ 
E  Cor4ica  tara  di  mcde  in  peggio. 


tA  BEVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Pietranera,  lorsqu'à  l'entrée  d'une  gorgé  qu'il  fallait  traverser,  ils 
découTrirent  sept  à  huit  hommes  aimés  de  fusils,  les  uns  assis  sur  des 
pierres,  les  autres  couchés  sur  l'herbe,  quelqûes-^nns  debout  et  sem^ 
blant  foire  le  guet  Leurs  chetaux  paissaient  à  peu  de  distance.  Co-* 
lomba  les  examina  un  instant  avec  une  lunette  d'approche ,  qu'eDe 
tira  des  grandes  poches  de  cuir  que  tous  les  Corses  portent  en  voyage. 

—  Ce  sont  nos  gens,  s'écria-t-elle  d'un  air  joyeux.  Pieruccio  a  bien 
fait  sa  commission. 

—  Quelles  gens?  demanda  Orso. 

—  Nos  bergers,  répondit-elle.  Avant-hier  soir,  j'ai  fait  partir  Pie- 
ruccio ,  afin  qu'il  réunit  ces  braves  gens  pour  vous  accompagner  à 
votre  maison.  Il  ne  convient  pas  que  vous  entriez  à  Pietranera  sans 
escorte,  et  vous  devez  savoir  d'ailleurs  que  les  Barricini  sont  capables 
de  tout. 

—  Colomba ,  dit  Orso  d'un  ton  sévère,  je  t'avais  priée  bien  des  fois 
de  ne  plus  me  parler  des  Barricini  et  de  tes  soupçons  sans  fondement. 
Je  ne  me  donnerai  certainement  pas  le  ridicule  de  rentrer  chez  moi 
avec  cette  troupe  de  fainéans ,  et  je  suis  très  mécontent  que  tu  les 
aies  rassemblés  sans  m'en  prévenir. 

—  Mon  frère,  vous  avez  oublié  votre  pays.  C'est  à  moi  qu'il  appar- 
tient de  vous  garder  lorsque  votre  imprudence  vous  expose.  J'ai  dâ 
faire  ce  que  j'ai  fait. 

En  ce  moment,  tes  bergers  les  ayant  aperçus,  coururent  à  leurs 
chevaux  et  descendirent  au  galop  à  leur  rencontre. 

—  Evviva  Ors'  Anton'  I  s'écria  un  vieillard  robuste  à  barbe  blanche, 
couvert ,  malgré  la  chaleur,  d'une  «asaque  à  capuchon  de  drap  corse, 
plus  épais  que  la  toison  de  ses  chèvres.  C'est  le  vrai  portrait  de  son 
père;  seulement  plus  grand  et  plus  fort.  Quel  beau  fusil!  On  en  par- 
lera de  ce  fusil.  Ors'  Anton'. 

—  Evviva  Ors'  Anton'  !  répétèrent  en  chœur  tous  les  bergers.  Nous 
savions  bien  qu'il  reviendrait  à  la  fin  ! 

—  Ah  I  Ors'  Anton' ,  disait  un  grand  gaillard  au  teint  couleur  de 
brique,  que  votre  père  aurait  de  joie  s'il  était  ici  pour  vous  recevoir! 
Le  cher  homme  !  vous  le  verriez  s'il  avait  voulu  me  crdre,  s'il  m'avait 
laissé  faire  Taffaire  de  Giudice...  Le  brave  homme  I  il  ne  m'a  pas  cru; 
il  sait  bien  maintenant  que  j'avais  raison. 

—  Bon  !  reprit  le  vieSlard ,  Giudice  ne  perdra  rien  pour  attendre. 

—  Evviva  Ors'  Anton'  !  Et  une  douzaine  de  coups  de  fusil  accompa- 
gnèrent cette  acclamation. 

Orso ,  de  très  mauvaise  humeur  au  centre  de  ce  groupe  d'hommes 


>  I  '    <       t 


COLOMBA,.  4^, 

à  cheval  pau^laot  tous  qnsfpi^e  et  se  pressant  pour  lui  donner  la  main  v 
demeura  quelque  temps  ^tos  pouvoir  se  faire  entendre.  Enfin,  ppe*- 
nant  Tair  qu'il  uvait  en  tèjte  de  son  peloton  lorsqu'il  lui  distribuait  tes 
réprimandes  et  les  jours  de  salle  de  police  : 

—  Mes  ami9ydit>-il,  je  vous  remercie  de  Taffection  que  vous  me 
montrez,  de  c^  que  vous  portiez  à  mon  père;  mais  j'entends,  je 
veux  que  personne  ne  me  donne  des  conseils.  Je  sais  ce  que  j'ai  à  faire. 

—  Û  a  raison ,  il  a  raison  ^  s'écrièrent  les  bergers.  Vous  savez  bien 
que  vous  pouvjçz  compter  sur  nous. 

—  Oui,  j'y  compte;  mais  je  n'ai  besoin  de  personne  maintenant,  et 
nul  danger  ne  menace  ma  maison.  Commencez  par  faire  demi-tour, 
et  aUez-rVOusren  à  vos  chèvres.  Je  sais  le  chemin  de  Pietranera ,  et 
n'ai  pas  besoin  de  guides. 

—  N'ayez  peur  de  rien ,  Ors'  Anton',  dit  le  vieillard;  ils  n'oseraient 
se  montrer  aujourd'hui.  La  souris  rentre  en  son  trou  lorsque  Devient 
le  matou. 

—  Matou  toi-même,  vieille  barbe  blanche  1  dit  Orso.  Conunent 
t'appelles-tu  î 

—  £h  quoi  !  vous  ne  me  connaissez  pas.  Ors'  Anton',  moi  qui  vous 
ai  porté  en  croupe  si  souvent  sur  mon  mulet  qui  mord  ?  Vous  ne  con-* 
naissez  pas  Polo  Griffo?  Brave  homme,  voyez-vous,  qui  est  aux  délia 
Rebbia  corps  et  ame.  Dites  un  mot,  et  quand  votre  gros  fusil  par- 
lera, ce  vieux  mousquet,  vieux  comme  son  maître,  ne  se  taira  pas. 
Comptezry^  Ors'  Anton'. 

-T-  Bien,  bien  ;  mais,  par  tous  les  diables  !  allez-vous-en  et  laissez^ 
nous  continuer  notre  route. 

Les  bergers  s'éloignèrent  enfin ,  se  dirigeant  au  grand  trot  vers  le 
village;  mais  de  temps  en  temps  ils  s'arrêtaient  sur  tous  les  points 
élevés  de  la  route,  comme  pour  examiner  s'il  n'y  avait  point  quelque 
embuscade  cachée,  et  toiyours  ils  se  tenaient  assez  rapprochés  d'Orso 
et  de  sa  sœur  pour  être  en  mesure  de  leur  porter  secours  au  besoin. 
Et  le  vieux  Polo  Griffo  disait  à  ses  compagnons  :  Je  le  comprends,  je 
le  comprends.  Il  ne  dit  pas  ce  qu'il  veut  faire,  mais  il  le  fait.  C'est  le 
vrai  portrait  de  son  père.  Bien  !  dis  que  tu  n'en  veux  à  personne  I  tu 
as  fait  un  vobu  à  sainte  Nega  (1).  Bravo  !  Moi  je  ne  donnerais  pas  une 
figue  de  la  peau  du  maire.  Avant  un  mois,  on  n'en  pourra  pas  faire 
une  outre. 


(1)  Qem  sa^te  m  ^  ^o«ve  pa5.diii&  le  oUeodrier.  Se  vouer  à  sainte  Nega,  c'est 
nier  tout  de  parti  pris. 


i6  REVUE  DES  DECIt  ilOIYDES. 

Ainsi  précédé  par  cette  tronpe  d*éclaireurs,  le  descendant  des  delW 
Kebbia  entra  dans  son  village  et  gagna  le  vtenx  mafnofr  des  capo^ùl 
ses  aïeux.  Les  rebbianîstes ,  long-(enips  privés  dé  chef,  s*étaièiït 
portés  en  masse  à  sa  rencontre,  et  les  habitans  du  village  qui  obser- 
vaient la  neutralité,  étaient  tous  sur  fe  ]j)as  de  leurs  portes  pour  le  voir 
passer.  Les  barricinistes  se  tenaient  daïis  leurs  maisons  et  regatdaient 
par  les  fentes  de  leurs  volets. 

Le  bourg  de  i^ietranera  est  très  irrégulièrement  bâti,  comme  tous 
les  villages  de  la  Corse,  car,  pour  voir  une  rue,  il  feut  aller  à  tlargese, 
bâti  par  M.  de  Itfarbœof.  Les  maisons,  dispersées  au  hasard  et  sans  le 
moindre  aKgnement,  occupent  le  soùimet  d'un  petit  plateau,  ou 
plutôt  d'un  palier  de  la  montagne.  Yerâ  le  milieu  du  bourg  s'éléte  un 
grand  chêne  vert,  et  auprès  on  voit  une  auge  en  granit  où  un  tuyau 
en  bois  apporte  Feau  d'une  source  voisine.  Ce  monument  d'utilité 
publique  fot  construit  h  frais  communs  par  les  deHa  Rebbia  et  le^ 
Barricini  ;  mais  on  se  tromperait  fort  si  Ton  y  cherchait  un  indice  dèf 
Fancienne  concorde  des  deux  familles.  Au  Contraire,  c'est  une  œuvre 
de  leur  jalousie.  Autrefois,  le  colonel  délia  Rebbia,  ayant  envoyé 
àù  conseil  municipal  de  sa  commune  une  petite  somme  pour  contri- 
buer à  rérecÙon  d'une  fontaine,  l'avocat  Barricini  se  hâta  d'offrir  un 
don  semblable,  et  c'est  à  ce  combat  de  générosité  que  Pietranera  doit 
son  eàu.  Autour  du  chêne  vert  et  de  la  fontaine,  il  y  a  un  esp^èe  vide 
qu'on  appelle  la  place,  et  où  les  oisifs  se  rassemblent  le  soir.  Quel- 
quefois on  y  joue  aux  cartes,  et  une  fois  l'an ,  dans  le  carnaval ,  on  y 
danse.  Aux  deux  extrémités  de  la  place  s'élèvent  des  bfttimens  phis 
hauts  que  larges,  construits  en  granit  et  en  schiste.  Ce  sont  les  tourà 
ennemies  des  detla  Rebbia  et  des  Barricini.  Leur  architecture  est  uni- 
forme, leur  hauteur  est  la  même,  et  l'on  voit  que  la  rivalité  des  deuï 
familles  s'est  toujours  maintenue  sans  que  la  fortune  décidât  entre  elles, 
il  est  peut-être  à  propos  d'expliquer  ce  qu'il  faut  entendre  par  ce 
tnot  de  tour.  C'est  un  bâtiment  carré  d'environ  quarante  pieds  de 
haut,  qu'en  un  autre  pays  on  nommerait  tout  bonnement  un  colom- 
bier. La  porte,  étroite,  s'ouvre  à  huit  pieds  du  sol,  et  l'on  y  accède  par 
Un  escalier  fortraide.  Au-dessus  de  la  porte  est  une  fenêtre  avec  une 
espèce  de  balcon  percé  en  dessous  comtûe  un  mâchicoulis,  qui  permet 
d'assommer  sans  risque  un  visiteur  indiscret.  Entre  la  fenêtre  et  la 
porte ,  on  voit  deux  écussons  grossièrement  sculptés.  L'uti  portait 
autrefois  la  croix  de  Gênes;  mais,  tout  martelé  aujourd'hui,  il  n'est 
plus  intelligible  que  pour  tes  antiquaires.  Sur  l'autre  écusson  sont 
sculptées  les  armoiries  de  la  famille  qui  possède  la  tour.  Ajoutez,  pour 


compléter  la  décoration ,  quelques  traces  de  balles  sur  les  écussons 
et  les  chambranles  de  la  fenêtre,  et  vous  pouvez  vous  faire  une  idée 
d'un  manoir  du  moyen-ége  en  Corse.  J'oubliais  de  dire  que  les  bftti- 
mens  d'habitation  touchent  à  la  tour  et  souvent  s'y  rattachent  par  une 
CQnununication  intérieure. 

Laitour  et  la  maison  d<es  délia  Rebbia  occupent  le  côté  nord  de  la 
place  de  Pietmnera;  la  tour  et  la  maison  des  fianidni ,  le  côté  sud. 
De.la  tour  du  nord  jusqu'à  la  fontaine,  c'est  la  promenade  des  délia 
Bebbia,  celle  des  fiarrioini  est  du  cAté  opposé.  Depuis  l'enterre- 
ment de  la  femme  du  colonel,  on  n'avait  jamais  vu  un  membre  de 
l'une  de  ces  deux  /familles  paraître  sur  un  autre  côté  de  Içt  place  que 
celui  qui  lui  était  assigné  par  une.eq>èce  de  convention  tacite.  Pour 
éviter  un  détour,  Orso  allait  passer  devant  la  maison  du  maire,  lorsque 
sa  sœur  J'avertit  et  l'engagea  à  prendre  une  ruelle  qui  les  conduirait 
à  leur  maison  sans  traverser  la  place. 

-T-  Pourquoi^  déranger?  dtt  Ocso;  la  place  n'est-elle  pas  à  tout  le 
monfie.?  -^£t  il  poussa  son  chevpl. 

—  Brave  cœur!  dit  tout  bas  Colomba...  Mon  père,  tu  seras  vengé. 

En  arrivant  sur  la  place,  Colomba  se  plaça  entre  la  maison  des  Bar- 
fictni  Qt  son  (fère,  etttoujours  elle  eut. l'œil  fixé  sur  les  fenêtres  de  ses 
ennemis.  ÏBUe  remarqua  qu'elles  étaient  barricadées  depuis  peu ,  et 
qu'on  y. avait  .pratiqué  des  arohere.  On  a{q)elle  archere  d'étroites  ou- 
i[ertttres  en  forme.de  meuiMères,  ménagées  entre  de  grosses  bûches 
avec  lesquelles, on  boodie  la  partie  iitférieure  d'une  fenêtre.  Lors- 
qa'on.crsiint  quelque  attaque,  on  se  barricade  de  la  sorte  et  l'on  peut , 
à  l'abri  des  bûehes,  tirer  à  couvert  sur>les  assaiHans. 

r— Les  lâches I  dit  Colomba.  Voyez,  mon  frère,  déjà  jls  commun- 
œqt  à  se  garder.  Ils  se  barricadent  !  mais  il  foudra  bien  sortir  un  jour! 

La  présence  d'Orso  sur  le  c(Hé  sud  de  la  place  produisit  une  grande 
sensation  à  Pietonera,  et  fiit  considérée  comme  une  preuve  d'au- 
dace approchant  de  la  témérité.  Pour  les  neutres  rassemblés  le  sok 
autour  du  ebène  vert,  ce  fpt  le  texte  de  commentaires  sans  fin.  — ^11 
est  heureux,  distit-on,  que  les  fils  Barricini  ne  soient  pas  encore 
revenus,  car  .ils  sont  moins^nduraqs  que  l'avocat,  et  peut^tre  n'eus- 
SBDt-ils  point  Caisse  passer  leur  ennemi  sur  leur  tarain  sans  lui  Caire 
payertia ^bravade.  — ^Souvenez-vous  de  ce  que  je  vais  vous  dire,  voisin , 
i^oijdB.un.vieillarfl  qui  était  l'oiaele  du  ^bourg.  J'ai  observé  la  figure 
dfivla Colombaaujoûrd'hui.  Elle  a  quelque  chose  dans  la  tête.  Je  sens 
de:la,poudre, en  l'air.  Avant  peu,  il  y  aura  de  la  viande  de  boucherie 
àibon  marpbé  itaosiPietranera. 


W  REVUE  DES  IMHJX  VONDBS. 


X. 


Séparé  fort  jeune  de  son  père,  Orso  n'avait  guère  eu  le  tenxfê  de 
Je  connaître.  Il  avait  quitté  Pietranera  à  quinze  ans  pour  étudier  à 
Pise,  et  de  là  était  entré  à  l'École  militaire»  pendant  que  Gbilfuccio 
promenait  en  Europe  les  aigles  impériales.  Sur  le  contineût,  Orso 
l'avait  vu  à  de  rares  intervalles,  et  en  1815  seulement  il  s'était  trouvé 
dans  le  régiment  que  son  père  commandait.  Mais  le  ooloneU  inflexible 
sur  la  discipline,  boitait  son  fils  conmie  tous  les  autres  jeunes  lieute- 
nans,  c'est-Â-dire  avec  beaucoup  de  sévérité.  Les  souvenirs  qu'Ono 
en  avait  conservés  étaientr  de  deux  sortes.  Il  se  le  riqipelait  i  Pietra- 
nera, lui  coofiaiit  son  sabre,  lui  laissant  dédiarger  son  fusil  quand  il 
revenait  de  la  chasse,  ou  le  faisant  asseoir  pour  la  première  fois,  lui 
bambin,  à  la  table  4e  fiimillia.  Puis  il  se  représentait  le  colonel  délia 
Rebbia  l'envoyant  ïï\x%  arrêts  pour  qudque  étourderie ,  et  ne  l'appe- 
lant jamais  que  (^  lieutenant  délia  Rebbia.  y> — Lieutenant  deila  Reb- 
bia ,  vous  n'êtes  pas  à  votre  place  de  bataille ,  trois  jours  d'arrêts.  — 
Vos  tirailleurs  sont  à  cinq  mètres  trop  loin  de  la  réserve ,  cinq  jours 
d'arrêts.  —  Vous  êtes  en  bonnet  de  police  à  midi  cinq  minutes,  huit 
jours  d'arrêts.  Une  seule  fois,  aux  Quatre-Bras,  il  lui  avait  dit  :  Très 
bien ,  Orso ,  mais  de  la  prudence.  Au  reste ,  ces  dentiers  sduveirirs 
n'étaient  point  ceux  que  lui  rappelait  Pietranera.  La  vue  ées  Ifeui: 
familiers  à  son  enfance,  les  meubles  dont  se  servait  sa  m^,  qu'il  avait 
tendrement  aimée,  excitaient  en  son  ame  une  foule  d'émotions  douces 
€t  pénibles  ;  puis,  l'avenir  sombre  qui  se  préparait  pour  lui ,  l'inquié- 
tude vague  que  sa  sœur  lui  inspirait,  et  par-dessus  tout  l'idée  que 
miss  Nevil  allait  venir  dans  sa  maison ,  qui  lui  paraissait  aujourd'hui  si 
petite,  si  pauvre ,  si  peu  convenable  pour  une  personne  habituée  au 
luxe ,  le  mépris  qu'elle  en  concevrait  peut-être ,  toutes  ces  pensées 
formaient  un  diaos  dans  sa  tête  et  lui  iniq>iraient  un  profond  décou- 
ragement. 

Il  s'assit,  pour  souper^  dans  un  grand  fauteuil  de  chêne  noirci  où 
son  père  présidait  les  repa^  de  femille,  et  sourit  en  voyant  Colenba 
hésiter  à  se  mettre  à  UùAe  avec  lui.  U  lui  sut  bon  gré  d'ailleurs  du 
silence  qu'elle  observa  ,pen4ant  le  soiq^er  et  de-  la  prompte  retitite 
qu'elle  fit  ensuite,  car  il  se  sentait  encore  trop  éuu  pour  ré^^ter  aux 
attaques  qu'elle  lui  préparait  sans  doute;  niais  Cotomba  le  ménageait 
V  et  voulait  lui  laisser  le  temps  de  se  reconnaître.  La  tête  appuyée  sur 


COLOMBA.  49 

sa  main,  il  demeura  long-temps  immobile,  repassant  dans  son  esprit 
les  scènes  des  quinze  derniers  jours  qu'il  avait  vécus.  U  voyait  avec 
effroi  cette  attente  où  chacun  semblait  être  de  sa  conduite  à  Tégard 
des  Barricini.  Déjà  il  s'apercevait  que  l'opinion  de  Pietranera  com- 
mençait à  être  ^ur  hii  celle  du  monde.  Il  devait  se  venger  sous 
peine;  de  passer  pour  un  lâche.  Mais  sur  qui  se  venger?  Il  ne  pouvait 
croire  les  Barricini  coupables  de  meurtre.  A  la  vérité  ils  étaient  les 
ennemis  de  sa  fomille,  mais  il  fallait  les  préjugés  grossiers  de  ses 
compatriotes  pour  leur  attribuer  un  assassinat.  Quelquefois  il  considé- 
rait le  talisman  de  miss  Nevil ,  et  en  répétait  tout  bas  la  devise  :  «  La 
vie  est  un  ccAnbat  I  »  EnGn  il  se  dit  d'un  ton  ferme  :  ce  J'en  sortirai 
vainqueur!  »  Sur  cette  bonne  pensée,  il  se  leva,  et  prenant  la  lampe, 
il  alkdt  monter  dans  sa  chambre ,  lorsqu'on  frappa  à  la  porte  de  la 
maison.  L'heure  était  indue  pour  recevoir  une  visite.  Colomba  parut 
aussitôt,  suivie  de  la  femme  qui  les  servait.  —  Ce  n'est  rien,  dit-* 
elle  en  courant  à  la  porte.  Cependant,  avant  d'ouvrir,  elle  demanda 
qui  firappait.  —  Une  voix  douce  répondit  :  C'est  moi.  Aussitôt  la  barre 
de  bois  placée  en  travers  de  la  porte  fut  enlevée,  et  Colomba  reparut 
dans  la  salle  à  manger  suivie  d'une  petite  fille  de  dix  ans  à  peu  près, 
pieds  nus,  en  haillons,  la  tète  couverte  d'un  mauvais  mouchoir,  de 
dessous  lecpiel  s'échappaient  de  longues  mèches  de  cheveux  noirs 
comme  l'aile  d'un  corbeau.  L'enfant  était  maigre,  pâle,  la  peau  brûlée 
par  k  soleil;  mais  dans  ses  yeux  brillait  le  feu  de  l'intelligence.  En 
vojfani  Oreo ,  «lie  s'iurèta  timidement  et  lui  fit  une  révérence  à  la 
paysanae,  puis  elle  parla  bas  à  Colomba  et  lui  mit  entre  les  mains 
un  faisan  noi^ellement  tué. 

-t^  Merci,  Chili,  dit  Colomba.  Remercie  ton  oncle.  Il  se  porte  bien? 

*-*-Fort  bien ,  mademoiselle,  à  vous  servir.  Je  n'ai  pu  venir  plus  tôt 
parce  qu'il  a  bien  tardé.  Je  suis  restée  trois  heures  dans  le  maquis  à 
l'attendre. 

—  Et  tu  n'as  pas  spupé? 

—  Dame  I  non ,  mademoiselle;  je  n'ai  pas  eu  le  temps. 

—  On  va  te  donner  à  souper.  Ton  oncle  a-t-il  du  pain  encore? 
-—Peu,  mmlemoiselle;  mais  c'est  de  la  poudre  surtout  qui  lui 

masquai  Voilà  les  chfttaigttes  venues,  et  maintenait  il  n'a  plus  besoin 
que  de  poudre. 

~le  vais  te  douer  ua  pain  pour  lui,  et  dé  la  poudre.  Dis-lui  qu'il 
la  Di&iage^.ell&est  obère« 

^(kdoiBbav  cMOtSo  eH'fkMçais,  à  qui  donc  foîs-tu  ainsi  la  charité? 


^  REVUE  DE^  JUSn^L  RONDES. 

—  A  fln  ^viYre  ,l>Apd|t  /^  cp  rvUlagç,  x^pcuicU^ ,a>lûinba  dfy^  (ft 
^ên[ie,}angue|.  Çette^p^tite  ^t  s^  i^ièce. 

. —  }l  me  ^mhlç  Q,Uie  tu^ourra^  mieiu  placer  tes  dons.  Pourquoi 
e^yoye^  ,^  )^  ^udre  à  \Vi,{k  coquin  ,qui  s'en  servira  pour  conun^ttre 
4e^  çr^WCis?  S^s  cette, déplqr^le. faiblesse  que  tout  le  monde  p^mtt 
avoir  ici  pour  les.l)iipdi(;3 ,  il  y  a  long^temps  qu'ils  aurs^ent  disparu  de 
Ip, Corse. 

— ,L^  {dus  ^é(jiai]^  ^  notre  pqrs  r^e  sont  pas  ceu^  qui  sont  à  la 
campagne(l). 

<—  Donne^rleur.du  pain  ai  tn  veux  ;  on  n'ep  doit  refuser  à  personne, 
mais  je  n'entends  p^s  qu'on  leur  fournisse  des. munitions. 

—  Mon  frèi^e,  dit  Colomba  d'un  ton  grave,  vous  êtes  le  jnattreid, 
et  tout  vous  appartient  dans  cette  maison  ;  mais,  je  vous  en^préviens, 
je  donnerai  mpn  meziaro  à  cette  petite  fille  pour  qu'elle  le  .vende, 
plyitôt  que  deref^ser  de  la  poudre  à  un  bandit.  Lui  refuser  de  la  poudre! 
mais  autant vautle  livrer  auxgendarmes.Quelle  protection  a4«il  contre 
eux ,  sinon  ses  cartQ^cbc^? 

La  petite  fille  cependant  déiv^rait  avec.avidité  un  morceau <|e  pain , 
et  rendait  at^n^v^fpent  tour  à  tour  Colomba  et  ^n  frère,  cherchant 
à.comprendre.dapsileurs  y«ux  le  sens  de  ce  .qu'ils  disaient. 

— jËt  qu'a4-il  «fait  Qpfin ,  ton  bandit?  Pour  quel  crime  s'est-il  jeté 
dans  le  maquis? 

—  JBrandolaccio  n'a  (Point  commis  de  crimes,  s'écria  Colomba.  Il  m 
tué  Giovan'»Opizzo,  qpi  avaitas^as^iné.sop  père.pendant que  lui ét^ 
àl'armée. 

Orso  détourna  la  tète,  prit  la  lampe,  et,^nsj^^pondre9  montadans 
sa  chambre.  Alors  Colomba  donna  pqudre  et  provj^ipns  ^  l'enfont,  et 
la  recQpduisitjusqu'àla.porte,  ealui  répétant:  «.Surtout  qve.tou  onde 
veille  bien  surQrso  I  d 


XL 

Or^O.fut  longr4empsÀ  s'endormÎTi  et  par  conséquent  s'éveilla  fort 
tard,  du  mpins  pour  up  Corse.  A  peine  Jevé,  le  premier  objet  qui 
frappa  ses  yeux ,  ce  fut  la  maison  de  ses  ennemis  et  les  arohere  qu'ils 

(1)  Être  (Ma  eampagna,  c*est-à-dire  être  bandit.  Bandit  n*est  point  ud  terme 
odieux,  il  se  prend  dans  le  sens  del^^nni;  c'esi,i'<^/w  des  ballades  anglaises. 


tOLÔMBA.  51 

venillètii  cTy  établir.  H  desCetidit  et  demanda  sa  Sœur.  —  Elle  est  à  k 
ctrislrie  qui  fond  des  balles,  Inl  répondît  la  servante  Saverîàf.  Arnsî ,  il 
ne  pouvait  Taire  un  pas  sans  être  poursuivi  par  l'Image  de  la  gùefre. 

Il  trouva  Colorala  assise  sur  tf n  escabeau  entourée  de  htllei  non- 
f  èlletoent  fondues,  coupant  les  jets  de  plomb. 

—  Que  diable  fais-tu  là?  lui  demanda  son  frère. 

—Vous  n'avieE  point  de  balles  ^our  le  fusil  du  colonel,  répondit- 
elle  de  sa  voix  douce,  j'ai  trouvé  un  moule  de  calibre,  et  tous  aurei 
aujourd'hui  vingt*quatre  cartouches,  thtlti  frète. 

—  Je  fl'en  al  pas  besoin ,  DIeù  merci  f 

—  Il  ne  faut  pas  être  pris  au  dépourvu ,  Ors'  Anton'.  VôUs  ttiet 
dublié  votre  pays,  et  les  gens  qui  vous  entourent. 

—  JeFauraîs  ouWîé  que  tu  me  le  rappellerais  bien  vite.  Dis-moi, 
iTêst-ll  pas  arrivé  Une  grosse  môHe,  Il  y  a  quelques  jo^rst 

— Chil,  mon  frère.  Toulez-vods  que  Je  la  moritè  dans  votre  èhambrô? 

—  Toi,  la  monter;  mais  tu  n'aurais  jamais  la  fotcè  dé  la  èoulevei*.., 
it'y  à-t-n  pas  ici  quelque  homme  pour  le  faire? 

—  Je  ne  sais  pas  si  faible  que  vous  le  pensez ,  dW  Cotombri  en  rès- 
troûssaùt  dès  Manches,  et  découvrant  un  bras  blanc  et  tond  parfaite- 
ment formé,  mais  qui  annonçait  une  force  peu  cômmriUe.  Allons, 
âaveria,  dit-elle  k  la  servante,  aide-mol.  Déjà  élite  enlevait  seule  la 
lourde  malle,  quand  Orso  s'empressaf  de  l'aider. 

—  n  y  à  dans  cette  malle,  ma  chère  Colomba,  dlt^il,  quelque  chose 
pour  toi.  Tu  m'excuseras  si  je  te  fels  de  sî  pauvres  cadeaux,  Hiafs  Ta 
bourse  d'un  lieutenant  en  demi-éolde  n'est  pas  trop  bien  garnie.— En 
parlant ,  il  ouvrait  la  malle  et  en  retirait  quelques  robes,  On  chfife  et 
d'autres  objets  à  l'usage  d'une  j^he  personne. 

— Que  de  belles  choses  !  ^éèrîa  Colomba.  Jd  vais  bien  vite  (es  éerrèr 
de  péùr  qu'elles  né  se  gâtent.  Je  le^  garderai  poxst  itm  hoèe,  ajd\itd- 
t-elle  avec  un  sourire  triste,  cafr  maintenant  Je  suis  en  deuil.  -*  Et  elle 
baisa  la  main  de  son  frère. 

—  n  y  a  de  Taffeétation ,  tta  s(fiut,  à  garder  le  detril  si  loUg-temps. 
— Jel'ai  juré,  dît  Colomba d'uu  ton  fermé.  Je  rie  quitterai  le  deuil... 

et  elle  regardait  phr  là  feuèlre  la  maison  dés  Baitidni. 

-^  Qtie  le  jour  où  tu  té  marieras  I  (Ht  Orsô  chetichant  à  étfter  là  fiu 
de  la  phrase. 

•^  Je  ne  me  marierai,  dit  Colomba,  qu'à  un  homme  qui  aura  fait 
trois  choses...  Et  elle  contemplaitltoujours  d'un  air  sinistre  la  maison 
ennemie.^ 

—  Jolie  comme  tu  es|,  Colôrobâjje  m'étonne  que  tu  ne^lsois  paft 


52  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

d^à  mariée.  Allons,  tu  me  diras  qui  te  frit  la  cpiir.  D'ailleurs  j'enten- 
drai bien  les  sérénades.  Il  faut  qu'elles  soient  belles  pour  plaire  à  une 
grande  voceratrice  comme  toi. 

—  Qui  voudrait  d'une  pauvre  orpheline?...  Et  puis  l'homme  qui 
me  fera  quitter  mes  habits  de  deuil  fera  prendre  le  deuil  aux  femmes 
de  là-bas. 

—  Cela  deviet  de  la  folie,  se  dit  Orso.  Mais  il  ne  répondit  rien ,  pour 
éviter  toute  discussion. 

—  Mon  frère,  dit  Colomba  d'un  ton  de  câlinerie,  j'ai  aussi  quelque 
chose  à  vous  offrir.  Les  habits  que  vous  avez  là  sont  trop  beaux  pour 
ce  pays-ci.  Votre  jolie  redingote  serait  en  pièces  au  bout  de  deux 
jours,  si  vous  la  portiez  dans  le  maquis.  Il  faut  la  garder  pour  quand 
viendra  miss  Nevil.  —  Puis,  ouvrant  une  armoire,  elle  en  tira  un  cos- 
tume complet  de  chasseur.  — Je  vous  ai  fait  une  veste  en  velours,  et 
voici  un  bonnet  comme  en  portent  nos  élégans;  je  l'ai  brodé  pour 
vous  il  y  a  bien  long-temps.  Voulez-vous  essayer  cela? 

Et  elle  lui  fiaisait  endosser  une  large  veste  de  velours  vert  ayant 
dans  le  dos  une  énorme  poche.  Elle  lui  mettait  sur  la  tète  un  bonnet 
pointu  de  velours  noir  brodé  en  jais  et  en  soie  de  la  même  couleur, 
et  terminé  par  une  espèce  de  houppe. 

—  Voici  la  cartouchère  (1)  de  notre  père,  dit-elle;  son  stylet  est 
dans  la  poche  de  votre  veste.  Je  vais  vous  chercher  le  pistolet. 

—  J'ai  l'air  d'un  vrai  brigand  de  l'Ambigu-Comique,  disait  Orso  en 
se  regardant  dans  un  petit  miroir  que  lui  présentait  Saveria. 

—  C'est  que  vous  avez  tout-à-fait  bonne  façon  comme  cela ,  Ors' 
Anton',  disait  la  vieille  servante,  et  le  plus  beau  pointu  (2)  de  Boco- 
gnano  ou  de  Bastelica  n'est  pas  plus  brave  ! 

Orso  déjeuna  dans  son  nouveau  costume,  et  pendant  le  repas  il  dit 
à  sa  sœur  que  sa  malle  contenait  un  certain  nombre  de  livres;  que 
son  intention  était  d'en  faire  venir  de  France  et  d'Italie,  et  de  la  faire 
travailler  beaucoup.— Car  il  est  honteux,  Colomba,  ajouta-t-il,  qu'une 
grande  fille  comme  toi  ne  sache  pas  encore  des  choses  que,  sur  le  con- 
tinent, les  enfans  apprennent  en  sortant  de  nourrice. 

— Vous  avez  raison,  mon  frère,  disait  Colomba;  je  sais  bien  ce  qui 
me  manque,  et  je  ne  demande  pas  mieux  que  d'étudier,  surtout  si 
vous  voulez  bien  me  donner  des  leçons. 

Quelques  jours  se  passèrent  sans  que  Colomba  prononçât  le  nom 

(1)  Carchera^  celnturejoù  Ton  met  des  cartouches.  On  y  attache  un  pistolet  à  gauche. 

(2)  Pimuto.  On  appelle  ainsi  ceux  qui  portent  encore  le  bonnet  pointu,  hour^» 
pintvda. 


des  Barricini.  :^lle  ^t.tf)ujpar&  aux  petits  soins  pour  ,son  fr^ce  et  lui 
pariait  soayqnt  de  iniss  Ne\il.  Orso  lui  faisait  lire  des  ouvrages  Cran* 
çais  et  italiens,  et  il  était  surpris  tantôt  de  la  justesse  et  du  bon  sens 
de  ses  observations,  tantôt  de  son  ignorance  profonde  des  choses  les 
plus  vulgaires. 

Un  matin  après  déjeuner,  Colomba  sortit  un  instant,  et  au  lieu  de 
revenir  avec  un  livre  et  du  papier,  parut  avec  son  mezzaro  sur  la  tête. 
Son  air  était  plus  sérieux  encore  que  de  coutume.  —  Mon  frère,  dit* 
elle,  je  vous  prierai  de  sortir  avec  moi. 

— Où  veux-tu  que  je  t'accompagne  ?  dit  Orso  en  lui  of&ant  son  bras. 

—  Je  n*ai  pas  besoin  de  votre  bras,  mon  frère,  mais  prenez  votre 
fusil  et  votre  botte  à  cartouches.  Un  homme  ne  doit  jamais  sortir 
sans  ses  armes. 

—  A  la  bonne  heure  !  Il  faut  se  conformer  à  la  mode.  Où  allons* 
nous? 

Colomba,  sans  répondre,  serra  le  mezzaro  autour  desa  tète,  appela 
le  chien  de  garde  et  sortit  suivie  de  son  frère.  S'élcignant  à  grands 
pas  du  village,  elle  prit  un  chemin  creux  qui  serpentait  dans  le^ 
vignes,  après  avoir  envoyé  devant  elle  le  chien  è  qui  elle  fit  un  signe 
qu'il  semblait  bien  connaître,  car  aussitôt  il  se  mit  à  courir  en  zig 
zag,  passant  dans  les  vignes,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre,  tou- 
jours à  cinquante  pas  de  sa  maîtresse ,  et  quelquefois  s'arrètant  au 
milieu  du  chemin  pour  la  regarder  en  remuant  la  queue.  U  paraissait 
s'acquitter  parfaitement  de  ses  fonctions  d'éclaireor. 

—  Si  Muscheto  aboie,  dit  Colomba,  armez  votre  fusil,  mon  frère, 
et  tenez-vous  immobile. 

A  un  demi-mille  du  village*  après  bien  des  détours,  Colomba  s'ar* 
rêta  tout  à  coup  dans  un  endroit  où  le  chemin  faisait  un  coude.  Là 
s'élevait  une  petite  pyramide  de  branchages,  les  uns  verts,  les  autres 
desséchés,  amoncelés  à  la  hauteur  de  trois  pieds  environ.  Su  sommet, 
on  voyait  percer  l'extrémité  d'une  croix  de  bois  peinte  en  noir.  Dans 
plusieurs  cantons  de  la  Corse,  surtout  dans  les  montagnes,  un  usage, 
extrêmement  ancien  et  qui  se  rattache  peut-être  à  des  superstitions 
du  paganisme,  oblige  les  passans  à  jeter  une  pierre  ou  un  rameau 
d'arbre  sur  le  lieu  où  un  homme  a  péri  de  mort  violente.  Pendant  de 
longues  années,  aussi  long-temps  que  le  souvenir  de  sa  fin  tragique 
demeure  dans  la  mémoire  des  honmies,  cette  offrande  singulière 
s'accumule  ainsi  de  jour  en  jour.  On  iaippeUe  cela  Yamas^  le  mucchio 
d'unteL 

Colomba  s'arrêta  devant  ce  tas  de  feuillage ,  et  arrachant  une 


hi  REVUE  JUBi  ïfkût  ÉOIVDES. 

branché  (Tarlkrasîef ,  réfjôtita  *  là  pyfamHc.  — Ofso ,  dit-elle,  c'e^  lèl 
qaé  nôtre  pért  est  mort.  Prions  poitf  son  Ahe,  triott  frère  !—Ë(  elle 
se  hdt  &  genodx.  Orso  Timita  àttssitAt.  En  ce  moAnent  fa  cloche  éû 
yfflagè  tinta  lentement,  car  mi  homme  était  moH  Sans  fa  miit.  Orso 
fondit  en  larmes. 

Au  bout  de  quelques  minutes,  Colomba  se  leta ,  rceff  seè,  mah  la 
figure  anindée;  elle  fit  du  pouce,  à  la  faâfte,  le  signe  de  croit  fhmilier 
àses  conlïpatriotes  et  qui  accompagne  d'ordinaire  feufs  sermens  sofett- 
nels;  puis,  entraînant  son  frère,  eRe  reprit  le  cheitrin  du  tHIstge.  Ib 
rentrèrent  en  silence  dans  leur  maison.  Orso  monta  dahs  sa  chambre. 
Un  instant  après  Coloniba  l'y  suivit ,  portant  une  petite  cassette  qa'eXtd 
posai  sur  la  td)te.  Elle  Pouvrit ,  et  eh  tfat(  une  chemise  couverte  de 
larges  taches  de  sang.  — Voici  la  chemise  de  votre  père,  Orso.— Et  e!le 
la  Jeta  sur  ses  genoux.  — Voîd  le  plomb  qui  Ta  frappé. —Et  elle  pofti 
sur  la  chemise  deux  balles  oxidées.  —  Orso,  mon  frère  !  cria-t-elle  en 
se  précipitant  dans  ses  bras  et  Téifelgnant  avec  force;  Orso  !  tu  le 
vengeras  ! — Elle  Tembrassa  avec  une  espèce  de  fureur,  baisa  les  balles 
et  la  chenilse,  et  ^rtit  de  (a  chambre,  laissant  son  frère  conome 
pétrifié  sur  sa  chaise. 

Orso  restai  quelque  tetaps  immobile ,  n'osant  éloigner  de  lui  ces 
épouvantables  reliques.  Enfin,  faisant  un  effort,  il  les  remit  dans  la 
ciissette,  et  courut  à  l'autre  bout  de  la  chambre  se  jeter  sur  son  Ht, 
la  tète  tournée  vers  la  muraille,  enfoncée  dans  l'oreiller,  comme  s'Q 
eût  voulu  se  dérobe^  à  la  vue  d'un  spectre.  Les  demfères  paroles  de 
sa  soeur  retentissaient  san^  cesse  clans  ses  oreilles ,  et  il  lui  semblait 
entendre  un  oracle  fatal,  inévitable,  qui  lui  demandait  du  sang  et  du 
sang  innocent.  Je  n'essaierai  pas  de  rendre  les  sensations  du  malheu- 
reux jeuriè  homme,  aussi  conftises  que  celles  qui  bouleversent  la  tète 
d'ùri  fou.  Long-temps  il  demeura  dans  la  même  position ,  sans  oser 
détournef  la  tête.  Enfin ,  H  ée  leva,  ferma  la  cassette  et  sortit  préd- 
pftslhiment  de  sa  maison ,  courant  la  campagne  et  marchant  devant  tuf 
sans  savofa*  où  il  allait. 

t^èfu  à  peu  le  grand  ah*  le  soulagea  ;  i\  devint  phis  Calme  et  examina 
avec  quelque  sang-froid  sa  position  et  les  moyeris  d'en  sortir,  fl  be 
soupçonnait  point  les  Barricini  de  meurtre,  on  le  sait  déjà,  mais  il  les 
accusait  tfavon-  supposé  la  lettté  Ûk  bandit  Agostini  ;  et  cette  lettre,  il 
le  croyait  du  moins,  avàît  causé  la  mort  de  son  pèfé.  Les  poursuivre 
connne  faussaires,  il  sentait  que  cela  était  impossible.  Parfois,  si  les 
préjugés  ou  les  instincts  de  son  pays  revenaient  l'assaillir  et  lui  mon- 
traient une  vengeance  facile  an  détour  d'un  sentier,  il  les  écaftoit  avec 


WIMÊML0  Se 

hùoem,  en  pensante  s^^oman^ i^xiffUfffii^  lM|x^<^(^ Carô, 

qui  restait  de  eorse  dans  son  caractère  justifiait  ces  reproches  §t  ^f 
weoMi  pluie  pi^pimi^,.  Hj^  fleul.eqK>ir  lui  matait  dan»  c^  ,c<»nbat  entre 
sa  conscience  et  ses  préjugé^,  c'^tiyiit  d'entav^iSOU»  1^  préte^t^  9^^ 
ifmff^  m^G  4uereUeta«0c  m  des  fils  4)^  J'Avooat  M  4e  ^  JbfKtiie.en 
dael  avec  lui.  Le  tner  d'une  baUe  ou  d*vii  covip  d'épée  copcil^t  ^ 
idées  corses  et  scis  idéjes  firanwii99&.  JL'e]cpédktpt.açqcip^  ^t  y^^ditant 
j^s  jiM^an^  d*fa^^cuiUo<i ,  ii  se  sentait  4é^  swlagé  4'Mn  gi;and  poids , 
lorsque  d'autres  pensées  plus  douces  contribiiiàrent jencoi^  à, calmer 
iw  agitation  XéJuîle.  CÂcé^qn ,  4ésey)âi:é  4^  jia  niort  4e  ,sa  fiUe  TuUia, 
/smbiià0%4^yifiiuf  w  j^[)awant  dao»  son  .espnt  toutes  jles  belles  ct^oses 
gii'il  {Kwurait  dii^e  à  ce  suj^et.  £q  discquiig^tfde  la  s^rte,  V^.  Sbo/^djsfi 
iK>B3ola  4«  h  perte  4e  son  fila;  Qrso  ^se  xafraichit  le  sang  en  pensant 
gu'il  pwocait  faire  à  miss  Nevil  fx^  taUewi  4^  l'état  de  son  ame* 
taUeau  (gûâ  ne  |)onrrait  manquer  d'inljéresser  puissanunent  cette  belle 
peiisonne. 

JU  ae  E^^od^it  du  village,  dwt  il  s'était  fort  éloigné  san3  s'en 
apercevoir,  lorsqu'il  ei;i^tendit  ^  voix  d'une  petite  fiUe  qui  chantait,  se 
.CKo^ltut-senle  ^ans  doute,  4^n»  un  sentier  au  bord  dvi  mftq\iis.  C'était 
.eet,air  ieptet  ujKWotone  consacré  aux  lapentationjs  funèbres,  et  jl'einr 
fipnt.diairtait  :  «  A  mon  fil§,  mon  fils,  en  lointain  pa^ » — gardez  ma 
croix  et  ma  chemise  sanglai^e^...  ^ 

^  Que  chante»^  là,  pet^t^?  dit  Orso  d'un  ton.de  colère,  po^w^sant 
tout  à  coup. 

—  C'est  vous.  Ors'  Anton',  s'éGi^l!enfipwitAm  pen  efGçayée...  C'j^t 
we  qj^iwaon  de  ^^  ColçKKibia... 

—  Je  te  défends  4e  la  chanter,  dit  Qrso  d'pne  voix  teoible. 
J^'^jjDifont,  twrqwt  la;tàlie  è  droite  et  à|;puohe,  semblait, chercher  de 

g^ol  cAtéeUe  pouimit  sesauyer,  et  sans  doute  elle  se  serait  enfioie  4 
elle  n'eût  été  retenue  par  le  soin  de  conserver  un  assez  gros  paqnet 
qu'on  voyait  sv  Vh^i^'i  sea  pieds. 

Oqso  eut  hoi^de  savicdence. 

--Qpe  poiltea^dà,,  ma  petHie?  JkiiideiiMUida-tr*il  le  pins  doucement 

on'Aput. 

£t  conweXMina  hésitait  i  v^[>ondre,  41  souleva  le  ;^nge  qui  enve- 
loppait lepaquiGit,  et  vit  qu'il  contenait ,un pain  et  4*autres provisions. 

T-  A  4VÛ  portes^  ce  pain ,  19a  migi^qnne?  lui  den^nda-tril. 

—  Vous  le  savez  bien ,  monsieur,  à  mon  oncle. 

—  Et  ton  oncle  n'est-il  pas  bandit? 


(fi  RBYUB  DBIE^  MUX  MONDES. 

*-*-  Pour  VOUS  senrir»  monsieur  Ors'  Anton',    •    . 

*-  Si  les  gendarmes  te  rencontmient ,  ils  te  demanderaient  oà 
tu  vas.... 

•^Je  leur  dirais,  répondit  l'enfiBintsanshésiter,  queje  porte  à  manger 
au:^  Lucquois  qui  coupent  le  maquis. 

—  Et  si  tu  trouvais  quelque  chasseur  afTamé  qui  voulût  dîner  à  tes 
dépens  et  te  prendre  tes  provisions?... 

"^  On  n'oserait.  Je  dirais  que  c'est  pour  mon  onde. 

—  En  effet ,  il  n'est  point  homme  à  se  laisser  prendre  son  dhier...» 
Il  t'aime  bien ,  ton  oncle? 

—  Oh  I  oui,  Ors'  Anton'.  Depuis  que  mon  papa  est  mort,  il  a  soin 
'  de  la  famille,  de  ma  mère,  de  moi  et  de  ma  petite  sœur.  Avant  que 

maman  (ût  malade,  il  la  recommandait  aux  ridies  ponr  qu'on  lui 
donnAt  de  l'ouvrage.  Le  maire  me  donne  une  robe  tous  ks  ans,  et  le 
curé  me  montre  le  catéchisme  et  à  lire  depuis  que  mon  oncte  leur  a 
parlé.  Mais  c'est  votre  sœur  surtout  qui  est  bonne  pow  nous. 

En  ce  moment  un  chien  parut  dans  le  sentier.  La  petite  fille,  por- 
tant deux  doigts  à  sa  bouche,  fit  entendre  un  sifflement  aigu;  aussitôt 
le  chien  vint  à  elle  et  la  caressa,  puis  s'enfonça  brusquement  dans  le 
maquis.  Bientôt  deux  hommes  mal  vêtus,  mais  bien  armés,  se  levèrent 
derrière  une  cépée,  &  quelques  pas  d'Orso.  On  eût  dit  qu'ils  s'étaient 
avancés  en  rampant  comme  des  couleuvres  au  milieu  du  fourré  <le 
cistes  et  de  myrtes  qui  couvrait  le  terrain. 

—  Oh!  Ors'  Anton'!...  soyez  le  bienvenu,  dit  le  plus  ftgé  de  ces 
deux  honunes.  Eh  quoi  !  vous  ne  me  reconnaissez  pas? 

—  Non ,  dit  Orso  le  regardant  fixement. 

— -  C'est  drôle  comme  une  barbe  et  un  bonnet  pointu  vous  changent 
un  homme!  Allons,  mon  lieutenant,  regardez  bien.  Vous  avez  donc 
oublié  les  ancien^  de  Waterloo  ?  Vous  ne  vous  souvenez  plus  de  Brando 
Savelli ,  qui  a  déchké  plus  d'une  cartouche  à  côté  de  vous  dans  ce 
jour  de  malheur? 

—  Quoi  1  c'est  toi?  dit  Orso.  Et  tu  as  déserté  en  1816? 

—  Conune  vous  dites,  mon  lieutenant.  Dune,  le  service  ennuie,  et 
puis  j'avais  un  compte  à  régler  dans  ce  pays-ci.  Ha  ha  1  Chili ,  tu  es 
une  brave  fille.  Sers-^ious  vite,  car  nous  avons  fiûm.  Vous  n'avez  pas 
d'idée ,  mon  lieutenant ,  comme  on  a  d'appétit  dans  le  maquis. 
<}u'est-ce  qui  nous  envoie  eela^  M""*  Colomba  ou  le  maire? 

— Non ,  mon  onde ,  c'est  ta  meunière  qui  m'a  dotmé  cela  pour 
vous,  et  une  couverture  pour  maman. 
— Qu'est-ce  qu'elle  me  veut? 


A 


> 


— Elle  dit  que  ses  LucqocSs  Qu'elle  a  pris  pour  défticber,  lui  dëman* 
I  dent  maiflleiiâot  95  sovS'  et  les  ehàtaignes  à  cause  de  la  fièiire  qiiiiest 

dans  le  bas  de  Pietranera. 

— Le&  fiJnétns  !Je  veitai. — Sans  fieiçon,  mon  lieatenant,  Youlez^ 
TOUS  partager  notre  dîner?  Nous  avons  fait  de  plus  roaurais  repas 
ensemble  du  temps  de  notre  pauvre  compatriote  qu'on  a  réformé» 

— Grand  merci. — On  m*a  réformé  aussi ,  moi. 

— Oui,  je  l'ai  entendu  dire,  mais  vous  n'en  avei  pas  été  bien  ffichét 
je  gage.  Histoire  de  régler  votre  compte  à  vous.  —  Allons ,  curé ,  dit 
le  bandit  à  son  camarade,  à  table.  Monsieur  Orso,  je  vous  présente 
monsieur  le  onré,  c'est4-dire  je  ne  sais  tarop  s'il  est  curé,  mais  il  en  a 
la  seienœ. 

^-  Un  pavTve  étudiant  en  théologie,  monsieur,  dit  le  second  bandit, 
qu'on  a  empêché  de  suivre  sa  vocation.  Qui  sait?  J'aurais  pu  être 
pape,  Brandolaccio. 

—Quelle  canse  a  donc  privé  l'église  de  vos  Itm&ières?  demanda 
Orso. 

—  Un  rien.  Un  compte  à  régler,  comme  dit  mon  ami  Brandolaccio; 
une  sœur  à  moi  qui  avait  foit  des  folies  pend«st  que  je  dévorms  les 
bouqims  A  f  université  de  Pise.  Il  me  lifillut  retourner  au  pays  pour 
la  marier;  mais  le  futur,  trop  pressé,  meurt  de  la  fièvre  trois  jours 
avant  mon  arrivée.  Je  m'adresse  alors,  comme  vous  eussiez  fait  à  ma 
ma  place,  au  frère  du  défunt.  On  me  dit  qu'il  était  marié.  Que  faire? 

-^  En  effet,  cela  était  embarrassant.  Que  fttes-vous? 

— Ce  sont  de  ces  cas  où  il  fautenvenirà  la  pierre  à  fusil  (1). 

— C'est-à-dire  que... 

'^ le  lui mis  une  balle  dans  la  tète,  dit  froidement  le  bandit. 

Orso  fit  un  mouvement  d'horreur.  Cependant  la  curiosité ,  et  peut^ 

être  ausn  le  dé^  de  retarder  le  moment  où  il  fandrait  rentrer  chez 

lui  le  fit  rester  à  sa  place  et  continuer  la  conversation  avec  ces  deux 

hommes  dont  chacun  avait  au  moins  un  assassinat  sur  ki  conscience. 

Pendant  que  son  camarade  parlait,  Brandolaccio  mettait  devant 

lai  du  pain  et  de  fa  viande;  il  se  servit  ensuite  Im-mème,  pnis  il  fit 

la  part  de  son  chien  qu'il  présenta  A  Orso  sein  le  nom  de  Brusco, 

comme  deué  du  merveilleui  instinct  de  reconnaftre  un  voltigeur  sous 

(pelque  dégmgeiaent  que  ce  fût.  Enitt;  il  codpa  un  morceau  de  pain 

et  une  trandie^de  Jambon  crA  qull  donna  è  8a<  nièee. 
^Ubelte'vie  q«e  cell^  de  bandit  I  s'écria  l'étudiant  en  théologie 

(1)  la  icei^lto,  eipresBion  tiès  usitée. 


Se  REYITE  DBS  MtX  MONDES. 

a^ès  avoir  ihangé  (^elqvtes  bbtieA^e^.  YdWeh  flMIèrétf  pteUit^èH^iin 
jbài',  monsieur  (Telia  Kebl^itf,  èC  vAu^  Veifer  MÉil^rir  il*  eit  ê&ki  êlf 
ne  connaître  d'autre  maître  que  son  capriôe.  lUsque-^là  t&  AbWdH 
s'éUiK  éx{)\rimé  en  itàlîeAv  ff  ^ufs«/^  éA  fMn^is':  La  Corse  n'est 
^s  An'  pays  bien  amttsa^  po\ït  un  feun^è*  homme;  rtùSè  pôiit  rat 
bandR,  ^ti^He  dïlRi'èni^!  Les  féMAVes'  É(Mt  Me§  de  notts.  fi9(fé^ 
TOUS  me  voyez,  j'ai  troH  nUiltresses,  dans  Mië  canCoHSdillifii^ens'.  3e 
suis  partout  ehez  raàlt.  Ef  iff  eti  a  i!Me  <fii9  est  BafetAme  d^ui^  geD- 
AÉrme. 

— Vous  saveiî  bierf  dés  Tangues ,  monsieur;  dW  Obo  fvtù  fott'  grave. 

—Si  je  parte  flraitçafs,  c'est  qiie  voyer-vous  r  «  Itaximà  âêbeHùnf 
pueris  reverenda.  yt  Nous  entendons,  Brandolaccio  et  moi,  que*  llF 
petite  tourAè  bien'  et  miftrche  droit. 

-'-Quand'  viend^oviC  ses-  quinze  aAs,  <fit  Fotiefé  dis  €Mlha',  je  W 
marierai  bien.  J'ai  déjà  un  parti  en  vue. 

^Cest  toi  q^  feras  h  demande?  dit  Ors6. 

— Sans  doute.  Croyez-vous  que  si  je  dis  à  un  richard  du  pays,  fflbf 
Srahdo  SaveAi,  je  ter^î^  avec  plaisir  (fuie  votre  (Hi  épousftt  MicAeHna 
Savent ,  croyéK-vMs  ^*û  se  ferait  tirer  fes  oreilles? 

— Jte  ne  te  lui  COki^rerate  pas ,  dit  Yeititre  bandK.  Le  èaitotoMe  à 
Itf  main  uM  peu  lourde ,  3  «kit!  se  feire  obétt*. 

—S  j^étafis  vUk  coquin ,  pAursMvft  MaMklaTatcib-,  une  cattuille,  utf 
supposé ,  je  n'aurais  qfu'à'  ouvrir  ma  ftesace ,  les  pféces  éè  cent  sotf 
y  pleuvraient. 

—  n  y  a  donc  AAis  fa'  besace,  dit  Orso,  quekpie  chose  qui  tes  attire? 

— Rien,  mais  si  j'écrivais,  comme  il  y  en  i^  qui  Pont  fait,  àr  un 
riche  :  J*ai  besoin  de  cent  fVaihes,  il  se  dépêcherait  dfême  tes  envoyer. 
Iriafs  je  suis  vm  homme  d'honneur,  mon*  lieutenant. 

— StfVez-vouiT,  monsieuir  déHl*  Rebbiïi ,  M  te  banttt  que  soA  callifr* 
rade  appelait  le  curé  ;  savez-vous  (pcie  d'ans  ce  pays  à  monirs  sSVnplesv 
if  y  a  pourtant  quelques  misérables  qui  profitent  de  Pestime  que  nouij 
lASp&rons  au  moyen  de  nos  passeport  (if  moMrait  soA  fïisil  ) ,  pour  tirer 
dbs  lettres  de  change  en*  contrefeîsant  notre  écriture? 

— Jie  te  sai^,  dit  Orso  (TuA  ton  brusque;  Alafe  queltes  tettres  dé 
Change? 

—itya^ii  mois,  continua  te  baAdit,  q^e  je  lAe  promenait  du  cAtC 
d'Orezza,  quand  vient  à  moi  un  manant  (foi  de  Ibtn  m'Ate  son  bonnet 
At  me  dit  :  — Aht  Aïonsieur  te  curé , — ils  nfappellent  toujours  ahsi, 
— excusez-moi;  donnei-moidu  temps;  je  n'ai  pu  trouver  que  55  francs, 
mais,  vrai,  c'est  tout  ce  que  j'ai  pu  amasser.  Hoi,  tout  surpris  :  -^ 


CKl'69H:e À  diie,  anroiMlel  Si  fcwcs?  lui  di^je.  —  le  vieau  dire  ^, 
ff^  f^tpnod-iU  niaif  poor  lOO  qi^^  voo»  m^ demandez,  c'est  impo^ 
sjyble. — Cp^pmeot,  drôle  I  je  te  demande  iOO  francs?  Je  ne  te  connais 

ft^— 41orsil  me  remejt  uae  lettre  ou  plutôt  un  chiffon  tout  sale  par 
lequel  ù^  rûmtait  à  déposer  IflO  fraocs  dans  un  lieu  qu'op  ioditmaji, 
9Wil  pepe  d6  voif  sa  maison  brûlée  et  ses  vaches  tuées  par  Gîocanto 
Cwtiîqûui,  c'est  wifm  wm-  Et  Toi^  avait  ^  Tioftinie  de  contrefaire 
na  aîgtat«rel  Ce  qui  me  piqua  le  pluf ,  c'est  que  la  lettre  étaft  écrite 
en  patois,  ^eine  de  foutes  d'orthographe;  moi ,  faire  des  fautes  d'ortho- 
gnftè^fW^i  f  qui  Avais  tous  les  prix  à  l'univeir^té  1  Je  conunence  p^r 
demar  mon  yilain  ua  souOIet  qui  le  fajt  tpnmer deuiL  fois ;sur  hû- 
Apême,— Alil  bume  preiMis  pour  un  voleur,  c(>quin  que  ti^  es,  hii  diH^ 
et  je  loi  donne  un  bon  coup  de  pied  où  youfi  savez.  Un  peu  ^kwIm^  j^ 
W  dis  :  QvanddQifr-tu  porter  cetargeot  au  lieu  ^ésigpé?^  Aujpw- 
d'hui  même. — Bien  I  va  le  porter.  —C'était  au  pied  d'jop  pin»  et  le  Meu 
jetait  parfaitement  indiqué.  Il  porte  l'argent,  l'enteiT^  /m  pied  de 
J'artre  et  revient  me  trouver.  Je  m'étais  embusqué  aux  environs.  Je 
demeurai  là  avec  mon  homme  six  mortelles  heures.  Monsieur  jifi^ 
Kebbia,  je  serais  resté  trois  jours  s'il  eAt  (ails.  Au  bout  de  six  heures, 
penit  mt  Butiioçcio  (i) ,  u«  inâune  usurier.  Il  se  baisse  pour  prendre 
Faifeat,  jeists  feu,  et  je  l'avais  si  bieo  ^nsté,  que  sa  tète  pprtaen 
tw^nt  wr  lea  éous  qu'il  déterrait.  —  Maintenant,  drôiel  dis-je  an 
pqfBan,  n^ieads  (on  argent,  et  ne  t'avise  plus  de  soupçonner  d'nipe 
bassesse  Giocanto  Castriconi.  —  Le  pauvre  diable  tout  trembiaut 
ramatta  aesfi  firaacs  aaas  prendre  la  peine  de  les  essuya;  il  ii^dit 
iwpd,  je  loi  allonge  un  iM)n  coup  de  pied  d'adieu«  et  A  court  encore. 

—  Abl  curé,  dit  Brandolaccio,  je  t'envie  ce  coup  de  fusil-jè.  Tu  a^ 
4à  bien  rire? 

—  J'avais  #trBpé  le  B^sti^iocio  è  la  tempe^  continua  lejbao^it,  et 
leeia me  rappela  ces  vers  de  Vjrgile: 

Lîquefacto  tempera  plumbo 

DMfidit,  ae  nmltâ  ponreetam  exieadit  arenâ. 

Liqwfacto?  Croyez-vous,  monsieur  Orso,  qu'une  balle  debloinb  se 

fonde  parla  rapidité  de  son  trajet  dans  Fair?  Vous  qui  avez  étudié  la 

ballistique,  yoijs.devriez  bien  me  dire  si  c'est  une  erreur  ou  une  vérité? 

Orso  aimait  mieux  discuter  cette  question  de  physique ,  que  d'ar«- 

ti)  Les  (iorset  montagnards  détf«ient  le»  hoMiam  <le  BasMa,  qtiMIs  ne  regardent 
yaaaanneMlaaixittpaMttu*  JaflBtoJAsm4i9iDtJN#<iw,  Mmtiacoip  :  oa 

lait  qne  la  l^namalson  ea  aceio  ae  prend  quelquefois  df^oa  Vi"  sens  de  w^ris. 


ito  REVUE  BEâ  DEUX  MONDES. 

gmnenter  avec  le  licencié  sur  la  moralité  de  son  action.  Brandolacdo, 
^ne  cette  dissertation  scientifique  n^amusait  guère,  Vinterrompit 
pour  remarquer  que  le  soleil  allait  se  coucher:  -^  Puisque  vous 
n'avez  pas  voulu  dîner  avec  nous,  Ors'  Anton',  lui  dit-il,  je  vous 
conseille  de  ne  pas  faire  attendre  plus  long-temps  M*^'  ColomiNL  Et 
puis ,  il  ne  fait  pas  toujours  bon  à  courir  les  chemins ,  quand  le  soleiT 
est  couché.  Pourquoi  donc  sortez-vous  sans  fasil?  Il  y  a  de  mauvaises 
gens  dans  ces  environs;  prenez-y  garde.  Aujourd'hui,  vous  n'avez 
rien  à  craindre;  les  Barricini  amènent  le  préfet  chez  eux  ;  ils  l'ont  renr- 
contré  sur  la  route ,  et  il  s'arrête  un  jour  à  Pietranera ,  avant  d'aller 
poser  àCorte  une  première  pierre,  conmie  on  dit...,  une  bêtise!  il 
couche  ce  soir  chez  les  Barricini  ;  mais  demain ,  ils  seront  libres.  U  y 
a  Vincentello  qui  est  un  mauvais  garnement ,  et  Orlanducdo  qui  ne 
vaut  guère  mieux...  Tâchez  de  les  trouver  séparés,  aujourd'hui  l'un, 
demain  l'autre;  mais  méfiez-vous,  je  ne  vous  dis  que  cela. 

—  Merci  du  conseil,  dit  Orso;  mais  nous  n'avons  rien  à  démêler 
ensemble;  jusqu'à  ce  qu*Us  viennent  me  chercher,  je  n'ai  rien  à  leur 
dire. 

Le  bandit  tira  la  langue  de  côté ,  et  la  fit  claquer  contre  sa  jooe 
d'un  air  ironique ,  mais  il  ne  répondit  rien.  Orso  se  levait  pour  partir: 
—  A  propos,  dit  Brandolaccio,  je  ne  vous  ai  pas  remercié  de  votre 
poudre;  elle  m'est  venue  bien  à  propos.  Maintenant,  rien  ne  mo 
manque...,  c^est-à-dire  il  me  manque  encore  des  souliers...,  mais 
je  m'en  ferai  de  la  peau  d'un  mouflon ,  un  de  ces  jours. 

Orso  glissa  deux  pièces  de  cinq  francs  dans  la  main  du  bandit. 

—  C'est  Colomba  qui  t'envoyait  la.  poudre,  voici  pour  tacheter  des 
souliers. 

—  Pas  de  bêtises  !  mon  lieutenant ,  s'écria  Brandolaccio  en  lui 
rendant  les  deux  pièces.  Est-ce  que  vous  me  prenez  pour  un  men- 
diant? J'accepte  le  pain  et  la  poudre,  mais  je  ne  veux  rien  autre 
chose. 

—  Entre  vieux  soldats ,  j'ai  cru  qu'on  pouvait  s'aider.  Allons ,  adieu  I 
Mais,  avant  de  partir,  il  avait  mis  l'argeùt  dans  la  besace  du  bandit, 

sans  qu'il  s'en  fût  aperçu. 

—  Adieu,  Ors'  Anton' I  dit  le  théologien.  Nous  nous  retrouverons 
peut-être  au  maquis  un  de  ces  jours,  et  nous  contiouerpns  n^ 
études  sur  Virgile. 

Orso  avait  quitté  ses  honnêtes  compagnons  depuis  un  qi]|art  d'heure* 
lorsqu'il  entendit  un  homme  qui  couraitdc^rrîère  lui  de  toutes  ses 
forces.  C'était  Brandolaccio  : 


ÇOLQMBA.  êl 

—  C'est  un  peu  fort!  mon  lieutenant,  s'écria-t-il  hors  dlialeîBe; 
un  peu  troi^  fort!  voilà  vos  dix  francs.  De  la  part  d'un  autre ^  je  ae 
passerais  pas  l'espièglerie.  Bien  des  choses  de  ma  part  à  W^''  Colomba. 
Tous  m'avez  tout  essouflé  I  Bonsoir. 


XII. 

Orso  trouva  Colomba  un  peu  alarmée  de  sa  longue  absence;  mais^ 
en  le  Voyant,  elle  reprit  cet  air  de  sérénité  triste  qui  était  son  expres- 
sion habituelle.  Pendant  le  repas  du  soir,  ils  ne  parlèrent  que  de 
choses  indifférentes,  et  Orso,  enhardi  par  l'air  calme  de  sa  sœur, 
lui  raconta  sa  rencontre  avec  les  bandits,  et  hasarda  même  quelques 
plaisanteries  sur  l'éducation  morale,  religieuse,  que  recevait  la  petite 
Chilina  par  les  soins  de  son  oncle  et  de  son  honorable  collègue,  le 
sieur  Castriconi. 

—  Brandolaccio  est  un  Iionnète  homme,  dit  Colomba;  mais,  pour 
Castriconi,  j'ai  entendu  dire  que  c'était  un  homme  sans  principes. 

—  Je  crois ,  dit  Orso ,  qu'il  vaut  tout  autant  que  Brandolaccio ,  et 
Brandolaccio  autant  que  lui.  L'un  et  l'autre  sont  en  guerre  ouverte 
avec  la  société.  Un  premier  crime  les  entraine  chaque  jour  à  d'autres 
crimes;  et  pourtant,  ils  ne  sont  peut-être  pas  aussi  coupables  que 
Men  des  gens  qui  n'habitent  pas  le  maquis. 

'  Un  éclair  de  joie  brilla  sur  le  front  de  sa  sœur. 

—  Oui ,  poursuivit  Orso;  ces  misérables  ont  de  l'honneur  à  leur  ma- 
nière. C'est  un  préjugé  cruel  et  non  une  basse  cupidité  qui  les  a  jetés 
dans  I9  vie  quils  mènent. 

n  y  eut  un  moment  de  silence. 

—  Mon  frère,  dit  Colomba  en  lui  versant  du  café,  vous  savez  peut- 
être  que  Charles-Baptiste  Pietri  est  mort  la  nuit  passée?  Oui,  il  est 
mort  de  la  fièvre  des  marais. 

—  Qui  est  ce  Pietri? 

—  C'est  un  homme  de  ce  bourg ,  mari  de  Madeleine ,  qui  a  reçu  le 
portefeuille  de  notre  père  mourant.  Sa  veuve  est  venue  me  prier  de 
paraître  à  sa  veillée  et  d'y  chanter  quelque  chose.  Il  convient  que 
TOUS  veniez  aussi.  Ce  sont  nos  voisins,  et  c^est  une  politesse  qu'on  ne 
peut  refuser  dans  un  petit  endroit  comme  le  nôtre. 

—  Au  diable  ta  veillée,  Colomba!  Je  n'aime  point  à  voir  ma  sœur 
se  dotmet  ainsi  en  spectacle  au  public. 

^^  Or96,  répondit  CoTomba ,  chacun  honore  ses  morts  à  sa  manière. 


(^  '    REVUE  p]^  PEUX  MONDES. 

|4  fuUlata  ojQi^yjeiit  de  oos  9)ipttx,  4  <io^s  devons  la  ^^defi^maLe 
un  usage  antique.  MadeJ/eioe  Q*d  p^B  le  don ,  et  la  vieille  Fiordi$pii)Q, 
qui  est  I9  i^eilleure  vo/ceratrjce  du  pays ,  est  ma^de.  I)  foi^t  bi$q  a)iç|i- 
qu'un  pour  la  ballata. 

—  Croîs-tu  que  Charles-Baptiste  ne  trouvera  pas  son  chemin  dans 
l'autre  monde,  si  Ton  ne  chante  de  mauvais  vers  sur  sa  bière?  Va  à 
la  veillée  si  tu  veux,  Colomba;  j'irai  avec  toi,  si  tu  crois  que  je  le 
doive,  mais  n'improvise  pas;  cela  est  inconvenant  à  ton  âge,  et  je  t'en 
prÂe,  pia  sc^ur. 

—  |f ou  frère,  J'ai  promis.  C'est  la  coutume  ici ,  vous  le  savez,  et  ie 
FOUS  le  répète,  il  n'y  a  que  moi  pour  improviser. 

—  Sotte  coutume  ! 

—  Je  soiaffre  beaucoup  de  cbauter  ainsi.  Cela  me  rappeUe  tous  nos 
flMilheurs.  Demain,  j'en  serai  malade;  maïs  il  le  faut.  PermetLezr4e- 
poi ,  moB  frère.  Souvenez-vous  qu'à  Ajaccio  vous  m'arez  dit  €tm^ 
proviser  pour  amuser  cette  demoiselle  anglaise  qui  se  moque  de  nofi 
vieux  usages.  Ne  pourrai-je  donc  improviser  aujourd'hui  pour  de 
pauvres  gens  qui  m'en  sauront  gré,  et  que  cela  aidera  à  supporter  leur 
diagrin? 

—  Allons!  fais  comme  tu  voudras.  Je  gage  que  tu  as  déjà  compoSfé 
ta  MlotA ,  et  tu  ne  y^ux  pas  la  perdre. 

—  Non ,  je  ne  pourrais  pas  composer  cela  d'avance,  mon  frèr/e.  Je 
me  mets  devant  le  mort,  et  je  pense  à  ceux  qui  restent.  L.es  larmes 
me  viennent  aux  yeux ,  et  alors  je  chante  ce  qui  me  vieot  à  Fesprit. 

Tout  cela  était  dit  avec  une  simplicité  telle ,  qu'il  était  impossible 
de  supposer  le  moindre  amour-propre  poétique  à  la  signora  Colomba. 
Orso  se  laissa  fléchir  et  se  rendit  avec  sa  sœur  à  la  maison  de  Pietrii. 
Le  mort  était  couché  sur  une  table,  la  figure  découverte,  dans  la  plus 
ffwifi  pièce  d^  la  maisoio.  Portes  et  fenêtres  étaieirt  ouvertes,  et 
plusieurs  cierges  brûlaient  autour  de  la  table.  A  la  tète  du  jnort  se 
tenait  sa  veuve,  et  derrière  elle,  un  grand  nombre  de  femmes  oc-- 
cupaient  tout  un  côté  de  la  chambre;  de  l'autre  éiaftttit  ran^fés  les 
facpunes,  debout,  tète  nue,  l'oeil  fixé  sur  le  cadavre,  observant  un 
profond  silence.  Cbaque  nouveau  visiteur  s'approchait  de  la  table, 
«mbrassait  le  mort  (1),  faisait  uu  signe  de  tète  à  sa  veuve  et  à  son  ils, 
f^  prenatf  place  dans  le  cercle  sans  proféner  une  parole.  De  temps 
en  temps ,  néanmojns ,  un  des  assistans  nompait  le  silence  solenoep 
pwr  adresser  quelques  mots  au  défunt.  —  Pourquoi  as^tu  quitté  ta 

{t)  Cet  usage  sainte  encore  ^  JBQQOgpaqp. 


bbnn«  fbmtMëf  âltëét  lihe  cotiitnëré'.<  iS^dVattHïHe  paS  bM'  sbfti  dë^i? 
Que  te  itidnqtiAit-il?  PMqiidi'  ne  jMs  attëitiilrë  un  Aloi^  ehcoi^,  Û 
bra  Patilraie  dbHné'  un  &sf 

Un  grand  jeune  HotHAie,  flis  de  PieM^  seifaAr  Ifa  AiftiVi'  froid^d'é 
Mtrpèrev  s'écrltt  :  (Ht'l'pourquoi  n'es-tU'pas  Mttttdbln'Mofë  indr^fl]^ 
ifoUBtf aurions  vengé! 

Ce  fiirent  lés  ^mfèires  paroles  qu'Oie  entendiif  en  ehtraiiï.  À-  sH 
Tne,  le  eercie' s'ouvrit ,  et  un  fliibte  murdMkre  dé  carioMté  énonça  l'at-^ 
tenté  dB Tassemblée  excttée  par  la  présente  dfe  la  voeeraftice .  Cofombd' 
einbtldsSd  la  véuve,  prit  dné  de  ses  iViainS  étdertieura  quelques  minutes 
rMueflIfe  et  les  yeux  baissés.  Puis  elle  rejeta  son  mezzaro  en  arriéré, 
rtgali^  fixement!  le  mort,  et,  penchée  sur  ce  cadavre,  presque  aiissi 
fXie  que-  lui ,  elle  Comment  de  la  sortie  : 

■  Cbarles-Bapâste!  le  Christ  reçoive  ton  ame!  —  Vim,  c'est  tm^bv.  TU 
vas  dans  un  lieu  —  où  il  n'y  a  ni  soleil  ni  froidure.  —  Tu  n'as  plus  beeoia  de 
ta  serpe ,  —  ni  ne  ta  lourde  pioche.  —  ^lug  de  travail  pour  toi.  —  Désormais 
l!ous  tes  jours  sont  des  dimanches.  —  Charles-Baptiste,  le  Christ  ait  ton  aroe  ! 
—  Tott  Bis  gouverne  ta  maison .  —  Tai  Vu  tomber  te  chêne  —  desséché  par  lé 
Zjbeccib.  —  Tài' cru  qu'il' était  mort.  —  ft  suis  réparée,  et  sa  racine  — avait 
poussé  an  rejeton.  —  Le  rejeton  estdtvenu  UH  chehe—  atfvastiB  ombrage.— 
SondsM'fortHi'brafldieB,  Maddelè,  repoae-tni  —  et  pHin  an'chéne'quï  n'est 
plu.  ' 

Ici  STadeleine  commença  à  sangloter  tout  haut,  et  deux  ou  trois 
hbounes,  qui  dans  l'occasion  auraient  tiré  sur  des  chrétiens  avec 
éntaàt  de  sang-froid  que  sur  des  perdrix,  se  mirent  à  essuyer  de 
nées. 

ndant  quelque  temps,  s'adressant 
e,  quelquefois  par  une  prosopopée 
parler  lé  mor^  lui-même  poui*  con- 
:0QseiIs.  A  mesure  qu'elle  impro- 
visait, sa  lîgure  prenait  une  eipressiou  sublime;  son  teint  ^  colorait 
d'un  rose  transparent  qui  faisait  ressortir  davantage  l'éclat  de  ses  dents 
et  le  feu  de  ses  prunelles  dHatées.  C'était  la  pytfaonisse  sur  son  tr^ 
pied.  Sauf  quelques  soupirs,<  quelques  gmglots  étouffés,  on-  n'eût  pa> 
«ntendu  te  plus  léger  muimure  dans  lir  foule  <fii  se  presuJt  autour 
d'elle.  Ken  qbe  mohos  accessible  qu'on  antre  &  cette  poésie  sauvdge, 
Orso'  se  sentit  bieniât  atteint  par  l'émotionr  générale.  RetSré  d&ns  od 
<ioin  obscur  de  la  stHle,  if  pféûra  commO  plienrait!  le' tis  de  Pietri'. 

(tyLàmeltmorit,  là  mort  vlDleaiii. 


$lk  BEVUE  MS  1>fitJ1C  MONDES. 

Tout  à  coap  un  léger  moayemeDt  se  flt  dans  Vauditoh^;  le  cercle 
S*ouvrit,  et  plusieurs  étrangers  entrèrent.  Au  respect  qu'ion  leur  mon- 
tra, à  Tempressement  qu'on  mit  à  leur  faire  place,  i)  était  évident  que 
c^étaient  des  gens  d'importance  dont  la  visite  honorait  singulière- 
ment la  maison.  Cependant,  par  respect  pour  la  ballata,  personne  ne 
leur  adressa  la  parole.  Celui  qui  était  entré  le  premier'paraissait  avoir 
une  quarantaine  d'années.  Son  habit  noir,  son  ruban  rouge  à  rosette, 
Tair  d'autorité  et  de  confiance  qu'il  portait  sur  sa  figure ,  foisaient 
d'abord  deviner  le  préfet.  Derrière  lui  venait  un  vîeîUard  voûté,  aa 
teint  bilieux ,  cachant  mal  sous  des  lunettes  vertes  un  regard  timide 
et  inquiet.  U  avait  un  habit  noir  trop  large  pour  lui ,  et  qui,  bien  que' 
tout  neuf  encore,  avait  été  évidenunent  foit  phtsieurs  années  aupa- 
ravant. Toujours  à  côté  du  préfet ,  on  eût  dit  qu'il  voulait  se  cacher 
dans  son  ombre.  Enfin,  après  lui,  entrèrent  deux  jeunes  gens  de 
haute  taille ,  le  teint  brûlé  par  le  soleil ,  les  joues  enterrées  sous 
d'épais  favoris,  l'oeil  fier,  arrogant,  montrant  une  impertinente  curio- 
sité. Orso  avait  eu  le  temps  d'oublier  les  physionomies  des  gens  de 
son  village;  mais  la  vue  du  vieillard  en  lunettes  vertes  réveilla  sur- 
le-champ  en  son  esprit  de  vieux  souvenirs.  Sa  présence  à  la  suite  du 
préfet  suffisait  d'ailleurs  pour  le  foire  reconnaître.  C'était  l'avocat 
Barricini ,  le  maire  de  Pietranera ,  qui  venait  avec  ses  deux  fils  don- 
ner au  préfet  la  représentation  d'une  ballata.  Il  serait  difficile  de  dé- 
finir ce  qui  se  passa  en  ce  moment  dans  l'ame  d'Orso;  mais  la  pré- 
sence de  l'ennemi  de  son  père  lui  causa  une  espèce  d'horreur,  et 
plus  que  jamais  il  se  sentit  accessible  aux  soupçons  qu'il  avait  long- 
temps combattus. 

Pour  Colomba,  à  la  vue  de  l'homme  à  qui  elle  avait  voué  une  haine 
mortelle,  sa  physionomie  mobile  prit  aussitôt  une  expression  sinistre. 
Elle  pâlît  ;  sa  voix  devint  rauque ,  le  vers  commencé  expira  sur  ses 
lèvres...  Mais  bientôt,  reprenant  sa  ballata,  elle  poursuivit  avec  une 
nouvelle  véhémence  : 

«  Quand  Tépervier  se  lamente  —  devant  son  nid  vide,  —  les  étoumeaux 
Yoltigent  à  l'entonr,  —  insultant  à  sa  douleur.  (Ici  on  entendit  un  rire  étouffé; 
c'étaient  les  deux  jeunes  gens  nouvellement  arrivés  qui  trouvaient  sans  doute 
la  métaphore  trop  bardifi.)  ^  L'épervier  se  réveillera ,  —  il  déploiera  ses  ailes, 
— il  lavera  son  bec  4dU8  le  s«^ng  I  —  Et  toi ,  Charles-Baptiste ,  que  tes  amis  — 
t'adressent  leur  dernier  adîeif .  —  lueurs  larmes  ont  assez  coulé.  —  La  pauvre 
orpheline  seule  ne  pleurera  pas.  —  Pourquoi  te  pleurerait-elle?—  Tu  t'es  en- 
dormi plein  de  jours  —  au  milieu  de  ta  famille ,  —  préparé  à  comparaître  — 
devant  le  Tout-Pmssant.  —  L'orpheline  pleure  son  père,  —  surpris  parjde 


i 


Jâcbfss  ^8sas90&^i  TT-  ù^fgé  pfoi  derrière;  —  son  père  dont  le  sang,  est  rouge  — 
sous  ^a^)as^  de  feuiUes^  ^ertos.  —  Mais  elle  a  recueilli  son  sang<,  —  ce  sang 
noble  et  innopent;  rr-  elle  Ta  répandu  sur  Pietranera,  —  pour  qu'il  devînt  un 
poison  mortel.  —  Et  Pietranera  restera  marquée  —  jusqu'à  ce  qu'un  sang 
coupable  —  ait  efifacé  la  tracé  du  sang  innocent.  » 

En  achevant  ces  mots,  Colomba  se  laissa  tomber  sur  une  chaise, 
elle  rabattit  son  mezzaro  sur  sa  figure ,  et  on  l'entendit  sangloter. 
Les  femmes  en  pleurs  s'empressaient  autour  de  rimprovisatrice;  plu- 
sieurs hommes  jetaient  des  regards  farouches  sur  le  maire  et  ses  fils; 
quelques  vieillards  murmuraient  contre  le  scandale  qu'ils  avaient 
occasionné  par  leur  présence.  Le  fils  du  défunt  fendit  la  presse  et  se 
disposait  à  prier  le  maire  de  vider  la  place  au  plus  vite,  mais  celui-ci 
n'avait  pas  attendu  cette  invitation.  Il  gagnait  la  porte,  et  déjà  ses 
deux  fils  étaient  dans  la  rue.  Le  préfet  adressa  quelques  complimens 
de  condoléance  au  jeune  Pietri,  et  les  suivit  presque  aussitôt.  Pour 
Orso,  il  s'approcha  de  sa  sœur,  lui  prit  le  bras  et  l'ehtrahia  hors  de  la 
salle.  — Accompagnez-les,  dit  le  jeune  Pietri  à  quelques-uns  de  ses 
amis.  Ayez  soin  que  rien  ne  leur  arrive  I  Deux  ou  trois  jeunes  gens 
mirent  précipitamment  leur  stylet  dans  la  manche  gauche  de  leur 
veste,  et  escortèrent  Orso  et  sa  sœur  jusqu'à  la  porte  de  leur  maison. 


XIIL 


Colomba ,  haletante ,  épuisée ,  était  hors  d'état  de  prononcer  une 
parole.  Sa  tête  était  appuyée  sur  l'épaule  de  son  frère,  et  elle  tenait 
une  de  ses  mains  serrée  entre  les  siennes.  Bien  qu'il  lui  sût  intérieu- 
rement assez  mauvais  gré  de  sa  péroraison ,  Orso  était  trop  alarmé 
pour  lui  adresser  le  moindre  reproche.  Il  attendait  en  silence  la  fin 
de  la  crise  nerveuse  à  laquelle  elle  semblait  en  proie,  lorsqu'on  frappa* 
à  la  porte ,  et  Saveria  entra  tout  efiSsu-ée ,  annonçant  :  M.  le  préfet  I  A 
ce  nom ,  Colomba  se  releva  coomie  honteuse  de  sa  faiblesse,  et  se  tint 
debout,  s'appuyant  sur  une  chaise  qui  tremblait  visiblement  sous  sa 
msdn. 

Le  préfet  débuta  par  quelques  excuses  banales  sur  l'heure  indue  de 
sa  visite,  plaignit  H"'  Colomba,  parla  du  danger  des  émotions  fortes, 
blâma  la  coutume  des  lamentations  funèbres  que  te  talent  même  de 
la  voceratrice  rendait  encore  plus  pénibles  pour  les  assistans  ;  il  glissa 
avec  adresse  un  léger  reproche  sur  la  tendance  de  la  dernière  impro- 

TOMB  XXIII.  5 


9S  REVUE  DEg-  VaOKt  MONDES. 

fisatioBv  Piûsv  cbangeaat  de  (ob  i  -^liMsieiv MIa  Rdibiat  diMi, 
j^  mte-cbargéée  Uendeë  con^rfineM  pour  vontpar  vos  amvaagliiB. 
Ites  NtvA  fut  nlle  màtiéB  à  nadenoiielfe  volre^  sqmv.  ^ai  pow 
votts  ime^  lettre  d^dle  k  vous  nmel^. 

— Uoe  lettre  de  miss  NevîW  9*éf  rkf  Otm. 

— Blalheureusement  je  ne  l'ai  pas  sur  moi ,  mais  vohs  faorez  dans 
cinq  minutes.  Son  père  a  été  souffinant.  Nous  avons  craint  un  momest 
qu^ll  n'eût  gagné  nos  terribles  fièvres.  Heureusement,  le  voilà  hiH^ 
d'affoire,  et  vous  en  jugerez  par  vous-même,  car  vous  le  verrez  bientAt, 
jfimagine. 

— llifiss  Nevil  a  dû  être  bien  mquiète? 
.  — Par  bonheur,  elle  n'a  connu  le  danger  que  lorsqu'il  était  déjà 
loin.  Monsieur  délia  Rebbia,  miss  Nevil  m*a  beaucoup  parlé  de  vous 
et  de  mademoiselle  votre  sœur.  —  Orso  slnclina.  —  Elle  a  beaucoup 
d'amitié  pour  vous  deux.  Sous  un  eitérieur  plein  de  grâce,  seus  une 
apparence  de  légèreté,  elle  cache  une  raison  parfaite. 

— Cest  une  charmante  personne,  dit  Orso. 

— C'est  presque  à  sa  jM-ière  que  je  viens  ici,  monsieur.  Personne 
ne  connaît  mieux  que  moi  une  fatale  histoire  que  je  voudrais  biea 
n'être  pas  obligé  de  vous  rappeler.  Puisque  U .  Barricini  est  encore 
maire  de  Pietranera,  et  moi,  préfet  de  ce  département,  je  n'ai  pas 
besoin  de  vous  dire  le  cas  que  je  fais  de  certains  soupçons,  dont,  si 
je  suis  bien  informé ,  quelques  personnes  imprudentes  vous  ont  feit 
part ,  et  que  vous  avez  repoussés ,  je  le  sais ,  avec  l'indignation  qu'on 
devait  attendre  de  votre  position  et  de  votre  caractère. 

-^Ëotomba,  (ttt  Orso  s'agjtaâl  ^ur  sa  dbaise ,  t»  es  Men  MÉgoSe. 
Tu  devrais  aHer  le  eondi^r. 

.  €olonba  it  tm  signe  de  tète  négatif.  EUe  avait  vepri»  ses  dtee 
baUtoel  et  iiail  des  yeux  ariess  sur  le  préfel. 

—  M.  BaiYioini,  ceatiMâ  le  préfet,  déaèretaîl  vif ement  veir  temet 
ce^  espèce  d'iaiHBtié...  e'esMMlire  cet  éM  d'ineertHvde  où  voua 
veu»  trouvez  f un  vi&<jhvis  de  raiitre..v  Peur  ma  pari,  je  sen»  e»« 
dMtité  ée  vous  veir  étflMîr  avee  lui  le»  nyports  cpue  doivent  avoir 
ensesable  des  gOM  faits  paw  s'eatiaier^.v 

— Monsieur,  interrompit  Orso  d'une  voix  émue,  je  n'ai  jaawi 
aeeusé  l'cvetai  BamoMÉ  4'tfveir  aianaaÉiA'  mon  père,  riMi»  il  a  Ait 
une  actio»  qui  m'euipèebefa  laujears  étwnk  meune  retaftios  mfet 
Itti.  Ha  supposé  uie tetke iifMç— tr»  mi  Mto d'us  ocrtan  hMMil; 
du  moiits,  il  ra;se«v4eiBeiil  ^MÊihmbeèmfmpèrc,  €ettrlcMi^4  eniii, 
monsieur,  a  prebablemeni  élè  la  eawe  iadireete  éesa  MOfl* 


cm,  tersqiie,  ewffxAé  fêx  la  vivante  de  sap  CBiacttre,  il  plaMaît 
contrent  Baraciiii,  la<imeesteacuiaUe;raws,  de  votre  part,  m 
semblable  aveuglement  n'est  plus  perœisu  Kéflédûssea  donc  qm 
Barricini  n'avait  point  intérêt  à  supposer  cette  lettre..,  Je  ne  ymm 
parle  pas  de  son  caraetèKar*.  vous  ne  le  connaissez  point,  vous  êtes 
prévenu  contre  ku.«.  maïs  vous  ne  supposez  pas  qu'un  homme  coi^ 
naissant  bien  lâi  lois^. 

— Mais,  monsieur,  dit  Orso  en  se  levant,  veuillez  songer  que  me 
dire  que  cette  lettre  n'est  pas  l'ouvrage  de  M.  Barrîciiii ,  c'est  l'attari- 
buer  à  mon  père.  Son  honneur,  monsiew,  est  le  miea. 

—Personne  fim  que  mai,  monsieur,  poursuivit  le  préfet,  n'est 
convaincu  de  l'honnepr  du  eoleiiel  délia  Bebhia...  mslsi...  l'auteur  de 
cette  lettre  est  connu  maintenant... 

— Qui?  s'écria  Colomba  s'arvaoçant  vecs^  le  préfet. 

—  Un  misérable,  coupable  de  plusieurs  crimes*..,  de  ees  crimes 
que  vous  ne  pardonnez  pas,  vous  autres  Gqcses,  un  v^ur,  un  certain 
Tomaso  Biapcbi,  à  présent  détenu  dans  les  prisons  de  Baatia,  a  révélé 
qu'il  était  l'auteur  de  cette  fetale  lettre. 

— Je  ne  connais  pas  cet  homme,  dit  Orso.  Quel  aunst  pu  ôtre  son 
but? 

—C'est  iin  homme  4le. ce  ps^,  dit  Colomba,  irère  d'un  ancien 
meunier  à  nous*  C'est  uo  méchant  et  un  menteur  indigne  qu'on  le 
croie. 

— Vous  allez  vou*,  continua  le  préfet,  l'intérêt  qu'il  avait  dans 
l'aftaire.  Le  meunier  dont  parle  mademoiselle  votre  scmir,  il  se  nom- 
Etait,  je  crois»  Théodore,  tenait  à  loyer  du  coloiiel  un  moulin  sur  le 
cours  d'eau  dont  M.  Barricini  contestait  la  possession  à  moMsieur 
votre  père.  Le  colonel,  généreux  à  son  habitude,  ne  tirait  presque 
aucun  profit  de  son  moulin.  Or,  Tomaso  a  cru  que  si  M.  Barricini  obte- 
nait le  cours  d'eau,  il  aurait  un  loyer  considérable  à  hii  payer,  car  on 
sait  que  M.  Barricini  aime  assez  l'aigent.  Bref,  pour  obliger  son 
frère,  Tomaso  a  contrefait  la  lettre  du handil,  et  vaîïà  toute  l'histoire. 
Vous  savez  que  les  Uens  de  famiUe  sont  si  pmssans  en  Corse ,  qu'ils 
entraînent  quelquefois  au  crime..*  Veuillez  paendre  connaîssanee  de 
cette  lettre  que  m'écrit  le  substitut  du  procureur^général ,  elfe  vous 
confirmera  ee  q|ue  je  via»  de  vans  dim. 

Orso  parcourut  la  lettre  qui  relatait  en  détail  les  aveux  de  Tomaso , 
et  Ooiombii  Usait  en  même  temps  par^dessus  f  épaufe  de  son  frère. 

Lorsqu*eBe  eut  fini,  elfe  s'écria:  Orlanduccio  Barricini  est  allé  à 

5. 


63  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Éaistia  il  y  a  un  mois ,  lorsqu'on  a  su  que  mon  frère  allait  revenir.  Il 
aura  vu  Tomaso  et  lui  aura  acheté  ce  mensonge.  '  '  ' 

-*j  Mademoiselle,  dit  le  préfet  avec  impatiente;  vous  exjpliquez  tout 
par  des  suppositions  odieuses;  est-ce  le  moyen  dé  savoir  la  vérité? 
Vous,  monsieur,  vous  êtes  de  sang-froid;  dites-moi,  que  pensez-vous 
maintenant?  Croyez-vous,  comme  mademoiselle,  qu'tln  homme  qui 
n'a  à  redouter  qu'une  condamnation  assez  légère  se  charge  de  gaieté 
de  cœur  d'un  crime  de  faux  pour  obliger  quelqu'un  qu'il  ne  con- 
naît pas? 

Orso  relut  la  lettre  du  substitut,  pesant  chaque  mot  avec  une 
attention  extraordinaire,  car,  depuis  qu'il  avait  vu  l^avocat  Barricinî , 
il  se  sentait  plus  difficile  à  convaincre  qu'il  ne  l'eût  été  quelques  jours 
auparavant.  Enfin ,  il  se  vit  contraint  d'avouer  que  l'explication  lui 
paraissait  satisfaisante;  —  mais  Colomba  s'écria  avec  force  : 

— Tooiaso  Aian<^hi  est  un  fourbe.  Il  ne  sera  pas  condamné  ou  il 
s'échappera  de  prison,  j'en  suis  sûre. 

Le  préfet  haùsséi  les  épaules. 

—  Je  vous  ai  fait'  part ,  monsieur,  dit-il ,  des  renseignemens  que 
j'ai  reçus.  Je  me  i^tife,  et  je  vous  abandonne  à  vos  réflexions.  J'at- 
tendrai que  votre  raison  vous  ait  éclairé,  et  j'espère  qu'elle  sera  plus 
puissante  que  les suppositions  de  votre  sœur. 

Orso,  après  quelques  paroles  pour  excuser  Colomba,  répéta  qu*il 
croyait  maintenant  que  Tomaso  était  le  seul  coupable. 
Le  préfet  s'était  levé  pour  sortir. 

—  S'il  n'était  pas  si  tard ,  dit-il ,  je  vous  proposerais  de  venir  avec 
moi  prendre  la  lettre  de  miss  Nevil...  Par  la  même  occasion,  vous 
pourriez  dire  à  M.  Barricini  ce  que  vous  venez  de  me  dire,  et  tout 
serait  fini. 

—  Jamais  Orso  délia  Rebbia  n'entrera  chez  un  Barricini ,  s'écria 
Colomba  avec  impétuosité. 

—  Mademoiselle  est  le  tintinajo  (1)  de  la  famille  à  ce  qu'il  paraît, 
dit  le  préfet  d'un  air  de  raillerie. 

—  Monsieur,  dit  Colomba  d'une  voix  ferme,  on  vous  trompe.Vous 
ne  connaissez  pas  l'avocat.  C'est  le  plus  rusé,  le  plus  fourbe  des  hom- 
mes. Je  vous  en  conjure,  ne  faites  pas  faire  à  Orso  une  action  qui  le 
couvrirait  de  honte. 

—  Colomba  !  s'écria  Orso,  la  passion  te  fait  déraisonner. 

(1)  On  appelle  ainsi  le  Mli^  porteur  4'une  $onii6li(Q  qui  coadttit  te  tro«peiAl  v  «t 
p^  métaphore  on  donne  Je  oérne  npm  au  ^emjke  4*UjQ^  ffio^ille  ^i  ^  çlftlge  (iatts 
toutes  les  affaires  importantes. 


COLOMBA.  68 

—  Orso!  Orso!  par  la  cassette  que  je  vous  ai  remise,  je  vous  en 
supplie,  écoutez-moi.  Entre  vous  et  les  Barricini  il  y  a  du  sang;  vous 
n'irez  pas  cliez  eux. 

—  Ma  sœur! 

—  Non ,  ûion  frère,  vous  n'irez  point,  ou  je  quitterai  cette  maison  » 
et  vous  ne  me  reverrez  plus...  Orso,  ayez  pitié  de  moi  I 

Et  elle  tomba  à  genoux. 

—  Je  suis  désolé,  dit  le  préfet ,  de  voir  mademoiselle  délia  Rebbia 
si  peu  raisonnable. Vous  la  convaincrez,  j'en  suis  sûr.  Il  entr'ouvrit  la 
porte  et  s'arrêta,  paraissant  attendre  qu'Orso  le  suivît. 

—  Je  ne  puis  la  quitter  maintenant,  dit  Orso...  Demain,  si... 

—  Je  pars  de  bonne  heure  dit  le  préfet. 

—  Au  moins,  mon  frère,  s'écria  Colomba  les  mains  jointes,  attendez 
jusqu'à  demain  matin.  Laissez-moi  revoir  les  papiers  de  mon  père... 
Vous  ne  pouvez  me  refuser  cela. 

—  Eh  bien  !  tu  les  verras  ce  soir,  mais  au  moins  tu  ne  me  tour- 
menteras plus  ensuite  avec  cette  haine  extravagante...  MiUe pardons, 
monsieur  le  {H-éfet...  Je  me  sens  moi-même  si  mal  à  mon  aise...  Il 
vaut  mieux  que  ce  soit  demain. 

—  La  nuit  porte  conseil,  dit  le  préfet  en  se  retirant,  j'espère  que 
demain  toutes  vos  irrésolutions  auront  cessé. 

—  Saveria ,  s'écria  Colomba ,  prends  la  lanterne  et  accompagne 
monsieur  le  préfet.  Il  te  remettra  une  lettre  pour  mon  frère. 

EUe  ajouta  quelques  mots  que  Saveria  seule  entendit. 

—  Colomba ,  dit  Orso  lorsque  le  préfet  fat  parti ,  tu  m'as  fait  bien 
de  la  peine.  Te  refuseras-tu  donc  toujours  à  l'évidence? 

— Vous  m'avez  donné  jusqu'à  demain ,  répondit-elle.  J'ai  bien  peu 
de  temps,  mais  j'espère  encore. 

Puis  elle  prit  un  trousseau  de  clés  et  courut  dans  une  chambre  de 
l'étage  supérieur.  Là  on  l'entendit  ouvrir  précipitamment  des  tiroirs 
et  fouiller  dans  un  secrétaire  où  le  colonel  délia  Rebbia  enfermait 
autrefois  ses  papiers  importans. 


XIV. 

Saveria  fut  long-temps  absente,  et  l'impatience  d'Orso  était  à  son 
combie  ioTBqif  eUe  repanit  enfin  tenant  mie  lettre,  et  suivie  de  la 
petite  Chilh^a  qui  ^frottait  les  yeux,  car  elle  avait  été  réveillée  de  son 
premier  somme. 


70  REVUE  D^S  MUX  MONDES. 

•^  Enfant,  dit  Orso,  que  vienMu  faire  ici  à  cette  beiirQ? 

—  llademoiaelle  me  demande,  répondit  CbjUna«. 

**-  Que  diable  lui  veut-elle?  pensa  Orso,  mais  il  ae  bAta  de  déca<v 
cheter  la  lettre  de  miss  Lydia,  et  pendant  qu'il  lisait,  ChiUna  montait 
auprès  de  sa  sœur. 

<K  Mon  père  a  été  un  peu  malade,  monsieur,  disait  miss  NevU,  et 
il  est  d'ailleurs  si  paresseux  pour  écrire ,  que  je  suis  (ddiféa  de  lui 
secvir.  de  secrétaire.  L'autre  jour,  vous  savez  qu'U  s'est  mouiUé  le» 
pieds  sur  le  bord  de  la  mer,  au  lieu  d'admirer  le  paysage  avec  nous» 
et  il  n'en  faut  pas  davantage  pour  donner  la  fièvre ,  dans  votre  cbar^ 
mante  tie.  Je  vois  d'ici  la  mine  que  vous  faites;  vous  cbercheE  sana 
doute  votre  stylet,  mais  j'espère  que  vous  n'en  avez  plus.  Donc, 
mon  père  a  eu  un  peu  de  fièvre ,  et  moi  beaucoup  de  frayeur  ;  le  pré- 
fet, que  je  persiste  à  trouver  très  aimable,  nous  a  donné  un  médecin 
fort  aimable  aussi,  qui,  en  deux  jours,  nous  a  tirés  de  peine;  l'accèt 
n'a  pas  reparu ,  et  mon  père  veut  retourner  à  la  chasse ,  mais  je  la  lui 
défends  encore.  —  Comment  avei-vous  trouvé  votre  chftteau  des 
montagnes?  Votre  tour  du  nord  est-elle  toujours  à  la  même  place?  Y 
a-4-il  bien  des  fantômes?  Je  vous  demande  tout  cela,  parce  que  mon 
père  se  souvient  que  vous  lui  avez  promis  daims,  sangliers,  mou* 
fions...  Est-ce  bien  là  le  nom  de  cette  béte  ctrange?  £o  allant  noua 
embarquer  à  Bastia,  nous  comptons  vous  demander  l'hospitalité  ,.^t 
j'espère  que  le  château  délia  Hebbia,  que  vous  dites  si  vieux  et  si 
délabré ,  ne  s'écroulera  pas  sur  nos  tètes.  Quoique  le  préfet  soît  si 
aimable,  qu'avec  lui  on  ne  manque  jamais  de  suget  de  conversation 
(by  the  hye/]e  me  flatte  de  lui  avoir  tait  tourner  la  tête),  nous  avons 
parlé  de  votre  seigneurie.  Les  gens  de  loi  de  Bastia  lui  ont  envoyé 
certaines  révélations  d'un  coquin  qu'ils  tiennent  sous  les  verroux,  et 
({oi  sont  de  nature  à  détruire  vos  derniers  soupçons;  votre  inimiUé, 
qui  parfois  m'inquiétait,  doit  cesser  dè&-lors.  Vous  n'avez  pas  d'idée 
comme  cela  m'a  fait  plaisir.  Quand  vous  êtes  parti  avec  la  belle  v»- 
ceratrice,  votre  fusil  à  la  main,  et  le  re^gard  sombre,  vous  m'avez 
paru  plus  Corse  qu'à  l'ordinaire... ,  trop  Corse  même.  Basta!  je  vous 
en  écris  si  long,  parce  que  je  m'ennuie.  Le  préfet  va  partir,  hélas! 
nous  vous  enverrons  un  messager,  lorsque  nous  nous  mettrons  en 
route  pour  vos  montagnes ,  et  je  prendrai  la  liberté  d'écrire  à  M"*  Co- 
lomba, pour  lui  demander  nn  bruccio^  ma  solenne.  £o  attendant,, 
dites-lui  mille  tendresse».  Je  fais  gvand  ivage  de  seo  stvlet^  j'en 
coupe  les  fettiUets  d'un  nman  que  j'ai  apporté;  mm  ce  &r  teiriUi 
s'indigne  de  cet  usage,  et  me  déchve  mon  livre  d'une  bçûiipit&faUe* 


COUMilu  W 

fatf,  ït  est  homme  de  bon^eoMeH,  ^  se  ditoiwii^de  nrotite,  je  or^, 
àiMMise  (te  voQftç  }t!vapeserim|)pr«miAre*pien«à'Gwto;j»mHnÉagiBe^ 
queeedditéHre'Uiie^oérémMDfo^bieaâmpoMnte,  et  je  legcelte  Ivtde  ofy 
pag  assister.  UnmoBeleiir  en  habit  brodô ,  bas  de  mie-,  éobarpe  UatdiOi 
tefumt  une  toneite!...  et  uo-dheew»;  1»  eéiémoiiiô  sa  temàmsm ppr 
le»  tftê  iMHe  fois  répété»  (te  vif  e  le  roi  !  — *  ¥eas  al^s  Aire  biep  M 
cfe  m^avolr  fhi^remj^'tee  quatre^page»,  mate  je  m'ennuie,  monfiieai; 
je  veiB  te  répète,  el,  par  cette  raison,  je  vons  penneto^  de  m^i^»4iiQ 
trèslongoemefirt.  A  propos,  je  trouree%ti:aonHMirequewuaBem?afea 
pas  encore  mandé  votre  heureuse  arrivée  dans  FietraneBaCasHe^ 

Lydia, 

a  R  S:  Je  vous  demande  d'écouter  le  préfet,  etde^fMr^ee  qu'il  vous, 
dira.  Nous  avons^arrété  ensemble  cpie  vous  deviez  en  agk>  akmi,  el 
cela  me  fera  plafeir.  » 

Orso  lut  trois  ou  quatre  fois  cette  lettre,  accompagnant  chaque^ 
lecture  de  commentaires  sans  nombre;  puis  il  y  8t  une  longue  réponse, 
qu^il  chargea  Saveria  de  porter  à  un  honune  du  viHage,  qui  parlait  Ia< 
nuit  même  pour  Ajaccio.  Déjà  il  ne  pensait  guère  à  discuter  avec  sa 
soeur  les  griefs  vrais  ou  feux  des  Barricioi  ;  la  lettre  de  miss  LycKa  hii 
faisait  tout  voir  en  couleur  de  rose;  il  n'avait  phis  ni  soupç(m  ni  haine. 
Après  avoir  attenchi  quelque  temps,  que  sa  sœur  redescende,  et  ne 
la  voyant  pas  reparaître ,  il  alla  se  coucher,  le  cœur  plus  léger  qrfil  ne 
se  Tétait  senti  depuis  long-temps.  Cfailina  ayant  été  congédiée  avec 
des  instructions  secrètes ,  Colomba  passa  la  phis  grande  partie  de  la 
nuit  â  lire  de  vieilles  paperasses.  Un  peu  avant  le  jour,  quelques  petits 
cailloux  forent  lancés  contre  sa  fenêtre;  à  ce  signal ,  elle  descendit  au 
jardin ,  ouvrit  une  porte  dérobée ,  et  introduisit  dans  sa  maison  deux 
hommes  de  fort  n^auvaise  mine;  son  premier  soin  fot  de  les  mener 
i  là  cuiMné  et  de  leur  donner  à  majiger.  Ce  q|f  étaient  ces  hommes, 
on  le  saur^  tout  à  l'heure. 


XV. 

Le  matin,  vers  six  heures,  un  domestique  du  préfet  frappait  è  la 
hmîsod  d^Oi^^  Reçu  par  Cotanba,  il  lui  ^tf^e le  poéfel  attut  partir, 
et  qu'il  attencbit  son  fr^e.  CoionriMi  lépoodit  saos  hésiter  que 


V    \ 


1^  REVUE  DBS  hWn  JIONDBS. 

^èKQ  YiQoaH  de  tomber  dans  Teacalier,  et  de  sic  foirer  le  pii^;  im'é,tant 
hor^ d'état  de  faire  un  pas,  il  suppliait  M.  le  pri^ejt  d^tl'iç^icuj^^,  et 
serait  tcès  reconnaissant  s'il  daignait  prendre  la  peine  de  passer  chez, 
lui.  Peu  après  ce  message ,  Orso  descendit  et  demanda  à  sa  sœur  si  le 
préfet  ne  l'avait  pas  envoyé  chercher.  —  Il  vous  prie  de  l'attendre  ici,. 
répondit-«lle  avec  la  plus  grande  assurance.  Une  denH-heure  s'écoula 
sans  qu'on  aperçût  le  moindre  mouvement  du  cOté  de  la  maison  des 
Barricini;  cependant  Orso  demandait  à  Colomba  si  elle  avait  dût 
quelque  découverte;  elle  répondait  qu'elle  s'expliquerait  devant  le 
préfet.  Elle  affectait  un  grand  calme ,  mais  son  teint  et  sps  yeux  annon- 
çaient une  agitation  fébrile. 

Enfin ,  on  vit  s'ouvrir  la  porte  de  la  maison  Barricini;  le  préfet,  en 
habit  de  voyage ,  sortit  le  premier  suivi  du  maire  et  de  ses  deux  fils. 
Quelle  i^  la.  stupéfaction  des  habitans  de  Pietranera*  aux  aguets 
depuis  1|3  Içyerdu  spleil,  pour  assister  au  départ  du  premier  magistrat 
du  département,  lorsqu'ils  le  virent,  accompagné  des  trois  Barricini, 
traverser  la  place  en  droite  ligne,  et  entrer  dans  la  maison  délia 
Rebbia.  —  Ils  font  la  paix  I  s'écrièrent  les  politiques  du  village. 

—  Je  vous  1q  (Usais  bien,  ajouta  un  vieillard.  Ors'  Anton'  a  trop 
vécu  sur  le  continent  pour  faire  les  choses  comme  un  homme  de 
cœur. 

—  Pourtant ,  répondit  un  rebbianiste ,  remarquez  que  ce  sont  les 
Barricini  qui  viennent  le  trouver.  Ils  demandent  grâce.  . 

—  C'est  le  préfet  qui  les  a  tous  embobelinés,  répliqua  le  vieillard; 
on  n'a  plus  de  courage  aujourd'hui ,  et  les  jeunes  gens  se  sçucjent 
du  sang  de  leur  père  comme  s'ils  étaient  tous  des  bâtards. 

Le  préfet  ne  fut  pas  médiocrement  surpris  de  trouver  Orso  debout 
et  marchant  sans  peine.  En  deux  mots  Colomba  s'accusa  de  son  men- 
songe et  lui  en  demanda  pardon  :  —  Si  vous  aviez  demeuré  ailleurs  » 
monsieur  le  préfet,  dit-elle,  mon  frère  serait  allé  dès  hier  vous  pré- 
senter ses  respects. 

Orso  ^e  confondait  en  excuses ,  protestant  qu'il  n'était  pour  rien 
dans  cette  ruse  ridicule,  dont  il  était  profondément  mortifié.  Le 
préfet  et  le  yieux  Barricini  parurent  croire  à  la  sincérité  de  ses  re- 
grets, justifiés  d'ailleurs  par  s^  confusion  et  les  reproches  qu'il  adres- 
sait à  sa  sœur  ;, mais,  le4  fils  du  maire  ne  parurent  pas  satisfaits  :  — 
On  se  moque  de  nous ,  dit  Orlanduccio ,  assez  haut  pour  être  en- 
tendu. 

—  Si  ma  sœur  me  jquaît  à,e  ces  tqnrs^  ,^it  Vii^çentellcj ,  je  lui 
ôterais  bi^n  vite  l'envie  de  i^omnfçnqçjÇt,,,  .       . 


*}ti 


'      CÔLdMBA.  73 

Ces  paroles,  ef  lé  tbn  dont  elles  furent  prononcées,  dépiurerttâ 
Orso  et  luî' firent  perdrt  tin  peu  de  sa  bonne  Tolonté.  Il  écbangeti 
avec  les  jeunes  Barricini  des  regards  où  ne  se  peignait  nnlle  bieîdt- 
veillance. 

Cependant  tont  le  monde  étant  assis ,  à  Texception  de  Colomba, 
qui  se  tenait  debout  près  de  la  porte  de  la  cuisine ,  le  préfet  prit 
la  parole,  et  après  quelques  lieux  communs  sur  les  préjugés  du  pays, 
rappela  que  la  plupart  des  inimitiés  les  plus  invétérées  n'avaient 
pour  cause  qne  des  malentendus.  Puis,  s'adressant  au  maire,  il  lui  dit 
que  M.  délia  Rebbia  n'avait  jamais  cru  que  la  famille  Barricini  eût 
pris  une  part  directe  ou  indirecte  dans  Tévènement  déplorable  qui 
l'avait  privé  de  son  père;  qu'à  la  vérité  il  avait  conservé  quelques 
doutes  relatifs  à  une  particularité  du  procès  qui  avait  existé  entre  les 
deux  familles,  que  ce  doute  s'excusait  par  la  longue  absence  de 
M.  Orso ,  et  la  nature  des  renseignemens  qu'il  aVait  reçus;  (|u^éclairé 
maintenant  par  des  révélations  récentes ,  il  se  tenait  pour  complète- 
ment satisfait,  et  désirait  établir  avec  M.  Barricini  et  sa  famille  des 
relations  d*amitié  et  de  bon  voisinage. 

Orso  s'inclina  d'un  air  contraint;  M.  Barricini  balbutia  quelques 
mots  que  personne  n'entendit;  ses  fils  regardèrent  les  poutres  du 
plafond.  Le  préfet,  continuant  sa  harangue,  allait  adresser  à  Orso  la 
contre-partie  de  ce  qu'il  venait  de  débiter  à  M.  Barricini ,  lorsque 
Colomba,  tirant  de  dessous  son  fichu  quelques  papiers,  s'avança  gra- 
vement entre  les  parties  contractantes  : 

--  Ce  sera  avec  un  bien  vif  plaisir,  dit -elle,  que  je  verrai  finir  la 
guerre  entre  nos  deux  familles  ;  mais  pour  que  la  réconciliation  soit 
sincère ,  il  faut  s'expliquer  et  ne  rien  laisser  dans  le  doute.  —  Mon- 
sieur le  préfet ,  la  déclaration  de  Tomaso  Blanchi  m'était  à  bon  droit 
suspecte ,  venant  d'un  homme  aussi  mal  famé.  — J'ai  dit  que  vos  fils 
peut-être  avaient  vu  cet  homme  dans  la  prison  de  Bastia 

—  Cela  est  faux ,  interrompit  Orlanduccio ,  je  ne  l'ai  point  vu. 
Colomba  lui  jeta  un  regard  de  mépris  et  poursuivit  avec  beaucoup 

de  calme  en  apparence. 

— Vous  avez  expliqué  l'intérêt  que  pouvait  avoir  Tomaso  à  me- 
nacer M.  Barricini  au  nom  d'un  bandit  redoutable ,  par  le  désir  qu'il 
avait  de  conserver  à  son  frère  Théodore  le  moulin  que  mon  père  lui 
louait  à  bas  prix. 

—  Cela  est  évident ,  dit  le  préfet. 

-^  lie  la  part  d'un  tniséfàtde  comme  paraît  être  ce  Blanchi,  tout 
s'explique,  dit  Orso ,  trompé  par  l'air  de  modération  de  sa  sœur. 


n  REVUE  BttB  MWK  MONDES. 

<*fifiiiàih«'iiètt*P8foite,  cmMom  QoImImi,  #»&  ta  jmÊyeoaamn- 
tètMi  è  brillôl-  id'M  éelat  ploi  ?  if ,  eat  datée  4ml  U  jidltet  VcoMm 
«dMt'akM  '.chez  mu  ttère^^  m  immàm. 

—  Oui,  dit  le  maire  un  peu  inquiet. 

^Hiûtl  fcilétfAt  wflA  4one  TodiaBO  Kftaehft?  ^éoria  Caloiite^'mi 
Ixm  dettriiafli4>he.  liie  bail  dé  son  frère  était  eipiré;mon  père  loi  awt 
d0Mé  Jfmegè  le  l^'tJHHet.  Voîdle  registre  démon  tpère^  la  miimte 
Ai^cengé ,  4à  lettre  d'aiki  hetntte  d'aifeires  d'AjttGQÎQ  qui  b<»is  pro^ 
Pèéàk  tm  neeveau  «eanier. 

fSii  partant  ainsi ,  eHe  Tsmit  au  préfet  les  ,pif  ieia  qu^elle  tenait  ^è  4a 
fmaiti. 

il  Y  eut  «n«HMn0nt'd!ât(Mii6ai6fit  général.  Le  nMôre  pèUt  visible^ 
aitoHt;  '@M^  -fronçanl  le  aouroil ,  s'avança  pew  prendre  connaissanae 
"des^pMs  que  4e  préfet  iisèk  avec  beaueoup  d'attention. 

"^Oniseneqae  de  HiM»!  s'écria  de  nouveau  Orianduocio  en  ae  h- 
«lift  avise «elèrew  AHMs-fUcms^'en,  mon  père,  nous  n'aurions  jamais 
dA  venir  ttcil 

Un  instant  suffit  a  M.  Barriaini  pour  reprendre  son  sang-*froîd.  Il 
'denianda'è  ^^miiMr  les  papiers;  le  préfet  les  lui  remit  sans  dire  un 
riiot.  idors^^^ralevant  ses  lunettes  vertes  sur  son  front,  il  les  parcourut 
d'«nfair  asaez  hMMJfféieni,  ipendaat  que  Colomba  l'observait  avec  les 
>j)e«K  d'iliè  tignisse  qài  voit  un  daim  s'sq[>procher  de  la  taniàre  de 

—  Mais ,  dit  M.  Barricini ,  ifabaissant  ses  lunettes  et  rendant  les 
f>a|iîârsaHtpréfot,  oonnalssaMt  la  bonté  de  feu  M.  le  colonel*..  Tooiaso 
•a»peas6...  îl  a dA  jflenaer;^..  tpie  M.  le  ootonel  reviendrait  sur  sa  réso- 
-koMén-de  M  floAneroongév..  Be  fait,  il  est  resté  en  possession  du 
hHdutia,  dottc... 

•^C'est  moi,  dlt4k)lômba  d'un  ton  de  mépris,  qui  le  lui  ai  conservé. 
Mon  père  é(trit:m«K,'et>â«ns>nM  position  je  devais  ménager  les  oliens 
de  ma  ibmiHe. 

^  Pourtant,  dit  4e  {préfet,  ee  Tomaso  reconnaît  qu'il  a  écrit  la 
lettre...  cela  est  clair. 

'«--Ge'qtH'est^oMripcNirmd,  inlerronqrft  Orso>  c'est  qu'il  y  a  de 
@randes4nAmies  etfdkées  ^dans  toute  eette  affoire. 

•^  i'ai  encore  é  ^eontr^dire  une  assertion  de  ces  messieurs,  dit 

Colomba.  —  Elle  ouvrit  la  porte  de  la  cuisine,  et  aussitôt  entrèrent 

dans  la  salle  Brandolaccio,  le  licendéen  théologie  et  le  chien  Bru^co. 

^Le^  dbt»  bitidfts  étMfent  sans  armes,  ou  n^ns  apparentes;  ilsiavaient 

la  cafftoaohèits  à  4a  ecSntare,  mais  point  le  jMstolet  ^i  en  foitle  com- 


COLÛMBÀ.  a 

(Mment  oMigé.  Eb  mtnut  dans  la  salle,  ib  dtèrent  reapectpenae- 
ment  leurs  bonnets. 

On  peut  concevoir  TefTet  que  produisit  leur  subite  apparUbo,  Lb 
maire  pensa  tomber  à  la  renverse;  sqs  Bis  se  jetèrent  braveDuent  da- 
tant hd ,  la  main  dans  la  poche  de  leur  habit ,  cherchant  leur  stylet. 
Le  préret  fit  un  mouvement  vers  la  porte,  tandis  qu'Orso,  saisissant 
Brandobccio  au  collet,  lui  cria  :  Que  viens-tu  Taire  ici,  misérable? 

—  C'est  un  gnet-«pens!  s'écria  le  maire  essayant  d'ouvrir  la  porte; 
mais  Saveria  l'avait  fermée  en  dehors  à  double  tour,  d'après  Tordre 
des  bandits,  comme  on  le  sut  ensuite. 

—  Bonnes  gensi  dit  Brandolaccio,  n'ayez  pas  peur  de  moi;  je  ne 
suis  pas  si  diable  que  je  suis  noir.  Nous  n'avons  nulle  mauvafee  inten- 
tion. Monsieur  le  préfet,  je  suis  bien  vôtre  serviteur.  —  Mon  lieute- 
nant, de  la  douceur,  vous  m'étranglez.  —  Nous  venons  ici  eonune 
témoins.  Allons,  parle,  toi ,  curé,  tu  as  la  langue  bien  pendue. 

—  Monsieur  le  préfet,  dit  le  licencié,  je  n'ai  pas  Thonneur d'être 
connu  de  vous.  Je  m'appelle  Giocanto  Castriconi ,  plus  connu  sous  le 
nom  du  curé...  Âh  I  vous  me  remettez?  Mademoiselle,  que  je  n'avais 
pas  l'avantage  de  connaître  non  plus,  m'a  fait  prier  de  lui  donner  des 
renseignemens  sur  un  nommé  Tomaso  Blanchi,  avec  lequel  j'étais 
détenu,  il  y  a  trois  semaines,  dans  les  prisons  de  Bastia.  Voici  ce  que 
j'ai  à  vous  dire 

—  Ne  prenez  point  cette  peine,  dit  le  préfet;  je  n'ai  rien  à  entendre 
d'un  honune  comme  vous...  Monsieur  délia  Rebbia,  j'aime  à  croire 
encore  que  vous  n'êtes  pour  rien  dans  cet  odieux  complot.  Mais  êtea- 
Tous  maître  chez  vous?  Faites  ouvrir  cette  porte.  Votre  sœur  aura 
peut-être  à  rendre  compte  des  étranges  relations  qu'elle  entretient 
avec  des  bandits. 

—  Monsieur  le  préfet ,  s'écria  Colomba ,  daignez  entendre  ce  que  va 
dire  cet  homme.  Vous  êtes  ici  pour  rendre  justice  à  tous,  et  votro 
devoir  est  de  rechercher  la  vérité.  Parlez,  Giocanto  Castriconi. 

—  Ne  l'écoutez  pasi  s'écrièrent  en  chœur  les  trois  Barricini. 

—  Si  tout  le  monde  parle  à  la  fois,  dit  le  bandit  en  souriant,  ce 
n'est  pas  le  moyen  de  s'entendre.  Dans  la  prison  donc«  j'avais  pour 
compagnon ,  non  pour  ami ,  ce  Tomaso  en  question.  Il  recevait  de 
fréquentes  visites  de  M.  Orlanduccio... 

—  C'est  feuï ,  s*écrièrent  à  la  fois  les  deux  frères. 

—  Deux  négations  valent  une  affirmation ,  observa  froidement  Cas- 
triconi. Tomaso  avait  de  l'argent;  il  mangeait  et  buvait  du  meilleur. 
i*ai  toujours  aimé  la  bonne  chère  (  c'est  là  mon  moindre  défaut),  et» 


76  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

malgré  ma  répugnance  à  frayer  avec  ce  drAle,  je  me  laissai  aller  à  dîner 
plusieurs  fois  avec  lui.  Par  reconnaissance,  je  lui  proposai  de  s'évader 
avec  moi...  Une  petite...  pour  qui  j'avais  eu  des  bontés,  m'en  avait 
fourni  les  moyens...  Je  ne  veux  compromettre  personne.  Tomaso 
refasa ,  me  dit  qu'il  était  sûr  de  son  affaire,  que  l'avocat  Barricini 
l'avait  recommandé  à  tous  les  juges,  qu'il  sortirait  de  là  blanc  conune 
neige  et  avec  de  l'argent  dans  la  poche.  Quant  à  moi,  je  crus  devoir 
prendre  l'air.  Dixi. 

—  Tout  ce  que  dit  cet  homme  est  un  tas  de  mensonges,  répéta 
résolument  Orlanduccio.  Si  nous  étions  en  rase  campagne,  chacun 
avec  notre  fusil,  il  ne  parlerait  pas  de  la  sorte. 

—  En  voilà  une  de  bêtise!  s'écria  Brandolaccio.  Ne  vous  brouillez 
pas  avec  le  curé,  Orlanduccio. 

—  Me  laisserez-vous  sortir  enfln ,  monsieur  délia  Rebbiaî  dit  le 
préfet  frappant  du  pied  d'impatience. 

—  Saveria!  Saveria!  criait  Orso;  ouvrez  la  porte,  de  par  le  diable! 

—  Un  instant,  dît  Brandolaccio.  Nous  avons  d'abord  à  filer,  nous, 
de  notre  côté.  Monsieur  le  préfet,  il  est  d'usage,  quand  on  se  ren- 
contre chez  des  anus  communs,  de  se  donner  une  demi-heure  de  trêve 
en  se  quittant, 

Le  préfet  lui  lança  un  regard  de  mépris. 

—  Serviteur  à  toute  la  compagnie,  dit  Brandolaccio.  Puis  étendant 
le  bras  horizontalement  :  Allons,  Brusco,  dit-il  à  son  chien,  saute 
pour  M.  le  préfet. 

Le  chien  sauta,  les  bandits  reprirent  à  la  hâte  leurs  armes  dans  la 
cuisine,  s'enfuirent  par  le  jardin ,  et  à  un  coup  de  sifHet  aigu  la  porte 
de  la  salle  s'ouvrit  comme  par  enchantement. 

—  Monsieur  Barricini ,  dit  Orso  avec  une  fureur  concentrée,  je  vous 
tiens  pour  un  faussaire.  Dès  aujourd'hui  j'enverrai  ma  plainte  contre 
vous  au  procureur  du  roi ,  pour  faux  et  pour  complicité  avec  Blanchi. 
Peut-être  aurai-je  encore  une  plainte  plus  terrible  à  porter  contre 
vous. 

—  Et  moi,  monsieur  délia  Rebbia,  dit  le  maire,  je  porterai  ma 
plainte  contre  vous,  pour  guet-apens  et  pour  complicité  avec  des 
bandits.  En  attendant,  M.  le  préfet  vous  recommandera  à  la  gendar- 
merie. 

—  Le  préfet  fera  son  devoir,  dit  celui-ci  d'un  ton  sévère.  Il  veillera 
à  ce  que  l'ordre  ne  soit  pas  troublé  à  Pietranera  ;  il  prendra  soin  que 
justice  soit  faite.  Je  parle  à  vous  tous,  messieurs! 

Le  maire  et  VîncenteUo  étaient  déjà  hors  de  la  salle,  et  Orlanduccio 


COLOMBA.  77 


les  suivait  à  reculons,,  lorsque  Orso  lui  dit  à  voix  basse  :  —  Votre  père 
est  un  vieillard  que  j'écraserais  d'un  soufflet.  C'est  à  vous  que  j'en 
destine,  à  vous  et  à  votre  frère. 

Pour  réponse,  Orlanduccio  tira  son  stylet  et  se  jeta  sur  Orso  comaie 
un  furieux  ;  mais ,  avant  qu'il  pût  faire  usage  de  son  arme,  Colomba 
lui  saisit  le  bras  qu'elle  tordit  avec  force  pendant  qu'Orso,  le  frappant 
du  poing  au  visage,  le  fit  reculer  quelques  pas  et  heurter  rudement 
contre  le  chambranle  de  la  porte.  Le  stylet  échappa  de  la  main  d'Or- 
landuccio,  mais  Vincentello  avait  le  sien  et  rentrait  dans  la  chambre, 
lorsque  Colomba,  sautant  sur  un  fusil ,  lui  prouva  que  la  partie  n'était 
pas  égale.  En  même  temps  le  préfet  se  jeta  entre  les  combattans.  -^ 
A  bientôt.  Ors'  Anton'!  cria  Orlanduccio.  Et  tbant  violemmentr 
la  porte  de  la  salle,  il  la  ferma  à  clé  pour  se  donner  le  temps  de  faire 
retraite. 

Orso  et  le  préfet  demeurèrent  un  quart  d'heure  sans  parler,  c^iacun 
à  un  bout  de  la  salle.  Colomba,  l'orgiieil  du  triomphe  sur  le  front, 
les  considérait  tour  à  tour,  appuyée  sur  le  fusil  qui  avait  décidé  la 
victoire. 

—  Quel  pays  I  quel  pays  !  s'écria  enfin  le  préfet  en  se  levant  impé- 
tueusement. Monsieur  délia  Rebbia,  vous  avez  eu  tort.  Je  vous  de- 
mande votre  parole  d'honneur  de  vous  abstenir  de  toute  violence,  et- 
d'attendre  que  la  justice  décide  dans  cette  maudite  affaire. 

—  Oui,  monsieur  le  préfet,  j'ai  eu  tort  de  frapper  ce  misérable; 
mais  enfin  je  l'ai  frappé,  et  je  ne  puis  lui  refuser  la  satisfaction  qu'il 
m'a  demandée. 

—  Eh!  non,  il  ne  veut  pas  se  battre  avec  vous!...  Maïs  s'il  voua 
assassine...  vous  avez  bien  fait  tout  ce  qu'il  fallait  pour  cela. 

—  Nous  nous  garderons,  dit  Colomba. 

—  Orlanduccio,  dit  Orso,  me  parait  un  garçon  de  courage,  et  j'au- 
gure mieux  de  lui,  monsieur  le  préfet.  Il  a  été  prompt  à  tirer  son 
stylet,  mais  à  sa  place  j'en  aurais  peut^tre  agi  de  même,  et  je  suis 
heureux  que  ma  sœur  n'ait  pas  un  poignet  de  petite  maîtresse. 

—  Vous  ne  vous  battrez  pas  !  s'écria  le  préfet;  je  vous  le  défends  ! 

—  Permettez-moi  de  vous  dire ,  monsieur,  qu'en  matière  d'hon- 
neur je  ne  reconnais  d'autre  autorité  que  celle  de  ma  conscience. 

—  Je  vous  dis  que  vpus  ne  vous  battrez  pas. 

—  Vous  pouvez  me  faife  arrêter,  monsieur...  c'est-ànlire  si  je  me 
laisse  prendre.  Mais,  ^  cela  arrivait,  vous  ne  feriez  que  différer  une 
affaire  mpiatenant  inévitable.  Voqs  êtes  homme  d'honneur,  mon- 
sieur le  préfet,  et  vous  savez  bien  qu'il  n'en  peut  être  autrement. 


Itl  REVUE  DBS  OSCrX  MONDES. 

•^  Si  VOUS  faisiez  arrêter  Mon  frère,  Ajouta  Goloirifca,  la  moitlS  èa 
vtBage  preodmit  son  paiti ,  et  nons  verrtoBs  une  MRe  fbsififtde. 

—  Je  vous  préviens,  monsieur,  dit  Oém,  et  je  tous  sttppfie  de  ne 
pas  croiœ  que  je  fais  tine  bravade;  je  vous  préviens  que  si  M.  Barrfctni 
alHise  de  son  antorHé  de  make  pow  nie  feire  arrêter,  je  me  défendrai. 

-*-  Dès  aujmrd'lMi^  dtt  le  pràfet,  H.  Bftiridnf  est  suspendu  de  ises 
foiKtions...  il  m  justifiera,  je  Tespère...  Tener ,  monsieur,  totts  in*in* 
téressez.  Ce  que  je  vow  demande  est  bien  peu  de  diose  :  rester  diet 
vous  trancpatte  jusqu*è  mon  retour  de  Corte;  je  ne  serai  que  trots 
jours  absent;  je  reviendrai  avec  le  procurenr  dtt  roi,  et  nous  dé-*- 
brouillerons  alors  comptètement  cette  triste  affaire.  Me  promette^- 
vous  de  vous  abstenir  jusque^  de  toute  hostilité? 

—  Je  ne  puis  le  promettre,  raonsteiir,  si,  comme  je  le  pettise, 
Orlanduccio  me  demande  une  rencontre. 

—  Comment  1  monaeur  délia  Rebbia,  vous,  militaire  français,  vous 
Toulez  vous  battre  avec  un  homme  que  vous  soupçonnez  d*un  faux? 

—  Je  Tai  frappé,  monsieur. 

—  Mais  si  vous  aviez  frappé  votre  domestique,  et  qu'il  vous  en  de- 
mandât raison,  vous  vous  battriez  donc  avec  lui?  Allons,  monsieur 
(ksol  Eh  bieni  je  vous  demande  encore  moins  :  ne  cherchez  pas 
Orlanduccio...  je  vous  permets  de  vous  bi^re  s'il  vous  demande  un 
rendez-vous. 

—  Il  m'en  demandera,  je  n'en  doute  point;  mais  je  vous  promets 
de  ne  pas  lui  donner  d'autres  soufQets  pour  l'engager  à  se  battre. 

—  Quel  pays!  répétait  le  préfet  en  se  promenant  à  grands  pas; 
quand  donc  reviendrai-je  en  France? 

— Monsieur  ie  préfet,  dit  Colomba  de  sa  voix  la  plus  douce,  il  se 
fait  tard;  nous  feriez-vous  l'honneur  de  déjeuner  ici? 

Le  préfet  ne  put  s'empêcher  de  rire  :  —  Je  suis  demeuré  déjà  trop 
long-^emps  id...  «la  ressemble  à  de  la  partialité...  Et  cette  maudite 
pierre...  Il  faut  que  je  parle...  Mademoiselle  detia  Rebbia...  que  de 
malheurs  vous  avez  préparés  peut-être  aujourd'hui  I 

—  Au  moinst  monsieur  le  préfet,  vous  rendrez  à  ma  sceur  la  jus- 
tice de  croire  que  ses  convictions  sont  profondes,  et,  j'en  suis  sûr, 
vous  les  croyez  vous-même  Irien  établies. 

—  Adieu,  monsieur,  dit  le  préfi^  en  lui  faisant  un  signe  de  la 
main.  Je  vous  préviens  que  je  vais  donner  l'ordre  au  brigadier  de 
gendarmerie  de  suivre  toutes  vos  démarches. 

Lorsque  le  préfet  fut  sorti  :«^  Ovso,  dit  Colomba,  vous  n'êtes  point 
ici  sur  le  continent.  Orlanduccio  n'entend  rien  à  vos  duels,  et  d'cH^ 


leurs  ce  n'est  pas  de  la  mort  d'un  brave  que  ce  misérable  doit  mourir. 

—  Colomba,  ma  bonne,  tu  es  la. femme  forte.  Je  t'ai  de  grandes 
obligations  pour  m'avoir  sauvé  un  bon  coup  de  couteau.  Donne-moi 
ta  petite  main  gue  je  la  Imise;  mais,  vois-tu,  laisse-moi  Caire.  H  y  a 
oertaiAes  choses  que  tu  n'entends  fàs,  Donne-^moi  a  déjeuner,  et, 
aussitôt  que  le  préfet  se  s^a  mis  en  route ,  fais-moi  vanir  la  petite 
Chilina,  qui  parait  s'acquitter  à  merveille  des  commissions  qu'on  lui 
doonie.  J'aurai  besoin  d'elle  pour  porter  une  lettre. 

Pendant  que  Colomba  surveillait  les  apprêts  dv  déjeuner,  Orso 
monta  dans  sa  chambre,  et  écrivit  le  billet  suivant  : 

€  Tous  devfti  être  pressé  de  me  rencontrer;  je  ne  le  suis  pas  moins. 
Demain  matin,  nous  pourrons  nous  trouver  à  six  heures  dans  la  vallée 
d'Acquaviva.  le  suis  très  adnnt  au  pistolet  et  je  ne  vous  propose  pas 
cette  arme.  On  dit  que  vous  tirez  bien  le  fusH  :  prenons  chacun  un 
fusil  Â  deux  coups.  Je  viendrai  accompagné  d'un  homme  de  ce  village. 
Si  votre  frère  veut  vous  accompagner,  prenez  un  second  témoin  et 
prévenez-moi.  Dans  ce  cas  seulement,  j^aurai  deux  témoins. 

m  OaSO-ANTONiO  SfiLLA  Rbbbu.  p 

Le  préfet ,  après  fttre  resté  une  heure  chez  l'adjoint  du  maire,  après 
être  entré  pour  quelques  mmutes  chez  les  Barricini,  partit  pour 
Coite ,  escorté  d'un  seul  gendarme.  Dn  quart  d'heure  après ,  Chilina 
porta  la  lettre  qu'on  vient  de  lire,  et  la  remit  &  Orianducdo  en  pro- 
pres plains. 

La  répease  se  fit  Attendre  et  ne  vint  que  dans  la  soirée.  Elle  était 
signée  de  M.  Barricini  père,  et  il  annonçait  à  Orso  qu'il  déférait  au 
procureur  du  roi  la  lettre  de  menaces  adressée  à  son  fils.  — Fort  de  ma 
conscience,  ajoutai t-^1  en  temunant,  j'attends  que  la  justice  ait  pro- 
noncé survos  caionmies.  , 

Cependant  cinq  ou  six  bergers  mandés  par  Colomba  arrivèrent  pour 
gamisomier  la  tom*  des  detta  Rebbia.  Malgré  les  protestations  d'Orso, 
on  pratiqua  des  arcAere  aux  fenêtres  donnant  sur  la  place,  et  toute  la 
soirée  il  reçtftiles  offres  de  service  de  ^fifférentes  personnes  du  bourg. 
Une  leMfe  arritamème  dn  théologien  baildlt,  qui  promettait ,  en  son 
nom  et  en  celui  de  ^randdacdo,  dlntervenfr  Si  le  maire  se  faisait 
aaflislei<le  la  gendarmerie.  Il  finissait  par  ce poêt-scriptum  :  «  Oserai-je 
vous  demander  ce  que  pense  monsieur  le  préfet  de  l'excellente  édu- 
eation  que  men'ami  donne  an  chien  Bmsco?  Après  €hflina ,  je  ne  con- 
nais pas  d'élève  plos  doeBe  et  tpà  tnonAre  de  plus  heureuses  dispo- 
sitions. » 


^  REVUE  PBftjDBUK  «ONDES. 


'     ni 


XVI. 

Le  lendemain  se  passa  sans  hostiUtés.  De  part  et  d*autre  on  se 
tenait  sur  la  défensive.  Orso  ne  sortit  pas  de  sa  maison ,  et  la  porte 
des  Barricini  resta  constamment  fermée.  On  voyait  les  cinq  gendarmes 
laissés  en  garnison  à  Pietranera  se  promener  sur  la  place  ou  aux  envi- 
rons du  village,  assistés  du  garde-champétre,  seul  représentant  de  la 
milice  urbaine.  L'adjoint  ne  quittait  pas  son  écharpe;  mais  sauf  les 
archere  aux  fenêtres  des  deux  maisons  ennemies,  rien  n'indiquait 
la  guerre.  Un  Corse  seul  aurait  remarqué  que  sur  la  place»  autour  du 
chêne  vert,  on  nç  voyait  que  des  femmes. 

A  Theure  du  souper,  Colomba  montra  d'un  air  joyeux  à  son  frère 
la  lettre  suivante  qu'elle  venait  de  recevoir  de  miss  Nevil  : 

«  Ma  chàre  mademoiselle  Colomba,  j'apprends  avec  bien  du  plaisir, 
par  une  lettre  dje  votre  frère^  que  vos  inimitiés  sont  finies.  Recevez- 
en  mes  compUmens.  Mon  père  ne  peut  plus  souffrir  Ajaccio  depuis 
que  votre  frère  n'est  plus  là  pom*  parler  guerre  et  chasser  avec  lui. 
Nous  partons  aujourd'hui,  et  nous  irons  coucher  chez  votre  parente 
pour  laquelle  nous  avons  une  lettre.  Après  demain ,  vers  onze  heures, 
je  viendrai  vous  demander  à  goûter  de  ce  brucdo  des  montagnes  si 
supérieur,  dites-vous ,  à  celui  de  la  ville. 

<c  Adieu,  chère  mademoiselle  Colomba.  —  Votre  amie, 

a  Lydia  Nevil.  » 

—  Elle  n'a  donc  pas  reçu  ma  seconde  lettre?  s'écria  Orso. 

—  Vous  voyez,  par  la  date  de  la  sienne,  que  M"'  Lydia  devait  être 
en  route  quand  votre  lettre  est  arrivée  à  Ajaccio.Vous  lui  disiez  donc 
de  ne  pas  venir? 

—  Je  lui  disais  que  nous  étions  en  état  de  siège.  Ce  n'est  pas,  ce 
me  semble ,  une  situation  à  recevoir  du  monde. 

—  Bah  I  ces  Anglais  sont  des  gens  singuliers.  Elle  me  disait,  la  der- 
nière nuit  que  j'ai  passée  dans  sa  chambre,  qu'elle  serait  fSSichée  de 
quitter  la  Corse  sans  avoir  vu  une  belle  vendette.  Si  vous  le  vouliez, 
Orso,  on  pourrait  lui  donner  le  spectacle  d'un  assant  contre  la  tàimon 
de  nos  ennemis?  .  i     >  * 

—  Sais-tu,  dit  Orso,  que  la  lurture  a  «u  lort  4e  tnk^  de  toi  une 
femme,  Colomba?  Tu  aurais  été  un  excellent  militafre. 

—  Peut-être.  En  tout  cas  je  vais  biireisionl>nlocio<  * 


—  C'est  mutile.  Il  Tant  leur  envoyer  quelqu'un  pour  les  préventr  et 
les  arrêter  avant  qu'ils  se  mettent  en  route. 

—  Oui?  vous  voulez  envoyer  un  messager  par  le  temps  qu'il  fait, 
pour  qu'un  torrent  l'emporte  avec  votre  lettre.  Que  je  plains  les  pau-^ 
vres  bandits  par  cet  orage!  Heureusement  ils  ont  de  bons  piloni  (1). 
Save^vous  ce  qu'il  faut  faire,  Orso.  Si  l'orage  cesse,  partez  demain  de 
très  bonne  heure,  et  arrivez  chez  notre  parente  avant  que  vos  amis  se 
soient  mis  en  route.  Cela  vous  sera  facile,  miss  Lydia  se  lève  toujours 
tard.Yous  leur  conterez  ce  qui  s'est  passé  chez  nous,  et  s'ils  persistent 
à  venir,  nous  aurons  grand  plaisir  à  les  recevoir. 

Orso  se  hflta  de  donner  son  assentiment  à  ce  projet,  et  Colomba , 
après  quelques  momens  de  silence  : 

— Vous  croyez  peut-être,  Orso,  reprit-elle,  que  je  plaisantais  lorsque 
je  vous  parlais  d'un  assaut  contre  la  maison  Barricini?  Savez-vous  que 
nous  sommes  en  force,  deux  contre  un  au  moins.  Depuis  que  le 
préfet  a  suspendu  le  maire,  tous  les  hommes  étci  sont  pour  nous. 
Nous  pourrions  les  hacher,  il  serait  fedle  d^entamer  TafMre.  SI  vous 
le  vouliez,  j'irais  à  la  fontaine,  je  me  modérais  de  lesrs  femmes;  ils 
sortiraient Peut-être car  ils  sont  si  lâches,  peut-être  ils  tire- 
raient sur  moi  par  leurs  archere;  ils  me  manqueraient.  Tout  est  dit 
alors.  Ce  sont  eux  qui  attaquent.  Tant  pis  pour  les  vaincus.  Dans  une 
bagarre  où  trouver  ceux  qui  ont  fait  un  coup?  Croyez-en  votre  sœur, 
Orso.  Les  robes  noires  qui  vont  venh*  saliront  du  papier,  diront  bien 
des  mots  inutîlies.  11  n'en  résultera  rien.  Le  vieux  renard  trouverait 
moyen  de  leur  faire  voir  des  étoiles  en  plein  midi.  Ah  !  si  le  préfet  ne 
s'était  pas  mis  devant  Yincentello,  il  y  en  avait  un  de  moins. 

Tout  cela  était  dit  avec  le  même  sang-froid  qu'elle  mettait  l'instant 
d'avant  à  parler  des  préparatife  du  bruccio. 

Orso,  stupéfait,  regardait  sa  sœur  avec  une  admiration  mêlée  de 
crainte. 

— Ma  douce  Colomba,  dit41  en  se  levant  de  table,  tu  es,  je  le  crains^ 
le  diable  en  personne;  mais  sds  tranquille.  Si  je  ne  parviens  à  faire 
pendre  les  Banjdni ,  je  trouverai  moyen  d'en  venir  à  bout  d'une  autre 
manière.  Balle  cbaittde  ou  fer  froid  I  Tu  vois  que  je  n^ai  pas  oublié  le 
corse. 

.  ^  Jie  plu»  tfit  aenût  le  mieux,  dit  Colomba  en  soupirant.  Quel 
cheval  monterez-vous  demain.  Ors'  Anton'? 
.  TT-  {4  A<Mr>  Fidui^uoî  me  demandea^tu  cela? 

(1)  MaDtean  de  drtptfèBi épais ^garni  d^oa  capncbon. 

TOME  XXIII.  6 


ff^  REVUE  niM  WWI    MONDES. 

Orso  s'étant  retiré  dans  M  dimh»^  GokNsta  mmjdi^wmitar 
^i|ji^m«t<to^  JM8«ra,^4iQMura»iilei4HMh  aà  seiiré- 

jpan^it  le  bnpeckii.  Ae  tenipëtQB  ttmii^^\^Tfr^lâiÊ.ÏJMNiUB  etftmàaëA 
attepijfe  in^iennoieid;  (pie  aoa  *fràre  se  fttt  coiohé.  I^reqa'elle  4e 
j(XiA  eofiA  oB^^mnis  4dle  fsit  uu  coutefla,  s'asrara  qu'il  itaitiraMbant» 
.mil;  SQ8  j)otit8  pîeda  dam  de  groa  aoulienv^^  tans  faiie  le  omadie 
àruit,  ^lle  entsa.ihns  le  jardin. 

X^ jardin, fevméde mufs,  touobait è un tefrain asaazvaste eoolea 
de  haies  où  Ton  meltait  Jes  chevam,  car  les  chevanxeoiies  neeo»^ 
naissent  guère  Téenrie.  En  gàiéral,  on  les  ttche  dans  un  cbmnp  et 
Ton  s'en  rapporte  à  leur  intelligence  pour  trouver  à  se  nourrir  et 
s*abrîter  conife  le  froid  et  la  pluie. 

Coloœba  ouvrit  la  pofte  du  jardin  aivecla  niAnie  précaution  «  entra 
dans  Tenclos.»  et  en  «ifilaDt  douoement ,  elle  attira  près  d*eHe  -les  cfae- 
vawi  à  qui  elleportait  souvent  du  pain  et  du  sel.  J>és  que  le  cbetiM 
noir  fut  a  sa  portée,  elle  le  saisit  foitoment  |Mr  la  cmiàre  et  ku  femfit 
Toreille  avec  son  couteau.  Ije  chenral  fit  an  bond  terrible  et  s-eofuii 
jen  faisant  entendr/B  œ  cri  aigu  cpi^une  vive  douleur  arrache  qui^que- 
fiais  aux  animaux  d«  aon .espèce.  SatiafiBttte  alors,  Coilenba  rentNdt 
dans  le  jardin ,  loisqu'Oi»o  ouvrit  sa  fenôtve  et  oria  :  Qui  va4àY  En 
même  temps  elle  entendit  qu'il  amait  s^m  fusil.  HeioeuBeiiientpour 
eUe,  k  porte  du  jardtfi  étatt  dans  une  obscurité  complète,  et  un  grand 
figuier  la  couvrait  tm  paitie.  BientM,  avx  lueurs  intmnittentea^'ele 
vit  hriUer  dans  la  chMobre  de  son  fràve ,  olie  conclut  qu'il  cherdiatt^ 
rallumer  sa  lampe.  fiHe^'empresaa.alofS  de  fermer  la  porte  du  jardin^ 
etae  glissant  le  lottg  des  nuirs,  de  façon  queaou  aostumenoir-seoon- 
fondtt  avec  le  feuillage  sambre  des  espaUeis ,  eHe  parvînt  à  rentrer 
dans  la  cuisine  quelques  momens  «vant  qu'Omo  ne  parût. 

—  Qu'y  a-t-ilî  lui  demanda-t-elle. 

— U  m'a  semUé,  dit  Orso ,  cpi'on.ounraît  la  porte  du  jardin. 

~  Impossible.  Le  chien  aurait  aboyé,  au  eeste ,  allons  Toir« 

Orso  fit  le  tour  du  jardin ,  et  «yvès.  avoir  constaté  que  la  porte  exté- 
rieure était  bîeoiî^mée,  un  peu  jbontenx.de  cettefionsse  alerte,  il  sa 
disposa  à  regagner  sa  chambre. 

~  J'aime  è  voir,  nmn  fràre ,  dit  Cokanba,  que  vous  ctoveneE  -pru- 
dent, comme  on  doit  l'être iians  votre  positian* 

—  Tu  me  formes,  r^poudit. Orso.  ftmaoir. 

Le  matin  avec  l'aube  Orso  était  levé ,  prêt  à  partir.  Son  costume 
annonçait  à  la  fois  la  prétention  h  Félégaeçe  d'un  homme  qui  va  se 


'      '       COLOMA.  83 

présenter  devant  une  femme  à  qtii  il  \eat  pMre ,  et  (à  pmdencé  d*un 
Corse  en  tendette.  Faif^ftettitt  une  redingote  bien  serrée  à  la  taille, 
a  perlatt  enbondMtièm  nne  petite  botte  de  fer^btanc  contenant  des 
<:ftrtoi]dies,  snspendne  à  nn  cordon  de  soie  verte;  son  stylet  était 
^acé  dans  ui^e  poche  de  cAté ,  et  il  tenait  à  la  main  le  beau  Risil  de 
Hanton  chargé  à  balles.  Pendant  quil  prenait  à  la  hâte  une  tasse 
de  cal8  versée  par  Colomba ,  un  berger  était  sorti  pour  seller  et 
brider  le  cheval.  Orso  et  sa  sœur  le  suivirent  de  près  et  entrèrent  dans 
rendes.  Le  berger  s'était  emparé  du  cheval ,  mais  il  avait  laissé 
tiHnber  selle  et  bride ,  et  paraissait  saisi  dliorreur,  pendant  que  le 
cheval ,  qui  se  souvenait  de  la  blessure  de  la  nuit  précédente  et  qui 
cndgnaft  pour  son  autre  oreille ,  se  cabrait ,  ruait ,  hennissait ,  faisait 
le  diable  à  quatre. 

---Allons,  dépêche-toi,  lui  cria  Orso. 

— Hal  Ors'  Anton*  !  ha!  Ors*  Anton*  î  s'écriait  le  berger,  sang  de  la 
Madone!  etc.  C'étaient  des  imprécations  sans  nombre  et  sans  fin, 
dont  la  plupart  ne  pourraient  se  traduire. 

— Qu'est-il  donc  arrivé?  demanda  Colomba. 

Tout  le  monde  s'approcha  du  cheval,  et  le  voyant  sanglant  et 
ftsfrellle  fendue,  ce  fW;  une  exclamation  générale  de  surprise  et  d'in- 
dignation. Il  faut  savoir  que  mutiler  le  cheval  de  son  ennemi  est,  pour 
les  Corses,  à  la  fois  une  vengeance,  un  défi  et  une  menace  de  mort. 
«  lUcn  qu'un  coup  de  fusil  n'est  capable  d'expier  ce  forfait.  »  Bien 
<|uX>PSO ,  qui  avait  long-temps  vécu  sur  le  continent ,  sentit  moins 
qu'un  antre  l'énormité  de  Poutrage  ;  cependant ,  si  dans  ce  moment 
quelque  barriciniste  se  fût  présenté  à  lui ,  il  est  probable  qu'il  lui  eût 
fait  fanmédiatement  expier  nne  insulte  qu'il  leur  attribuait.  —  Les 
Mdies  coquins ,  s'écrîa-t-41 ,  se  venger  sur  une  pauvre  bête ,  lorsqu'ils 
n'osent  me  rencontrer  en  fece. 

— Qo'attcndons-nous?  s'écria  Colomba  impétueusement.  Us  vien- 
nent nous  provoquer,  mutiler  nos  chevaux ,  et  nous  ne  leur  répon- 
(faîons  pas!  Êtes-vous  hommes? 

— Vengeance!  répondirent  les  bergers.  Promenons  le  cheval  dans 
le  village,  et  donnons  l'assaut  à  leur  maison. 

—  n  y  a  une  grange  couverte  de  paille  qui  touche  à  leur  tour, 
dît  le  vieux  Polo  Griffo,  en  un  tour  de  main  je  la  ferai  flamber.  —  €n 
autre  proposait  d'aller  chercher  les  échelles  du  clocher  de  l'église ,  un 
troisième,  d'enfoncer  les  portes  de  la  maison  Barricini  au  moyen 
d'une  poutre  déposée  sur  la  place  et  destinée  à  quelque  bâtiment  en 
constrtiction.  Au  milieu  de  toutes  ces  voix  furieuses,  on  entendait 

6, 


8i  REVUE  DES  BEtnt  MONDES. 

celle  de  Colomba  annonçant  à  ses  satellites  qu*ayant  de  se  mettre  à 
l'œuvre,  chacun  allait  recevoir  d'elle  un  grand  verre  d'anisette. 

Malheureusement,  ou  plutôt  heureusement,  l'effet  qu'elle  s'était 
promis  de  sa  cruauté  envers  le  pauvre  cheval  était  perdu  en  grande 
partie  pour  Orso.  Il  ne  doutait  pas  que  cette  mutilation  sauvage  ne 
fût  l'œuvre  de  l'un  de  ses  ennemis,  et  c'était  Orlanduccio  qu'il  soup- 
çonnait particulièrement;  mais  il  ne  croyait  pas  que  ce  jeune  homme» 
provoqué  et  frappé  par  lui  eût  effacé  sa  honte  en  fendant  l'oreille  à 
un  cheval.  Au  contraire,  cette  basse  et  ridicule  vengeance  augmen- 
tait son  mépris  pour  ses  adversaires,  et  il  pensait  maintenant  avec  le 
préfet  que  de  pareilles  gens  ne  méritaient  pas  de  se  mesurer  avec 
lui.  Aussitôt  qu'il  put  se  faire  entendre,  il  déclara  à  ses  partisans  con- 
fondus qu'ils  eussent  à  renoncer  à  leurs  intentions  belliqueuses,  et 
que  la  justice,  qui  allait  venir,  vengerait  fort  bien  l'oreille  de  son 
cheval.  —  Je  suis  le  maître  ici,  ajouta-t-il  d'un  ton  sévère,  et  j'entends 
qu'on  m'obéisse.  Le  premier  qui  s'avisera  de  parler  encore  de  tuer  ou 
de  brûler,  je  pourrai  bien  le  brûler  à  son  tour.  Allons  !  qu'on  me  selle 
le  cheval  gris. 

—  Comment ,  Orso ,  dit  Colomba  en  le  tirant  à  l'écart ,  vous  souf- 
frez qu'on  nous  insulte  de  la  sorte  !  Bu  vivant  de  notre  père,  jamais 
les  Barricini  n'eussent  osé  mutiler  une  béte  à  nous. 

—  Je  te  promets  qu'ils  auront  lieu  de  s'en  repentir;  mais  c'est  aux 
gendarmes  et  aux  geôliers  à  punir  des  misérables  qui  n'ont  de  cou- 
rage que  contre  des  animaux.  Je  te  l'ai  dit,  la  justice  me  vengera 

d'eux....  ou  sinon tu  n'auras  pas  besoin  de  me  rappeler  de  qui  je 

suis  fils. 

—  Patience  I  dit  Colomba  en  soupirant. 

—  Souviens-toi  bien,  ma  sœur,  poursuivit  Orso,  que  si  à  mon  re- 
tour je  trouve  qu'on  a  fait  quelque  démonstration  contre  les  Barricini» 
jamais  je  ne  te  le  pardonnerai.  —  Puis,  d'un  ton  plus  doux  :  —  Il  est 
fort  possible,  fort  probable  même,  ajouta-t-il,  que  je  reviendrai  ici 
avec  le  colonel  et  sa  fille;  fais  en  sorte  que  leurs  chambres  soient  en 
ordre,  que  le  déjeuner  soit  bon,  enfin  que  nos  hôtes  soient  le  moins 
mal  possible.  C'est  très  bien,  Colomba  d'avoir  du  courage,  mais  il 
faut  encore  qu'une  femme  sache  tenir  une  maison.  Allons,  embrasse- 
moi,  sois  sage;  voilà  le  cheval  gris  sellé. 

—  Orso ,  dit  Colomba ,  vous  ne  partirez  point  seul. 

—  Je  n'ai  besoin  de  personne,  dit  Orso,  et  je  te  réponds  que  je  ne 
me  laisserai  pas  couper  l'oreille. 

—  Ohl  jamais  je  ne  vous  laisserai  partir  seul  en  temps  de  guerre» 


,  CPLOMBA,  95 

Ho  I  Polo  GrifTo  !  Gitfa'  ^Fraocè  !  Memmo  !  prenez  vos  fusils  ;  yods  allez 
accompagner  mon  frère. 

Après  une  discussion  assez  vive,  Orso  dut  se  résigner  à  se  flaire 
suivre  d'une  escorte.  II  prit  parmi  ses  bergers  les  plus  animés,  ceux 
qui  avaient  conseillé  le  plus  haut  de  conunencer  la  guerre;  puis,  après 
avoir  renouvelé  ses  injonctions  à  sa  sœur  et  aux  bergers  restans,  il 
se  mit  en  route,  prenant  cette  fois  un  détour  pour  éviter  la  maison 
Barricini. 

Déjà  ils  étaient  loin  de  Pietranera  et  marchaient  de  grande  hâtis  ^ 
lorsqu'au  passage  d'un  petit  ruisseau  qui  se  perdait  dans  un  marécage 
le  vieux  Polo  Griffo  aperçut  plusieurs  cochons  confortablement  cou- 
chés dans  la  boue ,  jouissant  à  la  fois  du  soleil  et  de  la  fraîcheur  de 
l'eau.  Aussitôt,  ajustant  le  plus  gros,  il  lui  tira  un  coup  de  fusil  dana 
la  tète  et  le  tua  sur  la  place.  Les  camarades  du  mort  se  levèrent  et 
s'enftiirent  avec  une  légèreté  surprenante,  et  bien  que  l'autre  berger 
fit  feu  à  son  tour,  ils  gagnèrent  sains  et  saufs  un  fourré  où  ils  dispa- 
rurent. 

—  Imbéciles!  s'écria  Orso;  vous  prenez  des  cochons  pour  des 
sangliers. 

— Non  pas.  Ors'  Anton',  répondit  Polo  Griflfo,  mais  ce  troupeau 
appartient  à  l'avocat,  et  c'est  pour  lui  apprendre  à  mutiler  nos 
chevaux. 

— Conunent,  coquins!  s'écria  Orso  transporté  de  fureur,  vous 
imitez  les  infamies  de  nos  ennemis.  Quittez-moi ,  misérables.  Je  n'ai 
pas  besoin  de  vous.  Vous  n'êtes  bons  qu'à  vous  battre  contre  des 
cochons.  Je  jure  Dieu  que  si  vous  osez  me  suivre,  je  vous  casse  la  tête  ! 

Les  deux  bergers  s'entreregardèrent  interdits.  Orso  donna  des  épe- 
rons à  son  cheval  et  disparut  au  galop. 

— Eh  bien  !  dit  Polo  GrifFo,  en  voilà  d'une  bonne!  Aimez  donc  les 
gens  pour  qu'ils  vous  traitent  comme  cela.  Le  colonel ,  son  père ,  t'en 
a  voulu  parce  que  tu  as  une  fois  couché  en  joue  l'avocat...  Grande 
bête,  de  ne  pas  tirer!..  Et  le  fils...  tu  vois  ce  que  j'ai  fait  pour  lui... 
n  parle  de  me  casser  la  tête,  comme  on  fait  d'une  gourde  qui  ne  tient 
plus  le  vin.  Yoilà  ce  qu'on  apprend  sur  le  continent,  Menunol 

— Oui,  et  si  l'on  sait  que  tu  as  tué  ce  cochon,  on  te  fera  un  procès, 
et  Ors'  Anton'  ne  voudra  pas  parler  aux  juges,  ni  payer  l'avocat. 
Heureusement  personne  ne  t'a  vu ,  et  sainte  Nega  est  là  pour  te  tirer 
d'affaire. 

Après  une  courte  délibération ,  les  deux  bergers  conclurent  que  le 
plus  prudent  était  de  jeter  le  porc  dans  une  fondrière ,  projet  qu'ils 


ft  REVUE  1^  Mine  MONDES. 

mirent  à  exécution ,  bien  entendu  après  avoir  pm  diacnn  quelques 
grillades  sur  l'innocente  victime  de  la  haine  des  délia  R^Ma  et  des 
Barricini. 

XVII. 

Débarrassé  de  son  escorte  indisciplinée ,  Orso  conkimiaft  sa  route  « 
plus  préoccupé  du  plaisir  de  revoir  miss  Nevil ,  qoe  de  la  crainte  de 
rencontrer  ses  ennemis.  — Le  procès  que  je  vais  avoir  avec  ces  misé- 
rables Barricini,  se  disaft-it,  va  m'obliger  d'aller  à  Bastia.  Pourquoi 
fl*accompagnerais-je  pas  miss  Nevil?  Pourquoi,  de  BasUa,  n'irions- 
flous  pas  ensemble  aux  eaux  d'Orezca?  Tout  à  co«p  des  souvenirs 
d'enfoncé  lui  rappelèrent  nettement  ce  site  pittoresque.  Il  se  crut 
transporté  sur  une  verte  pelouse  au  pied  de  chfttaigniers  séculaires. 
Sur  un  gaion  d'une  herbe  lustrée,  parsemé  de  fleurs  bleues  ressem- 
blant à  des  yeux  qui  hii  souriaient,  il  voyait  miss  Lydia  assise  auprès 
de  lui.  EHe  avait  Mé  son  chapeau,  et  ses  cheveux  blonds,  plus  fins  et 
plus  doux  que  la  soie,  brillaient  conune  de  l'or  au  soleil,  qui  pénétrait 
au  travers  du  feuillage.  Ses  yeux  d'un  bleu  si  pur  Im'  paraissaient 
plus  bleus  que  le  firmament.  La  joue  appuyée  sur  une  main ,  elle 
écoutait  toute  pensive  les  paroles  d'amour  qu'il  lui  adressait  en  trem- 
blant. Elle  avait  cette  robe  de  mousseline  qu'elle  portait  le  dernier 
jour  qu'il  l'avait  vue  à  Ajaccio.  Sous  les  plis  de  cette  robe  s'échappait 
un  petit  pied  dans  un  souHer  de  satin  noir.  Orso  se  disait  qu'il  serait 
bien  heureux  de  baiser  ce  pied,  mais  une  des  mains  de  miss  Lydia 
n'était  pas  gantée,  et  elle  tenait  une  pâquerette.  Orso  lui  prenait  cette 
pâquerette,  et  la  main  de  Lydia  serrait  la  sienne,  et  il  baisait  la  pâque- 
rette ,  et  puis  la  main ,  et  on  ne  se  fâchait  pas...  Et  toutes  ces  pensées 
l'empêchaient  de  foire  attention  à  la  route  qu'il  suivait ,  et  cependant 
il  trottait  toujours.  Il  allait  pour  la  seconde  fois  baiser  en  imagination 
la  blanche  main  de  miss  Nevil ,  quand  il  pensa  baiser  en  réalité  la  tète 
de  son  cheval  qui  s'arrêta  tout  à  coup.  C'est  que  la  petite  Chilina  lui 
barrait  le  chemin  et  lui  saisissait  la  bride. 

—  Où  allez-vous  ainsi.  Ors*  Anton *?  disait-elle.  Ne  saves-vous  pas 
que  votre  ennemi  est  près  d'ici. 

—  Mon  ennemi!  s'écria  Orso,  furieux  de  se  voir  interrompu  dans 
un  moment  aussi  intéressant.  Où  est-il? 

—  Orlanduccio  est  près  d'ici.  Il  vous  attend.  Retournez,  retournez. 

—  Ah  !  il  m'attend  ?  Tu  Tas  vuî 


•^  OaitC^*Ai»tQDVi*4U»coiicliéedaii6  laloagàre^aaiidilafMMp^. 
Il^'efardait^e  toiMs  les  côtés  avec^  lunette. 

—  De  qud  côté  allaU-il? 

—  U  descendait  par  là  ^  du  côté  où  vous  J^ez. 

—  Merci. 

—  Ors*  Anton*^  ne  feriMHvoHS  pas  bien  d'attendre  mon  MKle?  Il 
«e  peut  tardée,  et  avec  lui  vous  seriei  en  sûreté. 

«^  «N'aie  jpastpeuff ,  ChiU.,  je  n'ai  fm  ibesoia^de  i»u  omàà. 

^  .Sî  ^ûus  vonliec ,  j'ims  devant  vous? 

0-*  Iferd ,  merci. 

Mi  Orso>  (toussant  son  cheval ,  se  dingea nyidemMi  dm  oAlé  QMeta 
-petite  AHe  kû  Avait  indif|ué. 

Son  premiar  aiouveraent  avatt  été  un.ai«ugle  trasspavt  de  foimir, 
et  il  s'était  dit  que  la  fortune  lui  offrait  une  eKoettente  ixtcasion  de 
corriger  ce  lèche  qui  mutilait  un  cheval  pour  se  venger  d'uneetffflA. 
Puis,  tout  en  avançant,  l'espèce  de  proBKsaequ'i)  tuait fiiteM  préfet, 
et  surtout  la  crainte  de  manquer  la  viiite*de  miss  NfifR,  rhangsuinilt 
:ses  diq[)ositioos  et  lui  faisaient  iprcaqwe  désiiar  de  ne  pas  reneoolrv 
Orianduooio.  fiientôt  le  «onvenir  de  son  père,  l'ininite  iiute  à  aan 
i^hevfldi^  les  menaces  4e  «eB  ennemis  raHumment  «a  colère,  et  l'esiî- 
•taient  è  chercher  son  ennemi  pour  le  ptovo^pier  et  l'obUgm'  à  se 
jMttre.  Ainsi  «tgité  par  des  résolutions  contraires,  il  oontinuint  de 
AMo^her  en  avant,  mBis  «gaintenant  avec  précaution ,  exanrinant  les 
Jbuissons  et  les  haies,  et  quelquefois  même  s'arrètant  pour  écouter 
les  bruits  vigues^u'on  entend  dans  la  campagne.  Dix  minutes  après 
avoir  quitté  la  petite  Chilina  (il  ^ait  aloiB  environ  neuf  henres  eu 
matin  ) ,  il  se  trouva  au  bord  d'un  ^)oteau  ejrtrèmement  rapide.  Le 
chemin,  ou  plutôt  le  «entier  è  peine  tracé  qu'il  suivait,  traversait  un 
mAquis  récemment  brddé.  En  ce  Ueu  la  terre  était  chargée  de  cendres 
Mancbètres,  et  çà  et  là  des  arimsaeaux  et  quelqMi  gros  mbres  noiroîs 
par  le  feu  et  entièrement  dépouillés  de  leum  feuilles  se  tenaient 
debout,  bien  qu'ils  eussent  cessé  de  vivre,  fin  vojrant  un  maquis 
brûlé,  on  se  croit  tt'ansporté  dans  un  site  du  Nord  an  milieu  de  l'hiver, 
et  le  contraste  de  l'arkiîté  des  Uenx  ^me  la  flamme  n.paitonms  «vec 
4a  vé^gélntian  hmuriaated'alentom:,  lestait  panteeeneoreplus  tristes 
et  désolés.  Mais  dâ«s  ce  paysage  Orso  ne  voyaitenne  moment  qu'une 
chose,  importante,  il  est  vrai,  dans  sa  position;  la  terre,  étant  nue, 
ne.pouvait  cacher  une  embuscade,  et  eehii  qui  peut  craindre  è  chaque 
instant  de  v<rir  sortir  d'un  fourré  un  canon  de  fuefl  dirigé  contre  sa 
poitrine  regarde  comme  une  espèoe  d'oasis  un  terraki  mû  où  rien 


^8    .  REVUB  DBS  DEUX  MONDES.  . 

n'arrête  la  vue.  Au  maquis  brûlé  succédaieot  plusieurs^  champs  en 
cultu^,  enclos,  selon  Tusage  du  pays,  de  murs  de  pierres  sèches  à 
hauteur  d'appui.  Le  sentier  passait  entre  ces  enclos,  où  d'énormes 
châtaigniers,  plantés  confusément,  présentaient  de  loin  l'apparence 
d'un  bois  touffu. 

Obligé  par  la  raideur  de  la  pente  à  mettre  pied  à  terre,  Orso,  qui 
avait  laissé  la  bride  sur  le  cou  de  son  cheval ,  descendait  rapidement 
en  glissant  sur  la  cendre,  et  il  n'était  guère  qu'à  vingt-cinq  pas  d'un 
de  ces  enclos  en  pierres  à  droite  du  chemin ,  lorsqu'il  aperçut  préci- 
sément en  face  de  lui,  d'abord  un  canon  de  fusil,  puis  une  tète 
dépassant  la  crête  du  mur.  Le  fusil  s'abaissa,  et  il  reconnut  Orlan- 
duccio  prêt  à  faire  feu.  Orso  fut  prompt  à  se  mettre  en  défense,  et 
tous  les  deux ,  se  couchant  en  joue,  se  regardèrent  quelques  secondes 
avec  cette  émotion  poignante  que  le  plus  brave  éprouve  au  moment 
de  donner  ou  de  recevoir  la  mort. 

—  Misérable  lAchel  s'écria  Orso....  Il  parlait  encore  quand  il  vit 
la  flamme  du  fusil  d'Orlanduccio,  et  presque  en  même  temps  un 
second  coup  partit  à  sa  gauche  de  l'autre  cAté  du  sentier,  tiré  par 
un  homme  qu'il  n'avait  point  aperçu,  et  qui  l'ajustait  posté  derrière 
un  autre  mur.  Les  deux  balles  l'atteignirent;  l'une,  celle  d'Orlan- 
duccio, lui  traversa  le  bras  gauche,  qu'il  lui  présentait  en  le  couchant 
en  joue;  l'autre  le  frappa  à  la  poitrine,  déchira  son  habit,  mais  ren- 
contrant heureusement  la  lame  de  son  stylet,  s'aplatit  dessus  et  ne  lui 
fit  qu'une  contusion  légère.  Le  bras  gauche  d'Orso  tomba  immobile  le 
long  de  sa  cuisse,  et  le  canon  de  son  fusil  s'abaissa  un  instant;  mais 
il  le  releva  aussitôt,  et  dirigeant  son  arme  de  sa  seule  main  droite,  il 
fit  feu  sur  Orlanduccio.  Le  visage  de  son  ennemi ,  dont  il  découvrait 
à  peine  les  yeux,  disparut  derrière  le  mur;  Orso,  se  tournant  à  sa 
gauche ,  Iftcha  son  second  coup  sur  un  homme  entouré  de  fumée, 
qu'il  apercevait  à  peine.  A  son  tour,  cette  figure  disparut.  Les  quatre 
coups  de  fusil  s'étaient  succédés  avec  une  rapidité  incroyable,  et 
jamais  soldats  exercés  ne  mirent  moins  d'intervalle  dans  un  feu  de 
file.  Après  le  dernier  coup  d'Orso,  tout  rentra  dans  le  silence.  La 
fumée  sortie  de  son  arme  montait  lentement  vers  le  ciel  ;  aucun  mou- 
vement derrière  le  mur,  pas  le  plus  léger  bruit.  Sans  la  douleur  qu'il 
ressentait  au  bras,  il  aurait  pu  croire  que  ces  hommes,  sur  qui  il 
venait  de  tirer,  étaient  des  fantômes  de  son  imagination.. 

S'attendant  à  une  seconde  décharge,  Orso  fit  quelques  pas  pour  se 
placer  derrière  un  des  arbres  brûlés  restés  debout  dans  Ip  mftquis. 
Derrière  cet  abri ,  il  plaça  son  fusil  ei?tre,ses  genoiw^  et  \^  r^hargea 


COLOMBA.  89 

à  la  hAte.  Cependant  son  bras  gauche  le  faisait  craellement  souffrir, 
et  il  hu  semblait  quil  soutenait  un  poids  énorme.  Qu'étaient  detènuê 
ses  adversaires?  il  ne  pouvait  le  comprendre;  s'ils  s'étaient  enfuis, 
s'ils  avaient  été  blessés ,  il  aurait  assurément  entendu  quelque  bruit, 
quelque  mouvement  dans  le  feuillage.  Étaient-ils  donc  morts?  ou 
bien  plutôt,  n'attendaient-ils  pas,  à  l'abri  de  leur  mur,  l'occasion 
de  tirer  de  nouveau  sur  lui?  Dans  cette  incertitude,  et  sentant  ses 
forces  diminuer,  il  mit  en  terre  le  genou  droit,  appuya  sur  l'autre 
son  bras  Uessé ,  et  se  servit  d'une  branche  qui  partait  du  tronc  de 
Farbre  brûlé,  pour  soutenir  son  fusil.  Le  doigt  sur  la  détente,  l'œil  fixé 
sur  le  mur,  l'oreille  attentive  au  moindre  bruit,  il  demeura  imunobile 
pendant  quelques  minutes  qui  lui  parurent  un  siècle.  Enfin,  bien 
loin  derrière  lui ,  un  cri  éloigné  se  fit  entendre ,  et  bientôt  un  chien , 
descendant  le  coteau  avec  la  rapidité  d'une  flèche ,  s'arrêta  auprès  de 
lui  en  remuant  la  queue;  c'était  Brusco,  le  disciple  et  le  compagnon 
des  bandits ,  annonçant  sans  doute  l'arrivée  de  son  maître ,  et  Jamais 
honnête  homme  ne  fut  plus  impatiemment  attendu.  Le  chien ,  le 
museau  en  l'air,  tourné  du  côté  de  l'enclos  le  plus  proche,  flah^it 
avec  inquiétude;  tout  à  coup  il  fit  entendre  un  grognement  sourd , 
franchit  le  mur  d'un  bond,  et  presque  aussitôt  remonta  sur  la  crête, 
d'où  il  regarda  fixement  Orso,  exprimant  dans  ses  yeux  la  surprise 
aussi  clairement  que  chien  le  peut  faire;  puis  il  se  remit  le  nez  au  vent, 
cette  fois,  dans  la  direction  de  l'autre  enclos,  dont  il  sauta  encore  le 
'mur.  AuI)Out  d'une  seconde,  il  reparaissait  sur  la  crête,  montrant  le 
même  air  d'étonnement  et  d'inquiétude;  puis  il  sauta  dans  le  mAquis,  la 
queue  entre  les  jambes,  regardant  toujours  Orso,  et  s'éloignant  de  lui 
à  pas  lents ,  par  une  marche  de  côté ,  jusqu'à  ce  qu'il  s'en  trouvât  à 
quelque  distance.  Alors,  reprenant  sa  course,  il  remonta  le  coteau 
presque  aussi  vite  qu'il  l'avait  descendu,  à  la  rencontre  d'un  homme 
qui  s'avançait  rapidement  malgré  la  raideur  de  la  pente. 

—  A  moi  !  Brando,  s'écria  Orso  dès  qu'il  le  crut  k  portée  de  la  voix. 

—  Hol  Ors'  Anton'!  vous  êtes  blessé?  lui  demanda  Brandolaccio 
accourant  tout  essoufQé.  Dans  le  corps,  ou  dans  les  membres?... 

—  Au  bras. 

—  Au  bras  !  ce  n'est  rien;  et  l'autre? 

—  Je  crois  l'avohr  touché. 

Brandolaccio,  suivant  son  chien ,  courat  à  Tenclos  le  plus  proche,  et 
se  pencha  pour  regarder  de  l'autre  côté  du  mur.  Là,  Ôtant  son  bonnet  : 

—  I^ût  au  seigneur  Orlanduccio,  dit*il.  Puis,  se  tournant  du  côté 
ÏOréô,  11*  lé  ^lim  â  sdû  tour  d'un  air  grave  :  —  Voflà ,  dît-il ,  ce  que 
f  api^êllè?  u^  bbnimé  pro^i'émènt  accommodé. 


dut  REVUE  DB#  mmt  MONDES. 

,  ••**•  ^iv**tl  ^B1l60KT  «cHIfltKfll  OKI©  PCSpiralàv  8!tCC  pCIlTiC» 

•^^M  Wtfmt  girctoniit,  lltr  h^p^de  eitctgritt  de  te  bsHe  (pk&  ton» 
MavevfliM&Aiii6  fteAl.  San^de  te  Madame,  ({ueFtrmi!  Bon ftisiF,  ma 
fW;  q«^  c«Mhre>r  ça^  fOH9  éoHrftoflHfe  tmecenrelfeMNIies  dbne,  Or»'' 
JiHon'  ;  ^pnad' J-'ki^  entandtt  d^atord  :  pif  P  pttf  je  me  stria  dit  :  saldre^ 
Vhmt  Hs  escofian^  moi^  Ueutenanl.  ^h  f entends  :  bdom!  bécnif 
^1  jedis,  vaHà  la  IMF anghift  €|iii  parle;  H  ripo^...  Mais,  Bnisco, 
qnTbslh-ce  que  tir  me  yenx  dene? 

La^^felen-te  nemr  À  Pautre  enelos  :  —  E^cnsetr  s*écWa  Brandblaccto 
stttpéiBtit*  eeup  doobleî  flen  qne  cela?  Peste!  on  folV  bien  que  II 
powbpe  estirhè^,  ea»  ?en9  V  économisée^ 

•^  Qq^  »4>41,  an  nma  (te  Diauf  demanAi  0¥so. 

'^  Mntt»!  «a  Alites  dono  pas  t&  fs««enr,  mon  Ueëtonanti  fons* 
jeter [e  gftter  par  tenre,  et  ¥ens  ?oofiBs  qn'on  vons  le  ramasse...  En 
voM  a»  qoi  va^  e»  wétc  un  (Mil  de-  dasierl,  aajonrdtmil  cTest 
Tavoeit  lairioink  De  te  Ttend»  de  fconeherie,  en  imn-ti»,  en  voilftl 
Maintenant,  qui  dithte  béritem? 

•^  Quoif  Ttocentalla I  mort  aussi. 

--- 'Rrés mert.  Bonaesanté  à  nous  autres  (I)!  Ce  qnlt  y  a  de  bon 
ai^ee  vons,  e^eal  que-vens  ne^  les  Caftes  pas  senffrir.  Venet  donc  Toir 
Yineentelta.  B  est  encore  à  genoux  te  tête  appuyée  contre  ie  mur.  If 
a  l'irir  de  (tormir.  C^est  ta  te  cas  de  Are  somîneil  de  plomb.  Panyre 
diabtet 

Orso^Mtourna  te  tète  avec  horrenr.  —  EM^sAr  qn^itsoit  mortf 

-*<-Tens>étes  eemme  Sampiero  Gorso,  qui  ne  dbnnait  jamais  cfn'nn 
coop^  Voyea-voos ,  te...  dans  te  poitrine,  è  gauche;  tenez,  comme 
YineMeonefetr  attrapé  à  Wi^»rtoo.  le  parierais  bien  que  te  balle  n'est 
pas  IMq  éa  cœor.  Coup  dSanMel...  Ah  !  je  ne  me  mêle  phis  de  Itrer. 
Itettx  en  ésns  cenpst...  A  balle...  les  deux  firères...  Sll  avait  en  nu 
troisième  coup,  H  avait  tué  te- papa...  On  fera  mieux  une  antre  fois... 
Qaei  coup!  Ors^  Anton*  T.. .  El  <Hre  que  cde  n'imrfyera  jamais  à  un 
brave  pinçon  comme  molde  faire  eenp  double  sur  des  gen^rmesî 

Tout  en  paiiint,  le  bandit  enaniDeit  te  bras  d^Orso  et  fendait  sa 
manche  avec  son  stylet. 

— Ce  n'est  rien,  dit-il.Yoilà  ime  rediogote^  qui  donnera  de  f  ouvrage 
à  mademoiselle  Colomba...  Hein,  qu'est-ce  que  je  vois?  Cet  accroc 
snr  ta  ponrioef ...  Rien  n'est  entré  parlé?  Non ,  vous  ne  seriez  pas  si 
gaUard.  y«yoat,  essayai  de  remuer  les  doigts...  Sente^^vous  ttÊdSf' 
<tents  quand  je  vous  mords  te  petit  daigt?...  Pas  trop?...  C'est  égal, 

(1)  Sàlute  à  noi!  Exclamattoft  eidlmire  qoMtf  m  a  pronoseé  le  moi  de  meit. 


ce  ne  serarieo.  itjjBowaoî pfendfe  votie  aMmidtoir  et  vakrecnmte... 
Voilà  votre  redingote  perdue...  Pourquoi  diable  vous  Caire  si  beau? 
ADiez-^YOu&à  Janace?..^  Là»  buvea  une  goutte  de  vin.*.  Vouniuaî  doue, 
ne  {Mutei^votts  pas  de  gourde?  Estrce  qu'un  Cocse  sort  jamais  $9m 
gourde?  —  Puis,  au  mHieu  du  pansement >  il  S''intenroBipait  pour 

s'éerier:  Coup  double!  Tous  les  deux  roides  mortsl C'est  le  curé 

gui  va  rire...  Coup  double!  Ah!  voici  enfin  cette  petite  Uxijxe  de 
Chilina. 

Orso  ne  répondaft  pas.  U  était  pAle  comme  un  mort  et  tremblait  de 
tous  fies  membres. 

—  Chili,  cria  Brandolaccio,  va  regarder  derrière  ce  mur.  Hein? 
L'enfant,  s'aidant  des  pieds  et  des  maias,  grimpa  sur  le  mur,  et  aus- 
sitôt qu'elle  eut  aperçu  le  cadavre  d'Orlaoduccio,  elle  fit  le  signe  de  la 

cfoix. 

—  Ce  n'est  rien,  continua  le  bandit,  va  voir  plus  loin  ;  lH>as. 
L'enfant  fit  un  nouveau  sigue  de  croix. 

•^  Est-ce  vous,  mon  oncle?  demanda-4nelle  timidement. 

—  Moi  !  est*ce  que  je  ne  suis  pas  devenu  un  vieux  bon  à  rien  ? 
Chili ,  c'est  de  Fottvrage  de  monsieur.  Fais-hii  ton  compliment. 

—  Mademoiselle  en  aura  bien  de  la  joie,  dit  Giilina*  et  elle  sera 
bien  f&chée  de  vous  savoir  blessé  »  Ors'  Anton'^. 

<*•  Allons  !  Ors'  Anton'  dit  le  bandit  (fui  avait  achevé  le  pansement» 
voilà  Cbilina  qui  a  rattrapé  votre  cheval.  Montez  et  venez  av^  moi 
au  maquis  de  la  Stazzona.  Bien  avisé  qui  vous  y  trouverait  Nouë  vous 
7  traiterons  de  notre  mieux.  Quand  nous  serons  à  la  croix  de  Sainte- 
Cbiistine,  il  fmidra  mettre  pied  à  terre.  Vous  donnerez  votre  cheval  à 
ChiUna,  qui  s'en  ira  prévenir  mademoiselle,  et  chemin  Gusant  vous 
la  chargerez  de  vos  commissions.  Vous  pouvez  tout  dire  à  la  petite* 
Ors'  Anton'.  Elle  se  ferait  plutôt  hacher  que  de  trahir  ses  amis. —  Et 
d'un  ton  de  tendresse  :  —  Va  eoquiBe,  disait-il,  sois  excommuniée, 
sois  maudite,  friponne  I  car  Brandolaccio,  superstitieux  comme  beau- 
coup de  bandits,  saignait  ide  fuclMr  les  eofiMiacA  leur  adrassant 
œs  œvecHCiiOfio  ou  ims  ^vogcs ,  vb  dHc  qoc  les  p^nasaiicvv  Hiyîw^^ 
rieuses  9«  pféaident  à  retnoe^kimhu^  (i)  ont  \ê  mauvaise  habitude 
d*aiéo«ter  te  oonteafre  de  ftoa  aMhaila. 

*—  On  'Peax4u -que  j^aile,  ftnMAof  MOk#  d'vme  ¥oix  éteinte. 

*^^  vMwiQu  '  V'ava  UtOs  a  csaun  «  * vv*  pRson  0f«  oven  au  nMN|UPs»- 
Mab  un  délia  Rebbia  ne  connaît  pas  le  diemin  de  la  prison.  Au  m&- 
qm^  Ors'  Anton'  ! 

(1)  Fascination  Involonlaire  qui  s^exerce  soit  par  les  yeux  soit  par  la  parole. 


92  REVUB  DES  DEtk  kONDES. 

—  Adieu  donc  toutes  mes  espérances  !  s^écrïà  âôuloùf  eusenâent  le 
blessé. 

—  Vos  espérances?  Diantre  !  espériez-vous  faire  mieux  avec  un  fusil 
à  deux  coups?...  Ah  çà!  comment  diable  vous  ont-ils  touché?  H  faut 
que  ces  gaillards  aient  la  vie  plus  dure  que  les  chats. 

—  Ils  ont  tiré  les  premiers ,  dit  Orso. 

—  C'est  vrai,  j'oubliais...  Pif!  pifl  boum!  boum!...  coup  double 

d'une  main  (1  )  ! . . .  Quand  on  fera  mieux,  je  m'h-ai  pendre  ! Allons , 

vous  voilà  monté...  avant  de  partir,  regardez  donc  un  peu  votre 
ouvrage.  Il  n'est  pas  poli  de  quitter  ainsi  la  compagnie  sans  lui  dire 
adieu. 

Orso  donna  des  éperons  à  son  cheval  ;  pour  rien  au  monde,  il  n'eût 
voulu  voir  les  malheureux  à  qui  il  venait  de  donner  la  mort. 

—  Tenez,  Ors'  Anton',  dit  le  bandit  s'emparant  de  la  bride  du 
cheval,  voulez-vous  que  je  vous  parle  franchement?  Eh  bien!  sans 
vous  offenser,  ces  deux  pauvres  jeunes  gens  me  font  de  la  peine.  Je 
TOUS  prie  dem'éxcuser...  Si  beaux...  si  forts...  si  jeunes!...  Orlan- 
duccio  avec  qui  j'ai  chassé  tant  de  fois...  II  m'a  donné,  il  y  a  quatre 
jours,  un  paquet  de  cîgarres...  Vincentello,  qui  était  toujours  de  si 
belle  humeur!...  C'est  vrai  que  vousavez  fait  ce  que  vous  deviez  faire... 
€t  d'ailleurs  le  coup  est  trop  beau  pour  qu'on  le  regrette...  Mais  moi 
je  n'étais  pas  dans  votre  vengeance...  Je  sais  que  vous  avez  raison, 
quand  on  a  un  ennemi,  il  faut  s'en  défaire.  Mais  les  Barricini ,  c'était 
une  vieille  famille...  En  voilà  encore  une  qui  fausse  compagnie...  et . 
par  un  coup  double  !  c'est  piquant  ! 

Faisant  ainsi  l'oraison  funèbre  des  Barricini,  Brandolaccio  condui- 
sait en  hâte  Orso,  Chilina  et  le  chien  Brusco  vers  le  maquis  de  la 
Stazzona. 

XVIII. 

Cependant  Colomba ,  peu  après  le  départ  d'Orso,  avait  appris  par 
ses  espions  que  les  Barricini  tenaient  la  campagne,  et,  dès  ce  moment, 
elle  fut  en  proie  à  une  vive  inquiétude.  On  la  voyait  parcourir  la  mai- 
son en  tous  sans ,  allant  de  la  cuisine  aux  chambres  préparées  pour  ses 
hôtes,  ne  Geiisant  rîep ,  et  toujours  occupée^  s'arrètant  sans  eesse  pour 
regarder  si  elle  n'aperccivait  pas,  dansle  viUagOrUn  naouvement  inusité. 

(1)  Si  quelque  chasseur  incrédule  me  coutestait  le  coup  double  de  M.  délia  Rebbiai 
Je  rengagerais  à  aller  à  Sartène,  et  à  se  faire  raconter  comment  Tun  des  habitans 
les  plui  distingués  et  les  plus  aimables  de  eeite  fille  te  lira  seul,  et  1è  bras  gaucbe 
cassé,  d*une  position  au  moins  aussi  périlleuse. 


COLOIOA.  93 

Vers  onze  heures,  une  cavalcade  assez  nombreuse  entra  dans  Pîetra- 
nera;  c'étaient  le  colonel,  sa  fille,  leurs  domestiques  et  leur  guide. 
En  les  recevant ,  le  premier  mot  de  Colomba  fut  :  —  Avez-vous  vu 
mon  frère? —  Puis  elle  demanda  au  guide  quel  chemin  ils  avaient 
pris,  à  quelle  heure  ils  étaient  partis;  et,  sur  ses  réponses,  elle  ne 
pouvait  comprendre  qu'ils  ne  se  fussent  pas  rencontrés. 

—  Peut-être  que  votre  frère  aura  pris  par  le  haut,  dit  le  guide; 
nous,  nous  sommes  venus  par  le  bas. 

Mais  Colomba  secoua  la  tète  et  renouvela  ses  cpiestions.  Malgré  sa 
fermeté  naturelle ,  augmentée  encore  par  l'orgueil  de  cacher  toute 
faiblesse  devant  des  étrangers,  il  lui  était  impossible  de  dissimuler 
ses  inquiétudes,  et  bientôt  elle  les  fit  partager  au  colonel  et  surtout 
à  miss  Lydia ,  lorsqu'elle  les  eut  mis  au  fait  de  la  tentative  de  récon- 
ciliation qui  avait  eu  une  si  malheureuse  issue.  Miss  Nevil  s'agi  tait, 
voulait  qu'on  envoyât  des  messagers  dans  toutes  les  directions, 
et  son  père  offrait  de  remonter  à  cheval  et  d'aller  avec  le  guide  à  la 
recherche  d'Orso.  Les  craintes  de  ses  hôtes  rappelèrent  à  Colomba  ses 
devoirs  de  maîtresse  de  maison.  Elle  s'efforça  de  sourire,  pressa  le 
colonel  de  se  mettre  à  table,  et  trouva,  pour  expliquer  le  retard  de  son 
frère,  vingt  motifs  plausibles  qu'au  bout  d'un  instant  elle  détruisait 
elle-même.  Croyant  qu'il  était  de  son  devoir  d'homme  de  chercher  à 
rassurer  des  femmes,  le  colonel  proposa  son  explication  aussi. 

—  Je  gage,  dit-il ,  que  délia  Rebbia  aura  rencontré  du  gibier;  il  n'a 
pu  résister  à  la  tentation ,  et  nous  allons  le  voir  revenir  sa  carnassière 
toute  pleine.  Parbleu  I  ajouta-t-il,  nous  avons  entendu  sur  la  route 
quatre  coups  de  fusil.  Il  y  en  avait  deux  plus  forts  que  les  autres,  et 
j'ai  dit  à  ma  fille  :  Je  parie  que  c'est  délia  Rebbia  qui  chasse.  Ce  ne 
peut  être  que  mon  fusil  qui  fait  tant  de  bruit. 

Colomba  pâlit,  et  Lydia,  qui  l'observait  avec  attention,  devina  sans 
peine  quels  soupçons  la  conjecture  du  colonel  venait  de  lui  suggérer. 
Après  un  silence  de  quelques  minutes ,  Colomba  demanda  vivement 
si  les  deux  fortes  détonnations  avaient  précédé  ou  suivi  les  autres? 
Mais  ni  le  colonel ,  ni  sa  fiHé,  ni  le  guide  n'avaient  fait  attention  à  ce 
point  capital. 

Vers  une  heure,  aucun  des  messagers  envoyés  par  Colomba  n'étant 
encore  revenu,  elle  rassembla  tout  son  courage  et  força  ses  hôtes  à 
se  mettre  à  table;  mais ,  sauf  le  colonel ,  perscm^  ne  put  manger.  Au 
moindre  bruit  sur  la  place,  Colomba  courait  à  la  fenêtre,  puis  reve- 
nait s'asseoir  tristement,  et  plus  tristement  encore  s'efforçait  de  con- 
tinuer avec  ses  amis  une  conversation  insignifiante  à  laquelle  per- 


^  REVCE  Di^  MUS.  MONDES. 

uA^xvalles  de  sîleuoe. 

Tout  d'iuk  cQup,  m  eptendit  le  galop^'un  d^M-  -^  AJiI  «M»  foitH 
c*e$t  mon.fràra,  dit  Colomba  en  se  levaBt.  Mais  à  h  wut  da  C^îUm, 
moiitée  à  califourcdoQ  sur  le  cbeval  d'Orso  t  Uor  fré«e  «si  raortl 
s'écria-t^-elle  d'uoe  voix  déchirante. 

Le  CQk)i)el  laissa  tomber  son  verre,  aûss  Kevil  youssa  w^cri,.  tous 
coururent  à  la  porte  de  la  maisou.  Avaot.  que  Cbilina  pâ|  swter  à  bai 
de  sa  monture,  elle  était  enlevée  comme  une  plume  par  Celomba^ui 
la  serrait  à  Tétoufier.  L'enfant  comprit,  sw  terrible  jiegard ,  et  sa  pr»^ 
mière  parole  fut  celle  du  cbomr  (f  OteUo  :  //  viU  C#lomba  ccissa  4f 
Tétreiodre ,  et  Cbilina  tomba  à  terre  aussi  lestaopevi  qu'^iM  ie«M 
chatte. 

-^  Les  autres?  ftonanda  Colomba  d'une  voix  rauq^ie, 

Cbilina  fit  le  signe  de  la  croix  avec  l'index  et  le  doigt  du  milim^ 
Aussitôt  une  vive  jcougçur  succéda,  wc  la  figure  de  Colomba,  à  sa 
pâleur  nM>rteUa.  ]^lle  jeta  un  regard  ardent  sur  la  maîfloo  àB&tmth' 
dni,  et  dit  en  souriant  4  sts  bâtes  :  —  Bentroos  prendre  le  café. 

L'Iris  des  bandits  en  avait  long  à  raconter.  Son  patois^  traduit  par 
Colomba  en  italien  tel  quel,  puis  en  anglais  pas  miss  Nevil,  arraete 
plus  d'une  imprécation  au  colanel ,  plus  d'un  soupir  à  miss  Lydia;  mais 
Colomba  écoutait  d'un  air  impassible;  seulement,  elle  tordit  sa  ser<- 
viette  damassée  de  façon  à  la  mettre  en  pièces*  Elle  interrompit  L'en- 
fant cinq  ou  six  fois  pour  se  faire  répéter  que  Brandolaccio  disait  <pie 
la  b^sure  n'était  pas  dangereuse  et  qu'il  en  avait  vu  bien  d'autres^ 
^n  terminant,  Cbilina  rapporta  qu'Orso  demandait  avec  instanoe  du 
papier  pour  écrire,  et  qu'il  chargeait  sa  sosuf  de  supplier  une  danQ, 
qui  peut-être  se  trouverait  dans  sa  maison ,  de  n'en  point  partir  avant 
d'avoir  reçju  une  lettre  de  lui.  C'est,  ajouta  l'enfant,  ce  qui  le  tour- 
mentait le  [dus,  et  j'étais  déjà  en  route  quand  il  m'a  lappelée  pour  me 
recommander  cette  conunission.  C'était  pourtant  la  troisième  fois  qu'il 
me  la  répétait.  A  cette  injonction  de  son  frère,  Colomba  sourit  légè- 
rement et  sent  fortement  la  main  de  l'Anglaise,  qui  fondit  en  larmes 
et  ne  jugea  pas  à  propos  de  traduire  à  son  père  cette  partie  de  la  nar^ 
ration. 

— Oui,  vous  restese^  a)^  moi ,  ma  cbère  amie,  s'écria  Colomba  en 
embrassant  miss  JSevil ,  et  vom  mms  aiderez. 

Pyis^  tirant  d'upe  aimoife  qnantite  de  vieux  linge,  elle  se  mita  le 
€0i^)er  pour  foire  des  bandes  et  de  la  charpie.  £n  voyant  ses  yeu» 
étincelans,  son  teint  animé,  cette  aUer/oiati^ve  de  préoccupation  et  de 


atCi94Mé,ai'fi«^él«viyfl|i^  (ftMr9ieittéMtfrtiirfiMl«ft«er«#W 
bl^tturede  soii'fiéna'  qnfeneKa^e  de^lff  mort  4e  Mi»-Mii«ffifi^.  tMitOV 
élkBvemMMcÊtb m  ediotielfel hiifnrthil m»  flilMe  ér  te  pf^fntrer; 
lAilM^,  ëtohiimml  écf  Vwfn^  à  ttfa»  NMI  el  i'Ckflinfr,  élle^res' 
6KhieiÉi!là  emérei^  haniei  et  à  le»  rouler;  elte'  dMÉa«Mr  f^W 
h  vHigtâème  Um  m  la  Uessure'  (fOisa  te  flrisail  beaneoup  soiiflHir. 
ËMliMieHeftienl  elle  s-'hiterrovipait  aw  MiKeti  de  ma  tvAvaf)  pour 
dire  au  colonel  :  Deux  hommes  si  admitis!  st  terriblea^î....  Lui  sert, 
Messe,  n*arf«nt  ifa'int  buaft...  il  les  a  abattos  Idos  le^  dèn.  QÉêl  eou- 
MgB,  eriôtiei.  ITesl^e  pn»«B  héros?  Abt  misa  Mevi,  cfa'on^esl  h#B^ 
fWxdcrfmeitatiiimipefsifmfcdiieoMiBi^  JésufssA^ 

que  ▼eoaavcoaiiaÉBiapaaeiieoremoB  livrer...  le  Pavëfe'dtt  :  réper- 
tier  déphriera  ses  aflesl...  ¥oQt  von»  trempiev  i^  se»  air  si  dew.... 
C'esl  <prnpvè9iiie' TiMtt>^  nriM  VMi^..  iibPs'f  i^ioa  v<)fj(«Htra>fiifller 

Mbt  IfAa  ne  iMvatWt  gnèr»  01  ne  tiMMaM  |m  niM»  {Mo^.  SM 
]^te»4emàod«t  pocvqmet  If  on  m  se  lAtail  pas  de  potier  pléhite  êè^ 
ftfoè «n  magislvat.  Hpartail  de  renqvètedv  €âmufr^  àè  Menrd'aoh 
lies  ehdsea  égalemeal  iMdfio«s  m  Ceinr.  Birihi  ii  tMidM  sa^efir  si 
la  maismi  de  caspagae  et  ee  bon  M.  ftnadotaeeio,  i[«i  afaft  doMié^ 
de»eecettr»  aa  bteaeé^  éMt  fort  éteigiiée  de  PSdamera,  et  ait  ne 
penrrail  pas  aief  IvMBèDM  ?eÉr  aoa  «ai. 

\^  mtniBàè;  ifOtiA  a^ait  tt«  baadK  peor  te  s«tgiier,  (pli  cowrafi  ^rand 
risque  a'il  se  nentfët  af«il  qa'oif  se  flM  asswé  des  dlsposRions  du 
pBéfet  et  dès  Ittges;  eaflo  faTeMe  ferait  es  sorte  qiÉ^u  eMruf^^ 
baMte  se  rendft  en  secret  auprès  de  WL  S«rte«É  «  lÉomievr  te  cotonel, 
aawenev^ooa  Meo,  (fissatHrite^  ipe  viaw  w/ei  efite«i«  le»  qialre 
coupa  de  teUt  et  ((se  vous  M'aTec  dit  ipi'Oise  «mit  tiié  te  second. 
Le^^^Aael  ne  cx>tfipmiHt  ries  i  l^aflBve,  et  sa  ilte  ne  f^^ 
pkvrf'  et  s'essttjrcr  tes  yessL 

Le  itrar  était  défi  flort  mmmi  loraifV^Qne  Mstt  procearien  enM 
dm  te  vHte^.  Os  rappoatait  A  Fai^ocai  BaifricW  tes  eadifves  dé  ses 
enlans^  ehasno  couché  en  travats  dNtte  nala  qse  eondaisrit  «a 
parfsaD.  Une  foute  de  dnna  et  d'câsifii  snifait  h  tagnbi»  cevté^SL 
Avee  e«x«É  voyait  tes  g^darmc»^  <|Di  aniMat  lai4oMiti9p^laid, 
etfadjaint^cpii  levait  tes  bras  att del ^  iéyikWÊà  sans  cessa  :  Qme  ébm 
Ml  te  prtfctl-^ Qttékpaaa leimneat  caire aates  m»  oaiifoe d^> 
lanéac^,  tfmnmMaA  tes  cbaveau  et  pauaateat  dta  tairieflMM 
sasvagi»;  Mair  teiir  doidev  hrujMte  produisit  nafaM  dTiaBpresslM 


96  RETUB  DBS  DBUX  MONDES. 

que  le  désespoir  moet  d'an  personnage  qui  attirait  tous  les  regards. 
C'était  le  nifldheureux  père,  qui,  allant  d'un  cadayre  à  l'autre,  soule- 
vait leurs  têtes  souillées  de  terre,  baisait  leurs  lèvres  violettes,  sou- 
tenait leurs  membres  déjà  raidis ,  comme  pour  leur  éviter  les  cahots 
de  la  iDute.  Parfois  on  le  voyait  ouvrir  la  bouche  pour  parler,  mais  il 
n'en  sortait  pas  un  cri,  pas  une  parole.  Toujours  les  yeux  fixés  sur  les 
cadavres ,  il  se  heurtait  contre  les  pierres ,  contre  les  arbres ,  contre 
tous  les  obstacles  qu'il  rencontrait. 

Les  lamentations  des  femmes ,  les  imprécations  des  hommes  re- 
doublèrent lorsqu'on  se  trouva  en  vue  de  la  maison  d'Orso.  Quelques 
bergers  rebbianistes  ayant  osé  faire  entendre  une  acclamation  de 
triomphe ,  l'indignation  de  leurs  adversaires  ne  put  se  contenir.  — 
Vengeance  !  vengeance  I  crièrent  quelques  voix.  On  lança  des  pierres, 
et  deux  coups  de  fusil  dirigés  contre  les  fenêtres  de  la  salle  où  se 
trouvaient  Colomba  et  ses  hôtes  percèrent  les  contrevents  et  firent 
voler  des  éclats  de  bois  jusque  sur  la  table  près  de  laquelle  les  deux 
fenunes  étaient  assises.  Miss  Lydia  poussa  des  cris  affreux ,  le  colonel 
saisit  un  fusil ,  et  Colomba ,  avant  qu'il  pût  la  retenir,  s'élança  vers  la 
porte  de  la  maison  et  l'ouvrit  avec  impétuosité.  Là,  debout  sur  le 
seuil  élevé ,  les  deux  mains  étendues  pour  maudire  ses  ennemis  : 

—  Lâches  I  s'écria-t-elle,  vous  tirez  sur  des  fenunes,  sur  des  étran* 
gersl  Êtes-vous  Corses?  êtes-vous  hommes?  misérables  qui  ne  savez 
qu'assassiner  par  derrière.  Avancez  ;  je  vous  défie.  Je  suis  seule;  mon 

frère  est  loin.  Tue^moi,  tuez  mes  hôtes;  cela  est  digne  de  vous 

Vous  n'osez ,  lâches  que  vous  êtes  ;  vous  savez  que  nous  nous  ven- 
geons. Allez,  allez  pleurer  conune  des  fenunes,  et  remerciez-nous  de 
ne  pas  vous  demander  plus  de  sang. 

n  y  avait  dans  la  voix  et  dans  l'attitude  de  Colomba  quelque  chose 
d'imposant  et  de  terrible;  à  sa  vue,  la  foule  recula  épouvantée, 
conune  à  l'apparition  de  ces  fées  malfaisantes  dont  on  raconte  en 
Corse  plus  d'une  histoû^  effrayante  dans  les  veillées  d'hiver.  L'ad- 
jomt,  les  gendarmes  et  un  certain  nombre  de  fenunes  profitèrent  de 
ce  mouvement  pour  se  jeter  entre  les  deux  partis  ;  car  les  bergers  reb- 
bianistes préparaient  déjà  leurs  armes ,  et  l'on  put  craindre  un  mo- 
ment qu'une  lutte  générale  ne  s'engageât  sur  la  place.  Mais  les  deux 
factions  étaient  privées  de  leurs  chefs,  et  les  Corses,  disciplinés  dans 
leurs  fureurs ,  en  viennent  rarement  aux  mains  dans  l'absence  des 
principaux  auteurs  de  leurs  guerres  intestines.  D'ailleurs  Colomba , 
rendue  prudente  par  le  succès,  contint  sa  petite  garnison  :  —  Laissez 
{deurer  ces  pauvres  gens,  disaît-eUe;  laissez  ce  vieillard  emporter  sa 


96  RETUB  DBS  DBUX  MONDES. 

que  le  désespoir  moet  d'un  personnage  qui  attirait  tous  les  regards. 
C'était  le  mfldheureux  père,  qui,  allant  d'un  cadavre  à  l'autre,  soule- 
vait leurs  têtes  souillées  de  terre,  baisait  leurs  lèvres  violettes,  sou- 
tenait leurs  membres  déjà  raidis ,  conmie  pour  leur  éviter  les  cahots 
de  la  iDute.  Parfois  on  le  voyait  ouvrir  la  bouche  pour  parler,  mais  il 
n'en  sortait  pas  un  cri ,  pas  une  parole.  Toujours  les  yeux  fixés  sur  les 
cadavres ,  il  se  heurtait  contre  les  pierres ,  contre  les  arbres ,  contre 
tous  les  obstacles  qu'il  rencontrait. 

Les  lamentations  des  femmes ,  les  imprécations  des  honmies  re- 
doublèrent lorsqu'on  se  trouva  en  vue  de  la  maison  d'Orso.  Quelques 
bergers  rebbianistes  ayant  osé  faire  entendre  une  acclamation  de 
triomphe,  l'indignation  de  leurs  adversaires  ne  put  se  contenir.  — 
Vengeance!  vengeance!  crièrent  quelques  voix.  On  lança  des  pierres, 
et  deux  coups  de  fusil  dirigés  contre  les  fenêtres  de  la  salle  où  se 
trouvaient  Colomba  et  ses  hôtes  percèrent  les  contrevents  et  firent 
voler  des  éclats  de  bois  jusque  sur  la  table  près  de  laquelle  les  deux 
femmes  étaient  assises.  Miss  Lydia  poussa  des  cris  affreux ,  le  colonel 
saisit  un  fusil,  et  Colomba,  avant  qu'il  pût  la  retenir,  s'élança  vers  la 
porte  de  la  maison  et  l'ouvrit  avec  impétuosité.  Là,  debout  sur  le 
seuil  élevé ,  les  deux  mains  étendues  pour  maudire  ses  ennemis  : 

—  Lâches  !  s'écria-t-elle,  vous  tirez  sur  des  fenunes,  sur  des  étran* 
gersl  Êtes-vous  Corses?  ête&-vous  hommes?  misérables  qui  ne  savez 
qu'assassiner  par  derrière.  Avancez  ;  je  vous  défie.  Je  suis  seule;  mon 

frère  est  loin.  Tue^moi,  tuez  mes  hôtes;  cela  est  digne  de  vous 

Vous  n'osez ,  lâches  que  vous  êtes  ;  vous  savez  que  nous  nous  ven- 
geons. Allez,  allez  pleurer  conune  des  fournies,  et  remerciez-nous  de 
ne  pas  vous  demander  plus  de  sang. 

Il  y  avait  dans  la  voix  et  dans  l'attitude  de  Colomba  quelque  chose 
d'imposant  et  de  terrible;  à  sa  vue,  la  foule  recula  épouvantée, 
conune  à  l'apparition  de  ces  fées  malfaisantes  dont  on  raconte  en 
Corse  plus  d'une  histoire  effrayante  dans  les  veillées  d'hiver.  L'ad- 
joint ,  les  gendarmes  et  un  certain  nombre  de  fenunes  profitèrent  de 
ce  mouvement  pour  se  jeter  entre  les  deux  partis  ;  car  les  bergers  reb- 
bianistes préparaient  déjà  leurs  armes ,  et  l'on  put  craindre  un  mo- 
ment qu'une  lutte  générale  ne  s'engageât  sur  la  place.  Mais  les  deux 
factions  étaient  privées  de  leurs  chefs,  et  les  Corses,  disciplinés  dans 
leurs  fiureurs ,  en  viennent  rarement  aux  mains  dans  l'absence  des 
principaux  auteurs  de  leurs  guerres  intestines.  D'ailleurs  Colomba , 
rendue  prudente  par  le  succès,  contint  sa  petite  garnison  :  ^—  Laissez 
{deurer  ces  pauvres  gens^  disatt-elle;  laisrâz  ce  vieillard  emporter  sa 


COLOMBA.  97 

cb  reDard.  qui  n'a  plus  de  denUpour. 

nu  uviens-toi  du  3. août I  SouvieDS->hH 

du  écrit  de  ta  main  de  faussaire!  Ït0() 

pè  i  i'ont  payée.  Je  te  donne  quittance. 

(ourire  du  mépris  sur  les  lèvres,  vit 
po  de  ses  ennemis,  puis  la  foule  se  dis- 

siper lentement.  Elle  referma  sa  porte,  et,  rentrant  dans  la  salle  à 
manger,  dit  au  colonel  : 

— Je  vous  demande  bien  pardon  pour  mes  compatriotes,  monsieur. 
Je  n'aurais  jamais  cru  que  des  Corses  tirassent  sur  une  maison  où  il 
y  a  des  étrangers,  et  j'en  suis  honteuse  pour  mon  paya. 

Le  soir,  miss  Lydia  s'étant  retirée  dans  sa  chambre,  le  colonel  l'y 
suivit  et  lui  demanda  s'ils  ne  feraient  pas  bien  de  quitter  dès  le  len- 
demain un  village  où  l'on  était  exposé  à  chaque  instante  reçevpirune 
balle  dans  la  tète,  et  le  plus  tAt  possible  un  pays  où  l'on.ne  voyait  qi^ 
meurtres  et  trahisons. 

Miss  Nevil  fut  quelque  temps  sans  répondre,  et  il  était  évident  qœ 
la  proposition  de  son  père  ne  lui  causait  pas  un  médiocre  enihairas. 
£nBa  elle  dit: 

T-  Gomment  pourrions-nous  quitter  cette  malheureuse  jeune  per- 
soDQe,  dans  un  moment  où  elle  a  tant  besoin  de  consolations?  Ne 
trouyei-vous  pas,  mon  père,  que  cela  serait  cruel  i  nous? 

—  C'est  pour  vous  que  je  parle ,  ma  fille ,  dit  le  colonel  ;  et  tà  je 
vous  savais  en  sûreté  dans  l'hôtel  d'Ajaccio,  je  vous  assure  que  je 
serais  fâché  de  quitter  cette  Ile  maudite  sans  avoir  serré  la  main  à  ce 
brave  délia  Rebbia. 

—  Eh  bien  1  mon  père,  attendons  encore,  et,  avant  de  partir,  assu- 
rons-nous bien  que  nous  ne  pouvons  leur  rendre  aucun  service. 

—  Bon  cœur!  dit  le  colonel  en  baisant  sa  fille  au  front.  J'aime  k  te 
voir  ainsi  te  sacriBer  pour  adoucir  le  malheur  des  autres.  Restons; 
on  ne  se  repent  jamais  d'avoir  fait  une  bonne  action. 

Miss  Lydia  s'agitait  dans  sou  lit  sans  pouvoir  donmr.  TantAt  les 
bruits  vagues  qu'elle  entendait  lui  paraissaient  les  préparatifs  d'une 
attaque  contre: la  maison;  lapt^t,  rassurée  pour  elleriuAme,  elle  pen- 
sât au  pauvre  blessé,  étendu  probablement  à  cette  heure  sur  la  terre 
froide,  sans  autiesseceuFs  que  ceuiqu'il  pouvait  attendre  de  la  cha- 
nté d'vu  bandit.  Elle  se :leiPeprâsentait«auflertde  sang,  se  débattant 
dans  de»  sottf&anees  .bombles^  el-ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est 
que,  toutes  les  fois  que  l'image  d'Orso  se  présentait  à  son  esprit,  il 

TOSB  XXIII.  7 


m  REYUB  Vm  tmst  MONDES. 

lui  «paraissait  toajowrs  tel  qn^ete  Tavatt  vu  au  tnmnent  ^  son  é6<- 
part,  pressant  «sr  ses  lèvi^ te taHnMnqé'eitefai  avait doMié;..  Pih 
efe  songeait  à  sa  bre?oui«.  Site  se  dis«ft  que  te  daiif^  CeiTiMe'a^ 
il  venait  d'éeliapper,  c'était  à  osMse  d'elle ,  pMt  la  yék  mt  pea  pfeB 
tôt,  qu'il  s'y  était  exposé.  Peu  s*en  fallait  qu'elle  ne  Se  persuadftt i^èe 
c'était  pour  la  défendre  ^X)rso  «'éfait  ftft  eaKer  te  bra».  £He  se 
n^rociaK  sa  Messtt«,  mais  «Ite  l'eK  adittorit  ttomitage-,  «et  M  le 
fameta  cMp  dooMe  n'avait  fas,  à  «eft  yeux,  autant  de  mértte  ^*Il 
ceux  de  ftrandolaccio  et  de  Colomba ,  eUe  trcaivaft  aepetkémi  ^oe  f&a 
de  isérm  de  rontott  avatent  montré  autant  d'tntr^pMté,  autant  de 
sang-iroM,  dans  un  au^ ]gr«Â)d péMi. 

La  chambre  *qa'<M«  ooc«[|iait  éiait  œlte  ^  Colomba.  An-^desatts 
d'une  espèce  de  f^ne-dien  en  chêne,  à  cAté  dHme  palme  bénite,  était 
sàspendnà  la  mrnnilte nn  poitraft  en  mtniatni^  dX)rBo  en  uniRmiie 
de  sous4féatenant.  MisB  Nevil  détadia  te  portrait,  te  considéra  long- 
t^ops,  et  te  posa  «tafin  lanptrés  de  «on  Ift ,  ate  Hen  de  te  iMseltre  à  en 
place.  Elle  ne  s'endormit  qu'à  la  pointe  du  jour^  et  te  soleH^était  déjà 
fort  ^étevé  aâr-de^  de  lIiorisBon  ters4|n'elte  s'év«Mla.  Deyant  «on  lit, 
^He  aperçut  Gdtemba^  ipii  attendait  immobile  te  manent  oà  elfe 
ouvrirait  les  yeux. 

—  Eh  bien!  mademoiseHe,  n'ètes-^oi»  ps»  bien  mal  dniâ  notre 
pauvre  maison?  M  dit  Colomba,  le  cmins  -que  vans  n'afez  f^oèm 
dormi. 

^^  ATèM^ons  de  ses  naÉveltes ,  mn  cbèm  «ntef  dit  mfta  fïevîl  en 
Bé  tevsM  anr  «an  sénnt. 

Ë8ei^^çiAtepoi1r8^dX)r8ia,  itsetiftiadeJeternnÉioëclkioirpMr 
le  cacher. 

-^  (Mil ,  j'M  4e  nés  nMun^BfBea,  dit  CMelUba  en  aoimialit. 

Et,  prenant  te portïnit  : 

^  Le  konvez--?ous  reaiemMant?  H  est  mtent  qteé  teiB. 

^MonDteul...  dit  miss  Névfl  %OfM&  bdiMeipse,  j'ai  détMé...  par 
distraction...  ce  poMraK..«  f  ai  te  défafftt  de  Icmelier  k  tant... et  de«e 
ranger  rien...  Comment  yst  ¥oti^  Mre? 

—  Asset  bien.  Oiocanto  est  ventt  id  ce  mMin  'avant  4«Kb«  bennÉ. 
n  m'apportait  une  lettre,  pote  Vous,  ttSss  LydH;  9no  ne  m'a  \fÊB 
éci%,  è  ïnoS.  B  y  a  bien  sto  l'adresse  :  à  Odomba-;  mais,  plas  bas  : 
pour  miss  N.....  Les  soeurs  ne  sont  point  JiAonses.  (StecaMo  dit  <^ifl 
a  bien  sonffert  pOitr  éa*e.  Gîocanto,  <(uî  a  une  taéJn  sa^Kertie ,  *ii 
avait  Offeit  décrire  sous  sa  dictée.  9  n*a  pAs  vMte.  R  é:;rfvtit  Aviôc 
un  trayon ,  tondté  9àr  te  dos.  Krctad^lac^âo  tenait  te  piqpi^.  A  ^Mfie 


ItfStoirt,  ikHHiï^è  V0!A^^)ev«r,  et  iSor^,  ûu  moinfArè  ihcfuvetoetft, 
c'étaient  dans  son  bras  d^  douleurs  atroces.  C'était  pitié,  âtsaitûfo- 
eaMo.  Voiei  sa  lètti^. 

Miss  Kevfl  lut  ta  lettre,  qui  était  écrite  en  anglais,  ^ans  doute  pair 
suWSroJt  et  précwMSon.  Yoid  ce  ^'clle  wntenaît  : 

((HADElHOISEiXBH 

((TÎne  malheureuse  fatalité  m'a  poussé;  j'ignore  ee  q«e  diront  nàes 
ennemis,  quelles  calomnies  ils  inventeront.  Peu  m'importe  si  vons^ 
mademoiselle,  vous  n'y  donnez  point  créance.  Depuis  que  je  vous  À 
vue ,  Je  m'étais  bercé  de  rêves  insensés.  H  a  fallu  cette  catasb«|))ie 
pour  Hse  montrer  ma  folie;  je  suis  raisowiable  maintenant,  le  sans  quel 
est  l'avenir  qui  m'attend,  et  il  me  trouvera  résigné.  Cette  bague  que 
vous  m'avez  donnée  et  que  je  croyais  un  talisman  de  bonheur,  je  n'oie 
la  garder.  Je  crains^  miss  Nevil ,  que  vous  n'ayez  eu  regret  d'avoir  si 
mal  placé  vos  dons ,  ou  plutôt  je  crains  qu'elle  ne  me  rappelle  le 
temps  où  j'étais  fou.  Colomba  vous  la  remettra.  Adieu ,  mademoiselle, 
vous  allez  quitter  la  Corse,  et  |e  ne  vous  verrai  plus;  mais  dites  à  ma 
sqeur  que  j'ai  encore  votre  estime,  et,  je  le  dis  avec  assurance,  je  h 
mérite toiqouiis^»  xc  <X  D.  £.  ^ 

liiss  Lyéia  s*^it  "détournée  pour  Vvre  tette  )etl^e,  etVloto^Mirà,  q«S 
fMMrvaK  âittefiUv€fment,  M  fewSt  ta  bague  égy^pftSennè , -en  lui  de- 
mandant du  regard  ce  que  cela  signifiait.  Mais  miss  LyéHa  n'ui^A 
bver  la  lèlè,  et  elle  censidéraft  M^ement  la  Irngue  qtt'dRe  metbitt  à 
soii  doîgt  et  '^u'Wlè  retirait  altertiatiyeraent. 

«-^Cbèi^missI^evflfdttCotonAa,  ne  puis^  «rvôîr  Cètrnè  votft 
4ft  mon  frère?  Vous  paifle-=t-fl  de  mn  état? 

-«-  Mkfs...  dît  miss  Lydia  en  rougissant,  H  n'en  parie  yas...  Sa 
htoiè  <(»t^  an^s...  n  me  charge  de  (firei  ttion  père...  fl  tspère 
que  le  préfet  pourra  arranger... 

IC^IoM)à,^sMrtaBft  avec  malice,  s'^s^  sur  le  Ift,  prit  les  deux  mafns 
éb  ttfisB  iNeWI,  €t  la  i^ardaift nvec  «es  yeux  pénétrans  : — Serez^vfmA 
bonne?  lui  dit-elle.  N'est-ce  pas  qtiè  vo«  répotrArez  *  mon  frère? 
VM^Mfefiek  «tant  de  Men.  Un  moment  l'idée  fe^est  venue  de  vous 
réveiller  lorsque  sa  lettre  est  venue,  et  pins  je  n'ai  pas  osé. 

<—  Vous  a^ez  eu  bieu  toit,  dit  miss  I^vll,  «i  un  mot  de  moi  pou- 

i-^MaiiifteMflitje  ne  pins  lui  envoyerde  lettres.  Le  préfet  est  arrivé, 
et  Pietranera  est  pleine  de  ses  estaffiers.  Plus  tard  nous  verrons.  Âh  I 
tt  yws  connaissiez  teou  fi^,  miis  nevB ,  vous  l'aimeriez  comme  je 

7. 


100  BSVtE  DBS  mUX  MONDES. 

Taime...  n  est  si  bon!  si  brave!  Songez  donc  à  ce  qu'il  a  fait!  Seul 
contre  deux  et  blessé  ! 

Le  préfet  était  de  retour.  Instruit  par  un  exprès  de  l'adjoint,  il 
était  venu  accompagné  de  gendarmes  et  de  voltigeurs ,  amenant  de 
plus  procureur  du  roi ,  greffier  et  le  reste  pour  instruire  sur  la  nou- 
velle et  terrible  catastrophe  qui  compliquait,  ou  si  l'on  veut  qui 
terminait  les  inimitiés  des  familles  rivales  de  Pietranera.  Peu  après 
son  arrivée,  il  vit  le  colonel  Nevil  et  sa  fille,  et  ne  leor  cacha  pas 
qu'il  craignait  que  l'affaire  ne  prît  une  mauvaise  tournure.  —  Vous 
savez,  dît-il,  que  le  combat  n'a  pas  eu  de  témoins,  et  la  réputation 
d'adresse  et  de  courage  de  ces  deux  malheureux  jeunes  gens  était  si 
bien  établie,  que  tout  le  monde  se  refuse  à  croire  que  M.  délia  Rebbia 
ait  pu  les  tuer  sans  l'assistance  des  bandits  auprès  desquels  on  le  dit 
réfugié. 

—  C'est  impossible,  s'écria  le  colonel  ;  Orso  délia  Rebbia  est  un 
garçon  plein  d'honneur;  je  réponds  de  lui. 

—  Je  le  crois,  dit  le  préfet,  mais  le  procureur  du  roi  (ces  messieurs 
soupçonnent  toujours)  ne  me  parait  pas  très  favorablement  disposé. 
Il  a  entre  les  mains  une  pièce  f&cheuse  pour  votre  ami.  C*est  une 
lettre  menaçante  adressée  à  Orlanduccio ,  dans  laquelle  il  lui  donne 
un  rendez-vous...  et  ce  rendez-vous  lui  parait  une  embuscade. 

— ^  Cet  Orlanduccio,  dit  le  colonel ,  a  refusé  de  se  battre  comme  un 
galant  homme. 

—  Ce  n'est  pas  l'usage  ici.  On  s'embusque,  on  se  tue  par  derrière, 
c'est  la  façon  du  pays.  Il  y  a  bien  une  déposition  favcM'able;  c'est  celle 
d'un  enfant  qui  affirme  avoir  entendu  quatre  détonations,  dont  les 
deux  dernières ,  plus  fortes  que  les  autres ,  provenaient  d'une  arme 
de  gros  calibre  conune  le  fîisil  de  M.  délia  Rebbia.  Malheureusen^ent 
cette  enfant  est  la  nièce  de  l'un  des  bandits  que  l'on  soupçonne  de 
complicité,  et  ellea  sa  leçon  faite. 

—  Monsieur,  interrompit  miss  Lydia  rougissant  jusqu'au  blanc  des 
yeux ,  nous  étions  sur  la  route  quand  les  coups  de  fusil  ont  été  tirés, 
et  nous  avons  entendu  la  même  chose. 

—  En  vérité?  Voilà  qui  est  important.  Et  vous,  colonel,  vous  avez 
sans  doute  fait  la  même  remarque? 

—  Oui,  reprit  vivement  miss  Nevil;  c'est  naon  père,  qui  a  Fhabi- 
tude  des  armes,  qui  a  dit  :  Voilà  M.  délia  Rebbia  qui  tire  avec  mon  fmL 

—  Et  ces  coups  de  fiisij  que  vous  avez  reconnus,  c'étaient  bien  les 
derniers? 

—  Les  deux  derniers^  n'est-^e  paa^  mon  père  ?  •        .     . 


COIOMBA.  *  101 

Le  colonel  n'avait  pas  très  bonne  mémoire;  mais  en  toute  occasion 
il  n'avait  garde  de  contredire  sa  fille. 

—  Il  feut  sur-le-champ  parler  de  cela  au  procureur  du  roi ,  colonel. 
Au  reste ,  nous  attendons  ce  soir  un  chirurgien  qui  examinera  les 
cadavres  et  vérifiera  si  les  blessures  ont  été  faites  avec  l'arme  en 
question. 

— C'est  moi  qui  l'ai  donnée  à  Orso,  dit  le  colonel,  et  je  voudrais  la 
savoir  au  fond  de  la  mer...  C'est-ànlire...  le  brave  garçon I  je  suis 
bien  aise  qu'il  l'ait  eue  entre  les  mains;  car,  sans  mon  Manton,  je  ne 
sais  trop  comment  il  s'en  serait  tiré. 


XIX. 

Le  chirurgien  arriva  un  peu  tard.  Il  avait  eu  son  aventure  sur  la 
route.  Rencontré  par  Giocanto  Castriconi ,  il  avait  été  sommé  avec 
la  plus  grande  politesse  de  venir  donner  ses  soins  à  un  homme 
blessé;  on  l'avait  conduit  auprès  d'Orso,  et  il  avait  mis  le  premier 
appareil  à  sa  blessure.  Ensuite  le  bandit  l'avait  reconduit  assez  loin  et 
l'avait  fort  édifié  en  lui  parlant  des  plus  fameux  professeurs  de  Pise, 
qui ,  disait^il ,  étaient  ses  intimes  amis. 

-^  Docteur,  dit  le  théologien  en  le  quittant ,  vous  m'avez  inspiré 
trop  d'estime  pour  que  je  croie  nécessaire  de  vous  rappeler  qu'un  mé- 
decin doit  être  aussi  discret  qu'un  confesseur. — Et  il  faisait  jouer  la 
batterie  de  son  fusil.  — ^Yous  avez  oublié  le  lieu  où  nous  avons  eu  l'hon- 
neur de  vous  voir.  Adieu ,  enchanté  d'avoir  fait  votre  connaissance. 

Colomba  supplia  le  colonel  d'assister  à  l'autopsie  des  cadavres. 

— Vous  connaissez  mieux  que  personne  le  fusil  de  mon  frère,  dit- 
elle,  et  votre  présence  sera  fort  utile.  D'ailleurs  il  y  a  tant  de  mé- 
chantes gens  ici,  que  nous  courrions  de  grands  risques  si  nous  n'avions 
personne  pour  défendre  nos  intérêts. 

Restée  seule  avec  miss  Lydia ,  elle  se  plaignit  d'un  grand  mal  de 
tète,  et  lui  proposa  une  promenade  à  quelques  pas  du  village.  «  Le 
gnmd  air  me  fera  du  bien ,  disait-elle;  il  y  a  si  long-temps  que  je 
ne  l'ai  respiré.  »  Tout  en  marchant,  elle  lui  parlait  de  son  frère,  et 
miss  Lydia,  que  ce  sujet  intéressait  assez  vivement,  ne  s'apercevait 
pas  qu'elle  s'éloignait  beaucoup  de  Pietranera.  Le  soleil  se  couchait 
quasHl  eNe  en  fit  l'obserration ,  et  engagea  Colomba  à  rentrer.  Co- 
lomba connaissait  une  traverse  qui ,  disait-elle,  abrégeait  beaucoup  le 
retour,  et  quittant  le  sentier  qu'elle  suivait,  elle  en  prit  un  autre  en 


m  REYUB  ]»S  MHDt  MONDES. 

lui  apparaissait  tofijours  td  qu'été  Vmét  vu  au  tnament  ^  son  d6>- 
part,  pressant siir  ses lëvi^totaHmMnqÉ'eiteliû avait d^  IMs 
efe  songeait  à  sa  bra?(mre.  Bile  ^  dis«ft  que  le  «bniger  lerrilste 
il  venait  d'éeiiapper,  c'était:  à  ea«se  d'elle ,  pMr  la  yék  mt  pen  pite 
tôt,  qu'il  s'y  était  exposé.  Peu  s'en  fallait  qu'elle  ne  Se  pemûdÉti^ 
e'était  pour  la  défendre  qiiX)rso  «'était  ftft  cawer  te  bra».  £He  se 
n^rociaK  sa  MesslM,  inafis  «He  l'eK  «dninrit  dtfmrtage;  «et  Mie 
fame«D[  coup  dooMe  n'avrit  pas,  à  ses  yeux,  autant  de  niértte  ^'A 
ceux  de  Brandolaccio  et  de  Colomba,  elle  tnwraft  (Cependant  qtie  peu 
de  MiH»  de  wtÈm  avaiefit  inotttré  Mtant  dlntrépMté,  autant  de 
sang-Crotd ,  dans  un  au^  grtod  péril. 

La  chambre  ypiVMe  occ«vpaft  éliM  eeHe  de  Colomba.  Au-desatt 
d'une  espèce  de  prie-dien  en  chêne,  à  cAté  dHme  palme  bénite,  était 
suspendu  à  la  murafUe  im  poitraft  en  mftiiatom  dX)no  en  unifonfie 
de  sous-lfeutenant.  MisB  Ne  vil  détadHi  œ  portrait,  le  conridéra  long- 
temps, et  le  posa  onfin  atnpirés  de  «on  Ift ,  ate  Hen  de  le  iMsettre  k  ih 
place.  Elle  ne  s'endormit  qu'à  la  pointe  du  jour^  et  lé  BOlell  était  déjà 
fort  ^étevé  aâr-des^  de  Itioriason  torsqn'eHe  s'év^efHa.  Deyant  wn  lit, 
^He  iq[>erçut  G(domba,  ipii  attendait  temoUle  le  ^Éanent  oà  elle 
ouvrirait  les  yeux. 

—  Eh  bien!  mademoiselle,  n'ètes-^oi»  ps»  bien  mal  dnâ  notre 
pauvre  mlôson?  Ini  dit  Goloiid)a.  Je  creinB  que  feus  n'afez  f^oène 
dormi. 

^^  AveM^ons  de  ses  MH^eHes ,  ma  cbèm  «rief  dtt  min  !Se¥îl  en 
Bé  tevant  anr  «M  séant. 

Ë8eaperçiAlepoi1r8^dX)r8ia,  itsetiftiade)0lèr«nÉio«elioirpMr 
le  cacher. 

-^  Oui ,  }'af  ée  aes  nouv^BfBea,  dit  CetalMba  en  aoivialit. 

Et)  prenant  te portïnit  : 

~  Le  koùvez-vous  vesaeilAlant?  H  est  ndent  qUé  teiB. 

^MonDieul...  dit  miss  NevIlloMs  bdiMeipse,  j'ai  déUÉshè...  par 
distraction...  ce poMratt..«  f  ai  le  défafttt  de lottelier  k  toM... et  de«e 
ranger  rien...  €omment  yst  Votre  frfere? 

—  Assek  bien.  Giocanto  est  venu  ici  ce  mMîn  avant  qnMre  heures. 
n  m'apportait  une  lettre,  pote  Vous,  ttSss  LydH;  dfto  ne  m'a  pÊR 
écrit,  %  mol.  B  y  a  bien  ^ir  l'adresse  :  à  Ctriomba^,  mais,  plas  bas  : 
pour  nuss  N.....  Les  sœurs  ne  sont  point  Jalouses.  GfocaM)e  dit  qnin 
a  bien  sonfiert  t>6ur  écrite.  Giocairto,  qui  a  une  taàin  salperbe ,  fti 
avait  offert  décrire  sous  sa  dictée.  9  n'a  pus  vonki.  R  ésf^tit  avec 
un  traybn ,  tkmclié  sNir  te  dos.  KiMâl^^ 


Ifliteirt,  iiHHi^É^irè  variait  !(e  lever,  et  iSors,  tu  moinfArè  IMmveknetft, 
c'étaient  dans  «on  bras  d^  douleurs  atroces.  C'était  pitié,  disait  tjîo- 
eaMo.  Vtolei  éa  tetti^. 

Miss  Kevfl  lut  ta  lettre,  qui  était  écrite  en  anglais ,  ^ans  doute  i>àlr 
suiy^ïrott  4e  ptécsti^n.  Yoid  ^  qu'elle  contenait  : 

(cTine  malheureuse  fatalité  m'a  poussé;  j'ignore  ee  q«e  diront  nies 
ennemis,  quelles  calomnies  ils  inventeront.  Peu  m'importe  si  yms^ 
mademoteelle,  vous  n'y  donnez  point  créance.  Depuis  que  je  vous  A 
vue.  Je  m'étais  bercé  de  rêves  insensés.  Il  a  fallu  cette  catasb'cphe 
pour  me  montrer  ma  folie;  je  suis  raisonnable  maintenant,  le  sans  quel 
est  l'avenir  qui  m'attend,  et  il  me  trouvera  résigné.  Cette  bague  que 
vous  m'avez  donnée  et  que  je  croyais  un  talisman  de  bonheur,  je  n'oie 
la  garder.  Je  o^ains^  miss  Nevil ,  que  vous  n'ayez  du  regret  d'avoir  si 
mal  placé  vos  dons,  ou  plutôt  je  crains  qu'elle  ne  me  r^sftpelle  le 
temps  où  j'étais  fou.  Colomba  vous  la  remettra.  Adieu ,  mademoiselle, 
vous  allez  quitter  la  Corse,  et  je  ne  vous  verrai  plu3;  mais  dites  à  ma 
sœur  que  j'ai  encore  votre  estime,  et,  je  le  dis  avec  assurance,  je  h 
mérite  toiqouiis.  »  xciX  D.  R.  » 

Miss  Lytfia  s^it  "détournée  pour  Mre  <^elle  lettre,  f^KldliUtlbh,  qui 
fétièrvaSt  aMefiCivément,  M  tewSt  ta  bague  égy^iatomè,  ^n  M  de- 
mandant du  regard  ce  que  cela  signifiait.  Mais  miss  LyéHa  n'i^Étât 
lever  ta  ^tètè,  et  elle  considérait  lifirtenien^  la  Imgue  qfi*dRe  11^ 
êêtk  drtgt  et  iqu'Wle  rethwt  alternativement. 

*-^€bère«^l^evfl,dft€dlonri>a,  ne  puii-Je  «avoîr  ceqùè  votft 
4ft  mon  frère?  Vous  paifle^-fl  de  «on  état? 

-<-  Mats...  dit  miss  Lydia  en  rougissant,  fl  Ti'en  parie  ffas...  Sa 
Mt(l«  ^^  an^s...  n  me  charge  de  (firei  ttion  père...  fl  tsipère 
que  le  préfet  pourra  arranger... 

<G€lûttibà,^sMMaBt  aveetimlicé,  s'assit  sur  le  Ift,  prit  les  deux  mrins 
èb  Hfisslffertl,  «tïa  i^e^ardaiftiivec^es  yeux  pénétrans:  — Berez^votÉ 
bonne?  lui  dit-elle.  N'est-ce  pas  qtié  Vous  répondrez  *  mon  frère? 
l^M&MTeret  tant  de  Men.  Un  moment  l'idée  m^est  venue  de  vous 
réveiller  lorsque  sa  lettre  est  venue,  et  ptns  je  u'ai  pas  osé. 

«^  Yèusîivez  eu  bien  toit,  dit  miss  NevIl,  m  un  mot  de  moi  pou- 

i— MaiiilIcMfit  je  M  puis  lui  envoyer  de  lettres.  Le  préfet  est  arrivé, 
et  Pietranera  est  pleine  de  ses  estaffiers.  Plus  tard  nous  verrons.  Âhl 
»  yom  connaissiez  taon  Mtt^  «ils  nev9 ,  vous  ranneriez  comme  je 

7. 


100  BSVtE  DBS  rmUX  MONDES. 

Taime...  U  est  si  bon!  si  brave!  Songez  donc  à  ce  qu'il  a  fiUtI  Seul 
contre  deux  et  blessé  I 

Le  préfet  était  de  retour.  Instruit  par  un  exprès  de  Tadjoint,  il 
était  venu  accompagné  de  gendarmes  et  de  voltigeurs,  amenant  de 
plus  procureur  du  roi ,  greffier  et  le  reste  pour  instruire  sur  la  nou- 
velle et  terrible  catastrophe  qui  compliquait,  on  si  Ton  veut  qui 
terminait  les  inimitiés  des  familles  rivales  de  Pietranera.  Peu  après 
son  arrivée,  il  vit  le  colonel  Nevil  et  sa  fille,  et  ne  leur  cacha  pas 
qu'il  craignait  que  l'aflaire  ne  prît  une  mauvaise  tournure.  —  Vous 
savez,  dit-il,  que  le  combat  n'a  pas  eu  de  témoins,  et  la  réputation 
d'adresse  et  de  courage  de  ces  deux  malheureux  jeunes  gens  était  si 
bien  établie,  que  tout  le  monde  se  refuse  à  croire  que  M.  délia  Rebbia 
ait  pu  les  tuer  sans  l'assistance  des  bandits  auprès  desquels  on  le  dit 
réfugié. 

—  C'est  impossible,  s'écria  le  colonel  ;  Orso  délia  Rebbia  est  un 
garçon  plein  d'honneur;  je  réponds  de  lui. 

—  Je  le  crois,  dit  le  préfet,  mais  le  procureur  du  roi  (ces  messieurs 
soupçonnent  toujours)  ne  me  parait  pas  très  favorablement  disposé. 
Il  a  entre  les  mains  une  pièce  f&cheuse  pour  votre  ami.  C*est  une 
lettre  menaçante  adressée  à  Orlanduccio ,  dans  laquelle  il  lui  donne 
un  rendez-vous...  et  ce  rendez-vous  lui  parait  une  embuscade. 

-^  Cet  Orlanduccio,  dit  le  colonel,  a  refusé  de  se  battre  comme  un 
galant  homme. 

—  Ce  n'est  pas  l'usage  ici.  On  s'embusque,  on  se  tue  par  derrière, 
c'est  la  façon  du  pays.  Il  y  a  bien  une  déposition  favorable;  c'est  celle 
d'un  enfant  qui  affirme  avoir  entendu  quatre  détonations,  dont  les 
deux  dernières ,  plus  fortes  que  les  autres ,  provenaient  d'une  arme 
de  gros  calibre  comme  le  fusil  de  M.  délia  Rebbia.  Malheureusement 
cette  enfant  est  la  nièce  de  l'un  des  bandits  que  l'on  soupçonne  de 
complicité,  et  elle  a  sa  leçon  faite. 

—  Monsieur,  interrompit  miss  Lydia  rougissant  jusqu'au  blanc  des 
yeux ,  nous  étions  sur  la  route  quand  les  coups  de  fusil  ont  été  tirés, 
et  nous  avons  entendu  la  même  chose. 

—  En  vérité?  Voilà  qui  est  important.  Et  vous,  colonel,  vous  avez 
sans  doute  fait  la  même  remarque? 

—  Oui,  reprit  vivement  miss  Nevil;  c'est  mon  père,  qui  a  Fhabi- 
tude  des  armes,  qui  a  dit  :  Voilà  M.  délia  Rebbia  qui  tire  avec  mon  fosil^ 

—  Et  ces  coups  de  fusij  que  vous  avez  reconnus,  c'étaient  bien  les 
derniers? 

—  Les  deux  derniers,  n'est^e  pas^  mon  père?  . 


COIOMBA.  *  101 

Le  colonel  n'avait  pas  très^  bonne  mémoire;  mais  en  tonte  occasion 
il  n'avait  garde  de  contredire  sa  fille. 

—  Il  fout  snr-le-champ  parler  de  cela  au  procureur  du  roi ,  colonel. 
Au  reste ,  nous  attendons  ce  soir  un  chirurgien  qui  examinera  les 
cadavres  et  vérifiera  si  les  blessures  ont  été  faites  avec  l'arme  en 
question. 

— C'est  moi  qui  l'ai  donnée  à  Orso,  dit  le  colonel,  et  je  voudrais  la 
savoir  au  fond  de  la  mer...  C'est-ànlire...  le  brave  garçon I  je  suis 
bien  aise  qu'il  Tait  eue  entre  les  mains;  car,  sans  mon  Manton,  je  ne 
sais  trop  comment  il  s'en  serait  tiré. 


XIX. 

Le  chirurgien  arriva  un  peu  tard.  Il  avait  eu  son  aventure  sur  la 
route.  Rencontré  par  Giocanto  Castriconi ,  il  avait  été  sommé  avee 
la  plus  grande  politesse  de  venir  donner  ses  soins  à  un  homme 
blessé;  on  l'avait  conduit  auprès  d'Orso,  et  il  avait  mis  le  premier 
appareil  à  sa  blessure.  Ensuite  le  bandit  l'avait  reconduit  assez  loin  et 
l'avait  fort  édifié  en  lui  parlant  des  plus  fameux  professeurs  de  Pise , 
qui,  disait^il,  étaient  ses  intimes  amis. 

— *^  Docteur,  dit  le  théologien  en  le  quittant ,  vous  m'avez  inspiré 
trop  d'estime  pour  que  je  croie  nécessaire  de  vous  rappeler  qu'un  mé- 
decin doit  être  aussi  discret  qu'un  confesseur. — Et  il  faisait  jouer  la 
batterie  de  son  fusil.  — Vous  avez  oublié  le  lieu  où  nous  avons  eu  l'hon- 
neur de  vous  voir.  Adieu ,  enchanté  d'avoir  fait  votre  connaissance. 

Colomba  supplia  le  colonel  d'assister  à  l'autopsie  des  cadavres. 

— Vous  connaissez  mieux  que  personne  le  fusil  de  mon  frère,  dit- 
elle,  et  votre  présence  sera  fort  utile.  D'ailleurs  il  y  a  tant  de  mé- 
chantes gens  ici,  que  nous  courrions  de  grands  risques  si  nous  n'avions 
personne  pour  défendre  nos  intérêts. 

Restée  seule  avec  miss  Lydia ,  elle  se  plaignit  d'un  grand  mal  de 
tête,  et  lui  proposa  une  promenade  à  quelques  pas  du  village.  «  Le 
gnmd  air  me  fera  du  bien ,  disait-elle;  il  y  a  si  long-temps  que  je 
ne  l'ai  respiré.  »  Tout  en  marchant,  elle  lui  parlait  de  son  frère,  et 
miss  Lydia,  que  ce  sujet  intéressait  assez  vivement,  ne  s'apercevait 
pas  qu'elle  s'éloignait  beaucoup  de  Pietranera.  Le  soleil  se  couchait 
quasHl  eNe  en  fit  l'obserration ,  et  engagea  Colomba  à  rentrer.  Co- 
lomba connaissait  une  traverse  qui,  disait-elle,  abrégeait  beaucoup  le 
retour,  et  quittant  le  sentier  qu'elle  suivait,  elle  en  prit  un  autre  en 


.^Ûlt  REVUE  Dia  WKTX  MONDES. 

ç^arepce  t>eaucoap,  moios;  fréqaeDt&  Bjieiitôt  eU^,  si^  njft  4  V^^  un 
c6teaa  tellement  escarpé,  qu'elle  était  obligée  continuell^meot,  yoir 
se  soutenir,  de  s'accrocher  d'une  main  à  des  l>rancbes  d'a]:bres  pen- 
dant qne  de  l'autre  elle  tirait  sa  compagne  après  ell^.  Aju  ^out  4'iui 
^and  qqart  d'heure  de  cette  pénible  ascension ,  eUes  se.  troij^y^B^t 
sur  un  petit  plateau  couvert  de  myrtes  et  d'arbousiers,  mêlé  de  ffàj^ies 
masses  de  granit  qui  perçaient  le  sol  de  tous  cùU$.,  Miss  Ijdi^  était 
^ès  fiLtiguée^  le  Village  ne  paraissait  pas,  et  il  falsajit  pies<|ue  nuît^ 

— r  Sayçz-Yous,  ma  chère  Colomb^  ^  dl^Ue,  q^e  je.  cqygoi^  qpe  çyQp^ 
ne  sojons  égarées? 

—  M'ayez  pas  peur,  répondit  Colomba;  marchons  toujours,  sui- 
vez-moi. 

—  Mais  je  vous  assure  que  vow,  vous  trompez ,  le  village  ne  peut 
pas  être  de  ce  côté-là.  Je  parierais  que  nous  lui  tournons  le  dos. 
:Çeii^,  cça  Uwèi^  <|iie  w^  y^jwA  sli  \m^  ^^âmmimà  c'«a(t  là 
q^'çst  l^ietraoïerai. 

—  Ma  chère  amie,  4it  Coli^wba  d'ijHi  air  ag^  vow 9im  ^fm; 
igpi^  ^  deux  cente  pas  d'ici...  dia^  ce  m&quisw.. 

—  I^ibien? 

-rr  Mon  ficère  y  est;  j[e  pourrais  le  voir  et  l'embrasseiç  u  vou^  vaf4îe^ 
Hiss  Nevil  fit  un  mouvement  de  surp^.. 

—  Je  si^s  sortie  de  Pietranera,  poursuivijt  Cofemba,  asups  dtre 
sei3Ciarquée ,  parce  que  j'étais  avec  vous...  au^einient  o^  œ'aïuialt 
smvie...  Êtee  si  près  de  lui,  et  ne  pas  le  voir?...  Pj^urqooî  ne  viei^ 
^ea^vous^pas  avec  H^oi  voir  num  pauvre  frère  ?  Yim  Ip  ferÎBJb  ^iift 
(le  plaisir! 

~  Mais,  Colomba...  ce  ne  serait  pas  convenaJ)!^  de^  W  part- 

—  Jecçmpxen^ds.  Yoju^autres  femmes  d|e&  villes,  vous  vous  inquiétez 
tojij^ojw^  de  ce  «^  est  convenable;  nous  autr^  feqip^  dfi  villi^iai 
]^Qiii3  ne  penspAs  qu'à  ce  qi4  est  bien. 

—  Mais  il  est  si  tard!...  Et  votre  fi^ère,  que  pens^çart-il  de  moi? 
T-  n  pensera  qu'il  n'est  point  abandonné  par  sea  amis»  et  c^  lui 

donnera  du  courage  pour  souffrir. 

—  Et  mon  père,  il  sera  inquiet... 

~  Uvous  sait  avec  mm...  Eh  bien!  décidei^-vous...  Yous  regav^ 

diç^,  son  portrait  ce  matin ,  a^outa-t-elle  avec  un  sourire  de,  m^lîi^ 

-^  I^op...  vraiment,  Colomba,  je  ^'ose...  ces  bandits  qui,  sw,t  là...... 

—  Ehbieiil  ces  b^i^idits^e  vous  çonn^^j^sent  V^  qu*impoarte3  ^4^ 
tjlésiriezenvoir?.... 

r^lKonBieu!...^ 


COLOMBA.  f<l5 

pas,  Orso,  qu'on  est  bien  dans  le  mAquis,  an  bivouac,  par  une  bdle 
nuit  comme  celleKîi  ? 

— Oh  oui!  la  belle  nuit,  dit  Orso.  Je  ne  Foublierai  jamais! 

*-Que  vous  devez  souffrir!  dit  miss  Nevil. 

— Je  ne  souffire  plus,  dit  Orso,  et  je  voudrais  mourir  ici . — Et  sa  marin 
droite  se  rapprochait  de  celle  de  miss  Lydia  que  Colomba  tenait  tou- 
jours emprisonnée. 

-^  n  faut  absolument  qu'on  vous  transporte  quelque  part  où  Ton 
pourra  vous  donner  des  soins,  monsieur  délia Rebbia ,  dit  miss NeviL 
Je  ne  pourrai  plus  dormir,  maintenant  que  je  vous  ai  vu  si  mal  cou- 
ché... en  plein  air.... 

— Si  je  n'eusse  craint  de  vous  rencontrer,  miss  Nevil,  j'aurais 
essayé  de  retourner  à  Pietranera,  et  je  me  serais  constitué  pri- 
sonnier... 

— Eh!  pourquoi  craigniez-vous  de  la  rencontrer,  Orsô?  demanda 
Colomba. 

— Je  vous  avais  désobéi,  miss  Nevil...  et  je  n'aurais  pas  osé  vous 
voir  en  ce  moment. 

— Savez-vous,  miss  Lydia,  que  vous  faites  fau-e  à  mon  frère  tout  ce 
que  vous  voulez ,  dit  Colomba  en  riant.  Je  vous  empêcherai  de  le  voir. 

—J'espère,  dit  miss  Nevil,  que  cette  malheureuse  affaire  va  s'é- 
daircir,  et  que  bientét  vous  n'aurez  plus  rien  à  craindre...  Je  serai 
bien  contente  si,  lorsque  nous  partirons,  je  sais  qu'on  vous  a  rendu 
justice  et  qu'on  a  reconnu  votre  loyauté  conune  votre  bravoure. 

—Vous  partez,  miss  Nevil!  Ne  dites  pas  encore  ce  mot-lA. 

—  Que  voulez-vous...  mon  père  ne  peut  pas  chasser  toujours...  Il 
veut  partir. 

Orso  laissa  retomber  sa  main  qui  touchait  celle  de  miss  Lydia,  et  il 
y  eut  un  moment  de  silence. 

— Bah!  reprit  Colomba,  nous  ne  vous  laisserons  pas  encore  partir. 

Nous  avons  encore  bien  des  choses  à  vous  montrer  à  Pietranera 

D'ailleurs,  vous  m'avez  promis  de  me  faire  mon  portrait,  et  vous  n^avez 
pas  encore  commencé...  Et  puis,  je  vous  ai  promis  de  vous  feire  une 
serenata  en  soixante-quinze  couplets...  Et  puis...  Mais  qu'a  donc 
Brusco  à  grogner?,..  Voilà  Brandolaccio  qui  court  après  lui...  Voyons 
ce  que  c'est. 

Aussitôt  elle  se  leva,  et  posant  sans  cérémonie  la  tête  d'Orso  sur 
les  genoux  de  miss  Nevil,  elle  courut  auprès  des  bandits. 

Un  peu  étonnée  de  setrouver  ainsi  soutenant  un  beau  jeune  homme, 
en  tête-à^têteau  nifieo  d^ui  mftquis,  miss  Nevil  ne  saVait  trop  que  faire, 


m  REVUE  BW^]0BCX  MONDES. 

Mais  Ofso  quitta  lui-même  le  doux  appui  que  a^  $amT  v^^gj^  4o,  M 
donner,  ^  sa  aiociievant  $9s  soi^  br^»  4r^  :  Aiu^ii  toiis  partez  bî^ulAt, 
miss  Lydia?  je  n'avais  janj^  fi^asé  que  von»  dussiez  pc^lopm^  votre 
^iîfim  49m  c^.  m^lfaourem  p^ys... ,  et  pei^rtanL.. ,  depiM»  que.  vous 
ôtQ%i9<uiku^  y^r  je  soufi^pe  ceat  fois  plus  ea  spujy^iftt  qj^'iji  fai^  yous 
dire  adieu...  Je  suis  un  pauvre  lieutenant... ,  sans  ^V'^aiiçv..  «  p^oacc^ 
BW#il|j»na»t...  QiiielipiUMp^^,  v4s&  iyd^ii,  pour  v<Hp  dire  que  J9  vous 
«#ii^ . . ,  V£^  c'èfl^  sw^ 

e|^q#,sepj^qu^Î9  »m  mw^  w^b^urea^^^  mawttaotmt  ^  j'aî 
soulagé  mon  cœur. 

lAif^Lj^  dét^^rns^  1%  t6^t  eocMie  â  Tol^Mï^rité^  ne  suGfisait  pas 
PHfy  çnf^  sji  Wj^iff  ^  —  l(fo?si?wr-  deUa  Rebjpi,  dU-elAe  4*w^ 
voix  trenoblante,  serais-je  venue  en  ce  lieu,  si...,  et,  tout  eap^i^ 
^Mt;^  ^  i^Q^kMt  àm^  1a  'flwn  4'Oi:so.  le  t^^UaojiaiL  égjptiie^.  Puis, 
Gaisant  un  effort  violent  pour  reprendre  le  ton  de  plaisanterie  qiM  hii 
^t^  lJy^\]^»;Uwl^-=^  C'est  b^tn  raÂL  ^  vous,  mdngieur  Orso^,  de  parler 
ainsi...  Au  milieu  du  maquis,  entourée  de  vos  b9^(j|M&,  vouis  s^vez 
biiei^  <9^ie  n'oseiiiâs  ^noim  loe  Qiche^  coj[itre  vqu&.. 

Ojçsq  6t  ijypi  q|QMV)çWQiM;  poiu*  baiser  ^  H^  lui  r^)4^  le  tafjfrr 
ijQAP^  et,  coijDQi^  iiiis&  Lydia  la  retirs^t  ua  peu  vite,  il  perdit  Féqui- 
libre  et  tooibi^  si;^  son  bra^U^s^.  Que  pi4 retenir  uo  géHÛssiHBeBt 
doulAu^emx. 

—  Yw^  v^uft  ^ifis,  fait  ^la^,  BpiEm  spi'î  s'écriar-jt-elle  e^  le  soule^ 
vaut  ;  c'est  laa  fauitel  poirdaiiiBezrnioi. . .  Ib  se  parl^^t  WC9^^  qqelque 
temp^  ^  vo»  ba/ise ,  et  fortça^prochéa  l'un  de  l'a^e.  CoIod;^,  qui 
accourait  précipitamment,  les  trouva  précisément  dans  k  pos^t^p 
9<l  el^  les  avi^  laissé»  : 

—  X^es  voltigeurs  !  s*écria-t-elle.  Orso,  essayez  de  vou%  lever  et  de 

-r^l;fy^BsezH9ioit  ^  Orsp.  Pis  a«x  bandits  de  sesaiiiveiç...^  cp^^'oa 
p^  pr^w^^  peu  m'iaipprto;  un^  ejwpoèvie  ipjm  Lydia  :  à^r  i&om  df^ 
9^,  qa'oi^  ipie  I9  yoie  paii  ici. 

-s:  J(ç  «e  Wf(^  laissecaipas,  dît  9ra^dolaccM>v»  qui  suivait  Colondbia., 
Jj^  sergent,  (j(e&  voU^geura  e^'up  filleul  de  l'avocat^  ^u  Ue^  de  vi^ 
.  arrêter,  il  vous  tuera ,  et  puis  il  dira  qu'il  ne, l'a  pas  fait  eiy^. 

Ojiv^  ems^  d^^^  l^es^  tt  fit  m/^  quelque»  pj|&  ;  n^i^ ,,  s'iff^ôtant 
bientôt  :  Je  uep^is  marcher,  d^-U.  Fuyez,  voi^  aiUresu  AdÂç^t  W^ 


COLOMBA.  f<l5 

paS)  Orso,  qu'on  est  bien  dans  le  mAquis,  an  bivouac,  par  une  Mlle 
nuit  comme  celleKîi? 

— Oh  oui!  la  belle  nuit,  dit  Orso.  Je  ne  Toublierai  jamais! 

*-  Que  vous  devez  sonffrir  !  dit  miss  Nevil. 

— Je  ne  soufire  plus,  dit  Orso,  et  je  voudrais  mourir  ici. — Et  sa  main 
droite  se  rapprodiait  de  celle  de  miss  Lydia  que  Colomba  tenait  tou- 
jours emprisonnée. 

— II  faut  absolument  qu'on  vous  transporte  quelque  part  où  Ton 
pourra  vous  donner  des  soins,  monsieur  délia Rebbia,  dit  miss NeviK 
le  ne  pourrai  plus  dormir,  maintenant  que  je  vous  ai  vu  si  mal  cou- 
ché... en  plein  air.... 

— Si  je  n'eusse  craint  de  vous  rencontrer,  miss  Nevil,  j'aurais 
essayé  de  retourner  à  Pietranera,  et  je  me  serais  constitué  pri- 
sonnier... 

— Ebl  pourquoi  craigniez-vous  de  la  rencontrer,  Orso?  demanda 
Colomba. 

— Je  vous  avais  désobéi,  miss  Nevil...  et  je  n'aurais  pas  osé  vous 
voir  en  ce  moment. 

— Savez-vous,  miss  Lydia,  que  vous  faites  faire  à  mon  frère  tout  ce 
que  vous  voulez ,  dit  Colomba  en  riant.  Je  vous  empêcherai  de  le  voir. 

—J'espère,  dit  miss  Nevil,  que  cette  malheureuse  affaire  va  s'é- 
daircir,  et  que  bientôt  vous  n'aurez  plus  rien  à  craindre...  Je  serai 
bien  contente  si,  lorsque  nous  partirons,  je  sais  qu'on  vous  a  rendu 
justice  et  qu'on  a  reconnu  votre  loyauté  conune  votre  bravoure. 

—Vous  partez ,  miss  Nevil  I  Ne  dites  pas  encore  ce  mot-lA. 

—  Que  voulez-vous...  mon  père  ne  peut  pas  chasser  toujours...  Il 
veut  partir. 

Orso  laissa  retomber  sa  main  qui  touchait  celle  de  miss  Lydia,  et  il 
y  eut  un  moment  de  silence. 

— Bahl  reprit  Colomba,  nous  ne  vous  laisserons  pas  encore  partir. 

Nous  avons  encore  bien  des  choses  à  vous  montrer  à  Pietranera 

D'ailleurs,  vous  m'avez  promis  de  me  faire  mon  portrait,  et  vous  n'avez 
pas  encore  conunencé...  Et  puis,  je  vous  ai  promis  de  vous  feire  une 
serenata  en  soixante-quinze  couplets...  Et  puis...  Mais  qu'a  donc 
Brusco  à  grogner?...  Yoilà  Brandolaccio  qui  court  après  lui...  Voyons 
ce  que  c'est. 

Aussitôt  elle  se  leva ,  et  posant  sans  cérémonie  la  tête  d'Orso  sur 
les  genoux  de  miss  Nevil,  elle  courut  auprès  des  bandits. 

Un  peu  étonnée  de  se  trouver  ainsi  soutenant  un  beau  jeune  homme, 
en  t6te-à4éteau  nifieo  d^ui  maquis,  missNeril  ne  saVait  trop  que  faire, 


m  REVUE  fipb  iiW  MONDES. 

Mais  Orso  quitta  lui-même  le  doux  appui  que  a^  MBur  v^jpit  4&.  Mi 
donner,  ^  sa  siocUevant  $91  so^bs^s  4raîjt  :  Aiçi^^  tojis  partez  ^îeutôt, 
miss  Lydia?  je  n'avais  jamaift  fi^asé  que  von»  (bissiez  pr^lo^igeJT  votre 
f^l^MiF  4iiSL  c^  nifibaurem  p^ys... ,  et  popr^nU.. ,  depiûfr  qpj^.  vous 
ôtQ%i9^iiku^  kî,  je  s^uffire  ceat  fois  plus  ea  spujy^iftt  qj^'il  faut  vous 
dire  adieu...  Je  suis  un  pauvre  lieutenant... ,  sans  av^aiçvt  p^oflcrit 
BW#il|j»na»t...  QiiielipiUMp^^^  misa  iydÂa,  pour  v<HP  dire  que  >  vous 

ei  il  Hfik  seBiUfi  ouetio  suJABioiiift  maihf  iircui  PiMitfîiyint  fiiif  i'aî 
soulagé  mon  cœur. 

]|il^  Ly4i4  dét^i^ns^  1%  tfii^r  cosme  »  Vot^awtM  ae  suffisait  pas 
PjQjfy  ^1^1%^  sii  wj^ur;  —  llonsjiçiu^  deUa  Reb]^«  àik-^  d'i^^e 
voix  tremblante,  serais-je  venue  en  ce  lieu,  si...,  et,  tout  ea p^i^ 
\ml^,^  eUi^  vmli^  àm^  1a  Wa  ^'Orso.  le  t^^Ussjiaa  égjpMe^.  Puis, 
Gaisant  un  effort  violent  pour  reprendre  le  ton  de  plaisanterie  ^  lui 
ét^it  ^ilii^:  -^  C-^b^in  np^  ^  \w^,  monsieur  Orso,  de  parler 
ainsi...  Au  milieu  du  maquis,  entourée  de  vos  boAdMSi  vojus  sfl^v^ 
biiei^  <9^  je  u'osie^ôs  jwi^  me  Ckhe^  contre  vous. 

()]^  6t  ijypi  qtoi^vew^  IK>ttr  baiser  lui  r^)4^  le  tafîfrr 

n^'f  et,  coi;nQ]^ miss. Lydia  la  retirs^t  ua  peu  vite,  il  perdit  Féqui- 
Ubre  et  tomba  s^r  son  bra^Uessé.  ^ae  p|^t  retenir  ua  géaassiç^^ 
dottkMveux. 

—  Yws^  vQjUft  ^^  iait  9u4i  vftMj^  9fmï  s'écriadt-elle  e^t  le  soule^ 
vant  ;  c'est  ma  faoïtel  pai^doiimezTmoi. . .  Ib  se  parlaient  eaco^  quelque 
tempA  ^vo»  basse,  et  fort ça^procbés  l'un  de  l'a^e.  Coloiaba,  qui 
accourait  précipitamment,  les  trouva  précisément  dans  la  fosijîf^ 
qà^  elfi^les  avait  laissés  : 

—  Les  voltigeurs  !  s'écria-t-elle.  Orso ,  essayez  de  vous^  lever  et  de 
mwçber^  jç  \(m  aî4eraL 

-;:i9|li^s<M(TJiioi,  <^  Orso.  Dis  aw  baa^îts  de  sesaiiiveiç...,  cp^^'oa 
o^  pireaaei^  peu  m'iaq^>r^;  mais  eJWPoève  wss  Lydia  :  àjfr  aom  df^ 
ÇlîeiVv  qii'Ojii^  ipie  la  yoie  paa  ici. 

-s:  J(e  ae  ^m^  laisseiai pas,  dît  ftraadolaccîo^  qai suivatt Colomba.. 
Le  sergent,  (j(e&  voltigeurs  e^t'uo  filleul  de  l'avocat^  au  Ue^  de  vi^ 
.  arrêter,  il  vous  tuera,  et  puis  il  dira  qu'il  ne, l'a  pas  fait  esy^. 

OiIiCH  es^iafa  dese  levers  H,  fit  n^i&«)y&  quelques  pas;  nw^,^  s'i^^ôtant 
bientôt:  Je  ae|wis marcher,  d^t-il.  Fuyez,  voxi^avU^esu  Aàf/^^  ipj|ss 
TtçxU;  éo^fn^um  la  aiaw,  et  adieul 


^ 9i twfloe fM¥e0( mrd^,  di|  Bw^jtokwo,  ik  IwiÉr» y»  jp 

le  temps  de  décamper  par  le  laviy ,  là  if(mi^JB^  IL  le  ^i^  ^.  Imr 
49iuier  de  foccivflvUw. 

poigiiez4e  par  les  épaules,  moi,  je  tiens  les  pied%i  Ip^i^I  e^^mk^ 
Us  commencèrent  à  le  porter  rapidem^,  mifB^  $mVfOif¥Mifmr, 

ftisil  se  lit  entendre,  auquel  cinq  ou  six  autres  répondirenl  jjupuil^i 

W»  \s^  WMW^  m  <^t  lEan#b(0itok  w?  iffWiMî"iiit  «uûs  H 
redoubla  de  vitesse ,  et  Colomba,  à  sç#  ^x^pl^,,  o^i^îl  9^^  ^m#|B 
da  bM4W«  sab^  &4ie  atteatiop  wx  Wanchei  qmî  |w  fo^vttwenl  la 
figure ,  ou  qui  déchiraient  sa  robe  :  —  Baissez-vous ,  baissez-vc^iifti  pp 
çbfèc^,  di^ijIÂ^lte  &  sa^  compagne,  une  1n^  peut  yrqifm  at||nup!«r.  On 
marcha  ou  plutôt  Ton  courut  environ  cinq  cents  pas  de  !«  soit^  torsqne 
frondolài^cîo  déclara  qu'il  n^'en  pouvait  ptaft,  et  9e  kiasa  tom^r  à 
tene,  oialgré  les  eikortakimaet  les  r^pvochei  de  Q^^wbi^. 

-rrr  Où  ^  miss  T^vil?  dea^n^ait  Orso., 

lliss  Nevil ,  elfrayée  par  tea  coqps  ^  IMI  t  arrêtée  ioliaMpe^  wtiit 
1^  r^aîsseur  d|U  niAquîs,  av«U  bieiptôt  peT#k  ta  ^9Ce  4^% fiMHttft, 
et  é^  démoulée  seule,  en  giroie  wx  pluft  vlv^aagoisfiea. 

T-  £Ue  est  restée  eu  anî^e^  dit,  BiandieJ^aicôo;  v^  eUe- 1'^  pas 
perdue;  le»  feuiiues  se  retcattY^ttOl^a^r&.  Om'  iiutw',' 

cantine  le  curé,  fait  diUtypagy,  ^vec  vptee  fa«l>  Malbfiiffeqiiep^l,  w 
u'y  yoitgwtte,  et  l'on  ne  se  ^  paaifiBai4  W^x  ^s^^vriill^d^  Wi 

—  Chut  !  s'écria  Colomba  ;  j'entends  un  cheval ,  noipt  ffljrrpw 
sauvés* 

l^a  effet,  un  cbçval  qui  passait  d^s  le  mAqv^,.ef^é||u^^bf# 
delafosiJMe,  s'approchait  de  leui  côté. 

— .  KoussQuuues  sauvés!  répéta  9ii?wdolacciQ|.  ÇootiiF^au^Yi^i  1^ 
saisir  par  les  crins,  lui  passer  da^  la  bouche  un  iMmdde  Qwif^^  e9 
guise  de  bride,  fut  pour  le  bandit,  aidé  de  Colomba,  Vafi^^ve  4*W 
quuDient  :  Prévenons  uiaintenant  le  curé,  dit-iU  -r*  Il  siflla  4fm^  bis  ; 
un  sifflet  éloigné  répondit  &  c^agqal,,  et  le  fusil  de  Mwtott  ceiia  de 
foire  entendre  sa  grosse  yoîx.  Alors  Br^ndolbacau  sauta  sur  le  cheval, 
Coktfn]i>9  plAOa  son  frère  devant  le  l^ai^t,  qpi  d!vm  Wiu  luseifra  for- 
tement, tandis  que  de  l'autre  il  dirigeait  sa  montttif^.]f^)lg«é9|4uul^ 


t08  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

charge,  le  cheval,  excité  par  deux  bons  coups  de  pied  dans  le  ventre, 
partit  lestement  et  descendit  au  galop  un  coteau  escarpé  où  tout  autre 
qu'un  cheval  corse  se  serait  tué  cent  fois. 

Colomba  revint  alors  sur  ses  pas ,  appelant  miss  Nevil  de  toutes  ses 
forces,  mais  aucune  voix  ne  répondait  à  la  »enne. . . .  Après  avoir  marché 
quelque  temps  à  Taventure,  cherchant  à  retrouver  le  chemin  qu'elle 
avait  suivi ,  elle  rencontra  dans  un  sentier  deux  voltigeurs  qui  lui 
crièrent  qui  vive? 

—  Eh  bien!  messieurs,  dit  Colomba  d'un  ton  railleur,  voilà  bien 
du  tapage.  Combien  de  morts? 

—  Vous  étiez  avec  les  bandits,  dit  un  des  soldate,  vous  allez  venir 
avec  nous. 

—  Très  volontiers ,  répondit-elle,  mais  j'ai  une  amie  ici ,  et  il  /aut 
que  nous  la  trouvions  d^bord. 

—  Votre  amie  est  déjà  prise,  et  vous  irez  avec  elle,  coucher  en 
prison. 

—  En  prison?  c'est  ce  qu'il  faudra  voir;  mais  en  attendant  menez- 
moi  auprès  d'elle. 

Les  voltigeurs  la  conduisirent  alors  dans  le  campement  des  bandits 
où  ils  rassemblaient  les  trophées  de  leur  expédition ,  c'est-à-dire  le 
pilone  qui  couvrait  Orso,  une  vieille  marmite  et  une  cruche  pleine 
d'eau.  Dans  le  même  lieu  se  trouvait  miss  Nevil,  qui,  rencontrée  par  les 
soldats  à  demi  morte  fte  peur,  répondait  par  des  larmes  à  toutes  leurs 
questions  sur  le  nombre  des  bandits  et  la  direction  qu'ils  avaient  prise* 

Colomba  se  jeta  dans  ses  bras  et  lui  dit  à  l'oreille  :  Ils  sont  sauvés. 
Puis  s'adressant  au  sergent  des  voltigeurs  :  Monsieur,  lui  dit-elle, 
vous  voyez  bien  que  mademoiselle  ne  sait  rien  de  ce  que  vous  lui 
demandez.  Laissez-nous  revenir  au  village,  où  l'on  nous  attend  avec 
impatience. 

—  On  vous  y  mènera,  et  plus  tôt  que  vous  ne  le  désirez ,  ma  mi- 
gnonne, dit  le  sergent,  et  vous  aurez  à  expliquer  ce  que  vous  faisiez 
dans  le  mftquis  à  cette  heure  avec  les  brigands  qui  viennent  de  s'enfuir. 
Je  ne  sais  quel  sortilège  emploient  ces  coquins,  mais  ils  fascinent 
sûrement  les  filles,  car  partout  où  il  y  a  des  bandits,  on  est  sûr  d'en 
trouver  de  jolies. 

— Vous  êtes  galant,  monsieur  le  sergent,  dit  Colomba,  mais  vous 
ne  ferez  pas  mal  de  faire  attention  à  vos  paroles.  Cette  demoiselle  est 
une  parente  du  préfet ,  et  il  ne  &ut  pas  badiner  avec  elle. 

—  Parente  du  préfet  !  murmura  un  voltigeur  à  son  chef;  en  effet  » 
elle  a  un  chapeau. 


•  ■-  ■    1     .       t 


i  t  t< '  I 


COLOUBA.  109 

—  Le  chftpeau  n'y  bit  rien ,  dit  le  sergent.  Elles  étalent  tontes  les 
deux  avec  le  curé,  qui  est  le  plus  grand  enjôleur  du  pays,  et  mon 
devoir  est  de  les  emmener.  Aussi  bien ,  n'avons-nous  plus  rien  à  faire 
ici.  Sans  ce  maudit  caporal  Taupin...  l'ivrogne  de  Français  s'est  mon- 
tré avant  que  je  n'eusse  cerné  le  m&quis...  sans  lui ,  nous  les  prenions 
comme  dans  un  filet. 

^-  Vous  êtes  sept?  demanda  Colomba.  Savez-vous,  messieurs,  que 
si  par  hasard  les  frères  Gambini ,  Sarocchi  et  Théodore  Poli  se  trou- 
vaient à  la  croix  de  Sainte-Christine  avec  Brandolaccio  et  le  curé ,  ils 
pourraient  vous  donner  bien  des  affaires.  Si  vous  devez  avoir  une 
conversation  avec  le  commandant  de  la  campagne  (1)  je  ne  me  sou* 
cierais  pas  de  m'y  trouver.  L^s  balles  ne  connaissent  personne  la  nuit. 

La  possibilité  d'une  rencontre  avec  les  redoutables  bandits  que 
Colomba  venait  de  nommer  parut  faire  impression  sur  les  voltigeurs. 
Toujours  pestant  contre  le  caporal  Taupin,  le  chien  de  Français,  le 
sergent  donna  l'ordre  de  la  retraite ,  et  sa  petite  troupe  prit  le  chemin 
de  Pietranera,  emportant  le  pilone  et  la  marmite.  Quant  à  la  cruche, 
un  coup  de  pied  en  fit  justice.  Un  voltigeur  voulut  prendre  le  bras 
de  miss  Lydia,  mais  Colomba  le  repoussant  aussitôt  :  —  Que  personne 
ne  la  touche,  dit-elle.  Croyez-vous  que  nous  ayons  envie  de  nous 
enftiir?  —  Allons ,  Lydia ,  ma  chère,  appuyez-vous  sur  moi ,  et  ne 
ideurez  pas  comme  un  enfant.Yoilà  une  aventure,  mais  elle  ne  finira 
pas  mal,  dans  une  demi-heure  nous  serons  à  souper.  Pour  ma  part, 
j'en  meurs  d'envie. 

-^  Qne  pensera-t-on  de  moi?  disait  tout  bas  miss  Nevil. 

—  On  pensera  que  vous  vous  êtes  égarée  dans  le  mftquis,  voilà  tout* 

—  Que  dira  le  préfet...  que  dira  mon  père  surtout? 

-*  Le  préfet?...  vous  lui  répondrez  qu'il  se  mêle  de  sa  préfecture. 
Votre  père?...  A  la  manière  dont  Vous  causiez  avec  Orso,  j'aurais 
cru  que  vous  aviez  quelque  chose  à  dire  à  votre  père? 

Miss  Nevil  lui  serra  le  bras  sans  répondre. 

—  N'est-ce  pas,  murmura  Colomba  dans  son  oreille,  que  mon  frère 
mérite  qu'on  l'aime?...  Ne  l'aimez-vous  pas  un  peu? 

—  Ah  !  Colomba,  répondit  miss  Nevil  souriant  malgré  sa  confusion, 
vous  m'avez  trahie ,  moi  qui  avais  tant  de  confiance  en  vous  ! 

Colomba  lui  passa  un  bras  autour  de  la  taille,  et  l'embrassant  sur 
le  front  :  Ma  petite  soeur,  dit-elle  bien  bas,  me  pardonnez-vous? 

—  Il  le  faut  bien ,  ma  terrible  sœur,  répondit  Lydia  en  lui  rendant 
son  baiser. 

(1)  Cétait  le  titre  que  prenait  Théodore  Poli. 


tH  REVUE  M*  «Mift  llONDES. 

tié-fMlek^tt  te  fMtiècAi^ 
Hem,  (Et  te  colMel,  tc/ti  foqni^defla  ffle,  Venait  pook-  la  tingtièkne 

eraitiér  par  le  «ergent,  léaï'  fit  te  ïécft  M  ferrfMe  cokiAttt  ^vté 
0Mtre  les  MgMids,  €k)iiiba^  lA 

morts  ni  blessés,  mais  où  Ton  avait  pris  une  mararite ,  un  pHOtte ,  ^ 
wB^Ia  inKs  afm.  ecsienC,  €R9aiv4%  tes  fRnAicsBcs  Ou  'les  ^espionues  xies 
MAvBis*  Ainsi  aifflMioccstx)iRpffirttPcttv  les  v6%i)l  pnsMHinfcreB  ^xl  mnien 
4e  lenr  ^t^ite  année.  X)n  4ei^e  la  oeM)enance  rad^^ 
te  boM^  ée  ia  diM][»agne,  la  Mfp^ 

dt  ^dkHà^.  Le  procnrefor  du  roi  se  donna  le  Toékk  plafsir  de  IMHft 
séMt  à  là  ^f4ÉtMit  ijfëà  ^eme  ^es^pècedlnteiTogatoIre  qui  ne  setennina 
q«e  lonf^n'fl  M  lêdt  frit  ^perAre  txmtè  contenant. 

•■•  B  iRe  wsniwo  i|  ^B^  tb  ptctci  ,  que  nous  pouvons  ttc^iTe  tOW  tC 
tÊkuaéé  M  llbèilié.  Ces  demcCaeHès  Mt  ^«e  promener,  tfen  de  j^ 
MDurdl  par  to  béaétemps^  eHes  ontrencontré  pathasarélun  a&MMè 
jeuHè  fioMMe  Melssés  rfM  de  {Ms  tMfturel  <encoiie.  Puis,  prenaiitli 
paR  CiuMinna  t  ■*•  TaiaueiH0Wvife,*€R"4*,  vous  pouvet  manuer  a  vowo. 
nreve  ^^pBe  son  anaiPB  UMurive  nueux  que  je  ne  l 'espérais*  l  exames 
deai$adavi^,  la  dé^ilion  Ai  <H)lunel ,  démonCrent  qu'il  H'^fiut  q«fe 
rfporter^  et  c^'^  léMt  «eul  M  •metne^it  éé.  combaJt.  Tout  s'arrangeiuv 
uMi  H  iMt  qu'A  quitte  letnâquis  au^plttsvite  et 'qu'A  se  eonstitUè 

U  était  près  de  onze  hemres  lorsque  le  colonel ,  sa  fiHe  "et  GMMdm 
se  mirent  à  MMè  devÉmt  un  Muper  refrmdi.  ColonAa  mngeait  de 
bM  iq^lpriMjR^  «e  UÉM^^  proenreur  du  roi  et  dès  vol- 

tigeurs. Le  colond^MÉ^ge^mtistae  Asritmot,  regaidaWtfo^alffssa 
SÊ^^m  teVÉitpê»  tes  yeàx  de dess«is  «on ^sielite.  Enfin d*une 

i^ïïA.  voii^7,  mon  ^raTC  • 

—  Lydia,  lui  dft41  ^  ûn^afs,  Vous  <ètes  donc  engagée  îivee  deffia 
Rebbia? 

^^tMs  iHMi  ^piftéj  depuis ^Éii§oufénMd>  ipépowidlt  (Mé  "en  rougis- 
sant ^  mais  d*une  VéIk  feMie. 

v^niicMe  M^^a  sr  ycvs ,  ^cx,  n  uperoovaM»  sur  la  pnjPBMnewiieTK  3011 
père  aucM  ^^lgÉiede«Mil^«K ,  eHe  se  jeta  dans  ses  fcras  et  l'ctaArwsa 
oittÉÉie  tos  tèeirtigellgi  bi€(fa  élevées  fant  en  paôrdlle  oocasie». 

—  A  <a  ttuim  totfes  at  te  icotond ,  tfeit  un  bvaVe  garçoA  ;  ttiilii 
^  Wru!  nMsM  demeiveronB  pas  dm  son  diable  de  paysl  ton  je 
refuse  mon  consentement. 

— Je  ne  sais  pas  l'anglais,  dit  Colomba,  <pii  les  regardait  avec  une 
extrême  curiosité;  mais  je  parie  ipit  j^  defvfné té  ^oetcms  dites. 


tfti  voyage  en  ïife^de. 

—  Oiî,  V6ïofitier&,  et  fè  sanaî  fa  sùrettà  Càlonéa.  B*w  fift,  HtÀài^ 
nel?  Nous  frappons-nous  dans  la  main? 

—  Ofi  s*e!ïd>rtis9edaîiscecte-ïà,«tlecrtowe!. 


XX; 


Qttc^nos  mm  «p^  ie  «oèp  énriiie  iqiâ  plongea  la  cioinniÉne  de 
PtetiMeni  dnm  la  (XMîBtsenMition  (sl^fe  de  fonritena),  tm  jiMMB 
bomme^  le  bras  gauche  eii  écbaipe;,  vntit  à  «héval  é«  iMlia  dans 
VuprèsHFnidi,  et  «e  firigea  vers  le  viHà^  As  Carte,  tiéièbde  fmm 
fenfeaftie,  t|«i,  entêté,  fournit  atix  gei!is  ééKottto  de  la  vifle  tave  eM 
dèUdeiue.  Obe  jeune  femies  d'ime  tnMe  élevée  et  d'me  beiMé 
remttipiable ,  raccompagnait  ÉioDJIée  smr  En  ^t  (Ète'fÊi  kvoir  dMt 
nn  toiaiaissè!^  eAt  admiré  fa  Ibroe  «t  TélégMMïes  peà^  ^  «Mben- 
rrasanent  avait  une  oreille  îdéfcMftfe^  {»ar  «ki  tt^^Mit  liixaitè. 
Sans  le  viHage,  fa  jeune  femme  aa«ita  lesteÉient  A  ftertev  et,  «pi^ 
avoir  aidé  son  compagnon  à  descaidre  de winiofitifre, <iélM^a d^Mlz 
ionrées  «aeœhes  attachées  à  Tarçon  de  la  «eHe.  Les  èbevàvk  Airent 
rend»  A  fe  garde  d'mi  paysan,  et  fa  femme  tbacgée  ^  îMéioèlM 
fu'eHe  eachiait  «ons  son  mezzaro ,  le  femve  bomme  ^pioitattl  im  ftsil 
éonble,  pirirent  ie  cbenain  de  fa  montagne,  ^en^vimt  M  «enH^  (Mt 
raide  et  cpai  ne^emMhait  eondofire  à  ancwne  babSMMn  ^okflMè.  Ànfvés 
è  on  des  gradins  élevés  du  mont  Qteieroio,  ils  Vmrêtèrent >  ^t  tons  les 
den  s*iassirènt  'Sor  Therbe.  Us  |>afrainaî6nt  attendre  ^^l^'tMi  ^  Wr 
fls  toomnîent gansées^ les yetii yersfa'Biontagiie,'etfafeqnefclAÉfc 
consultait  souvent  une  jcHe  wacuMfe  À^,  yev^^Mi^  MMi;  tk>ttr  tm- 
templer  vi  bijoa  i|n*etle  «ertMait  ^MSéler  4epd!s  )^*de  teM|)s,tiue 
pov  savoir  si  rbemed'mitieffde^viMHsétÀltaMvé^.  LmrâMMIe^ 
fut  fpm  faUgvie.  Un  tAiien  sortit  du  mAqnis,  fit  HaitMidè  fttiacopro- 
iv6teé  par  fa  jume  femme ,  Il  ^*empiiBSsa  de  vMir  \êê  ^tiir(9SMr.  Ku 
ÉfftèR  ipararrât  deux  bommes  bartnis,  le  MH  Musfe  Ims>  fa  iM%^ 
dière  à  ta  oemtare,  le  pistolet  an  <^.  Ijem«  bablHit  dé<!^é»  iet  <^o^ 
verts  de  pièces  contrastaient  avec  leurs  armes  brillantes  et  d'une  fa- 
brique renonnnée  du  continent.  Msdgré  l'inégalité  a{^)arente  de  leur 
portion,  les  quatre  personnages  de  cette  seèM  s'iètvdèreftt  fami- 
lièrement et  conmie  de  ^eu  méIv 


lia  hbtue  DBS  DEcx  Moirnss. 

.  —  Eh  bien!  Ors'  Anton',  dit  le  plus  H^é  des  bandits. au  jeune 
homme,  voilà  votre  affaire  finie.  Ordonnance  (Îq  hpn  lieu.  Mes  cpm- 
plimens.  Je  suis  fôché  que  l'avocat  ne  soit  plus  tlans  l'ilç,  pour,  le  voir 
enrager.  Et  votre  bras?... 

—  Dans  quinze  jours,  répondît  le  jeune  homme,  on  inc  dit  que  je 
pourrai  quitter  mon  écfaarpe.  —  Brando,  mon  brave,  je  vais  partir 
demain  pour  l'Italie,  et  j'ai  voulu  te  dire  adieu,  ainsi  qu'A  M.  le  curé. 
C'est  pourquoi  je  vous  ai  priés  de  venir. 

—  Vous  êtes  bien  pressé,  dit  BrandolaccJo;  vous  êtes  acquitté  d'hier 
et  vous  partez  demain. 

,  dit  gaiement  la  jeune  femme.  Messieurs,  je 

er;  mangez,  et  n'oubliex  pas  mon  ami  Bnisco. 

;o,  mademoiselle  Colomba,  mais  il  est  recon- 

lir.  Allons,  Brusco,  dit-il,  étendant  son  fusil 

;  pour  les  Barricini  !  Le  chien  demeura  immo- 

ieau  et  regardant  son  maître.  —  Saule  pour  les 

a  deux  pieds  plus  haut  qu'il  n'était  nécessaire. 

lis,  dit  Orso,  vous  faites  un  vilain  métier;  et 

s'il  ne  vous  arrive  pas  ite  terminer  votre  carrière  sur  cette  place  que 

nous  voyons  là-bas  (1) ,  le  mieui  qui  vous  puisse  advenir,  c'est  de 

tomber  dans  un  mAquis  sous  la  balle  d'un  gendarme. 

—  Ëbbienl  dîtCastriconi,  c'est  une  mort  comme  ime  autre,  et 
qui  vaut  mieux  que  la  fièvre  qui  vous  tue  dans  un  Ut,  au  milieu  des 
larmoiemeus  plus  ou  moins  sincères  de  vos  héritiers.  Quand «n  a, 
comme  nous,  l'habitude  du  grand  air,  il  n'y  a  rien  de  tel  que  de 
mourir  dans  ses  souliers,  comme  disent  nos  gensde  village. 

—  Je  voudrais,  poursuivit  Orso,  vous  voir  quitter  ce  pays...  et 
mener  une  vie  plus  tranquille.  Par  exemple,  pourquoi  n'iriez-vons 
pas  vous  établir  en  Sardaigne,  ainsi  qu'ont  lait  plusieurs  de  vos  cama- 
rades? Je  pourrais  vous  en  faciliter  les  moyens. 

—  En  Sardaigne!  s'écria Brandolaccio.  JitosSardos,  que  le  diable 
lesemporteavecleurpatois.  C'est  trop  mauvaise  compagnie  pournous. 

—  Il  n'y  a  pas  de  ressources  en  Sardaigne,  ajouta  le  théologien. 
Pour  moi,  je  méprise  les  Sardes.  Pour  donner  la  chasse  aux  bandits, 
ils  ont  une  milice  à  cheval;  4;ela  lait  la  critique  à  la  fois  des  bandits 
et  du  pays  (2).  Fit  de  la  Sardaigne.  C'est  une  chose  qui  m'étonne, 

(1)  L«  placBOù  te  fbu  tte  ei^CDlion  à  Bastta. 

(1)  Je  dois  cette  observation  critique  sur  la  Sardaigne  à  un  eX'^nndit  de  raessniB, 
et  c'est  i  lui  seul  qu'en  ai^rlient  ta  re^oaubilité.  ^,   , ,,    , 


COLOUBA.  U9 

monskiir  della  ^ebbia ,  que  vous,  qui  êtes  un  homme  de  goût  et  de 
savoir,  vous  n*ayez  pas  adopté  notre  vie  du  mftquis,  en  ayant  goûté 
comme  vous  avez  fait. 

—  Mais,  dit  Orso  en  souriant,  lorsque  j'avais  l'avantage  d'être  votre 
commensal ,  je  n'étais  pas  trop  en  état  d'apprécier  les  charmes  de  votre 
position ,  et  les  côtes  me  font  mal  encore,  quand  je  me  rappelle  la 
course  que  je  fls  une  beUe  nuit,  mis  en  travers  comme  un  paquet  sur 
un  cheval  sans  selle  que  conduisait  mon  ami  Brandolaccio. 

—  Et  le  plaisir  d'échapper  à  la  poursuite ,  reprit  Castriconi ,  le 
comptez-vous  pour  rien  ?  Comment  pouvez- vous  être  insensible  au 
charme  d'une  liberté  absolue  sous  un  beau  climat  comme  le  nôtre? 
Avec  ce  porte-respect  (  il  montrait  son  fusil  ),  on  est  roi  partout,  aussi 
loin  qu'il  peut  porter  la  balle.  On  commande,  on  redresse  les  torts... 
Cest  un  divertissement  très  moral ,  monsieur,  et  très  agréable,  que 
nous  ne  nous  refusons  point.  Quelle  plus  belle  vie  que  celle  de  che- 
vaher  errant,  quand  on  est  mieux  armé  et  plus  sensé  que  don  Qui- 
chotte? Tenez ,  l'autre  jour,  j'ai  su  que  l'oncle  de  la  petite  Lilla  Luigi, 
le  vieux  ladre  qu'il  est ,  ne  voulait  pas  lui  donner  une  dot  ;  je  lui  ai 
écrit,  sans  menaces,  ce  n'est  pas  ma  manière;  eh  bien!  voilà  un 
homme  à  l'instant  convaincu  :  il  l'a  mariée.  J'ai  fait  le  bonheur  de 
deux  personnes.  Croyez-moi,  monsieur  Orso,  rien  n'est  comparable 
à  la  vie  de  bandit;  bah!...  vous  deviendriez  peut-être  des  nôtres, 
sans  une  certaine  Anglaise  que  je  n'ai  fait  qu'entrevoir,  mais  dont  ils 
parlent  tous,  à  Bastia,  avec  admiration. 

—  Ma  belle-sœur  future  n'aime  pas  le  m&quis,  dit  Colomba  en  riant, 
elle  y  a  eu  trop  peur. 

—  Enfin ,  dit  Orso,  vous  voulez  rester  ici?  Soit.  Dites-moi  si  je  puis 
faire  quelque  chose  pour  vous? 

—  Rien ,  dit  Brandolaccio ,  que  de  nous  conserver  un  petit  souvenir. 
Vous  nous  avez  comblés.  Voilà  Chilina  qui  a  une  dot,  et  qui,  pour  bien 
s'établir,  n'aura  pas  besoin  que  mon  ami  le  curé  écrive  des  lettres 
sans  menaces.  Nous  savons  que  votre  fermier  nous  donnera  du  pain 
et  de  la  poudre,  en  nos  nécessités;  ainsi,  adieu.  J'espère  vous  revoir 
en  Corse  un  de  ces  jours. 

—  Bans  un  moment  pressant,  dit  Orso,  quelques  pièces  d*or  font 
grand  bien.  Maintenant  que  nous  somnies  de  vieilles  connaissances, 
vons  ne  me  refuserez  pas  cette  petite  cartouche  qui  peut  vous  servir 
à  vous  en  procurer  d'autres. 

—  Pas  d'argent  entre  nous,  lieutenant,  dit  Brandolaccio  d'un  ton 
lésoki. 

TOXB  xxin.  8 


114  REVUE  DEâ'SfËOt  MéllDES. 

-^L^r^tit  tAît  totrt  dârts  te  lïioti*,  (fit<!àstrtcôtrf;  rtiahdkrislé^ 
wStpsâs  on  mfhït  cas  qtie  (Pud  coebr  tyràv^  et  ifud  fhsif  qtii  rie  râte  pas. 

—  Je  ne  voudrais  pas  vous  quitter,  reprit  Orso,  sanà  vous  laisser 
quelque  souvenir.  Voyons,  que  puis-je  te  laisser,  Bi^tidbt 

Ile  bandit  se  gratta  la  ttte,  et,  jetant  sur  le  flisil  d*Orso  un  regant 
oblique  : 
•^Dame!  àion  lieutenant...  sifosais—tnats  non,  vous  y  tenez  trop; 

—  Qu'estr-ce  que  tu  veuï? 

•^  Rien....  la  chose  n'est  rien....  Il  faut  encore  la  manière  de  s'en 
servir.  Je  pense  toujours  à  ce  diable  de  coup  double  et  d'une  seule 
main...  Olrl  cela  ne  se  fkit  pas  deux  fois. 

-»-  C'est  ce  ftisîï  que  ttiveux?...  Je  te  l'apportais  ;  mais  sers-t'en  le 
moins  que  tti  pourras. 

—  Oh!  je  ne' vous  promets  pas  de  m'en  servir  comme  vous;  mais* 
soyez  tranquille ,  quand  un  antre  l'aura ,  vous  pourrez  bien  dire  que 
Brfindb  SavèlH  a  passé  rartHe  à  gauche. 

-^  Et  vousr,  Castriconi ,  que  vous  donneraî-Je? 

•^'ftiiSque  Vous  voulez  absolument  me  laisser  un  souvenir  maté- 
riefl  de  tous,  je  vous  demandent'  sans  façon  de  m'envoyer  un  Horace 
duf  plus  petit  format  possible.  Cela  me  distrairait  m'empêchera  d'ou- 
blier mon  lathr.  Il  y  a  une  petite  qui  vend  des  cigares  à  Bastia  sur  le 
port;  dbnnez^-le^ltri,  et  elle  me  le  rettiettra. 

-^  Vous  aurez  un  Elzevir,  monsieur  le  savant;  il  y  en  a  précisé- 
ment un  parmi  les  livres  que  je  voulais  emporter.  —  Èh  bien  î  mes 
amis ,  il  feut  nous  séparer.  Une  poignée  de  main.  SI  vous  pensez  uu 
jour  à  la  Sardaigue,  écrivez-moi;  l'avocat  N.  vous  donnera  moû' 
adresse  sur  le  contîuent. 

—  Mon  lieutenant,  dit  Brando,  demain ,  quand  vous  serez  hors  dti 
port,  regardez  sur  la  montagne  à  cette  place;  nous  y  serons^  et  notis 
vous  ferons  signe  avec  nos  mouchoirs. 

Us  se  séparèrent  alors;  Orso  etsa  soeur  prirent  le  chemin  de  Cardo, 
et  les  bandits  celtii  de  la  montagne. 


Xil* 


Parr  une  bdlè  matihée  d'avril,  lé  cotenel  sir  Thomas  Netil ,  sa  Allé, 
mariée  depuis  peu  de  jours,  Orso  et  Colomba,  sortirent  de  Plse  en 
calèche  pouraller  visiter  un  hypty^  étrusque,  nouveHetrteht  décon- 
vert ,  que  tous  les  étrangers  allaient  voir.  Descendus  dans  l'intérieur 


çn  (Jcvoir  d'eo  4i6s^p^  le^  peiatures;  mm  le  colonel  ^  ColQipi^ , 
roQ  et  r«atre  ^^sez  Indpéreo&pour  Tarcbéologie,  le«  tois^wt  seuls 
et  se  proroenèroot  aux  eaviroos. 

—  Ma  ché;re, Colomba^  dit  le  colonel,  mm  M  (eviendropa  jaiQais 
à  Pise  à  teiops  pour  notre  lunchem.  Est-ce  quf  vous  n'avex  pas  faiin? 
Voilà  Orso  et  sa  feipme  dans  les  antiquités  ;  quaod  ils  se  mettent  à 
dessiner  ensomUe,  ils  n*en  finissent  pas. 

—Oui,  4i^  Coloniitm,  Qt  pourtapt  ils  ne  rapportant  pas  un  haut  de 
dessin, 

—  Mon  avis  serait,  continua  le  colonel,  quç  uous  allassions  à  cette 
petite  ferme  là-bas.  Mous  trouverons  du  pain ,  et  peut-être  4e  TAlea- 
tico,  qui  sait?  aiéme  de  la  crème  et  des  {raises,  et  qons. attendrons 
patiemment  nos  dessinateurs. 

—  Vous  avez  raison ,  colonel.  Vous  et  mpi  »  ^i  domines  les  gens 
raisonnables  de  la  maison ,  nous  aurions  bleu  tort  diç  nous  flaire  les 
martyrs  de  ces  amoureux  qui  ne  vîvept  que  de  poésie.  i)ounez-moi 
le  bras.  M*est-ce  pas  que  je  me  forme?  Je  prends  le  bras,  je  mets  des 
diapeaux ,  des  robes  à  la  modç,  j'ai  des  b^oux  ;  j'apprends  je  ne  sais 
combien  de  belles  choses;  je  ne  suis  plus  du  tout  une  sauvagesse. 
Voyez  un  peu  la  grâce  que  j*ai  à  porter  ce  cbAlOM**  Ce  blondin,  cet 

ofBcier  de  votre  régiment  qui  était  au  mariage mon  Dieu!  je  ne 

puis  pas  ret^r  son  nqm  ;...  un  grand  frisé,  xiue  je  jetterais  par  terre 
d'un  coup  de  poing.,,. 

—  Chatwortb?  dit  le  colonel. 

—  Â  la  bonne  heure  !  mais  je  ne  le  prononcerai  jamais.  Eh  bien  ! 
il  est  amoureux  fou  de  moi. 

— Ab!  Colomba,  vous  devenez  bien  coquette...  Nous  aurons  dans 
peu  un  autre  n^ariage. 

— Moi  !  me  marier?  Et  qui  donc  élèverait  mon  peveu,..  quand  Orso 
m'en  aura  donné  un?  qui  donc  lui  apprendrait  k  parler  corse  ? . . .  Oui ,  il 
parlera  corse,  et  je  lui  ferai  un  boimet  pointu  pour  vous  foire  enrager. 

— Attendons  d'abord  que  vous  ayez  un  neveu,  et  puis  vous  lui 
q>prendrez  à  jouer  du  stylet,  si  bon  vous  semble. 

—  Adieu  les  stylets,  dit  gaiement  Colomba  ;  maintenant  j'ai  un  éven- 
tail, pour  vous  en  donner  sur  les  doigts  quand  vous  direz  du  mal  de 
mop  pay^t 

Causant  ainsi,*  ils  eotrèrent  dans  la  ferme,  où  ils  trouvèrent  sin, 
fraises  et  crème.  Colomba  aida  la  fermière  à  cueillir  des  fraises  pen- 
dant que  le  colonel  buvai^de  i'Aleatj^Cf).  A^.détourd'UAe  allée,  Colopnba 

8. 


0 


lié  REVUE  DES  iiÉèi  MONDES. 

àperçiitun  Vieillard  assis  au  soleil  siiir  une  chaise  de'  paillé^' nîhTââe, 
comme  il  séihblait,  car  il  avait  les  joties  creuset,  ïés  yeiix  enfohcéà  ;  il 
était  d'iine  maigreur  extrême,  et  son  immobilité,  ^  pèléur,  son  ringard 
fixe,  le  faisaient  ressembler  à  un  cadavre  plutôt  c^u'à  un  être  ilvant. 
Pendant  plusieurs  minutes,  Colomba  le  contemlpla  avec  tant  dè'curio- 
site,  qu'elle  attira  l'attention  de  la  fermière.  —  Ce  pauvre  vieillard, 
dit-elle,  c'est  un  de  vos  compatriotes,  car  Je  connais  bien  à  votre  parler 
que  vous  êtes  de  la  Corse,  mademoiselle.  H  a  eu  des  tnalheurs  dans 
son  pays;  ses  enfans  sont  morts  d'une  façon  terrible.  Oh  dit,  je  vous 
demande  pardon,  mademoiselle,  que  vos  compatriotes  ne  sont  pas 
tendres  dans  leurs  inimitiés.  Pour  lors,  ce  pauvre  monsieur,  resté 
seul,  s'en  est  venu  à  Pise,  chez  une  parente  éloignée,  (Juî  est  la  pro- 
priétaire de  cette  ferme.  Le  brave  homme  est  un  peu  timbré;  c'est 

le  malheur  et  le  chagrin C'était  gênant  pour  madame,  qui  reçoit 

beaucoup  de  monde;  elle  l'a  donc  envoyé  ici.  Il  est  bien  doux,  pas 
gênant  ;  il  né  dit  pas  trois  paroles  dans  un  jour.  Par  exemple»  la  tête  a 
déménagé.  Le  niédeeîp  vient  toutes  les  semaines,  et  il  dit  qu'il  n'en 
a  pas  pour  long-temps. 

— Ah!  il  est  condamné?  dit  Colomba.  Dans  sa  position,  c'est  un 
bonheur  d'en  finir. 

— Vous  devriez,  mademoiselle,  lui  parier  un  peu  corse;  cela  le 
ragaillardirait  peut-être,  d'entendre  le  langage  de  son  pays. 

—  Il  faut  voir,  dit  Colomba  avec  un  sourire  ironique;  et  elle  s'ap- 
procha du  vieillard  jusqu'à  ce  que  son  ombre  vint  lui  ôter  le  soleil. 
Alors  le  pauvre  idiot  leva  la  tête  et  regarda  fixement  ColomT)a,  qui 
le  regardait  de  même ,  souriant  toujours.  Au  bout  d'un  instant ,  le 
vieillard  passa  la  main  sur  son  front  et  ferma  les  yeux  comme  pour 
échapper  au  regard  de  Colomba.  Puis  il  les  rouvrit,  mais  démesuré- 
ment; ses  lèvres  tremblaient,  il  voulait  étendre  la  main;  mais,  fas- 
ciné par  Colomba,  il  demeurait  cloué  sur  sa  chaise,  hors  d'état  de 
parler  ou  de  se  mouvoir.  Enfin  de  grosses  larmes  coulèrent  de  ses 
yeux,  et  quelques  sanglots  s'échappèrent  de  sa  poitrine. 

— Voilà  la  première  fois  que  je  le  vois  ainsi,  dît  la  jardinière. — Ma- 
demoiselle est  une  demoiselle  de  votre  pays;  elle  est  venue  pour  vous 
voir,  dit-elle  au  vieillard. 

—  Grâce!  s'écria  celui-ci  d'une  voix  rauque;  grâce!  N'es4u  pas 
satisfaite?  Cette  feuille...  que  j'avais  brûlée...  comment  as-tu  fait 
pour  la  lire?...  Mais  pourquoi  tous  les  deux?...  Orlanduccio,  tu  n'as 
rien  pu  lire  contre  lui...  Il  fallait  m'en  laisser  un...  un  seul...  Orlan- 
duccio... tu  n'as  pas  lu  son  nom... 


I— »Il^Çj,lçs,  fia^2iit j^QUs  l(çs  4eux,  lui  dit  Colomba  à  yoix.bftsse  et 
dan^  le  djaleçté  corse.  Les  rameaui^  sont  coupés,  et  si  la  souche  n'était 
pas  |)o\]\rrie,  j^  l'eusse  arrachée.  Va,  ne  te  plains  pas;  tu  n'as  p^f 
lon^4emps  à  souRrii;.  Moi ,  j'ai  souffert  deux  ans  ! 

Le  vieillard  poussa  un  cri,  et  sa  tête  tomba  sur  sa  poitrine.  Colomba 
lui  tourna  le  dos  et  revint  à  pas  lents  vers  la  maison  en  chantant 
quelques  n)Qts  incompréhensibles  d'une  ballata  :  «  Il  me  faut  la  main 
qui  a  tiré,  Yo^l  qui  a  visé,  le  cœur  qui  a  pensé....  » 

Pendant  que  la,  jardinière  s'empressait  à  secourir  le  vieillard ,  Co- 
lomba, le  teint  animé,  l'œil  en  feu,  se  mettait  à  table  devant  le 
colonel. 

—  Qu'avez-vous  donc?  disait-il,  je  vous  trouve  l'air  que  vous  aviez 
à  Pietranera  ce  jour  où,  pendant  notre  diner,  on  nous  envoya  des 
baUes? 

—  Ce  sont  des  souvenirs  de  la  Corse  qui  me  sont  revenus  en  tête. 
Mais  voilà  qui  est  fini.  Je  serai  marraine,  n'est-ce  pas?  Ohl  quels 
beaux  noms  je  lui  donnerai  :  Ghilfuccio-Tomaso-Orso-teone. 

La  jardinière  rentrait  en  ce  moment.  —  Eh  bien  !  demanda  Colomba 
du  plus  grand  sang-froid,  est-il  mort  ou  évanoui  seulement? 

—  Ce  n'était  rien,  mademoiselle;  mais  c'est  singulier  comme  votre 
vue  lui  a  fait  de  l'effet. 

—  Et  le  médecin  dit  qu'il  n'en  a  pas  pour  long-temps? 

—  Pas  pour  deux  mois,  peut-être. 

*  —  Ce  ne  sera  pas  une  grande  perte,  observa  Colomba. 

—  De  qui  diable  parlez-vous?  demanda  le  colonel. 

—  D*un  idiot  de  mon  pays,  dit  Colomba  d'un  air  d'indifférence, 
qui  est  en  pension  ici.  J'enverrai  savoir  de  temps  en  temps  de  ses 
nouvelles.  Mais,  colonel  Nevil,  laissez  donc  des  fraises  pour  mon 
frère  et  pour  Lydia. 

Lorsque  Colomba  sortit  de  la  ferme  pour  remonter  dans  la  calèche, 
la  fermière  la  suivit  des  yeux  quelque  temps  :  —  Tu  vois  bien  cette 
demoiselle  si  jolie,  dit-elle  à  sa  fille ,  eh  bien  !  je  suis  sûre  qu'elle  a  le 
mauvais  œil. 

Vr,  MéROIÉB. 


.  >'. 


N 


%  ■ 


BROUSSAIS; 


Lorsque  TÀcadéroîe  des  Sciences  morales  et  politiques  fut  rétablie  en 
1832 ,  H.  Broussais  était  depuis  long4emps  célèbre  par  la  hardiesse 
de  ses  systèmes,  le  nombre  et  la  valeur  de  ses  écrits»  Taccompliss^- 
ment  même  d*une  grande  réforme  médicale.  Il  essayait  alors  d*étendre 
jusqu'à  la  philosophie  la  révolution  qu'il  avait  opérée  en  roédeciM. 
Cet  observateur  habile,  ce  réformateur  original,  cet  écrivain  abondant 
et  chaleureux,  cet  homme  supérieur  qui,  pendant  plus  de  quinze 
années,  avait  rempli  la  France  et  l'Europe  de  ses  travaux  «t  de  sa  re- 
nommée, n'appartenait  pas  encore  à  l'Institut.  La  nouvelle  AcadâBÎe 
s'empressa  de  recueillir  ce  grand  nom.  Ouverte  à  toutes  les  idées, 
n'excluant  aucun  point  de  départ  pour  arriver  à  ces  vérités  prennàres 
que  l'homme  cherche  toujours  et  que  Dieu  ne  luj  livrera  peutêtre 
jamais,  elle  admit  M.  Broussais  dans  sa  section  de  philosophie  où 
il  fut  le  représentant  le  plus  extrême  d'une  doctrine  qui  semblait  être 
déjà  parvenue,  avant  lui,  jusqu*à  ses  dernières  limites. 

C'est  donc  comme  philosophe  que  j'ai  surtout  à  faire  connaître 
M.  Broussais.  Mais  je  remplirais  mal  ma  t&che  et  je  donnerais  de  lui 

(1)  Ceue  remarquable  élude  sur  Broussais  a  ^té  lue  le  S7  juin ,  par  M.  Mignet ,  à  la 
séance  annuelle  de  T Académie  des  Sciences  morales  et  politiques.  Elle  complétera 
dignement,  quoique  partant  d'un  point  de  vue  opposé,  une  appréciation  des  travaux 
scientifiques  de  Broussais  qui  avait  été  remarquée  dans  notre  livraison  du  l«r  mai 
1199,  mais  qui  était  restée  inachevée.  [N.duD,) 


MorssAis.  119 

une  idée*  bien  inparfeit»,  si  je  me  bornais  à  le  présenter  setts  cet 
aspect.  M.  Broussais  n*a  été  philosojdie  qne  par  occasion  et ,  en  cpiel- 
qun^ sorte,  par  déduction.  En  lui,  lé  physiologiste  a  précédé,  inspiré, 
Sttb{ugQé  le  penseur,  n  ftot ,  dès-lors ,  chercher  ses  principes  philo- 
soj^ques  dans  ses  théories  médicales.  C'est  là  que  se  trouvent  son 
origtaiaifté  et'ses  principaux  titrera  la  gloire.  C'est  là  qu'on  peut  saisir 
la  mardie  de  cet'esplît  vigoureux,  exposer  ses^ découvertes  dès  leur 
orIgHiQ;  et  les  suivre  dans  tout  leur  développement  systématique. 
C'est  là  aussi  que  liiomme  se  montre  tout  entier,  convaincu ,  impé- 
rieux, passionné,  avec  son  impétueux  courage,  sa  verve  entraînante, 
se  plaisant  à  combaUre  les  systèmes  contemporains  pour  le  moins 
autwit  qu'à  établir  le  sien ,  et  transportant  la  lutte  jusque  dans  This- 
toke,  afin  d'y  renverser  toutes  les  vieilles  autorités  et  de  dominer 
seul.  En  un  mot,  c'est  là  que  M.  Broussais  occupe  une  place,  dans  la 
glorieuse  compagnie  des  maîtres  de  la  science,  qui  lui  doit  d'incon- 
testables progrès. 

Prançois^oseph-Victor  Broussais  naquit  à  Saint-Mab,  le  17  dé- 
cembre 177â<  Il  appartenait  à  une  Tamille  vouée  depuis  plusieurs 
générations  à  l'art  de  guérir.  Son  bisaïeul  avait'  été  médecin  et  son 
grané{)ère  pharmacieni  Son  père,  qui  exerçait  aussi  la  médecine, 
s'était  établi' à  Pleurtuit,  village  situé  non  loin  de  Saint-Malo  sur  le 
bord  de  la  mer.  Là  s'écoulèrent  les  douze  premières  années  de  Brous- 
sais. A  part  les  soins  éclairés  d'une  mère  tendre  et  forte  qu'il  aimait 
extrêmement,  et  les  faibles  enseignémens  de  son  curé ,  qui  le  forma 
suftoot  à  servir  la  messe  et  à  chanter  au  lutrin ,  l'éducation  dé  son 
eirfiRnee  fut  fort  négligée.  Mais  il  n'y  a  pas  de  temps  perdu  pour  les 
honMnes  d^ime  organisation  supérieure.  Ce  que  l'éducation  ne  fait  pas 
poweux,  la  nature  se  charge  de  le  faire,  et,  en  attendant  que  leur 
esprit  se  cultive,  leur  caractère  se  forme. 

Cest  ce  qui  arriva  au  jeune  Broussais  dont  les  sentimens  se  déve- 
loppèrent avec  d'autant  plus  de  force  qu'ils  ne  furent  pas  gênés  par 
les  idées.  II  apprit  surtout  de  bonne  heure  à  ne  rien  craindre.  Son 
pèref  renvoyait  de  nuit  porter,  dans  les  campagnes,  les  remèdes  quil 
avait  prescrits  à  se»  malades.  Souvent  iMgnorait  la  route  qu'il  devait 
paârooarir,  et  ilse  Mssait  alors  guider,  jusqu'à  la  chaumière  inconnue, 
parle- cheval  qui  y  avait^  conduit  son  père  pendant  le  jour.  Le  jeune 
et  in^épide  enfont  traversait  ainsi ,  sans  hésitation  et  sans  trouble, 
des  bruyères  désertes,  silencieuses  et  mal  famées  s'aguerrissant, 
dam  ces  courses  noe^mes,  contre  les  craintes  vagues>  qui  n'eurent 
pa9  plus  de*  prise  sur  lai  c^e  lèsi  dangers  réels.  H  donna,  dès  son 


4^«^wvn«a«"v^"B9*mPWOTMa  ^v ^^^       ■*       i  •  ■  n  i  i 


i^  REVUE  DES  JSiniCi  JHOHDES. 

jeune  ftge v^  des  ]p^?es  de  Ténergie  audaciéitôe  ^n'U  pocto  flaS'  tard 
dfQ^^J^fîonctoitedelavieetles  lutteBdehscienee^;   .   .n    :> 

i4Qr8(|Q.11  eut  douze  ans,  sa  mère,  dont.k  teodceose  oMrvéjmàb 
avait  aperçu  ses  heureuses  dispositions,  voulut  qu'dleftXassentié¥e*« 
Iqipées  par  une  éducation  libérale.  Elle  conseutit  à  se  sé^aver  de  hd^ 
et  il  fut  envoyé  au  collège  de  Dinan.  Il  y  fit  ses  études  dassiquea 
e^^  succès.  U  avait  une  intelligence  vive,  une  mémoiFe  lleunâuBe  et 
tenace,  une  réflexion  précoce,  car  l'activité  de  son  esprit  n-aynt  paa 
été  jusque-là  employée  a  apprendre ,  s'était  tournée  k  observer,  il 
n'avait  pas  encore  terminé  ses  études  lorsque  la  réivahitmi  jéolata.  Sa 
fomille  en  embrassa  la  cause,  qui  enflamma  de  ses  ardeak^s  U^medu 
bouillant  écolier.  Aussi ,  en  1792 ,  les  Prussiens  s'étant  aniMés  yofi^ 
qu'à  Verdun,  et  le  cri  d'alarme  qui  appelait  les  hommeik lie. bonne  et 
de  patriotique  volonté  à  la  défense  es  la  révolution  nenaeée  ayant 
retenti  dePadsjuaqUJaaIood  des  provinces,  Broussais,  qui  avait  alord 
vingt  ans  et  qdi  «était '«i  philosophie,  s'enrôla  avec  phisienrs  de  ses 
camarades,  qui  {brmèfeirf  tane^  compagnie  franche  à  Dioan.  Parti 
comme  soldat^  il  se  serait  promptemeiit  dbtingué  dans  cette  carrièrOv 
oà  le  conunandemeHt  et  4a  gl(âre  allaient  appartenir  sans  contesta-^ 
Uon  et  sans  lenteur  aul  braves,  aux  intelligens,  aux  ambitieuit.  Kîeqr 
de  cela  ne  lui  manquait  pour  arriver  bientôt  au  premier  ong.  >      <  ? 

Dans  une  de  ces  rencontres  auxquelles  il  assista  contrekschouàBSf 
il  eut  occasion  de  montrer  à  la  fois  sa  force  et  son  génàreux*eDiisage4 
La  ccmipagnie  franche  de  Dinan  fut  surprise  et  battue.  Dans  la  ftite, 
WA  des  camarades  de  Broussais,  atteint  d'un  coup  de  fen,:tOBil^à 
côté  de  lui.  La  guerre  était  sans  quartier,  et  l'emiemi  se  trDnfV|tfr/à 
quelque  pas.  Broussais,  au  risque  d'être  pris  lui-même,  &'arrâtft4 
chargea  sur  ses  épaules  son  compagnon  blessé  et  continua  sa  rebrmte 
un  peu  ralentie  par  son  dangereux  fardeau.  Les  chouans  tirèrent  su? 
lui  ;  il  reçut  une  baUe  dans  son  chapeau  et  parvint  à  leur  échapper. 
Arrivé  en  lieu  de  sâreté,  il  déposa  son  camarade ,  mais  il  le  trouva 
mort.  Il  n'avait  sauvé  qu'un  cadavre*  Son  dévouement  n'en  avait  psâ 
moins  été  fort  beau,  cav/de  tdtes  actions  s'esthnent  d'après  le  senti^ 
ment  qui  les  inspirai  et  le  danger  qa!ilfaut  braver  pour  les  accomplir^ 

Broussais  ne'  servit  rpaa  kHig^^^aifis  >dans  la  compagnie»  fran^h^  dl^ 
Dinan,  où  ilavqt^tiHtemiéjéeFgeùt^Étant  tombé  ^av«^M  inas^ 
lade,  il  revint  pfès;de'S6ft  pafefi)»v'dd0Èt  llétait4e>01a!iiniq{ie^«t.qiMi 
4l^à  Agés,  te  conjurèrent ^'embiiasàer  la  profi^icmciMriMKlweid^ 
^a^tnope.  Il  s'y  déddaetifut  admi^sup^eâsivetfkçnt'ÀiJ^h^tit.ét 
SfâuMM^lo  et  à  œlui  de  Brest.  Ses :t)r«gi)è0i&iMt»ii|P|defise^^îlt\i^ 


tiiibttiMAt  HDQ  èDOMBission  de  chirurgien  sur  la  itépH&la  RsnbwtMéêi 
Il  était  en  rade  prêt  è «partir,  lorsqu'on  lui  remit  une  kttre  du  tnalre 
dèâsttiit^M'aio>qiH!donjnienfçaitparces  emphatiques,  mais ieffifayaiAes 
parokâ  2  Frémis  en  TKtffant  cette  lettre.  Elle  lui  annonçait  en  effet  un 
af&teui  tnaUieur.  La  demeure  de  ses  vieux  parens  à  Pleurtuit  avait 
été  envahie  par  les  chouans.  Son  père  avait  vainement  essayé  de  s^y 
4éfMidrei  il  y  avait  été  égorgé  ainsi  que  sa  fenune  par  les  chouanfir, 
qui  avaieiiti  ensuite  mutilé  leur  corps  et  dévasté  leur  maison.  En  ap- 
prenant'Cétte  horrible  nouvelle,  Broussais  fut  saisi  de  la  plus  pro- 
fonde donlenf  et  de  la  plus  violente  indignation.  Son  émotion  fut  si 
forte t  qù&ioiique,  après  quarante  ans,  cet  ineffaçable  souvenir  se 
représeatait  àf  lui,  on  le  voyait  pâlir  et  trembler  comme  au  jour  de 
la  oataatroplke; 

La  cause  4e  ia  révolution  à  laquelle  on  venait  d^iitamoler  ses  parens 
était  déjà  celle  de  ses  convictions,  elle  devint  alorsi  celle  deson  res* 
sentiment  filial.  Il  lui  demeura  Mêle  toutç  sa  vie«}il  lai  servit  à  cette 
époque  dans  la  guerre  contre  les  AnglaB;  Tour  à  tour  officier  de 
santé  de  deuxième  classe  et  cUrurgieo^major  sur  la  oorv^te  F  Héron" 
dette  et  le  corsaire  le  BougainvlUe^  il  fit  aVec  soccès  plusieurs  cai&- 
pagnes  de  mer.  Mais  il  ne  pouvait  pas  rester  toujours  chirurgien  de 
.  marine.  Aussi,  après  quelques  années,  quitta-t-il  son  pays  natal,  où 
ils^'étaituEUffié,  pour  aller  compléter  à  Paris  ses  études  médicales  et 
yprendre  le  grade  de  docteur. 

'»n  y  ahiva  en  1799.  C'était  une  brillante  époque  pour  l'esprit  scien* 
tifii^  en  France.  L'école  de  Bacon,  de  Locke  et  de  Condillac  go»- 
tretnail  exclusivement  les  intelligences.  L'analyse  était  plus  que  son 
indûment,  elle  était  devenue  en  quelque  sorte  sa  religion.  Il  en  était 
lésutté  un  fanatisme  de  décomposition  qu'inspirait  le  désir  de  tout 
savoir,  l'espérance  de  tout  refaire,  et  qui ,  accumulant  des  ruines  dans 
i'ordre  moral ,  avait  créé  des  sciences  dans  l'ordre  physique.  Les  mer- 
veilleux progrès  de  l'histoire  naturelle,  de  la  chimie,  de  la  géologie, 
tles  hautes  mathématiques,  étaient  son  ceovre.  La  médecine  avot 
participé  à  ces  progrès.  L'école  de  Paris,  jnsqoe-là  circonspecte  dans 
sa  marche,  un  peu  routinière  dans  ses  idé«B,  et  n'ayant  produit  aucun 
îles  génies  inventifs  et  des  grande  théoriciens  qui,  depuis  trois  siècles, 
avalent  opéré  des  révolutions  dans  la  médecine,  prenait  un  essor 
inconnu.  Elle  était  à  son  tour  illustrée  paf  de  mémorables  travaux  et 
de»  hommes  supérieurs.  Chaussier,'  Vun^dô  ses  réorganisateurs,  po- 
MiaiiiBes'I^aM^  pky9iûhgigues^  Piœl,  dans  sa  célèbre  Nosographie 
philôMojikiqnèj  proondgliait  4a  charte  de  là  fdédecine  françiiser^ui 


4S^  BEVUE  IMBS  DEUX  MOIIDES. 

devait  être  observée  jusqu'à  la  réforme  de  M.  Broussais; 
vain  élégant  et  disciple  un  peu  outré  de  GondiUac,  appliquait  le  sys- 
tème de  son  maître  aux  rapports  du  physique  et  du  moral  de  l'homme, 
et  il  exposait,  dans  les  curieux  mémoires  his  sur  cet  important. sujet 
à  votre  classe  même,  une  sorte  de  psychologie  matérielle;  Bichat 
étonnait  le  monde  savant  en  lui  donnant  coup  sur  coup  son  Trmité 
des  Membranes  f  ses  .Recherches  physiologiques  sur  la  vie  et  ia  mort, 
son  Anatomie  générale  appUguée  à  la  Physiologie  et  à  ta  Médecine, 
admirables  ouvrages  que  cet  immortel  jeune  hmnme,  plein  d'ardeur 
et  de  génie,  publiait  en  quelques  années,  pressé  de  découvrir  et  de 
produire,  comme  s'il  eût  pressenti  qu'à  l'âge  de  trente-un  ans  il  serait 
enlevé  à  la  science.  Tels  forent  les  maîtres  de  Bronssais. 

Il  devint  l'ami  de  Bichat,  dont  les  travaux  exercèrent  plus  tard 
une  influence  décisive  sur  ses  propres  idées,  et  il  adopta ,  non  sans 
ardeur,  les  doctrines  de  Pinel ,  qui  régnait  alors  souverainement  en 
médecine.  Après  quatre  ans  de  fortes  études,  il  fut  reçu  docteur.  Il 
,  prit  pour  sujet  de  sa  thèse  là  fièvre  hectique.  Comme  il  ne  pouvait 
rien  être  faiblement,  il  se  montra  imitateur  prononcé  de  Pinel. 
Dans  sa  Nosographie  philosophique ^  Pinel,  fidèle  à  la  méthode  des 
naturalistes,  avait  classé  les  maladies  par  genres,  espèces,  variétés, 
comme  des  animaux  ou  des  [riantes,  bien  plus  d'après  leurs  symp; 
tomes  que  d'après  leur  nature.  Tout  en  cherchant  à  localiser  les 
fièvres,  ainsi  que  le  démontrent  les  dénominations  mêmes  qu'il  leur  a 
données,  il  admettait  pourtant,  à  l'exemple  de  la  plupart  des  grands 
médecins  qui  l'avaient  devancé,  des  troubles  généraux  de  l'économie 
vivante,  qu'il  considérait  conune  des  fièvres  primitives  ou  essentielles. 
Ces  fièvres  étaient  au  nombre  de  six  dans  la  classification  de  Pinel. 
M.  Bronssais,  qui  plus  tard  n'en  admit  aucune,  proposa  alors  d'y  en 
ajouter  une  septième,  la  fièvre  hectique,  qu'il  attribua  à  un  désordre 
d'action  dans  les  divers  appareils,  et  non  à  un  vice  ou  à  une  décom- 
position des  organes. 

Ce  qui  mérite  d'être  remarqué  dans  ce  premier  ouvrage  de  M.  Brons- 
sais, quand  on  le  compare  à  ceux  qu'il  publia  ensuite,  ce  n'est  pas  la 
contradiction  des  doctrines,  mais  l'identité  de  l'homme  avec  lui- 
même.  Il  ne  fout  pas  y  voir  les  maladies  essentielles  soutenues  dans 
leur  réalité  et  augmentées  dans  leur  nombre  par  celui-là  même  qui 
se  prononcera  exclusivement  plus  tard  pour  les  maladies  locales  ;  il 
faut  y  apercevoir  déjà  l'esprit  pénétrant  et  hardi  qui  a  besoin  d'in- 
venter tout  en  imitant  et  de  généraliser  tout  en  ignorant.  Le  sujet 
même  qu'il  a  choisi  en  se  demandant  quelle  est  cette  fièvre  mysté- 


'f 


MOUSSAIS.  198 

riétt^e  gui  conduit  pi^  we  consonpition  lente,  mais  inrémédîaMe,  nm 
trifiies  vietimes  à  ta  mort,  aonoeee  Tkistinct  supérieur  d'un  bomme 
qui  sait  déjà  choisir  les  wm  pi^lèmes,  s'il  ne  sait  pas  encore  les 
résoudre.  OelnHci  était  fondamental  et  devait  le  mettre  sur  la  veie 
de  ses  découvertes  et  de  sa  réforme. 

En  effet ,  après  avoir  e»ayé  pendant  deux  années  de  pratiqua  la 
médecine  à  Paris,  où  il  n'était  pas  assez  connu  pour  réusw  to«t  d^abei4 
et  pas  assez  ricbe  pour  y  attendre  le  succès  longtemps,  il  tourna  sea 
vues  d'un  autre  côté.  L'urmée  kii  offituit  une  dieateàe  toute  formée 
et  ouvrait  une  vaste  perspective  k  SKm  talent  d'observateur  neiéttcal. 
M.  Broussais  obtint ,  par  f  influence  de  Pinel  et  de  son  an»  M.  Desge- 
nsfttes,  d'être  nommé  médecin  aide-major  dans  l'armée  des  côtes  de 
rOcéan.  Il  pifftit  en  lM5pour  le  camp  de  Boidogne,  dont  il  swMt  les 
glorieux  soldats  à  Ulm,  à  Austertitz  et  dans  leurs  couines  victorieuses  à 
travers  l'Europe.  Il  était  éminemment  propre  à  être  médecin  miUtaire. 
Robuste,  mfatigable,  il  avait  une  ame  forte,  un  caractère  décidé  et  un 
courage  au^<lessus  des  privations,  des  dangers  et  des  épidémies,  sou«* 
veut  plus  meurtrières  dans  les  armées  que  les  batailles.  Aussi  montrâ- 
t-il ,  dans  son  noble  et  périlleux  métier,  ce  zèle  de  l'aptitude  et  de  la 
passion  cpii  l'emporte,  s'il  se  peut,  sur  le  sentiment  même  du  devoir^ 
dent  le  principe  est  plus  méritoire ,  mais  dont  les  impulsions  sont 
quelquefois  moins  activés  et  les  résultats  moins  féconds.  Il  prodiguait 
ai»L  soldats  des  soins  persévérans  et  les  témoignages  de  l'humanité 
la  plus  compatissante,  car  il  ne  s'est  jamais  accoutumé  à  voir  souffrir 
indifféremment,  et  il  a  conservé  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  cet  heureux 
privilège  d'une  bonne  nature  que  le  spectacle  continuel  de  la  douleur 
et  de  la  mort  n'avait  pas  endurcie. 

Mais  ce  qu'il  y  eut  peut-être  .en  lui  de  plus  remarquable,  ce  fut 
l'esprit  scientifique  qu'il  porta  dans  les  camps.  Le  problème  qui  l'avait 
d^  oocupé,  et  qu'il  ne  croyait  pas  avoir  bien  résolu ,  se  représenta 
à  lui.  «  Tous  les  médecins  qui  suivent  les  hôpitaux  savent,  dit-il,  qu'on 
y  voit  une  foule  de  malades,  paies,  maigres,  perdant  chaque  jour 
de  leurs  forces  et  «'avançant  à  pas  lents  vers  le  tombeau  avec  une 
fièvre  hectique  plus  eu  moins  earact^isée  et  quelquefois  sans  aucune 
agitation  fébrile  appréciable.  Les  méditations  qu'exigea  la  compo^on 
de  mon  ouvrage  sur  la  fièvre  hectique  avaient  fixé  mon  attention  sur 
ces  malheureux  trop  long-:temps  négligés;  et  sitôt  que  je  me  vis  placé 
sur  le  théâtre  des  hôpitaux  mUîtaires,  je  pris  la  résolution  d'étudier 
les  maladies  chroniques  d'une  manière  toute  particulière.  Lorsque  je 
voulus  chercher  un  guide  parmi  les  auteurs  les  plus  illustres  et  aux-« 


-   « 


I  ■' 


124.  REVUE  DES  DEUX  MpNDES. 

qa^  la  méjdeciQe  coqfesse  devoir  $^s,plu,s  gra)^s,,gro^es,  je  ne 
Irov^Yai  que  confusion  ;  tout  n*était  pour  ainsi  ^ireqf^^  conjectures,  t» 

U  se  livra  dès^lors  à  Texaraen  le  plus  attentif  de  ces  maladies  peu 
connuea.  Transporté  tantôt  en  Hollande ,  tantôt  en  Autriche ,  tantôt 
en  Italie,  passant  des  brumes  du  nord  sous  les  chaleurs  du  midi ,  il 
observa  les  effets  de  ces  divers  climats  sur  des  hommes  de  toutes  les 
constitutions  introduits  dans  les  ambulances  ou  les  hôpitaux,  et  il 
suivit  leurs  maladies  depuis  le  début  jusqu'au  terme ^  les  rapportant 
à  leurs  causes ,  décrivant  leurs  rechutes  et  en  complétant  Thistoire 
par  des  autqpsies  exactes  et  concluantes.  C*est  ainsi  qu'en  trois  ans  il 
amassa  un  trésor  de  faits  inconnus  et  de  vues  originalps.sur  les  grands 
troubles  de  Vappareil  respiratoire  et  de  Tappareil  digestif;  il  obtint 
un  pon^  en  4^  ^t.vint  à  Paris  publier  ses  recherches  sous  le  titre 
d'Histoire  des  phlegmasies  ou  inflammations  chroniques. 

Cet  Q|lv,YlQLg^,||^p(éri3p^Vle perpétuera  la  gloire  de  M.  Broussais  aussi 
long-^mps  que  )a  3aine.(^servation  et  la  vraie  science  seront  en 
honneur.  M.  Broussais  y  annonça  que  la  plupart  des  maladies  chro- 
niques étaient  le  résultat  d'une  inflammation  aiguë  mal  guérie.  L'in- 
flammation devint  pour  lui  le  point  de  départ  de  la  maladie.  Il  dé- 
.  crivit  savamment  la  marche  de  cette  stimulation  excessive,  qui  appelait 
le  sang  en  trop  grande  abondance  dans  les  organes  atteints,  y  chan- 
geait les  conditions  de  la  vie,  et,  après  avoir  introduit  et  entretenu 
le  trouble  dans  leurs  fonctions,  désorganisait  leur  tissu  môme  et  pro* 
duisait  la  mort.  U  montra ,  contre  le  système  de  Brown ,  que  la  fai- 
blesse générale  se  combinait  souvent  dans  les  phlegmasies  chroniques 
avec  une  excitation  locale ,  et  qu'il  fallait  alors  hardiment  attaquer 
celle-ci  sans  se  laisser  préoccuper  par  la  crainte  de  celle-là ,  qui  n'était 
qu'apparente. 

Ses  travaux  sur  les  inflammations  du  poumon  furent  très  remar- 
quables. U  s'attacha  à  établir  que  les  maladies  des  diverses  parties  de 
cet  8q[)pareil  se  liaient  entre  elles,  se  transformaient  à  chaque  instant 
les  unes  dans  les  autres ,  produisaient  en  dernier  résultat  des  tuber- 
cules, et,  en  devenant  chroniques,  aboutissaient  toutes  à  la  phthisie. 
Mais  ses  recherches  sur  les  inflammations  gastro-intestinales  furent 
beaucoup  plus  origioali^  ef^  le.  coi^duish'ent  à  de  précieuses  décou- 
vertes. U  porta  la  lumière  sur  cet  obscur  et  délicat  appareil  par  lequel 
s'opère  la  réparation  des  forces^  s'élaborent  les  élémens  matériels  de 
la  vie ,  et  dont  les  désor(faies  avaient  été  jusque^^Ià  inoorïiplètement 
observés.  M.  Broussais  flt  voir  qu'il  était  le  siège  dé  beattioiip  de 
maladies  dont  on  plaçait  le  théâtre  ailleurs,  où  que  ron  i^ônâtdérait 


BROtSSAIS.  125 

comme  générales,  if  remplit  une  lacune  dans  la  médecine,  et  il  le  dt 
avec  taht'de^stifetè'  éir  dé  rtesùre,  qu'en  lisant  ce  bel  outtàgé,  (m  ne 
sait  ce/qîi1l  fâut'adltiirét  !e  plus,  de  Tobservateur  pénétlrâtoC  c(ri  dû 
thëorïcîeh  circonspect: 'La  doctrine  de  l'irritation  était  déjà  compiîse, 
quoique  sans  excès,  dans  celle  de  Tinflammation ,  d-où  M.  Broussaîs 
la  dégagea  sept  ahs  plus  tard. 

V Histoire  des  pAlegmasies  chroniques  n'eut  pas  tout  le  succès 
qu'elle  méritait.  A  cette  époque,  les  travaux  de  l'esprit  obtenaient  peu 
de  gloire ,  et  un  seul  homme  faisait  du  bruit.  M.  Broussais  se  corisî- 
déra  comme  heureux  de  vendre  800  francs  ses  deux  volumes,  qui  ne 
trouvèrent  que  de  rares  appréciateurs,  parmi  lesquels  il  faut  compter 
Chaussiér  et  Pinel.  Nommé  médecin  principal  d'un  corps  d'armée  en 
Espagne,  il  partit  pour  la  Péninsule  à  pied ,  gaiement  rempli  du  sen- 
timent de  sa  force,  et  décidé  peut-être  à  produire  un  dystême  saillant 
et  complet  dès  la  première  occasion. 

Cette  occasion  se  présenta  à  la  paix  de  iSiUi  MéijuMà'lf.  !Drous- 
sais  avait  continué  assez  silencieusement  ses  tf&vkui^'(i'j,  qui  Tavaieht 
engagé  de  plus  en  plus  dans  des  voies  nouvelles.  CesSdfnft  alors  de  suivre 
les  armées,  et  nommé  bientôt  second  piiôfësseur  à  ThApital  militaire 
du  Val-de-Grace,  sur  l'indication  et  par  Id  crédît  de  M.  Desgenettes  (2) , 
n  p^hésita  plus  à  se  faire  réformateur.  Le  respect  qu'il  avait  eu  pour 
l'autorité  de  Pinel ,  et  qui  l'avait  empêché,  comme  il  l'avoua  plus  tard , 
dé  dire  toute  sa  pensée  dans  Y  Histoire  des  phlegmasies  chroniques, 
cessa  de  l'arrêter.  Il  tira  hardiment  les  conséquences  du  principe  de 
l'inflammation ,  et  il  émit  sa  fameuse  doctrine  de  la  médecine  phy- 
siologique, à  la  formation  de  laquelle  un  incident  personnel  n'avait 
'  certainement  pas  été  étranger.  Cette  anecdote  est  trop  caractéristique 
pour  que  je  ne  la  raconte  point. 

Pendant  que  M.  Broussais  était  à  Nimègue ,  il  avait  été  saisi  par 
une  fièvre  grave  et  d'un  mauvais  caractère.  Il  reçut  la  visite  et  les 
conseils  de  deux  médecins  de  ses  amis ,  dont  Tun  recommanda  les 
cordiaux  et  le  quinquina  pour  échapper  à  une  fièvre  adynamique ,  et 
dont  Fautrè  pensa  qu'il  fallait  recourir  aux  purgatif  pour  combattre 
une  fièvre  putride.  Embarrassé  entre  ces  deux  avis  et  ces  deux  trai- 

(1)  Le  seul  travail  imporlknt  qu*ll  pùl^Ha  ^tiré  léOA  et  iSli ,  tai  m  Mémoire  tur 
'  û  tireùloH&n  dùpitlaite,  teindant  à  fiiré  niMâ^'doMiiM^é  te$  fMctions  du  fifie, 
'-'•  éÊ^kttété^'d»fi^lùnde$l^^impk(Uà^e9^  imprimé  difast les  Mémoires  de  la  Société 
)  i  I  MédJ^k^  tf ôm«l0tMa;  .17^^,1  ISli,  lom,  Y^,  P9fl.>  t,  ât  ^iv. 
M,  ^Ifi)  iQifi,*il,jfeQ^plaça  |4as,f^  opmiBe  premier  i^fesseur,  lorsque  M.  Desgenettes 
^ ,  ^uit^  le  Yal-dorGraçe  pour  être  inspecteur-général  du  service  de  santé  des  armées» 


t^  '  BBVDB  DES  MCï'  MONDES. 

9,  M.  BroUssais  n'en  suivit  aucun.  Se  croyant  en 
t  avec  une  fièvre  briïlante,  et  s'assit,  presque  nu, 
pour  mettre  ordre  à  ses  papiers.  C'était  au  mois 
le  la  ville  étaient  couvertes  de  glace .  Pendant  qile 
[  èi  ce  périHeux  arrangement  de  ses  affaires,  le» 
ardeurs  de  la  fièvre  s'apaisaient ,  un  sentiment  de  f^îchear  et  de  blen- 
étre  pC?nètrait  dans  tout  son  corps.  Frappé  d*un  résultat  si  imprévu, 
M.  Ëroussais,  pour  qui  tout  était  objet  de  inflexion,  c^BngeB  son  im- 
prudence en  expérience.  Devenu  téméraire  par  esprit  d'observation , 
il  ouvrit  la  fenêtre  et  respira  long-temps  l'air  Troid  du  dehors.  Il  s'en 
trouva  mieux ,  et  il  conclut  qu'une  boisson  rafraîchissante  serait  aussi 
salutairP  à  son  estomac  brûlant  que  l'air  glacé  l'avait  été  k  sa  poitrine 
embrasée,  et  il  s'inonda  de  limonade.  En  tnoins  de  quarante-huit 
heures,  il  était  guéri.  Ce  fait  le  frappa  beaucoup,  et  resta  dans  son 
me, 

1  science  médicale  lorsqu'il 
ait  fait  des  progrès  succes- 
it,  et  sous  des  influences 
ivait  presque  rien  sais!  au- 
des  maladies  qui  ne  pou- 
int  on  ignorait  la  véritable 
counaissoit  peu  on  mal  le 
corps  humain,  ce  chef-d'œuvre  de  la  création  divine,  cette  matiète 
organisée,  vivante,  sensible,  intelligente,  qui ,  sou*  un  si  petit  espace 
et  avec  un  tissu  en  apparence  si  fragile,  lutte  victorieusement  contre 
les  puissantes  forces  de  la  nature  physique,  se  les  assimile,  et  ne 
tombe  sous  leur  empire  destructeur  que  lorsque  le  principe  qui 
l'anime  fléchit  ou  succombe;  ce  vaste  ensemble  d'appareils  si  divers 
qui  pourvoient  à  la  conservation  de  l'homthe  et  le  mettent  en  rela- 
tion avec  l'univers  entier  ;  cette  admirable  architecture  osseuse  si  bien 
combinée  pour  les  soutenir  ou  les  protéger;  ces  muscles  st  ingénieu- 
sement appropriés,  par  leur  position  et  par  leur  forme,  aux  mouve- 
mens  qu'ils  sont  destinés  à  accomplir  en  vertu  d'une  mécanique  mys- 
térieuse; ces  nerfs  doués  d'une  sensibilité  si  variée,  qui  transmettent 
la  connaissance  des  objets  extérieurs  à  l'intelligence  et  les  impulsions 
de  la  volonté  on  des  instincts  conservateurs  aux  muscles;  ces  vais- 
seaux qui  portent  la  substance  réparatrice  dans  toutes  les  parties  du 
corps,  où,  par  l'entremise  de  mille  forces  diverses,  elle  subit  les 
transformations  les  plus  merveilleuses  et  les  plus  différentes;  ces 
grands  viscères  dont  l'un  fait  le  sang  par  une  chimie  compliquée  et 


',{ 


3aoiJssA|s.  127 

gpi  ^era  peut-être  éteroeUement  insaistepalble,  dont  Tartre  le  pousse 
par  un  mouvement  régulier  partout  où  il  doit  eptretenir  la  vie ,.  et , 
dont  le  troisième  le  régénère  en  lui  appxHtant  dans  ses  cellules^  qui 
se  remplissent  et  se  vident  sans  ces^e,  Tajr  destiné  à  lui  rendre  jes 
qualités  qu'il  a  perdues  dans  m  courte  et  par  ses  distributions  à  tra- 
vers le  corps  ;  tous  ces  organes  enfin  qui ,  dans  des  limites  précises  et 
avec  une  harmonie  admirable,  voient,  entendent,  sentent,  se  meu- 
vent, respirent,  analysent,  composent,  sécrètent  sous  la  direction  ^e 
la  volonté,  ou  sous  Timpulsion  d'une  puissance  instinctive  plus  balûle 
encore  que  si  elle  ét^it  raisonnée,  car  elle  a  rintellîgence  qui  lui  vient 
de  son  créateur  ;  et ,  au-dessus  de  tous  les  autres ,  cet  organe  supé- 
rieur qui  semble  les  dominer  par  3a  place  conune  par  ses  fonctions^ 
qui  est  le  siège  et  le  moyen  de  manifestation  de  la  pensée  à  Taidede 
laquelle  l'homme  ne  prolonge  pas  seulement  la  vie ,  dont  il  connaît 
mieux  les  conditions,  .mais  s'élève  au-<lessus  d'elle  pour  contempler 
les  lois  de  Tunivers  et  remonter  jusqu'à  son  auteur. 

La  science  du  corps  humain ,  de  ses  fonctions  et  de  ses  maladies , 
fut  dès-lors  très  lente  à  se  former.  Elle  fut  long-temps  arrêtée  dfi^ns 
ses  progrès  par  les  mystères  qu'elle  avait  à  dévoiler,  et  souvent  dé- 
tournée de  sa  véritable  route  par  l'intervention  des  autres  sciences, 
qui  l'aidèrent  à  conjecturer  et  à  se  tromper.  Ainsi ,  dans  l'antiquité , 
elle  s'égara  à  travers  les  fausses  notions  d'une  mauvaise  physique,  et 
les  diverses  doctrines  philosophiques  qui  servirent  de  fondement  à 
un  grand  nombre  de  systèmes  médicaux.  Lorsqu'elle  recommença  ses 
efforts  originaux  à  la  fin  du  moyen-Age ,  elle  se  laissa  de  nouveau 
entraîner  dans  des  voies  étrangères.  Elle  subit  l'influence  des  idées 
dominantes  et  des  sciences  en  procès.  Astrologii^e  sous  Paracejse, 
moitié  chimique  et  moitié  mystique  sous  Van  Helmont,  tout-^-foit 
chimique  sous  Sylvius  (de  la  Boë),  qui  transforosa  le  coq)s  hmaain  en 
laboratoire,  mécanique  sous  Borelli  et  Boerhaave,  qui  n'y  aperçurent 
qu'une  machine  Jbydraulique,  spiritualiste  sous  Stahl ,  qui  subordonna 
toutes  les  fonctions  des  organes  à  un  principe  psych(dogique ,  la 
science  de  l'organisation  animée  fut  enfin  soumise  par  Frédéric 
HofEmaxin  à  l'empire  d'une  force  plus  appropriée  à  sa  nature,  et  qui 
conduisit  bientôt  Bordeuet  Barthès  à  leur  force  vitale.  En  effet,  par 
une  logique  naturelle,  on  fut  alors  porté  à  reconnaître  dans  le  corps 
un  principe,  4ui  n'étant  ni  matière ,  ni  ame ,  présidait  à  la  formation , 
à  l'entretien ,  aux  opérations  des  organes  en  vertu  d'une  puissance 
propre,  d'une  chimie  particulière,  d'une  mécanique  spéciale,  et  qu'on 
appela  le  principe  de  la  vie,  lui  donnant  ainsi  le  nom  du  grand 
acte  qu'il  accomplissait. 


iil^:  f  REVUB  DES  ;9|EI»i1H«a>BS. 

Â|Tiv^  à  ç^  priocipe  vital,  la  weim  if^l^licfPObatplMA  le  sqp^ 
prendre  daas  son  essence  eaobée,  Bwi»  à^'étadi^ÂM^sos;  eflMt 
visibles  Elle  fut  favorisée  dans  cette  étude  par  lesidécoui^rtea.wo^ 
cessives  qu'avaient  amenées  les  fausses  théories  elle^rniêmes,  soit 
pour  se  prouver,  soit  pour  se  détruire  entre^  elles , -et  par  celles  qui 
furent  le  produit  de  Tobservation  et  de  l'analyse.  La  oonnai^aanoe 
des  divers  appareils  et  de  leur  usage,  la  découverte  de  la  circulation 
du  sang  par  Harvey ,  et  de  l'irritabilité  musculaire  par.Halkr;  l'ana* 
tomie  des  organes  malades,  par  Morgagni;  l'appréciatioii  des  tissas 
solides,  de  leur  nature  et  de  leur  vitalité,  par  Bordeu  et  Bichat,  per- 
mirent de  mieux  saisir  les  actes  réguliers  et  les  troubles  xle  la  vie»  La 
médecine  avait  long-temps  attribué  les  maladies  au  déCMt  d'har- 
monie ou  à  la  dégénération  des  parties  liquides  du  corps,. ce  qui  avait 
fondé  rhumQri$m^,av|QC  ses  nombreuses  variétés;  mais^  prenant  alors 
pour  point.  4e. déps\i:t, dis,  l'action  vitale  les  parties  solides  dont  dépen- 
daient la  cirç]ui)l^ti9x;k  dp,  ^pg  et  les  sécrétions  des  humeurs ,  elle  plaça 
en  elles  seules  1^  ,c,^uses^  (fes  maladies,  et  créa  la  théorie  du  soli- 
disme  moderne*        \  i. 

La  doctrine  de  TÉc^ssals  Srovn,  qui  eut  une  si  grande  fortune  à 
la  fin  du  XYU!"*  siècle.,  en  fut  une  conséquence.  D'après  Brown  ^  la 
santé  consistait  dans  la  quantité  régulière  de  la  force  vit«de;  la  mcilacHe, 
dans  Fexcès  ou  le  défaut  de  cette  force.  Aussi,  ne  reconnais^it-^il 
que  deux  ordres  de  maladies  :  les  maladies  sthéniques  ou  pM*  e^ccilA**' 
tion,  et  les  maladies  asthéniques  ou  par  affaiblissement ,  et.n'emii. 
ployait-il  que  deux  genres  de  remèdes,  les  débilitans  et  les  stimolans* , 
Sa  théorie  était  f  ussi  simple  à  saisir  que  facile  à  appliquer,  puisque  |e:  / 
symptôme  du  mal  en  indiquait  à  la  fois  la  cause  et  le  t^iten^ent. . 
Elle  eut  un  succès  d'abord  fort  étendu  ;  mais  l'expérience  ayant  bienr 
tdt  montré  l'exagération  de  ce  système,  il  fut  modifié  en  France 
par  Pinel,  qui  établit  une  sorte  d'éclectisme  médical,  en  Italie  par 
Rasori  et  Tommasini,  qui  opposèrent  au  stimulisme  de  Brown  la 
doctrine  du  contro-stimulisme.  Obéissant  à  une  tendance  régulière , 
la  science ,  qui  d'humoriste  était  devenue  solidiste,  passa  du  solidisme 
général  au  solidisme  local  ;  ellç  étudia  l'action  vitale  et  ses  désordres 
non  plus  dans  r,ensemb\ç)iM:Pûrp^,^iaiâ  dans  chacun  de $es organes» 
y  cherchant  le  siège  |>Wj(|^y[(|fg[ jde^  ^IfKlies»  Les  tr^v^ux  d^s  grande 
physiologistes»  des/hjoj^ije^ jnj^(jfçips  dii^teni^  cwduitjl^ CQ . 

résultat;  et,  lorsque  MfrJB^pflçsajp.se fit jréforîpa^ur^jljt^ 
trine  d^rown  enti^repppj.^bmp^e,.  l'ftîîfi^irtp'piSifl,^^ 
l'anatomie  pathologique  en  progrè^^ej^  MJoçali^çpid^flja^ 
commencé^  de  toutes  parts  sans  être  encore  caractérisa,^  ^W^ 


'  f 


.  1 


le  f9piéÊktÊtSÊÂ(tàê^\(!a^'é«m  iHtm^ëm  et  logique  de  &  èciênce',  et', 
coBiniè  il'étaitiéètrepl^àiit'etQl^         changea  une  tendance  eti-^'i 
core  Vfigal0  m  révbkâtcffi'îdébldée,  et  des  idées  un  peu  conftises  en   ^ 
système  régttlter.  1  •  > 

Quel  fut  ce^^tème  de  M.  Broussais?  le  voici  :  Haller  avait  fait  res-  f 
sortir  la  propriété  qu'a  la  fibre  musculaire  de  s'irriter  et  de  se  con- 
tracter. Cettb  irrittabilité ,  qui  selon  M.  Broussais  était  restée  stérile 
dans  la  sdenbe;' devint  le  point  de  départ  de  sa  doctrine,  le  phéno- 
mène fondamental  siu  nioyen  duquel  il  fit  accomplir  toutes  les  fonctions 
organiques  i  e¥  il  expliqua  tous  leurs  désordres.  Il  établit  donc  sur 
ce  phénomène -sa  physiologie,  sa  pathologie,  sa  thérapeutique,  et 
même  sa  pMtèsophie. 

Il  recoftlmt  une  force  vitale  qui  présidait  à  la  formation  primitive 
des  tis^u^  dd  e^rps.  Les  tissus  une  fois  formés,  cette  foince  pourvoyait 
à  leur  entretien  par  une  chimie  vivante.  Celle-ci  s'exéèuiait'pàf  ren- 
tremise  de  Tirritabilité  que  les  agens  extérieurs  tels  que  Talr,  la 
lumière ,  le  calorique ,  les  alimens,  mettaient  en  éiérdce,  et  qui  pro- 
voquait de  la  part  des  organes  Faccomplissement  de  leurs  fonctions. 
Partout  de  même  nature ,  mais  inégalement  répartie  entre  les  divers 
tissus  animés ,  cette  irritabilité  consistait  dans  un  mouvement  de  con- 
traction qui'  appelait  les  liquides  humains  sur  le  point  excité  où  s'opé- 
raient la  nutHÛon  et  les  actes  de  Torgane.  Tant  que  sa  distribution 
propoi*lionnélle  et  son  exercice  régulier  se  conservaient ,  les  phéno- 
mèneis*de  la  ^ié  s'exécutaient  avec  une  perfection  et  une  harmonie 
qui  GOtiÉitutaent  la  santé. 

Mais  lâi  lia  stimulation  des  agens  naturels  devenait  excessive  ou 
défecttieuse,  si  le  poumon  était  trop  excité  par  Tair,  l'estomac  par 
les  alimens,  le  cerveau  par  les  impressions  des  sens  ou  ses  impulsions 
propres,  si  la  quantité  de  calorique  nécessaire  au  corps  était  dépassée, 
ou  n'était  pas  atteinte,  ou  était  inégalement  distribuée ,  l'afflux  des 
liquides  surabondait  dans  les  organes  surexcités,  leurs  tissus  s'engor- 
geaient et  s'enflammaient,  leur  nutrition  s'opérait  mal,  leurs  fonc- 
tions étaient  troublées,  et  la  maladie  succédait  en  eux  à  la  santé. 
Cette  excitation  maladive  ne  différait  pas  de  Teïcitdtion  régulière 
par  sa  natuté,  mais  par  sa  quantité.  Elle  était  en  plus  ou  en  moins. 
Lorsqu'elle  était  eu  plus,  elle  s'appelait ,  selon  ses  degrés,  irritation , 
surirfïtalièfy,' ftiOainmètlon  ;  lorsqu'elle  étkit  en  moins,  ce  qui  avait 
lieu  râtténi^iftV'd^Àptèà K:  Broussalé,  èHè  se  nommait  ab-irritation. 
L'excè#  ët^îlAfi^ée  itë  tfititértion  prôdiiisaient  l'altération  progies- 
me  (féd^flto ^lliï'^û^;  ët'itor  t^ttè  altération  prolongée,  la  mort. 


130  REVUE  J>BS  J>WX  MONDES. 

Toute  Dala4ie4[>coyeDaji»t4'aiie  e^^citatioo  accrue  ou  isal  équilibrée, 
commeucait  par  un  organe ,  et  pouvait  s*étendre  aux  autres  sympa- 
thiquement.  Lorsque  cette  sympathie  atteignait  le  cœur  et  multi- 
pliait ses  contractions,  elle  accélérait  la  circulation  du  sang  et  pro- 
voquait la  flèvre^  qui  était  non  la  cause,  mais  TefTet  d'une  maladie. 
L'organe  le  plus  ei^posé  par  la  nature  de  ses  fonctions  à  ^e$  troubles 
nombreux  et  graves  était  le  viscère  digestif,  que  M.  Broussais  con- 
sidérait conune  le  siège  des  principales  irritations.  Aussi  la  gastro- 
entérite était  la  maladie  fondamentale  et  génératrice  de  la  plupart 
des  autres. 

D'après  ce  système,  la  maladie  n*étant  que  l'excès  ou  le  manque 
d'irritabilité  vitale  dans  un  organe,  la  méthode  curative  devait  con- 
sister à  la  diminuer  là  où  elle  était  trop  considérable ,  à  l'augmenter 
là  où  elle  était  trop  faible.  Les  débilitans  et  les  stimulans  étaient  les 
seuls  moyens  thérapeutiques  à  l'usage  du  médecin.  Comme  les  mala- 
dies par  irritation  étaient  incomparablement  plus  nombreuses  que  les 
maladies  par  défaut  de  stimulation,  les  débilitans  se  recommandaient 
dans  presque  tous  les  cas.  On  agissait  sur  l'irritation  de  plusieurs  ma- 
nières :  directement ,  par  des  substances  ayant  une  propriété  spéciale 
sédative;  indirectement,  par  la  diète  qui  diminuait  l'excitation,  par 
des  saignées  locales  qui  dégorgeaient  la  partie  enflammée,  enGn  par 
l'emploi  des  révulsifs,  qui  transportaient  l'irritation  sur  une  partie  du 
corps  moins  importante  que  la  partie  attaquée,  et  plus  propre  à  la  rece- 
voir sans  danger.  Tout  s'enchaînait  dans  ce  système  :  la  physiologie 
se  fondait  sur  l'irritabilité  des  organes  et  son  action  régulière,  la  pa- 
thologie sur  la  stimulation  désordonnée  de  cette  irritabilité,  enfin  la 
thérapeutique  sur  sa  diminution  ou  son  accroissement  pour  en  réta- 
blir l'équilibre.  M.  Broussais  construisait  toute  la  science  de  l'orga- 
nisation vivante  et  malade  avec  un  seul  phénomène,  l'irritabilité, 
comme  Condillac  avait  fondé  sur  une  faculté  unique,  la  sensation» 
toute  la  science  de  l'entendement  humain. 

Ce  système  si  bien  arrangé  pour  l'esprit,  si  facile  à  am)rendre,  si 
commode  à  appliquer,  dans  lequel  les  troubles  des  organes  étaient 
rattachés  à  leurs  fonctions  et  la  maladie  avait  la  même  origine  qi^e 
la  santé,  M.  Broussais,  qui  connaissait  la  puissance  des  mots,  lui 
donna  le  nom  de  médecine  physiologique.  Il  fallait  l'établir  après 
l'avoir  conçu.  H  fallait  passer  de  la  théorie  à  l'action  et  devenir 
tout-à-fait  révolutionnaire.  M.  Broussais  était  propre  à  remplir  ce 
rôle.  Sans  préjugé  comme  sans  déférence,  il  ne  se  laissait  arrêter  par 
acRane  idée  reçue  et  ne  fléchissait  pas  devant  les  autorités  les  plus 


BftOUSSAIS.  131 

résiliées.  Il  cro^fflit,  cb^e  fois,  ardemment  à  ce  qu'il  pensait.  S*être 
troinpé  précédemment  avec  enthousiasme  ne  Pempéchail  pas  de  se 
contl^ediré  atec  résolution,  sans  qu'il  supposât  que  Taveu  de  son 
erreuf  paisée  pût  ébranler  la  confiance  dans  son  assertion  présente. 
Rompre  avec  ses  maîtres  et  se  donner  envers  eux  l'apparence  de  Tin- 
gralitude  ne  Tembarrassait  pas  non  plus.  11  craigtiait  encore  moins 
d'encourir  de  nombreuses,  d'ardentes  inimitiés.  Il  ne  pensait  pas  que 
la  vérité  dût  se  laisser  entraver  par  la  reconnaissance  et  s'établir  sans 
lutte.  Il  aimait  d'ailleurs  le  combat,  et  la  satisfoction  de  dominer 
au^ft  sans  doute  été  moins  grande  pour  lui ,  si  elle  n'avait  pas  été 
accompagnée  du  plaisir  de  vaincre. 

C'est  avec  ces  dispositions  qu'il  se  mit  à  Tœuvre.  B  exposa  d'abord 
son  système  dans  un  petit  ampbithéAtre  de  la  rue  du  Foin  qu'avaient 
illustré  les  leçons  de  Bichat.  Il  s'éleva  en  même  temps  contre  la  pra- 
tique incendiaire  de  Brown  et  les  idées  indécises  de  Pinel.  L'un  était 
à  ses  yeux  un  meurtrier  qui,  s'étant  bardiment  trompé  sur  le  carac- 
tère des  maladies,  avait  appris  à  tuer  avec  résolution  ;  l'autre  était  un 
ontoloffiste  qui  avait  pris  des  symptômes  pour  des  maladies ,  et  qui , 
incertain  dans  sa  pratique  ainsi  que  dans  sa  doctrine ,  se  contentait 
le  plus  souvent  de  laisser  mourir.  Comme  la  domination  de  Pinel 
était  établie  et  devait  être  renversée  pour  que  M.  Broussais  pût  y 
substituer  la  sienne,  il  s'attacha  surtout  à  la  ruiner.  «  Je  sais,  disait-il , 
qu'en  attaquant  ce  colosse  de  la  médecine  antique ,  l'école  et  l'aca- 
démie me  seront  fermées;  mais  je  ne  me  rendrai  pas  indigne  de  moi- 
mèm^  par  le  lèche  chagrin  de  voir  mes  cadets  y  parvenir  à  mon  pré^ 
judicè.  »  Dans  cette  lutte,  qui  fut  ardente  de  sa  part,  par  quel  sen- 
timent étalt-H  dirigé?  Écoutons-le  encore  :  «  Je  ne  suis  point  possédé 
de  la  chimère  de  l'immortaMté;  je  désire  rendre  des  services  à  ITiuma- 
ntté  autant  que  mes  moyens  me  te  permettront.  Mon  but  est  de  for- 
mer des  médecins  d'une  pratique  plus  heureuse  que  ne  peut  l'être 
celle  des  systématiques  à  la  mode.  J'y  parviendrai ,  j'en  suis  sûr, 
parce  que  depuis  douze  ans  j'ai  coutume  d^y  parvenir,  parce  qu'aucun 
de  ceux  qui  m'ont  entendu  ou  vu  pratiquer  n'a  résisté  à  la  force  de  la 
vérité  :  j'ose  espérer  d'en  élever  un  assez  bon  nombre  pour  susciter  à 
l'erreur  des  ennemis  qui  finiront  un  jour  par  la  détruire.  » 

Ne  reconnaît-on  pas  le  réformateur  è  ces  Hères  et  confiantes  pa- 
roles? N'aperçoit-on  pas  en  lui  la  conviction  passionnée  qui  est  un 
signe  anticipé  du  triomphe?  Aussi  la  nouveauté  de  ses  vues,  l'enchat- 
nement  de  ses  déductions,  la  hardiesse  même  de  ses  attaques,  firent 
grand  bruit  et  attir^^t  à  son  cours  un  auditoire  nombreux  et  en- 

9. 


ri^  REVUE  DJS$  ;9^]E[^,fM0NDBS. 

tbQfl^mé*  Sç^n  enseignement  ét^H  «i.^gjl^  p^.pjifçlçi  ci.  xm^  #i 
mloïé^  si  saisfesante;  il  réfnfiffit  ^es  4dyjei:3aîcc)S  ^^:tf|inV<^  véb^ 
menée  et  d'esprit ,  que  Taoïpbithéâtre  àj^;]^jm^,  fdu  Flippe  put  bientôt 
plus  contenir  tous  ceux  qui  accouraient  pour  VeziteivdrQn  II  transporta 
son  cours  dans  l'amphithéâtre  plus  vaste  de  1^ rue  i^^s^Gr^,  et  put 
bientdt  le  poursuivre  d'une  manière  officielle  à  l'hôpUal  mèmie  da 
Yakle-Grâce.  M.  Broussais  renouvela  à  cette  époimerje^  merveilleux 
succès  des  plus  célèbres  professeurs  du  moy^n^âgÇf.  I^si  puissante 
parole  du  maître  entraînait  la  persuasion  es^l^ée  ite&  d^sçjpllies.  L'irri- 
tation était  devenue  un  article  de  foi  médicale  ^yf^pts^f^  fa^^atiques  et 
au  besoin  ses  martyrs,  et  l'on  vit  assez  fréquemHi^t,|fi^g9stro-entérite 
provoquer  des  duels  de  la  part  de  ceux  qui  eq  ifo^yfff^i  Ws  signes 
dans  toutes  les  ouvertures  de  cadavres,  et  voulaient  fS^'o^j  crAt 

sous  peine. 4ç  ,ma^*        <  .t. 

Mm  ilpç  sa.bo^nappint  à  cette  propagation  oralq  de  ^s  idées.  Il 
eut  recopii  à,ji^n?;>pp|)Uç^té  plus  étendue,  et  fit  paraître  son  célèbre 
Examen  des  doctrines  tnédicoiles,  qui  acheva  la  révolution  commencée 
par  ses  conrsu  Çe^Uyre^i^mâ  a  acquis  des  développemens  successiCs, 
était  à  la  fo^  i|n  Qo4e  de  règles  impérativement  énoncées  en  forme 
d'articles,  et  une  histoire  critique  des  divers  systèmies  qui  avaient 
précédé  le  sien.  Législateur  de  la  science  nouvelle  et  juge  de  ia  «çienoe 
passée,  M.  Broussais  citait  à  son  tribunal  tous  ses  ^^rand^  prédéces- 
seurs depuis  Hippocrate  jusqu'à  Pinel,  et  faisait  le  procès  J^ileM^s 
idées  d'après  la  loi  qu'il  venait  de  promulguer.  U  n'e^t  ipas  4e  peÂipe 
à  les  convaincre  d'erreur,,  puisqu'il  se  donnait  h  la  lois  CQmmQ  l'in- 
venteur et  l'arbitre  de  la  vérité  médicale.  Condamnant  tour  i  tour  Jes 
galénistes,  les  humoristes,  les  chimistes,  les  mécaniciens,  les  ani- 
mistes, les  pinélistes,  les  éclectiques  et  les  empiriques  des  divers 
temps,  il  montra  les  vices  particuliers  aux  systèmes  qu'ils  avaient 
suivis  en  médecine.  Son  ouvrage  produisit  l'effet  qu'il  en  attendait. 
Il  fut  lu  avidement,  car  il  était  écrit  avec  verve,  d'un  style  inégaU 
mais  simple,  énergjkiue,  riche,  animé.  Il  frappa  par  une  science 
vaste  malgré  son  point  de  vue  exclusif  et  par  un  air  de  justice  que 
lui  donnait  Thistôire  dont  !1  avait  emprunté  la  forme  et  Fautorité.. 
La  confrontation  snç(;es3ive  de  la  doctrine  physiologique  avec  toutes^ 
les  autres >  ^les  p^ys^p  que  M.  Broussais  ne  pouvaii  pas  s'empê- 
cher de  mêler  à  ses  idées,  y  répandaient  un  inténNi^enquélquesoite 
dramatique.  Aussi  ^qnèb^pie  lenovâtetif  y^ût  cdtpoàé  tes  théories  de 
ses  devanciers  avec  la  partialité  naturelle  à  ur^advë'rsaîre,  quoiqu'il  eût 
entrepris  de  renfermer  l'observation  et  la  clainoyance  humaine)»  dans 


Phôrtzoiï  nëèèfefefîfeniiètttiibtilé  â*dn  système,  11  eut  un  plein  sutcés, 
et  bientôt,  à'rëiffe  de  isès  Jôtihiâta  comme  de  ses  livres  (1),  de  àa  cli- 
nique attlit  des  malèJdéy  comme  de  ses  leçons,  il  renversa  tout  ce  qUi 
le  gênait  ei  dèraînâ  seiil; 

En  effet,  ail  bout  de  quelques  années,  les  partisans  de  Fancienne 
médecine,  attaqués,  surpris,  déconcertés,  se  turent.  Pinel,  qui  avait 
toujours  él^  tiniide  et  dont  la  théorie  était  restée  indécise,  assailli  par 
son  disciple,  maintenant  son  antagoniste,  devenu  vieux  lui-même  et 
incapable  de  résister  à  une  pareille  fougue  et  à  une  aussi  pressante 
conviction,  réTbsa  de  combattre.  Il  descendit  silencieusement  et  avec 
dignité  du  trAné  hiédîcal  qu'il  occupait  depuis  vingt  années  et  où 
US.  Broussais  morlta  hardiment,  décidé  à  mieux  s*y  défendre  et  croyant 
pouvon*  totrjotirs  y  rester.  Une  jeunesse  ardente,  enthousiaste,  se 
pressa  autour  de  lui.  Elle  se  passionna  pour  ses  idées,  diont  la  simpli- 
cité était  surtout  séduisante  pour  elle,  et  les  transporta  des  bancs  de 
l'école  dans  la  pratique  médicale  sur  tous  les  pdihts^  dé  la  France.  Il 
y  eut  un  moment  où  M.  Broussais  fit  secte. 

Mais  la  pratique  est  l'épreuve  des  sysltèitie^,  éh  médecine  surtout. 
Pour  durer,  il  ne  faut  pas  seulement  qu'ils  satisfkssent  les  esprits;  il 
feut  qu'ils  guérissent  les  malades.  La  doctrihe  de  M.  Broussais  avait 
besoin  de  ce  dernier  succès  afin  de  se  consolider  entièrement.  Mal- 
heui^crsëment  pour  elle,  depuis  qu'elle  était  adoptée,  on  ne  mourait 
^IMiS'iàotris,  et  de  méchans  esprits  prétendaient  même  qu'on  mourait 
dàtintkge;  On  ta  jugea  à  son  tour.  Tandis  que  des  partisans  peu 
'ihësûrés  la  compromettaient  en  l'exagérant,  des  adversaires  habiles 
s'élevèrent  contre  elle  et  non  sans  succès  dans  un  pays  où  Fon  sait 
toujours  mieux  attaquer  que  se  défendre. 

Sans  lui  reftiser  une  part  de  vérité  et  sans  nier  les  services  qu'elle 
avait  rendus  sous  certains  rapports  à  l'art  de  guérir,  on  contesta  la 
certitude  de  son  principe  et  l'universalité  de  son  application.  On 

(1)  Outre  les  ouvrages  déjà  cités,  il  publia  pour  la  propagation  ou  la  défense  de  son 
système: 

Les  Annales  de  la  médecine  physiologique  depi^  18S^  îosqu*fn  1834,  formant 
26  Tolumes  ; 

Un  Traité  dé  Physiologie  appliauée  à  la  patkologfe ,  IBSi ,  i  vol.  în-9>; 

Vft  CiM^èftMm»  â»  Va.ihêdeeiné  fiiysiokigiqve,  oûMOofffie  entréim  savant  et  un 
jfMffM  fiifSlacifi,  lasii  1  tûL  imS^; 
^i   J)^  Offmnftffaireii  ^es  firoposittons d^pathoiù^ù^f^gii^éêsianseEwamendes 

fit  uh  grand  nombre  de  discours,  de  réponses,  de  traités,  publiés  à  part  ou  dans 


iék  REVUE  DES  DBfTX  MONDES. 

prétendit  que  rîrritation  n'était  pas  rortgîne  de  tous  les  trcmbleB 
organiques;  on  soutint  avec  Bichat  que  Tétat  maladif,  loin  d'être 
Texagération  de  Tétat  sain ,  avait  pour  cause  des  phénomènes  d'une 
nature  opposée  à  celle  des  phénomènes  réguliers,  qui  différmefll 
d'eux  non  par  la  quantité,  comme  le  voulait  M.  Bronssais,  mais  par  la 
qualité;  on  ne  s'expliqua  point  comment  Tirrilation,  qui  resserrait  la 
fibre  en  la  contractant,  pouvait  provoquer  dans  son  tissu,  sous  on 
espace  devenu  plus  étroit,  une  plus  grande  masse  de  liquides  et  Mre 
produire  à  la  contraction  les  effets  de  la  (Klatation;  on  ne  comprit 
pas  mieux  comment  la  fibre  irritée ,  tantôt  conservait  ces  liquides 
accumulés  pour  les  livrer  à  la  décomposition  inflammatoire,  tantdt 
leur  ouvrait  passage  par  Thémorra^e,  ayant  ainsi  ta  propriété  con- 
tradictoire de  les  retenir  et  de  les  expulser.  On  fîit  encore  plus  éloigné 
de  reconnaître  que  l'irritabittté  visible  et  mécanique  de  la  fibre  mus- 
cidaire  pût  être  confondue,  ainsi  que  le  faisait  M.  Broussais,  avec  la 
sensibilité  des  nerfs  doitft  le  tissu  était  immobile,  et  dont  les  opéra- 
tions plus  délicates  et  en  quelque  sorte  spirituelles  s'exécutaient  en 
vertu  de  lois  d'un  ordre  moins  matériel  et  moins  facile  encore  à  saisir. 
Si  l'irritaition  maladive  d*im  organe  était  transportée  sur  un  autre  par 
l'influence  des  sj  mpathies  nerveuses,  ainsi  que  l'enseignait  M.  Brous- 
sais, on  se  demanda  pourquoi ,  dans  le  traitement  par  la  révulsion , 
les  nerfs  n*augmentaient  pas  l'irritation  dans  la  partie  déjà  enflammée, 
au  fieu  de  rafflalblh-. 

Enfin,  tout  en  reconnaissant  que  M.  Broussais  avait  saisi  l'une  des 
causes  les  plus  générales  des  maladies ,  l'inflammation  dont  il  avait 
signalé  la  marche  dans  les  divers  tissus;  qu'il  avait  rattaché  les  mala- 
dies chroniques  aux  maladies  aiguës,  et  plus  fortement  ramené  que 
personne  les  maladies  aiguës  aux  organes  qui  en  étaient  le  siège; 
qu'en  les  localisant  ainsi ,  il  avait  rendu  leur  diagnostic  plus  sûr  et  leur 
traitement  plus  régulier;  qu'il  avait  appelé  l'attention  sur  l'impor- 
tance et  les  troubles  de  l'appareil  digestif,  avant  lui  mal  exploré  et 
peu  ménagé;  qu'il  avait  introduit  plus  de  tempérance  dans  les  habi- 
tudes et,  sous  ce  rapport,  perfectionné  l'hygiène  publique;  qu'enfin 
il  avait  enrichi  de  quelques  vérités  utiles  la  pratique  générale  qui 
s  avance  toujours ,  grossie  de  ce  qu'il  y  a  <|p  fondé  dans  les  divers  sys^ 
tèmes;  on  crut  néanmoins  que  la  nature  était  plus  compliquée  dans 
ses  procédés  et  dans  ses  désordres  que  ne  l'avait  imaginé  M.  Broussais, 
et  qu'il  n'y  avait  ni  une  seule  opération  organique,  ni  un  seul  genre 
de  maladies,  ni  on  seul  mode  de  traitement. 

M.  Broussais  avait  été  un  peu  trop  exclusif.  Mais  s'il  s'était  trompé  en 


'  •  I ,  ' -^  Il  ■  r 


MUHWAI^.  435 

ifuebpiefbis  les  conjeetures  aux  observatniM^t  l'tegnnien- 
tation  à  la  certltade,  il  l'avait  Sût  à  la  maaière  des  grands  noyateiirs, 
dont  les  eireurs  ne  sont  jamais  que  TexagératiiMi  d'une  vérité,  liai- 
heuf ,  da  reste,  aux  siècles ,  aux  nations^,  aux  hymnes  qui  ne  se  trom* 
pent  pas  ainsi  !  Ils  sont  Trappes  de  stérilité,  et  ils  manquent  d'idées  de 
peur  dTavoir  des  systèmes.  Le  genre  humain  ne  vît  que  de  systèmes. 
Il  croit  toujours  plus  qu'il  ne  sait ,  et  il  n'avance  qu'en  consentant  à 
s'égarer.  S'il  ne  cherchait  pas  la  vérité  avec  hardiesse,  s'il  ne  croyait 
pas  ravoir  atteinte  toutes  les  fois  qu'il  l'a  entrevue,  s'il  ne  s'efforçait 
pas  de  l'enfermer  dans  ces  classifications  imparfaites  que  nous  appe- 
lons sciences ,  s'il  ne  soumettait  pas  les  procédés  et  les  créations  de 
la  nature  à  des  formes  qu'il  est  de  temps  en  temps  obligé  d'élargir  et 
de  4  refaire,  il  ne  trouverait  que  confusion  dans  l'univers  où  l'esprit 
incertain  et  accablé  se  perdrait  au  milieu  d'une  immensité  de  bits 
sans  ordre  et  d'opérations  sans  loi. 

M.  Broussais  fut  conduit,  par  la  marche  de  ses  travaux ,  à  rattacher 
l'honune  moral  à  l'homme  physique.  De  médecin ,  il  devint  philo- 
sophe. Il  appliqua  sa  théorie  physiologique  aux  actes  intellectuels, 
et  publia  son  ouvrage  de  t Irritation  et  de  la  Folie,  Son  but  avoué  en 
composant  cet  écrit ,  qui  excita  beaucoup  d'émotion  parmi  les  philo- 
sophes et  les  médecins,  et  sembla  destiné  à  les  mettre  aux  prises,  fut 
de  rendre  la  philosophie  dépendante  de  la  physiologie.  Il  parut 
comme  un  conquérant  et  en  armes  sur  les  paisibles  domaines  de  l'in- 
telligence, qui  changeaient  souvent  de  maîtres,  et  dont  les  posses- 
seurs n'étaient  plus  les  disciples  de  Locke  et  de  CondiUac.  Ceux^i 
auraient  pu  trouver  grâce  devant  M.  Broussais.  Il  y  avait  entre  eux 
et  lui  d'assez  grandes  conformités  d'opinion  sur  l'entendement  hu- 
main ,  qu'aucun  d'eux  ne  séparait  des  sens,  et  que  plusieurs  plaçaient 
dans  la  matière  même.  D'ailleurs  M.  Broussais  restait  fidèle  à  leur 
école,  qui  avait  rendu  de  si  grands  services  aux  sciences  naturelles 
en  leur  recommandant  l'observation  des  faits,  l'emploi  d'une  analyse 
sévère,  et  l'adoption  d'une  langue  exacte.  Mais  ils  avaient  été  rem- 
placés dans  la  direction  des  esprits  par  les  savans  et  brillans  introduc- 
teurs des  théories  psychologiques  et  idéalistes  récemment  professées 
en  Ecosse  et  en  Allemagne.  M,  Broussais  regardait  ces  derniers,  aux- 
quels il  donnait  le  nom  de  -kanto-platoniciens,  comme  des  usurpa- 
teurs étrangers.  Ils  avaient  fondé  en  France  une  école  décidément 
spiritualiste,  dont  il  repoussait  la  doctrine,  et  dont  il  n'aimait  pas  le 
succès.  Cette  école,  moins  dogmatique  qu'historique,  douée  de  plus 
de  discernement  que  d'invention ,  proclamait  son  éclectisme,  et  met- 


aO  REVUE  Bt^mtDItl^ONDES. 

t«t  IVngiiMilé  de  ses  (yj^tAem  é^m'Wf^ii^<fi^^^i^t^  ttàéê. 
BUe  puisait  ses  croyances  philos<y][)&lqtiës  pm^Mcrù' lé  tw^  dé^ 
«èoles  e^  la  férification  du  sens  comnmn  lui  èvif  désignaient  d'éproiH 
fées.  M.  Broussais  s'éleva  contre  elle  àveè  toule  la  véhéinence  de  son 
tarent.  Il  attaqua  ses  chefs;  qui  attirMentBittouF  d'edx' la  Jeunesse 
par  la  beauté  de  leur  parole  et  le  cosmopoKtismé'  raéilie  de  leur  sys- 
tème, les  peignit  se  retirant  dans  leur  moi  poilr  c^naitrë  le  monde, 
se  fermant  les  yeux  pour  observer,  donnant  les  rêves  dé  lair  pensée 
pour  les  lois  des  choses,  méprisant  leurs  devancier»,' '^intelligible, 
intolérans,  superbes.  Il  leur  reprocha  de  mettre  îrtutîlement  une  ame 
dans  le  cerveau ,  comme  on  placerait ,  c'est  son  expliefe^îè* ,  nn  joueur 
de  clavecin  à  son  instrument ^  et  de  créer  une  idôlâirfe  philosophique 
en  relevant,  écrivait-il  avec  son  fier  coloris,  lèpdhtkèm  de  ronto- 
logie^  devant  le^el  il  iie  fléchirait  pas  le  genou.         •  ' 

Il  :se  présentai  comme  le  restaurateur  de  Técolè  exf^érlmentale  et 
iHiaIytique)UëtBaeoni  de'Locke,  de  CondiUac,  de  Tracy,  et  comme  le 
€ontiauatewv  des  ii'avaux  de  Cabanis.  Engagé  dans  ces  voies,  il  s'y 
avança  plus  loin  q^e-tout  le  monde.  A  ses  yeux,  l'homme  physique 
est  l'homme  tout  entier.' M.  Broussais  ne  reconnaît  pas  en  lui  un  prin- 
cipe spirituel  distinct  de  Télément  matériel.  C'est  par  ses  nerfs  quMI 
sent ,  c'est  dans  ses  viscères  que  se  forment  ses  instincts  et  ses  pM^ 
sions,  c'est  dans  son  cerveau  que  s'élabore  sa  pensée,' c'est tfans  son 
organisme  que  réside  sa  personnalité.  Mais  ces  apparèilS'matérfcfls^e 
sont  pas  seulement  le  siège  de  ces  phénomènes,  ils  en  <soht  iftèauée. 
Ainsi  la  sensibilité  est  un  produit  nerveux ,  la  passion  est  vàt  adte 
viscéral,  l'intelUgence  est  une  sécrétion  cérébrale,  et  le  moiett  utie 
propriété  générale  de  la  matière  vivante.  Voici  connnent  M;  Brons- 
sais  fut  conduit  à  son  système. 

Observant  les  faits  intellectuels  et  moraux  dans  leur  manifesta- 
tion extérieure,  et  n'allant  point  au-delà  de  ce  qu'il  apercevait,  il 
crut  que  leur  mode  de  production  indiquait  leur  nature  même,  et, 
les  trouvant  associés  à  la  matière,  il  pensa  qu'ils  étaient  identiques 
avec  elle.  Ce  qui  le  fortifia  surtout  dans  cette  opmion ,  ce  fut  de  voir 
la  sensibilité  et  linteHigence  naître ,  croître ,  dédiner  et  disparaître 
avec  le  corps.  Nulles  dans  l'embryon ,  ébauchées  dans  le  foetus,  dé- 
biles chez  l'enfamt  v  progressives  eheis  l'adolescent ,  parvenues  à  toute 
leur  force  diezI'Mùltë, belles  diminuent  chez  le  Yieillard,  sont  sus- 
pendues chet  rtioinme  endortuf ,  annulées  dans  IHdi^,^  p^rverlSeS 
dans  le  fou^  et  s'anéantissent  eiitiètiement  torst^u-avirivë  le  tente  ou 
50Dt  usés  les  ressorts  neiteux  detotnècbine'inemrilleus^/liiais^  péris- 


sabtei  «iii  )lei  iproAiUUi  Jt*  J^msm; .  en  svâvmt  YébtoHt  iet  ioootitei^ 
tal^Ietdépi^iidanûe)  (iùi9i9^slbî|ité^riotelligeace^  trouventèr^gatrâ 
de&  orgam^  ^  m.^W\iA  MO]  poft  que  lea  organes  soat  les  iastrumem 
icirb9»  nécc^wiPes  JejlA.aep»i)>ilité  et  de  rintelligence ,  mais  que  kr 
sensibilité  et  rjntelUgoiiee  «oat  les  effets  passagers  de  ces  organes.- 

CoDunent  s'Moon^iasa&t  d'a{)rès  loi  ce  mécanisme  matériel  qui 
produiwt  desixé^iultats  ^pooraux?  Par  Tentremise  physiologique  de 
YeiçjAa^ifmi  Qn  aej^ppelle  la  théorie  de  l'irritabilité  en  yertu  de 
laquelle  le$  ^^Qs.ç^raes  ou  internes,  appelés  modiOcateurs,  con- 
tractant le$.U$w$wiPffovoH|ttent  une  réaction  des  organes,  et  les  solli* 
citent  à  remi^lt  J^ur^  fonctions.  Cette  théorie  suffit  à  tout  dans  sou 
unit^  féc^^  jyj^i  ri9nd  compte  des  phénomènes  intellectuels  qui 
sontt  d*aprèi».M^  l^^ussais,  un.mode  particulier  d'exciitatiou  nerveuse. 
Ce  mode  d'excitation  a  lieu  dans  le  cerveau.  Il  est  produit  par  deux 
couFans  narv4^«  l!un  externe  qui  vient  des  âmsi  etj<)ui-l&:met  en 
comiBunication  avec  le  monde,  l'autre  interne  qui^viAitideatYisoàres 
et  qui  le  met  en  communication  avec  lui^^roe^r,]ie4item^.kit  ap^^ 
porte  l'impression  des  objets,  le  second  lecisiid^sÂvifjtincïlS/.Provo^. 
par  cette  dou)i>le  excitation ,  le  cerveau  réagit  w  verlu  de»son  inûer- 
TatioappQpre^t cl^ange  l'impression  des  lobjete  en. idées,  la  sollicita-^ 
tiopjd^  ipst^iefa  W  actes  de  la  volonté.  L!opération  qu'il  accomplit 
9f^<aM)Pgtt^  ^  Cf^te  de  l'estomac  qui,  excité  par  les  alimens,  les 
tfansïftTOe.«ni«*ïtei 

.it#;<ondotau(idei;ladoctrine  physiologique  ne  reconnaît  dans  les 
^ti^  h^  elU9i8RbUipe3  de  l'homme  que  des  produits  physiques  de 
SQ^jcrn^eam  Cet^  créature  si  richement  douée  sent,  pense,  se  soa^ 
vioatvîiwgin^t  veut,  aîme,  se  dévoue,  par  suite  de  modifications 
plus  ou  moins  fortes'  de  sa  pulpe  cérébrale.  Le  développement  du 
cerveau  et  le»  degrés  divers  de  son  excitation  causait  les  différences 
de  ces  phénomènes,  qui  sont  les  effets  éehdonnés  d'une  opération 
unique.  Les  plus  faibles  produisent  les  instiacts,  qui  aont  les  débuts 
de  l'inteltigence.  Les  plus  considérables  donnent  le  génie,  qui  est  le 
maximum  de  l'excitation  normale.  S'ils  âont^xoessi&^i^y  a  délire,  et 
91  cet  excès  d'excitation  dure^  il  y  afXoli»^tL''tiilbéûinité)n'est  que  le 
délïut  d'action. du  Vovgane  inteUoQtttoUietliti  wMie  n^  que  son 
i^taliqn  w^tedÂve-  Qmantà.la  liberté  daf»4â)^ni)ipaliklns  humaines^ 

<lmfti*apifi;9i«fitde<^jA.y)0l^té<lÎACCp»^  d'âne  excita-* 

pail8cf«i«tfX§i»${)ldiniQrt«r4fl9dii9«^bQiu  f r>u  :^ 


13»  BSVCE  DES  DBCZ  ■eNDE&. 

Tel  «8t  ce  ^stème  dm»  ses  traits  priBeip»».  li  eflt'shnpte  :  est-^Ê' 
aussi  vrai'?  La  Force  et  l«  hardiesse  d'esprit  dfiployées  poor  Lo  oow- 
stiUire  oiï  pour  le  soutenir  doivent-elfes  noas  faire  illnsioa  sur  Isfi»- 
gifité  de  ses  fondenwnsY  H.  firoosstàs  a^^il'  rnson  contre  le  seoUê- 
ineflt  unanime  de  geiwe  himuHD  et  contre  l'offinion  àpea  près  géné- 
rale des  pfailosofrttes,  qui  place  dans  le  corps  on  principe  spirituel 
distinct,  quoique  dépendant  de  iHi  sons  beascoupde  rappwts,  peiF- 
dant  lesr  union  passagère?  Est-il  possiMe  d'admettre  Qu'un  insbiï- 
ment  matériel  produise  seul  des  effets  qui  ne  }e  sont  pas,  que  la 
pensée  à  laquelle  H.  Bronssais  n'aomde  pas  pins  que  personne  les 
attributs  de  la  matière,  pnisqu*il  convient  qu'elle  ne  peut  ni  se  vou-, 
it  le  résultat  direct  d'un  orgme 
if  Aveo  quelle  apparence  ce  qtà 
ce  qui  est  compleie ,  ce  qni  est 
if  et  dépendant,  ce  qui  pentMre 
)s  le  temps,  sans  être  soumis  aux 
e,  avec  ce  qui  ne  saurait  se  tro»- 
I  moment? 

des  phénomènes  sfHritnels  sont 
lesactes  d'un  principe  de  néme  nature  qu'eux ,  et  que,  accomplis,  9 
est  vrai,  à  l'aide  des  sens  et  du  ceneau,  ils  ne  peuvent  être  perçus, 
vodIos.  jugés,  conservés  qoe  dans  un  cen^  indivisible  et  dés-^ors 
immatériel?  Comment  ne  pas  convenir  que  ce  principe  auquel  on 
doane  le  nom  de'  moi ,  si  on  le  considère  sous  le  rapport  de  sa  pep* 
sonnalité;  celui  de  conscience,  si  on  le  considère  sous  le  rapport  de 
son  action  réfléchie;  celui  d'ame,  si  on  le  considère  sons  le  rapport 
de  son  existence  abstraite,  conserve  seul  l'identité  de  l'être  humain 
à  travers  les  phases  de  la  vie,  les  changemens  du  corps-,  le  renonvet- 
lement  snecessif  et  total  des  orfçanes  incapables  par-ià  même  de  rester 
dépositaires  d'impressions  et  d'idées  appelées  à  sunivre  à  la  portion 
de  matière  qui  les  aurait  produites?' Enfin,  comment  contester  que 
l'étude  de  ce  principe,  de  ses  facultés,  de  ses  lois,  de  ses  acte»,  fenne 
une  science  à  part ,  justement  appelée  psydiologie  et  différente  de  I» 
physiDlogie  on  science  de  corps,  ponr  le  compte  de  laquelle  H.  BKm-- 
sais  se  montre  trop  exigeant  par  une  habitude  de  m^r  fortiâée  de 
toute  la  puissance  d'Ufi-gystème. 

Le  premier  consul  demandait  un  joui  à  un  illustre  géomètre  pour- 
quoi il  n'avait  pas  parlé  de  Dieu  dans  son  système  du  monde,  a  Cest), 
répondit-il,  parce  que  je  pouvais  me  passer  decc^  hypothèse^  w 
M.  Broussais  a  cru  pouvoir,  en  traitant  dC'  Thorame,-  se- passer  à  sM- 


BROCS&AIS.  139 

tour  de  Thypothèse  de  Tame.  Lui  qoi  recoonait  un  souverain  auleur 
à  fûnivers ,'  lui  qui  a  dit  :  Je  sens  qu*une  intelligence  a  tout  coordonmé, 
B^anrait-Jl  |ias  dû  apercevoir  qu*U  est  aussi  difficile  de  rejeter  Famé 
4u  corps  que  d'ei^clure  Bieû  du  monde;  que  le  corps  ne  peut  pas  plus 
se  passer  que  le  monde  d'un  ordonnateur  spirituel  qui  possède  et  qui 
dirige  ces  nobles  lacidtés  à  Taide  desquelles  nous  comfprenons  tes  lois 
des  choses  et  des  êtres,  nous  aimons  la  justice,  nous  faisons  volon- 
tairement le  bien ,  et  nous  nous  élevons  jusqu'au  sacrifice  réEéctd  de 
DOoS'^nèùieB? 

L'ouvrage  sur  Virritation  et  la  folie,  qui  engagea  M.  Broussai^  dans 
une  polémique  mémorable  avec  les  psycbologistes,  parmi  lesqueJs  il 
rencontra  d'halles  adversaires  et  de  redoutables  argumentateurs , 
fiit  la  conséquence  la  phis  eitrème  et  la  plus  logique  du  sensualisme; 
mais  il  ne  mtrqua  point  le  terme  des  travaux  de  M.  Broussais.  Cet 
homme  infbtipble  et  hardi  ne  pouvait  ni  s'astreindre  au  repos,  ni 
s'enfermer  dans  les  opinions  reçues.  Aussi,  après  avoir  épuisé  ses 
propres  idées,  lui  était-il  réservé  de  prendre  en  main  la  défense  d'une 
doctrine  qui  lui  était  étrangère,  à  laquelle  même  il  n'avait  pas  été  jus- 
que-là favorable,  mais  qui  avait  sans  doute  à  ses  yeux  le  double  mé- 
rite d'être  originale  et  contestée. 

Pendant  que  M.  Broussais  concevait,  propageait,  développait  sa 
doctrine  de  l'irritation ,  il  s'était  formé  un  système  à  beaucoup  d'égards 
diffi^nt  4u  sien  sur  le  mécanisme  et  la  philosophie  du  cerveau.  Le 
célèbre  et  ingénieux  docteur  Gall  ne  s'était  pas  borné  à  foire  de  cet 
organe  le  si^,  rinstrument  oa  même  la  cause  de  la  pensée.  Doué 
d'un  rare  esprit  d'observation ,  il  avait  cru  remarquer  que  les  penchans 
^  les  facultés  des  êtres  correspondaient  à  un  certain  développement 
de  leur  crâne.  Il  avait  pensé  que  les  instincts  conservateurs,  que  les 
sentimens affectifs,  que  les  besoins  moraux  et  religieux,  que  les  dis- 
positions de  TinteMigence  résidaient  dans  des  régions  particulières  du 
cerveau  qui  leur  étaient  respectivement  affectées.  Procédant  à  cette 
distribution  graphico-morale  du  cr&ne,  il  avait  attaché  chacune  des 
facultés  qu'il  avait  observées  à  un  organe  spécial,  et  avait  assigné  à 
cet  organe  une  place  déterminée  par  le  relief  qu'il  projetait  sur  la 
i)otte  osseuse  dont  la  forme,  suivant  lui,  était  modelée  d'après  celle 
du  cerveau.  Le  nombre  de  ces  fiacHiltés  qui  s'est  accru  depuis,  s'éle- 
vait d'abord  à  vingt^huit.  Comme  pour  les  saisir  dans  leurs  saillies 
extérieures ,  GaH  les  avait  remarquées  chez  les  individus  qui  les  pos- 
sédaient avec  excès;  il  avait  été  ameiië  à  leur  donner  des  noms  qui 


VA  BEVUE  D^.WPI(i|IONDES. 

étaient  quelquefois  ceux  de  do8  qoaUtia  e^  awH^oweqt  eeimdeiiQi 
vices.  ^      ;,.,■;    . 

Son  ami,  son  disciple,  son  continuateur^ /Sp^rzbeim;,  rçctifiant 
en  cela  sa  nomenclature ,  n'avait  vu  dans  les  organes  du  cerveau  que 
des  forces  pures,  qu'il  dépendait  de  rbonune  de  rendre  utiles  par  une 
application  régulière  et  intelligente,  dangereuses  par  un  emploi  dé- 
raisonnable et  exagéré.  11  les  avait  désignées  par  le  nom  abstrait  de 
leur  destination  générale,  au  lieu  de  leur  appliquer  le  nom  de  l'usage, 
et  souvent  même  celui  de  l'abus  qui  était  fait  d'elles  et  que  Gail  leur 
avait  d'abord  imposé.  Ainsi,  pour  en  offrir  un  eieraple,  il  avait 
appelé  dans  son  langage  un  peu  barbare ,  organe  de  Vacquisimtéy 
celui  que  Gall  avait  appelé  organe  du  vol,  et  organe  de  la  deUruc^ 
tivité,  celui  que  Gall  avait  appelé  organe  du  meurtre..  Cette  science 
qui  avait  peut-être  quelque  réalité  dans  ses  grandes  4ivj[sions  du  cer- 
veau, si  elle  avait  été  fondée  dans  tous  ses  détails,  aurait  eu  une 
véritable  commodité  pour  les  observateurs  et  pour  les  honnêtes  gens. 
Elle  leur  aurai^montré  le  cerveau  des  hommes  comme  un  livre  ouvert 
et  prophétique  où,  des  yeux  claîrvoyans  auraient  pu  lire  les  destinées 
écrites  d'avance  dans  les  organes. 

M.  Broussais  avait  été  d'abord  contraire  à  la  phrénologie.  Il  l'avait 
repoussée ,  parce  que  les  proéminences  osseuses  ne  correspondaient 
pas  constanmient ,  d'après  lui  et  d'après  beaucoup  de  physiologistes, 
aux  circonvolutions  cérébrales  qui ,  de  leur  côté ,  n'indiquaient  p^ 
toujours  les  aptitudes  dominantes,  parce  que  l'action  du  cerveau 
mettait  plus  de  différence  entre  les  hommes  que  la  quantité  de  sa 
masse;  parce  qu'en  réduisant  à  vingt-huit  ou  à  trente  le  nombre  4eB 
organes,  on  les  circonscrivait  trop  en  comparaison  des  penchans  de 
notre  instinct  et  des  facultés  variées  de  notre  intellig^ce;  parce  qu'il 
fallait  alors  recourir  à  des  subtilités  continuelles  pour  expliquer  par 
des  combinaisons  d'organes  les  penchans  et  les  facultés  qui  n'avaient 
pas  d'organes  propres  ;  parce  qu'enfin  tout  le  concours  de  l'appareil 
cérébral  n'existait  plus  pour  l'accomplissement  de  chaque  phénomène 
forcément  isolé,  et  qu'on  ne  reconnaissait  aucun  organe  régulateur 
dans  le  cerveau  qui  ne  restât  livré  à  la  {dus  confuse  anarchie. 

Malgré  la  valeur  et  le  souvenir  de  ces  objections,  M.  Broussais  de- 
vint partisan  de  la  ph]:énQlQgie  à  la  fin  de  sa  vie.  Après  la  révolution 
de  1830,  une  justice  tardive  avait  été  rendue  à  son  mérjte  cpnune  àqa 
renommée.  Le  gouvernement  nouveau  avait  créé  pour  lui  une  chaire 
de  pathologie  et  de  thérapeutique  générales  à  la  Faculté  de  H^edne 


<  'M  '< 


dé  PètHs'tl),  àVMdAétiSé  c^Si^iemtes  morales  et  pofitiqtiéè';  dès  Son 
rétablissement,  Tavait  appelé  dans  sa  section  de  philosophie.  Ce  fdt 
vers  eette  épO((tlë4titrM.  BrbAssais  se  fit  le  chef  de  Técole  phrénoto- 
gique,  privée  de  sè^  detnr  fondateurs.  Au  fond ,  il  y  avait  beaucoup  de 
rapport  entre  la  lo<^1isatîovi  des  facultés  humaines  dans  le  cerveau  et 
la  localisatiob  dei^  maladies  dans  les  organes.  Ces  deux  systèmes 
étaient  le  résultat  de  la  même  tendance  et  signalaient  dans  la  science 
une  sorte  d'an^hie;  le  premier,  en  établissant  dans  le  corps  une 
répubteque d'organes  sans  unité;  le  second,  en  plaçant  dans  le  cer- 
veau une  ré|yribH((ue  de  fîacultés  soustraite  au  gouvernement  supérieur 
deFame. 

Cette  analogie  ne  fut  peut-être  pas  sans  influence  sur  la  nouvelle 
conviction'  dé  M.  Broussais.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  trouva  la  division  du 
cerveau  en  oîqgànes  distincts  plus  adaptée  à  là  variété  de  ses  actes  et 
à  leur  nature,  selon  lui,  matérielle.  Il  renonça  donc  fr  TinditisibiKté 
de  l'action  cérébrale,  et  consentit  à  transporter,  dans  la  partie  posté- 
rieure et  à  la  base  du  cerveau ,  les  instincts  qu'il  avait  jtisqtie-là  placés 
dans  les  viscères.  Mais,  en  refusant  désormais  à  céUl-d  la  fiiculté  de 
produire  les  passions,  il  leur  accordait  toujours  le  droit  de  les  exciter. 
Après  avoir  adopté  la  doctrine  phrénôlogique,  M.  Broussais  mita  son 
service  le  talent ,  Fardeur,  la  verve,  l'activîté  qu'il  conservait  encore. 
Introduite  dans  ses  mémoires  académiques ,  propagée  par  lui  dans 
Httk  J6urhal,  professée  dans  des  cours  où  il  retrouva  l'animation  de 
parole,  l'affluence  d'auditeurs ,  et  les  succès  éclatans  de  ses  plus  cé- 
lèbres années ,  cette  doctrine  obtint  les  derniers  efforts  de  son  esprit 
fattigué  et  de  sa  vie  défaillante.  Il  s'en  fit  le  représentant  et  le  défen- 
seur ââni9  notre  Académie.  Assidu  à  nos  séances,  facile  dans  son  com- 
merce, attentif  aux  idées  d'autrui  tout  en  étant  fort  arrêté  dans  les 
siennes,  il  prit  part  à  nos  travaux  tant  que  ses  forces  le  lui  permi- 
rent. C'était  un  excellent  confrère  que  nous  devions  avoir  la  douleur 
de  perdre  trop  tôt. 

11  était  depuis  long-temps  en  proie  à  une  lente  et  cruelle  maladie, 
sous  laquelle  son  corps  s'aflhissait  chaque  joiur  sans  que  sa  mâle 
vigueur  fléchit  un  instant.  Moins  d'un  mois  avant  sar  knort,  nous  l'avons 
vu,  pèle,  exténué  par  la  souffîrahce,  Unafs  soutehu  par  Fénergie  de  la 
volonté,  vfenfrtme  dernière^  fbis  ad  îftHlëti 'dé  ikôus  expbser  et  dé- 
fendre, avec  une  parole  aussi  derme  tqde  isôti  àme,  les  convictions  qui 

(1)  M.  Broussais  fut  nommé  plus  tard  Inspecteur-général  du  service  de  santé  des 
armées,  et  commandeur  de  la  Légion-dHonneur. 


^1^  MmiDBS. 

i  le  d|6tnv4«tt  spnfxlewe^  «yi^  fait 

eu  connaissait  tAu(«  la  invité  eteo 
avec  pliia  de  sagacité  et  de  ^aeg- 
ir  BUT  w  autre.  Il  m  tenait  un  jo^- 
pait  sftns.surpri6e  et  sans  pUinle  des 
Bces  vives,  des  ojténttiQOS  cnieU^, 
KHI,  s'élevant  aïKkssus  de  l'bannie. 
ience  que  de  sa  douleur, 
à  la  fifl,  De  laissapt  échvppsr  aiKHoe 
1  alla  passer  les  trois  derniers  jours 
Pans.  Malgré  son  extrême  aflatUis- 
iller.  U  dit;tait  encore  un  ipépoire 
r.  Mais  il  fut  bientôt  ma  par  les 
de  la  mort.  Une  organisation  aussi 
■:  par  le  mal,  ne  pouvait  pas  se  brider 
I  coup  comme  un  déchirement  inté- 
ur  son  lit  eu  poussant  un  grand  «ri , 
s,  puis  il  retomba.  Le  moment  iu~ 
[it  un  dénier  mouvament,  et  d'une 
sa  lui-môme  ses  paupières  sur  ses 
lais. 

38,  à  r&ge  de  soiiaote-ûx  ans,. cet 
e  qui  poursuivait  ses  recherches  £ur 
l'une  maladie  mortelle,  et  dont  l|ac- 
à  l'heure  du  repos  étemel.  De  ain- 
oères  regrets  et  d'universels  hommages  s'élevèrent  de  toutes  parts. 
M.  Broussais  les  méritait  également,  li  n'était  pas  seulement  supé- 
rieur par  ses  découvertes  et  par  ses  ouvrages,  il  était  bon,  simple, 
cordial,  attachant.  Ce  rérormateursiin^itable,  cet  athlète  «i  impé- 
tueux, cet  adversaire  si  violent  et  si  altier,  était,  dans  les  habitudes 
otdinaires  de  la  vie ,  le  plus  bienveillant  et  le  plus  facile  des  hommes. 
La  nature,  qui  lui  avait  donné  une  grande  vigueur  de  corps,  une  rare 
puissance  d'eeprit,  une  énergie  indomptable  de  caractère,  avait  ajouté 
à  ces  fortes  qualités  des  dispositions  aimables  et  douces.  Elle  lui  avait 
départi  beaucoup  de  bonhomie,  uo  fonds  inaltérable  de  gaieté,  une 
générosité  compatissante.  Il  ne  pouvait  ni  faire  ni  voir  souifrir.  S'il  a 
souvent  attaqué,  il  a'a  jamais  bu.  Il  ne  déte^it,  dans  ses  adversaifes, 
que  leurs  théories.  Ses  colères  comme  son  orgueil  se  renfermaient, 
A  ce  qu'il  croyait  du  moins,  dans  la  science,  et  tenaient  surtout  à 
l'amour  qu'il  portait  à  ses  idées  et  à  l'ardeiH-  mime  de  ses  convictions. 


bbÎoussais.  143 

Entraîné  par  la  partie  la  plus  noble  et  la  plus  élevée  de  la  science , 
il  en  avait  négligé  l'application  et  dédaigné  les  profits;  il  avait  surtout 
exercé  dans  les  camps ,  au  milieu  des  ravages  de  la  guerre  et  des 
épidémies,  n'ayant  eu  de  la  pratique  médicale  que  les  dangers  et 
l'héroïsme.  Aussi ,  le  médecin  qui  couvrait  la  France  de  ses  disciples, 
et  remplissait  l'Europe  de  son  nonÉ,  après  trente  ans  d'exercice  et  de 
gloire ,  est  mort  pauvre;  cette  passion  pour  la  vérité  lui  faisait  cepen- 
dant porter  trop  de  fougue  dans  sa  recherche,  et  le  rendait  moins 
difficile  qu'il  ne  l'aurait  fallu  sur  ses  preuves.  Son  esprit,  qui  était  vif, 
pénétrant,  ferme,  créateur,  n^afaitpas  des^pimédésasiei  rigoureux; 
il  ne  se  posait  pâà  toujours  bien  les  problèmes,  et  il  se  contentait 
souvent  de  solutions  imparfaites,  parce  qu'il  observait  bien  et  qu'il 
concluait  trop.  Chercher  et  croire,  affirmer  et  combattre,  tels  étaient 
ses  besoins;  il  ne  savait  ni  douter,  ni  hésiter.  De  là  venaient  à  la  fois 
ses  imperfections,  son  talent,  sa  puissance,  ses  succès;  il  y  puisait 
un  style  aux  allures  animées  et  libres,  coloré,  abondant,  inégal, 
énergique;  il  y  trouvait  l'inspiration  de  ces  livres  qui  intéressaient 
non-seulement  par  l'exposition  de  ses  idées ,  mais  par  l'émotion  de 
ses  sentimens,  car  il  y  mettait  à  la  fois  ses  systèmes  et  sa  personne. 

M.  Broussais  a  eu  un  génie  inventif;  il  appartenait  à  cette  généra- 
tion vigoureuse  et  créatrice  qui  s'occupait  un  peu  moins  que  la  nôtre 
de  ce  qu'on  avait  pensé  dans  les  siècles  précédens ,  et  qui  découvrait 
un  peu  plus.  Aussi,  le  nom  de  Broussais  demeurera  inscrit  à  côté 
des  grands  noms  dans  la  science  qu'il  a  cultivée,  honorée  et  perfec- 
tionnée. 

HiGNET. 


eus  RE  YUBf  IPSI  l^HSPr  :4MIfDBS. 

«néÉliiaprès  kd  aroir  lavé  }e$  pieds^  il.^lBiroqne^  leMM  âfevnq^. 
lie  idteuiitaii  ivodeotie  alors  de  chanterrftMn^île  b^^  dt  U  cade  gwv- 
rière  :  «Achève,  lui  dit-il,  le  poèniddiirisriitefiBiiàilK  iuAliiloiigf- 
tmnps  quelea  mioots  s'appuieroot  «ir  leurs  «bi^èffV'>et  que 'les  flfftves 
fMirsuivront  leurs  cours,  le  Raaiayana  sera  répété' faphubquflbè  d€8 
Jununes,  et,  tant  que  le  Ramayana durerai,  ttesTUondesiDisiste 
fierviront  d'asile.  »  '^    <      '  •' 

Que  peut  être  uoe  œuvre  ainsi  imposée  par  la  religion  ;  slcen^est 

OUI  acte  du  culte,  une  épopée  sacerdotale?  Tel  seca^en  effot,  le^arac- 

4ère  de  cet  ouvrage.  Mélange  du  prophète  et  iki  goerrîerv  il  tiendra 

du  Coran  et  de  llliade.  Ce  qui  manque  aux  dviiisittîoDfrtgrecqiie, 

xomaine,  moderne,  se  découvre  dans  la  seule  feÎTfliBvtten  indienne, 

^n  poème  épiquei  mé  de  l'inspiration  de  la  caste  dtes^  piètres*  Dans 

riUadevqutestvoisikie  de  cette  antiquité ,  coiiddienld' principe  de 

fJDspicatidn  ulest^li  pas  différent  !  Homère  est  enùèremeiit  effrenobi 

<la  géme*  dui  saoèrddoè.  C'est  un  vieillard  qui  va  librement  de  ville 

'en  vflle; '«OU' un  j^rèlre  attaché  à  un  sanctuaire.  «Chante,  déesae,  la 

<  colère  4' AchiUev  î>  voilà  ses  prenlters  mots.  C'est  lui  qui  commande 

et  s'impose  à  son  dièu;  c'est  lui  qui  Taiguillonne.  U  règne  dans  son 

^uvre,  et,  par  ce  débuts  on  sent  déjà  que  l'art  grée  a  conquis  une 

pleine  indépendance.  Il  dispose  à  son  gré  des  évènemens  et  d^ 

traditions;  il  les  change  comme  il  lui  plaît.  Les  deux  mdme  Mû 

.sont  soumis,  car  il  les  orne  à  sa  fantaisie;  et  toujours  orthodoxe, 

pourvu  qu'elle  soit  belle ,  sa  croyance  renferme  déjà  tm  sceptioiMie 

prématuré.  Dans  l'épopée  indienne,  au  contraire,  le  poète  est^sonnits 

en  esclave  au  dieu  qui  le  visite  et  lui  prescrit  son  œuvre  ^  comme 

un  rituel  liturgique.  Il  se  prosterne  la  face  contre  terre  au  seuil  de 

son  poème;  le  caractère  du  génie  oriental  est  ainsi  replanté  dans 

-ce  premier  dialogue  de  Yalmiki  et  de  Brahma,  du  poète  et  du  dieu; 

ou  plutôt  il  n'y  a  ici  ni  poète,  ni  artiste,  ni  poème,  mais  un  dieu,  un 

prêtre,  un  sanctuaire,  une  cérémonie  solennelle,  l'offrande  dé  la 

parole  harmonieuse;  car  œs  épopées  sont  placées  au  rang  des 

livres-sacrés  :  elleâ  iont  potlr  les  Indiens  ce  que  le  Coran  est  pour  les 

mahométansv  l'Évangile  pour  lesdirétiens.  C'est  sur  ces  livres  ouverts 

que  se  prètentHes  sednens  daQ»  les  actes  de  la  vie  civile  et  politique; 

et  ce  caractère  sacré  peut^ili  être  'exprimé'arec  plus  de  fom^  tpiedbuis 

les  vers  suii^nsi:  aiGeiiiirquilliia  le  récit  de»Mtk>os  d^iRama  Mm 

délivré  de  tous  ses  péchés  ;  il  sera  exempt  de  tout  malheur  dans  la 

personne  de  son  8Is,  Aer  son  petit^^..  Heureux  qqi  «  éooutantde  fia- 

mayana,  l'acompris  jusqu'à  la  fin  theuDenot  qtû'iôuIemaBtl'ahi  ju»- 


: — mil  15  ifiuuiutr  ■  "'  H5" 

grecs,  it  dissipe,  à  son  souffle,  le  moyen-Age,  et  crée  la  renaissance. 
Quelquefois  ce  sont  des  modernes  qui,  le  iendemain  de  leur  appari- 
tion ,  retombent  dans  l'obscurité  et  sont  comme  s'ils  n'avaient  jamais' 
été.  Hais  leur  action,  un  mqment  suspendue,  n'en  est  bientôt  que' 
plus  puissante.  Tel  fut  Sbakspeare.  S'il  est  oublié  par  le  xviu*  siècle, 
il  revit  de  nos  jours,  et  cette  résurrection  a  provoqué  en  partie  celle  de 
l'Allemagne  :  en  sorte  que  ces  hommes  peuvent  être  regardés  comme- 
d'ardens  messagers  qui,  de  loin  à  loin,  viennent  marquer  l'aurore- 
des  grandes  journées  du  monde  intellectuel.  Aujourd'hui,  l'Europe 
est  lasse;  el)erl'^vûiie  elle-mâme.  Parcourez  l'Angleterre,  l'AUemagne, 
la  France;  pM-iout/aVecdes  visages  divers,  vous  trouverez ,  haletant 
et  vivant  d'une  même  ombre  de  vie ,  les  hommes  attachés,  non  au 
présent,  mais  à  l'attente  d'une  chose  qu'ils  ne  savent  comment 
nommer.  Virgile,  Homère,  Dante,  Sbakspeare,  ne  suffisent  plus  à 
repaître  ces  esprits  magnifiques.  11  fondrait,  disent-ils,  de  nouvelles 
sources  d'eau  vive  pour  nous  assouvir  dans  notre  désert  moral.  Et 
voilà  qu'en  effet  soudainement  jaillit  du  rocher  un  flot  d'inspiration 
qu'aucune  génération  n'a  encore  détourné  k  son  profit;  voilà  que 
des  noms  jusqu'ici  ignorés  sont  prononcés,  des  langues,  des  religions 
perdues  sont  découvertes,  des  dieux  retrouvés.  Une  poésie  inconnue, 
la  poésie  indienne,  commence  à  se  révéler.  Par-deli  l'Homère  grec , 
un  Homère  indien  se  montre  à  l'extrémité  des  temps,  puisque  les 
critiques  les  plus  modérés  placent  sa  naissance  mille  ans  avant  le- 
Cbrist.  HAtoDs-Qous  donc  de  nous  tourner  de  ce  cAté;  voyons  ce  qne- 
peuvent  être  une  Odyssée,  une  Iliade  au  bord  du  Gange.  Qu'avons- 
nous  de  commun  avec  ce  génie  que  le  temps  et  l'espace  ont  mis  si 
loin  de  nous?  Que  faut-il  en  espérer  iwur  l'avenir?  Quel  bon  ou 
mauvais  augure  en  tirer?  Virgile  et  Homère  ont  prêté  quelque  chose 
de  leur  vie  aus  siècles  de  Léon  \  et  de  Louis  XIV.  Quel  siècle  naîtra 
au  souffle  de  cet  Homère  du  golfe  de  Golconde? 

L'Inde,  comme  la  Grèce,  a  deui  épopées  principales.  Sous  les 
titresduftamayanaetduM  ;son  Odyssée. 

Si  l'étendue  des  œuvres  fai  tte  littérature 

serait ,  sans  contention ,  le  le  moindre 

de  ces  poèmes  renferme  ;.  Le  tiers  du 

Ramayana  a  été  publié  d  lans  le  trajet 

dès  Indes  en  Europe,  le  v  de  cette  car- 

gaison fit  naufrage.  Le  p  le  parvinrent 

seuls  en  Angletene;  il  y  a, quelques  années  seoLemrat,  William. 


v^  REVUBf  MSrMOC'ilMDES. 

tea^ps  Qftt  ceUe  dt  U  reMiMUUse  orwoÉile^  a  uiilmpiii^WBe  éAHM 
complète  des  deux  épofiées.  Cette  ipidriieitien  'Hfesb  poM  temil^ 
née,  ea  sorte  qne,  daiM  Tétat  actuel  .de  It'CiM^,  -ci^-gmides 
masses  de  peéde  sont  encore,  en  pstie,  iveoiniMs.  CotoMes  de 
Th^>es,  eosevelis  jusqu'au  bout  dan»  tes  sabiw,  on  n*apeiti^  qoe 
leurs  diadèmes.  Cependant  les  fragmena  mi»  à  éico&vett  aifflieilt 
pour  déterminer  le  genre  et  lectfraetère  de  renaciiiMe,  denëme  tpué, 
sur  une  partie  d'ua  animal  perdu ,  les  naluralistei  veoompoaent  le  tout 
yivant  dont  elle  a  été  détachée. 

La  forme  de  ces  compesitiens  exclut  l'idée  d'une  andf  se  titténiie. 
S'il  fallait  ici  marquer  le  <»ractère  du  poème  d'Amate^  Tainement 
voudrait-on  suivre  un  à  un  tous  les  pas  de  ce  ^énia  iMpvioieux.  A 
peine  entré  dans  le  labyrinthe  enchanté,  on  perdiait  le  fil  qui  échappe 
souvent  au  poèteiJluirmème«  Or,  le  sentier  vagabond  é'Aiioale  est  une 
voie  droite  et  dassique  auprès  de  ceUe  du  poète  indien.  Pénétrerons- 
nous  donc,  au  hasard^  dans  cette  irameaae  forêt  vierge,  et  soivron»- 
i^ous  tous  lessentîeiv  que  nos  yeux  reacoiiUwont?  KenMt  nous 
serions  égarés  sana  espoir,  s'il  est  vrai  que  To»  m  peut  mieux  expU*- 
quer  Texubcranoe  de  ces  poèmes  qu'en  la  conparanl  à  celle  de  œt 
arbre  Indien  dont  les  branches,  en  retombent  à  terre,  s'y  attachent, 
s'y  divisent,  s'enracinent,  poussent  des  rejetons  cpii  devieonenit 
eux-mêmes  des  arbres,  lesquels  se  ramifient  de  nouveau,  et,  gei^ 
mant,  se  reproduisant,  se  raukiplîattt  ainsi  en  chaque  endroit,  (bn- 
ment  une  forêt  qui  n'est,  pour  ainsi  dire,  qu'une  seule  plante  d^oà 
s^exhalent  toutes  les  harmonies  d'«m  mime  continent,  parftmis  vivant, 
murmures,  bourdonnemens  de  la  nature  des  tropiques.  Où  est  le 
germe ,  où  sont  les  branches ,  où  est  le  tronc  de  cet  arbre  hifini?  D» 
même,  dans  ces  épopées,  chaque  incident  tend  à  devenir  un  poème. 
Que  ferons-nous  pour  ne  pas  nous  perdre  dans  cette  immensité?  Noos 
imiterons  les  Européens,  quand  ils  veulent  s'étd^lir  au  sein  des  forêts 
vierges  des  grandes  Indes.  Ils  se  hâtent  d'y  tracer  de  longues  voies 
droites  qui  aboutissent  à  des  points  d^à  connus.  J'établirai  ainsi 
plusieurs  divisions  dans  l'ex^nen  de  ces  épopées,  encore  immaculées 
comme  les  savanes  et  les  forêts  où  le  condor  et  le  boa  ont  seuls  îus^ 
qu'à  présent  fait  leur  séjour.  Je  rechercherai  les  rapports  de  cette 
poésie  avec  son  auteur,  avec  la  religion  nationale,  avec  la  nature 
asiatique,  avec  les  institutims  civiles  et  l'histoire  des  indefi  en  général. 

D'abord  je  veux  savoir  quriie  a  été  te«ondJticln  éa (poète  tai-iwêmew 


^lU^mk^M^^/MÊûMs^itt  4iotoQ<aiè6le  ne  pastem  pAB  Mis ^lue  ëie 
HMi|«etMÎtiiif«iibà  ofttérieceiix  d'Heoière,  4e  Béokt  6t  de  SbtAsr- 
.ffifiHQ,  mt^y^knUêi  aaljieJâtfm^Ue  de  cem  qui  Yégaraeût  toute  une 
imiimtim.  GofÊmaoi  anl^il  ^u¥  coiaignt  i^i^il  composé  son 
t^VfiiigeS  Ges^HiertiMB  sontinésobies  |»r  le  fait,  dès  le  début  du  Ra- 
«majWMi  iCdlte  épei^  CMune  celle  ^  Dante,  met  d'abord  en  scène 
la  peir$pnoe  du  poète.  R^iré  sous  les  ombrages  d'une  forêt  sacrée , 
dé&  les  ^emte»  «vas  il  se  prépare  par  une  longue  purification  à 
rinqûfatiaQidiwie.  Tout  annonoe  en  lui  un  homme  de  la  caste  des 
.prêtres ,  qui  épure  son  esprit  pour  le  rendre  digne  de  produire  le 
^poème  natîooaL  âta  Indes.  Son  sanctuaire  est  dans  le  fond  des  tallées. 
Jl  fait  86S  aMnIîMs  dans  les  eaux  divines  du  Tomosa.  Ses  disciples  lui 
iapporteolau  bofd  du  fleuve  ses  vétemens  religieux ,  et,  quand  il  sort 
Hies  flots,  ^on  equrit  sans  tache  est  prêt  à  reproduire  fidèlement  les 
images  împéiisaaMes  que  les  dieux  voudront  y  imprimer.  Qiri  ne  YOft 
rie  sens  profond  caché  dans  oe  début?  Où  esti'lmtarme  qui,  avant 
4'aocomplir  sa  tAcbe,  o*a  besoin  d'une  ablution  ^intérieure?  Où  eit 
celui  qui  ne  s'est  baigné  dans  le  flot  des  douleurs  humaines  avant  de 
recevoir,  selon  Tes^ession  orientaie,  la  seconde  vie,  c'esté^lire  celle 
4e  Fiospiration?  Où  est  le  fdiUosophe,  l'artiste,  qui  n'a  une  fois,  au 
moins,  lavé  la  poussière  de  aea  rêves  au  bord  des  lacs  immaculés  et 
intffftiQbi  son  front  dans  l'abîme  insondable? Tout  poète,  avant  de 
aomiwncer  son  œuvre ,  ne  se  recueiUe^Hl  pas  dans  le  secret  des 
(fpiétsou'dans  le  secret  de  son  cœur:  Byron  dans  la  mer  des  Cyclades, 
Mn  des  bruits  de  l'Angleterre;  H.  de  Chateaubriand  dans  les  forêts 
•de  l'Am^ique  du  Nord;  avant  eui,  Camoëns,  dans  la  solitude  de 
l*Oeéan;  MiUon,  dans  la  solitude  des  ténèbres;  Dante,  dans  la 
«olitude  plus  aveugle  de  l'exil?  Les  peintres  du  moyen-âge,  plus 
poètes  eiHSore  que  peintres,  s'agenouillaient  avant  de  prendre  leurs 
^oeaux,  et  ib  commençaient  par  adorer  en  eux-mêmes  l'image 
qu'ils  allaient  représenter-  C'est-4-dire  que  nul  n'entre  dans  le 
royaume  de  la  poésie,  de  la  philosophie,  de  la  raison ,  sans  passer  par 
luie  épreuve  quelconque,  et  cette  idée  est  inscrite  en  traits  ineffaça- 
liles  au  seuil  même  de  l'épopée  indienne. 

La  scène- suivante  aehève  de  donner  à  ce  début  toute  sa  valeur.  A 
peîoe  le  poète  indien  s>'esMl  préparé  par  la  prière  el  la  macération , 
à  peine  esMl  panraou  à  llétat  de  sainteté,  que  le  dieu  suprême 
Brabma  desaandxlea  hautews  du  riel  et.v>iest  le^risiter  dans  sa  hutte 
dftlaiiiUAiei  VaUnULi^e^nieoBBàtt  à  Iravera  ses  traits  mortels.  II  se 
prosterne  pmir l'adorer;  puis,  lui  présentant  un  siège  fait  de  bois  de 

10. 


eus  RE VUR{  ipSi  l^BOI  ^MinOBS. 

«néàliiaiirès  kd  aroir  lavé  }e$  pieds^iilfiyBiroqne^  leMM  âfevnq^. 
lie  idîeuitaii  ivodeotie  alors  de  chaRter'ftMn,<le  b^^  dt  U  cade  gwv- 
rière  :  a  Achève,  lui  dlt-il,  le  poènié  diirittiiteffHaitalk  AusLtongf- 
tapaps-qnelea  moots  s^appuieroot  mr  leurs  fbiÉfliv->et  quelles  «if  ûves 
fMtrsoivront  leurs  cours,  le  Ramayaoa  sera  répété' faphubouehë  des 
jMmmes,  et,  tant  que  le  Ramayana  durera  v  Mes  mondes  joisis  te 
serviront  d*asile.  »  ,i.    .     .  c 

Que  peut  être  une  œuvre  ainsi  imposée  par  la  rdigioMi;  atce  n^est 

•un  acte  du  culte,  une  épopée  sacerdotale?  Tel  sen^^enieffot,  leicarac- 

4ère  de  cet  ouvrage.  Mélange  du  prophète  et  du  goerrierv  il  tiendra 

du  Coran  et  de  llliade.  Ce  qui  manque  aux  ci¥i]i9ittioDa  ipnecque, 

romaine,  moderne ^  se  découvre  dans  la  seule  civilisatten  indienne, 

^un  poème  épicpiei  mé  de  Tinspiration  de  la  caste  dtes  piètres*  Dans 

TUiade,) qui  est  voisine  de  cette  antiquité,  combien  le  principe  de 

rîDspicatidnulest^il'pasdiffiéreot!  Homère  estentièremeiiteffraBobi 

<la  géoie^dut  saoèrdooô.  C'est  un  vieilliffd  qui  va  librement  de  ville 

'en  vflle;  «on  un  j^rèlre  attaché  à  un  sanctuaire.  «Chante,  déesse,  la 

t  colère  4' AchiUes  i>  voilà  ses  premiers  mots.  C'est  lui  qui  commande 

•et  s'impose  à  son  dîèut  c'est  hii  cpii  l'aiguillonne.  U  règne  dans  son 

^uvre,  et,  par  ce  début,  on  sent  déjà  que  l'art  grée  a  OMqnis  une 

pleine  indépendance»  Il  dispose  à  son  gré  des  évènemens  et  des 

traditions  ;  il  les  change  comme  il  lui  plaît.  Les  deux  même  Mû 

.sont  soumis,  car  il  les  orne  à  sa  fantaisie;  et  toujours  orthodoxe, 

pourvu  qu'elle  soit  belle,  sa  croyance  renferme  déjà  un  sceptloiMOe 

prématuré.  Dans  l'épopée  indienne,  au  contraire,  le  poète  est>soimiis 

en  esclave  au  dieu  qui  le  visite  et  lui  prescrit  son  œuvre ,  comme 

un  rituel  liturgique.  Il  se  prosterne  la  face  contre  terre  an  seuil  de 

son  poème;  le  caractère  du  génie  oriental  est  amsi  représaité  dans 

ce  promis  dialogue  de  Yalmiki  et  de  Brahma,  du  poète  et  du  dieu; 

ou  plutôt  il  n'y  a  ici  ni  poète,  ni  artiste,  ni  poème,  mais  un  dieu ,  un 

prêtre,  un  sanctuaire,  une  cérémonie  solennelle,  l'offirande  de  la 

parole  harmonieuse;  car  ces  épopées  sont  placées  au  rang  des 

livres  sacrés  :  elleâ  sont  pour  tes  Indiens  ce  que  le  Coran  est  pour  les 

mahométans^  l'Évangile  pour  lescbrétiens.  C'est  sur  ces  livres  ouverts 

que  se  prêtent-  lessednens  daQ»  les  actes  de  la  vie  civile  et  politique; 

et  ce  caractère  sacré  peut^ili  être  exprimé'avee  phis  de  féfcetpiedafls 

les  vers  suii^ns-:  a;Geiiii(qaKlin  le  récit  de»«ctioiis  d^iRama  Mm 

délivré  de  tous  ses  péchés;  il  sera  exempt  de  tout  naalbeur  dans  la 

personne  de  son  8Is^  de  son  petit^^.  Heurem^  qui  «  éooutantde  fia- 

mayana,  l'a  compris  jusqu'à  la  fin  t  beuDeuât  qui'seuIomBt  l'a  lu  ju»- 


Ipifàto iiéitiél  il(4oiipelaisbgefl8b^aQ {Brëtrey  aa nobte  nngnitMiuii 
Mnreife^'Uficlitssd  aujonutocrçanl!,  et  sitparhaslwdv'iiDtesUvvè 
téooutovi  îi  estf fani^ioèiDe  ahobli:  (1).  »  ^  i  ^  ^  i 

ApirÔB  iquqVabmU'ia  reçu  ainsi  l'ordre  du  de),  ne  penseifa^ 
qti*il  seijettal  so^daioQineot  aa  milieu  des  évènemeiis  de  son  peèna 
Le^^ioio  dei  rOneat  ne  procède  pas  avec  cette  impatience.  AnaÉI 
que  l'action  commence,  il  faut  encore  assister  à  Tune  des  seèms 
ipiiipeigBeBlle  mieux  la  nature  contemplative  de  THomère  indien. 
Troublé  pér  Tin^ation  qui  s'approche,  accablé  du  fardeau  de  sa 
pensée;*  le  poète  s'^lssied  au  pied  d'un  arbre  séculaire.  Là  il  rêve 
aux  verluavi  t|ft  noblesse ,  à  la  beauté  de  son  héros,  et  cette  médita- 
tion ffit> le. sujet dei son  premier  chant.  Vous  voyez  ainsi,  par  avance, 
le  plan  entier  dis  son  poème  se  dérouler  au  fond  de  la  pensée,  il 
aperçoit^  4ii^i\i  dans  son  esprit  tout  le  sujet  de  l'histoire  de  Rama, 
aussi  distÛMÉenent  qu'un  fruit  du  dattier  dana  le  ^sreux  de  sanaJo. 
Il  mesure  ketement  dans  son  intelligence  l'éténdue^deice  poèmes 
océan  merveilleux  rempli  de  tcwie»  lee  pelles  dès  ^VédasiiQM»Bcèi»e^ 
qui  suit  de  près  celle  de  l'apparitâon  du  dieu  4  donâè  aa  début  du 
Ramayana  un  caractère  de  contemplation  et.ë'tttase  qm  répond  à 
tout  ce  que  nous  savons  de  la  religion  et  des  habitudes  d'esprit  du 
peuple  indien^  Le  poète  voit  des  yeux  de  sa  pensée  son  ceuvre  plus 
:  parfaite  assurément  qu'il  ne  la  fera  jamais  :  n'est-ce  pas  le  moment 
le.pluaibeau  de  tout  ouvrage  humain?  Combien  Homère  est  loin 
«Mote;  de  cette  idée  1 11  est  aussi  impatient  que  le  génie  de  l'Cksci- 
dent^^Dès  les  premiers  mots,  il  se  précipite  sur  son  sujet,  comiqe 
wiaigle  de  l'Olympe  qui  s'abat  sur  un  troupeau,  tandis  que  Yd- 
Êsuki  {riane  d'abord  dans  la  plus  haute  nue  avant  de  descendre  à  la 
^éalisatîen  de  son  dessein.  Long-temps  il  contemple  l'idéal  des  évène- 
mena  et  des  choses  qu'il  décrira  plus  tard;  création  intérieure  de 
igures  que  personne  ne  verra ,  d'harmonies  que  nulle  oreille  mor- 
telle n'entendra;  genèse  des  formes  impalpables,  beautés,  sommets 
îaaceessibles,  parfums  non  respires,  lumière,  strophes,  voix  dont  le 
poèoie  ne  sera  que  l'écho  ou  l'ombre  atténuée!  Nous-mêmes,  nous 
admirons  dans  les  csuvres  des  poètes  et  des  sculpteur^  les  person- 
nages et  les  figures  qu'ils  ont  créés.  One  8eraitH)e  donc  si  nous  pou- 
ffions fntœvoîr  ces  ioMges,  ces  êtres  ilieraui  ^  non  point  tels  qu'ils 
Mt  été  JknpvfintenMBt  réalisés  par  idea  instrdmens  incomplets,  le 


• .  I 


!'    iti'tn  ..  :     il    •'      1     .    '       '  "    ;       ^_- 


<|l)  b*>  i%Ub«v«  ubéjpr6Meésft  deiiiMtolé  éïte  !ë  po&k&  toét'dirélleu  da  Titurd. 


160  REVUE  irt»  imifr  iiomdes. 

êiseati,  te  pmceau,  les  langaes  btimaines,  iBêh  tels  q[a'ils  ont  appiert^ 
dans  leur  nudité  idéale,  à  l'esprit  de  leurs  auteurs  1  îl  n*est  point  d*Wy 
tîste  qui  n'éprouve  une  douleur  «incère  en  comparant  à  l'œuvre  qù*ii 
à  rtvée<^Ue  qu'il  a  exécirtée,  et  c'est  la  différence  de  ce  njodèle 
intérieur  et  du  plan  réalisé  qui  sert  de  préambule  au  Ramayana.  Qui 
ke  serait  frappé  de  la  grandeur  de  ces  idées,  rangées  ainsi  qu'une 
avenue  de  sphinx  intelligens  à  l'entrée  du  monument? 

Admis  dans  llntimité  du  poète  du  Gange ,  nous  avons  vu  naîtfe 
^  pensées ,  fantômes  divins  à  peine  revêtus  de  la  parole.  Reste  à 
savoir  comment,  du  fond  de  cette  solitude,  son  œuvre,  en  ces  temps 
reculés,  a  pu  être  répandue  et  conservée  dans  la  mémoire  des  hommes. 
J'ai  montré  ailleurs  (1)  de  quelle  manière  une  question  semblable  a 
renouvelé  de  nos  jours  la  critique  à  l'égard  d'Homère,  Qui  croirait 
que  la  plus  grande  lumière  sur  cette  question  nous  vienne  des  bords 
dû  Gange?  C'est  pourtant  ce  dont  il  est  facile  de  se  convaincre.  Pour 
achever  sa  confession ,  Valmiki  raconte  en  effet  de  quelle  manière 
son  ouvrage  a  été  porté  de  bouche  en  bouche ,  et  l'on  est  étonné 
d'apprendfe,  dans  ce  récit,  que  des  institutions  poétiques,  parfaite* 
ment  analogues  à  celles  de  la  Grèce  héroïque  et  de  l'Europe  féodale, 
se  retrouvent  dans  la  double  presqu^tle  en-deçà  et  au-delà  du  Gange  : 
des  rhapsodes  qui  chantent  les  fragmens  du  poème  national,  des  mé- 
nestrels qui  sont  eux-mêmes  récompensés  par  les  auditeurs,  comme 
ceux  du  moyen-àge.  tl  faut  citer  ici  textuellement  cette  partie  du 
Ramayana  qui  fournit  des  points  de  comparaison  si  évidens  entre 
des  sociétés  que  tout,  d'ailleurs,  semblait  séparer. 

a  Le  poème  du  Ramayana  étant  achevé,  Valmiki  se  demanda  :  Qui 
le  fera  connaître  au  monde?  En  ce  moment,  deux  disciples  se  jetèrent 
aux  pieds  du  sage,  tous  deux  illustres,  à  la  voix  mélodieuse,  tous 
deux  habitant  un  ermitage.  Ayant  regardé  ces  jeunes  hommes  ingé- 
nus, il  leur  dit  après  avoir  baisé  leurs  fronts  :  -^  Apprenez  le  poème 
révélé;  il  donne  la  vertu  et  la  richesse  :  plein  de  douceur,  lorsqu'il  est 
ada(^  aux  trois  mesures  du  temps ,  plus  doux  s'il  est  marié  au  son 
des  instrumcns,  ou  s'il  est  chanté  sur  les  sept  cordes  de  la  voix. 
L'oreille  ravie,  il  excite  l'amour,  le  courage,  l'angoisse,  la  terreur.  — 
Après  avoir  ainsi  parié,  le  sage  enseigna  aux  deux  jeunes  hommes  tout 
le  poème  de  Rama.  Dès  qu'il  l'eut  confié  à  leur  mémoire,  il  leur  dit 
encore  :  —  Que  cette  histoire  soit  chantée  par  vous  dans  l'assemblée 
des  sages,  au  milieu  du  concours  des  princes  et  dans  la  réunion  des 

(1)  Àevue  dB9  Deux  Êtfonàes^  inai  l^M,  Épopée  §reeque. 


POÈTES  ^PIQUES*  IM 

fions.  —  Ces  deux  jeunes  honunes,  Texacte  ressembbnee  du  héros, 
limage  réfléchie  de  ses  perfections,  étninens  dans  les  livres  aeterés, 
dans  les  mystères  de  la  muskpie ,  chantèrent  le  poème  en  présenoo 
des  sages,  et  les  dieux  deseemhis  de  Tempyrée,  et  les  génies  et  les 
princes  des  serpens,  furent  ravis  d'étonnement  et  de  joie.  A  des  temp» 
marqués,  les  deux  princes  hien-aimés  recommençaient  leurs  chants, 
et  les  sages  se  réunissaient  par  milliers  pour  les  écouter,  le»  yeux 
immobiles  de  plaisir  et  d'admiration.  Et  ils  s'écriaient  :  O  le  grand 
poème!  l'image  fidèle  de  la  vérité!  D'anciens  évènemens nous  sont 
montrés  comme  s'ils  se  passaient  sous  nos  yeux.  Ceux  qui  chantent 
ce  poème  dans  cette  langue  de  niel  sont  deux  princes  d'ime  ori- 
gine divine.  Oh  !  que  ce  chant  est  pur  !  les  mots  justement  réglés 
sont  unis  entre  eux  par  un  art  inoui.  Ainsi  réjouis  par  leurs  chants, 
un  sage  leur  présenta  un  vase  rempli  d'eau  consacrée,  ua  autre  des 
fruits  de  la  forêt,  un  troisième  de  riches  vètemens^  ou  un  vase  de 
sacrifice,  ou  un  siège  fait  de  bois  de  sandaK  D'autres  leur  souhai- 
taient une  prospérité  sans  mélange,  ou  aj^elaiçnt  sur  eux  une 
longue  vie.  » 

Voilà  donc,  sur  les  bords  du  Gange,  les  rhapsodes  d^Ionie  et  les 
ménestrels  du  moyen^ge.  Il  feut  ajouter  que  le  caractère  de  la  théo« 
eratie  est  encore  empreint  dans  cette  institution.  Ces  rhapsodes  indiens 
ne  vont  pas  réjoufr  de  lieux  en  lieux  le  festin  de  leurs  hAtea,  à  la  nuH 
ni^e  des  Grecs,  fls  seraient  plutôt  semblables  à  ceux  du  moy engage 
qui  ne  chantaient  guère  l'épopée  cm^lovingienne  que  dans  les  châ- 
teaux de  la  féodatité.  C'est  dans  une  assemblée  choisie  que  se  répète 
te  poème  dé  Yabniki.  Composé  par  un  prêtre,  c'est  surtout  par  des 
jH'ètres  qu'il  doit  être  entendu.  Les  classes  inférieures,  les  soudras^ 
ne  jouiront  pas  du  bienfait  de  cette  poésie.  11  sont  exclus  du  monde 
idéal  conune  ils  le  sont,  en  quelque  manière,  du  monde  politique  et 
dvil. 

Le  Mababeratha  ne  commence  pas  sur  un  ton  moins  pieux ,  car  il 
s'ouvre  par  une  conversation  de  religieux,  dans  un  monastère  con-* 
saeiré  an  dieu  Brahma.  Les  solitaires  prient  un  de  leurs  compagnon» 
de  raconter  son  histoire.  Celui-ci  cède  à  leurs  instances;  il  répète 
toute  une  épopée  dans  les  intervalles  des  sacri&es,  et  l'Iliade  orientale 
est  chantée  dans  une  cellule  d'ermite. 

Au  reste,  le  sujet  de  l'un  et  de  l'autre  de  ces  poèmes  est  une  guerre 
rdigieuse.  Dans  l'ue  et  dans  l'autre,  le  héros  va  secourir  les  ermites, 
ks  piètres,  les  solitaires  dont  les  autels  et  les  monastères  sont  me- 
nacés par  une  race  ennemie.  Souvenir  des  luttes  de  deux  peuples,  de 


152  BBVTB  BBS  DEUX  MONDES. 

de!u,rçii^^i)S ,  c'est  de  ce  chaos  social  qu'est  sortie  rûrgani^lion  «ïes 
c^tes  Aç  La  Haute-Asie  :  en  sorte  que  l'épopée  est  ici  te  commentaire 
de  Ib  législation  et  que  la  tradition  poétique  tient  la  place  de  l'histoire. 
A  ce  fond  du  sujet  se  rattachent,  comme  autant  de  rameaux  au  tronc, 
[4usieurs  scènes  qui  peignent,  sous  ses  aspects  divers,  la  3ociét6 
asiatique,  le  roi  dans  son  palais,  le  brahmane  dans  son  ermitage,  le 
héros  sur  sa  litière  embaumée ,  les  cérémonies  du  culte  i  les  bûchers 
des.  funérailles,  les  prêtres  errans  sur  des  chars  dqus  coipme  la 
pensée,  les  armées  précédées  de  troupeaux  d'éléphans  enivrés,  les 
bayadères,  les  forêts  retentissantes  de  l'écho  des  hymnes  et  des  prières 
liturgiques,  les  cités  semblables  à  des  lacs  féconds  en  perles,  les  soli- 
tudes, les  fleuves,  les  mers,  tout  le  tJtbleau  de  la  nature  des  Grandes- 
Indes,  t^l  qu'i)  est  encore  malgré  les  révolutions  des  temps.  Il  est 
,si)rtàut  iii^poEsible  de  fie  pas  remarquer  d'étranges  ressemblances 
entre  le  (^puçipi^.^e  (;ette  civilisation  et  celui  de  la  civilisation  catho- 
lique, UQ  principe  commun  i  l'ascétisme  une  sorte  de  chevalerie,  de» 
chartfeuBes.paï^npes,  des ,apachorèles  plongés  dans  la  macération, 
des  pèlerinages,  e^  datis  le  (jogme  une  trinité  divine.  Ne  semble-t-il 
pas  que  cette  société  soit  l'image  anticipée  de  la  société  féodale, 
représentée  dans  les  poèmes  de  chevalerie  d'Arthia  et  de  la  Table~ 
Ronde?  L'analogie  serait  complète,  si  l'on  oubliait  cette  unique  dîi- 
férence  :  d'ime  part,  en  Orient,  le  panthéisme,  le  dieu  confondu 
avec  la  création;  de  L'autre,  en  Occident,  la  personnalité  de  Dieu 
distincte  de  l'univers.  Voilà  par  quel  abîme  ces  deux  mondes  soAt 
séparés.  Cet  abîme  est  plus  profond  que  l'océan  qui  les  divise. 

Après  cet  aperçu  générai,  je  cherche  les  rapports  de  l'épop^ 
indienne  avec  la  religion,  et  je  ne  tarde  pas  à  découvrir  un  fait  si 
extraordinaire,  qu'aucune  autre  littérature  n'en  présente  de  sem- 
blable. N'est-il  pas  étrange  de  penser  que  tous  les  héros  de  ces 
poèmes  sont  des  dieux  incarnés,  qui  ont  consenti  à  revèUrles  formes 
et  les  douleurs  de  l'humanité?  Rien  pourtant  n'est  plus  vrai.  Encore 


POÈTES  ÉPIQUES.  153 

copsentt  à  devei^r  le  fils  d'un  ancien  roi  et  à  pareonrir  lotîtes  'les 
chances  de  iâ  yie  terrestre^  Mais  ce  qui  est  maniresfe  dansIehéroS 
principaLdûpoèine,  ne  laisse  pas  d'être  vrai  à  l'égard  des  autres  jier- 
sonhagés.  Si  vous  lés  pressez  et  les  poussez  à  bout,  vous  finirez  tisi^- 
jours  par.  reconnaître  en  eux  quelque  divinité  ou  quelque  verbe  tait 
homme,  au  degré  le  plus  élevé  comme  au  plus  abaissé  de  Téchelle 
sociale.  Chez  ces  rois  qui  régnent  vingt  mille  ans,  chez  ces  ascètes 
qui  passent  dans  l'abstinence  et  la  componction  des  siècles  de  siècles, 
il  D'est  pas  dillîcile  de  soulever  le  masque  et  de  retrouver  l'Être 
suprême  incarné  dans  le  prêtre,  le  guerrier,  le  monarque.  Mais  si 
même  vous  voyez  passer  un  mendiant  porteur  d'un  parasol  et  d'une 
urne  6  demj  brisée  pour  solliciter  les  aumônes  des  soudras,  malgré 
.cet  abaissement,  ne  vous  fiez  pas  trop  à  l'apparence;  sous  la  figure 
de  ce  mendiant  est  cacbé  le  dieu  Sîva,  qui  vient  expier  ainsi  je  né 
sais  quelle  faute  commise  à  l'origine  de  l'éternité.  Le  dîën  étant  ainsi 
caché  sous  chaque  personnage,  cette  épopée  métiterriit  bien  mieux 
■que  celle  de  Dante  le  titre  de  Divine  Comédie:        i'  "   '  i  ' 

En  même  temps  que  les  dieux  sont  cachés  soiis'la  figure  des  héros, 
ils  ne  laissent  pas  de  se  montrer  dans  les  cieux.  Ils  se  retirent  dans 
leurs  domaines  particuliers,  ou  ils  se  rassemblent  sur  le  sommet  du 
mont  Mérou.  C'est  sur  cet  olympe  indien  que  se  retrouvent,  image 
anticipée  de  la  Grèce  et  de  l'Egypte,  les  ancêtres  des  divinités  ocd- 
dentales,  Maya,  la  reine  de  l'illusion,  couverte  du  voile  qui  s'étendra 
'  plus  tard  sur  l'Isis  du  Nil  ;  Chrishna,  le  dieu  du  soleil  entraîné  par  les 
chevaux  que  doit  régir  Apollon  ;  Siva,  qui  brandit  le  trident  qu'il  doit 
léguer  à  Neptune;  l'Aurore  avec  son  char  traîné  par  des  perroquets; 
la  déesse  de  la  terre,  Prithivi ,  entourée  des  pantiières  qu'apprivoisera 
Cybèle;  et  au-dessus  d'eux  tous,  Brahraa,  qui ,  pour  collier,  porte  à 
son  cou  la  chaloe  des  êtres  que  recueillera  Jupiter.  Il  y  a  loin  de  ces 
émanations  de  l'Himalaya  aux  formes  de  l'art  de  Phidias. 

«  Du  feu  du  sacriDce  surgit  un  être  surnaturel,  d'une  splendenr 
ÎDComparable,  puissant,  héroïque,  marqué  du  signe  des  augures, 
couvert  d'omemens  divins,  égal  en  hauteur  au  sommet  des  monta- 
gnes, redoutable  comme  le  tigre,  aux  épaules  et  aux  flancs  de  lion, 
'étincelant  comme  la  flamme  du  soleil,  les  ntains  couvertes  d'an~ 
iré'd'un  collier  de  vingt-Sept  perles,  les  dents 
^  astres;  il  tenait  embrassé  comme  une  épouse 
e  vade  d'or,  irierùsté  d'argent  et  rempli  de  la 
le  des  dieiiS^  Il  dît':  Je  suis  une  émanation  de 
I'  r  làterre.  tuis  il  devint  invfeible.  En  ce  moment 


1^.  BEVCB  WS  >BCX  XÇnqiEB. 

aesrayoimèrratde|oiç,  çomi{K^for«^t'#r 
ne  automnale,  d 

iiÏMis  précédentes,  c'est  qae  le  dieu,  étant 
it  présent,  s'incaroe  à  la  fou  dans  plusieurs 
dans  toute  une  race  d'hommes.  Il  otyivecie 
erche,  se  poursuit,  s'inlerrc^,  se  répMid, 
'       '  rbumanîté  pour  agir  et  se  d^ 
les;  les  saints,'  les  ascètes,  les 
snt  dieux.  Nul  ne 
l'agite  an  sein  d'ii 
ui  ^rnellement 
d'herbe,  la  vagu 
mes;  de  telle  sort 
othéisme.  Dans  li 
irtagent  l'action  ; 
de  les  confondre 
)re,  et  c*est  une  des  causes  d'oii 
B.  A  l'autre  extrémité  de  l'anti- 
it  presque  disparu  ;  du  moins,  ils 
Virale,  des  combinaisons  pure- 
I  la  Toi  et  de  la  religion  ;  c'est  le 
li ,  pour  ainsi  dire,  enivrée  d'elle- 
l'une  œuvre  d'art.  L'Inde  est  la 
poésie;  la  Grèce  est  le  poète. 

D'ailleurs,  ces  mooumms  ne  retracent  pas  seulement  l'histoire  des 
croyances,  ils  peignent  aussi  au  vif  la  nature  physique  et  le  climat 
de  la  Haute-Asie.  A  mesure  que  le  héros  voyage  dans  les  forêts  pri- 
mitives, il  interroge  son  guide  sur  l'histoire  et  la  naissance  des  mon- 
tages, des  fleuves;  les  images  du  berceau  des  choses  occupent 
autant  de  place  que  le  récit  des  actions.  C'est  là  qu'il  Faut  chercher 
ces  images  colossides  et  naïves  qui  tiennent  tout  ensemble  de  l'enfant 
et  du  géant,  et  qui  furent  la  première  géologie  de  l'humanité  :  lès 
quatre  éléphans  monstrueux  qui  supportent  le  monde  aux  quatre 
points  cardinaux;  l'île  de  Geylan  appuyée  au  fond  de  la  mer,  sur  la 
carapace  d'une  tortue  immobile;  le  serpent  qui,  s'ralaçaot  autour  des 
flancs  des  montagnes,  les  arrache  de  leurs  fondemens.  Chaque  forêt, 
pour  mieux  dire,  chaque  fleur  a  son  histoire.  A  la  généalogiedes  tribu^ 
et  des  peuples  s'ajoute  colle  des  diamans,  des  perles,  des  lis;  car  la 
création  n'est  point  dépeùite  comme  achevée;  elle  continue  de  vers 
en  vers,  et  ses  époques  successives  font  elles-mêmes  une  partie  des 


é6iàes  tfd  biUnayào^^^  lionvenes  organisations  terrestres  fbuiH 
pissent,  en  sii^tssant,  de  nouveaux  épisodes;  le  monde  ^yslque 
semble  éc^loré  incessisHnment  au  souffle  du  poète,  et,  jusqu'au  dénoua 
nent,  il  grandit  eoipina  un  héros,  en  mèm^  teaips  que  le  monde 
idéal.  C*e$t  ainsi  que  la  naissance  da  Gange  sert  de  sujet  à  l'un  4^ 
pins  bmeux  fragmens  da  Toeavrede  Vàbnilû: 

(c En  ce  temps-là,  la  terre  était  parée  de  tooftereUes  et  i*omm% 
célestes;  les  sages  virent  ia  ekuie  du  Gange^  de  la  h»uteufr  de  TÉltlM^ 
jusque  dans  le  fimd  des  vallées»  Piei»s  de  saq^rise  ,^  les  dieux  eu^-r 
mêmes  vinrent  sur  (fes  chars  trônes  par  des  chevau  e(  <ies  élé^ 
pbans,  pour  assbter  à  Tarrivée  mervdlleuse  dm  Gange»  nhuuiné  pair 
leur  présence  et  par  la  splendeur  de  leurs  omeoseitô,  l'air  brilla  di$ 
l'éelat  de  cent  soldls,  pendant  que  les  écailles  des  seipetts  d'eau  et 
des  crocodiles  éttecelaieaft  aa  jour.  A  tiuvers  la  bboche  vi^ur  des 
eaux  brisées  dans  mille  chocs,  la  teoMère  parut  voilée  sous  def 
brumes  automofites,  conune  sooa  les  ailes  d'ua  troupeau  de  cygues 
touraoyans  dai^  l'akittie;  ici  l'eau  se  précifûtait  per  torrens,  là  /eUe 
s'aasoupissait  majestueusement  dan»  son  lit;  phis  loia,  elle  dâbopd^t 
de  toutes  paila,  ou  elle  s'engoulTratt  dans  les  cavernes,  et  recomr 
meofalt  à  jaUiiren  mgissaaÉ.  Tombée  d'abord sui^  le  front  du  dieu, 
et  de  sa  chevelure  de  ndge  nûsselant  sur  la  terre,  cette  onde  9^ 
prodiguait  sans  s'épuiser.  Et  les  sages  qui  habitaient  ses  bords,  pen-r 
sant  en  eux-mêmes  :  C'est  la  rosée  du  front  du  dieu,  s'y  ploiigèreiit 
aussitôt;  et  toiles  les  créatures  virent  avec  joie  rtiH[>roche  de  Teau 
céleate,  et  toutes  furent  purifiées  dans  l'eau  du  Gange. 

«  Et  le  roi  des  honmes,  nootoant  le  cheatûu  aux  flots,  s'élanca  S9r 
son  char  reqJendissant,  pendant  que  le  Gange  se  précipitait  su;r  ses 
pas;  les  dieui,  les  sages,  tes  géuies  avec  leiNrince  des  serpens,  aveo 
le  roi  des  aigles  et  cdui  des  vautours ,  siûvaut  les  roues  de  son  char« 
atteigiûreiit  le  Gange,  te  souverain  des  fleuves,  te  j^tficatemr  de 
toute  souillure.  » 

Ici  te  génie  oriental  déborde  aussi  bien  que  te  fleuve.  Ce  rai  qui, 
sur  son  cbar  d'or,  montre  te  chemin  aux  ftets  sacrés;  ces  créatures 
qui  l'entoure^  et  représentent  l'univers  appelé  à  ce  spectacle;  cette 
assemblée  de  serpens ,  de  cr^>codites ,  cette  multitude  de  dteux  traînés 
par  des  éléphana,  voSà  l'Homère  indien  dans  sa  pompe  accoutumée. 
Je  remarque,  à  cet  égard ,  que  dans  la  poésie  grecque,  lorsqu'une 
puissance  de  la  nature  se  méte  à  l'action,  c'est  presque  toujours  sous 
des  traits  humains' et  sous  une  forme  d'art.  Au  lieu  du  fleuve,  vous 
eusstez  vu  ici  un  vieillard  pencher  son  urne  d'or,  d'où  se  seraieirt 


iW  REVUE  m^  ttttol  'iM^ES. 

écôiiléé  de^  flbts  Intarissables.  Chiez'  les  Itidiéiis  i  rtifcifMEiie  tf^tf  fkâm  * 
ei^i^te  imposé  sa  figure  à  tous  \es  tA^eH  ({û^UiyftiMél  ILë'KÏM^, 
pou^  éïre  fils  des  montagnes,  ne  laisse  paille 'éob^eh^ftoMrme 
naturelle;  il  a  déjà  une  pensée ,  une  volonté;  il  a  une  ame ,  et'U^à*polttt 
encore  de  visage.  *  '=       ■*  ^     '  ■  ' 

Enfin ,  les  rapports  des  héros  avec  tout  le  Mgne'  anfMIl  SOM  un 
deà  traits  les  plus  originaux  de  l'épopée  indienne.  Tloti^^eMeméttl:  les 
chevaux  de  Rama  pleurent  comme  les  cbevaui  d^Acfatlie,  mais 
l'homme  en  général  fait  alliance  intime  avec  la  siMîétéf  déscMithaut. 
Le  sage  roi  des  vautours,  le  hardi  chef  des  sin^éi,Ië  prient  roi 
des  serpens,  se  lient  par  des  traités  avec  le  roi  des  hOiMbéS  ;  Thu- 
manité  ne  semble  point  encore  conunander  d'une  manière  absolue  à  ta 
nature  aâsertie.  CTest  le  moment  qui  est  indiqué  pâ^'  ta  B^e,  alors 
<^e  les*  hommes  èotivërsaient  familièrement  avec  les  ànittiatiX'.  Deux 
personnage^' sui4xiùi,  Stgr&vo  et  Hanumann ,  les  princes  des  hommes 
des  bois,  le^  rbis'dé  la'créâftion  animale,  à  la  voix  de  tonnerre,  égaux 
en  haùteui^  à  là'  "phïs  Haitté  ftronftègne,  se  liguent  avec  le  héros  Rama  ; 
ils  stipulent  une  isoiîe  Aë  contrat  au  nom  de  toutes  les  créatures 
inférieures:  «  Us  s'approchèrent,  dit  le  poète,  du  bord  des  flots,  et 
creusèrent  l'Océan  de  la  p6!nte  de  leurs  javelots,  montrant  par  I& 
que  l'Océan  tout  entier  est  esclave  de  Rama.  »  Acte  de  tassalfté  de' 
l'univers  physique,  premier  hommage  lige  de  la  nature  muette  etttet^  ' 
l'humanité ,  sa  suzeraine. 

En  général,  lorsque  dans  ces  poèmes  on  voit  surgir  devant  soi  éèls' 
formes  colossales  de  la  création  animale,  il  semble  que  tout  te  monde  ' 
perdu  ait  quelque  analogie  avec  le  monde  retrouvé  de  nps  jourâ  pîar 
Giivier,  et  que  la  scène  se  passe  au  milieu  des  mammouths,  des  paloè»  ' 
thériums,  des  mégathériums  et  des  autres  créatures  gigantesques 
dont  la  science  rassemble  de  nouveau  les  ossemens.  En  même  temps 
que  les  empreintes  de  la  végétation  du  monde  naissant  ont  été  con* 
servées  dans  les  feuilles  des  schistes ,  ainsi  que  dans  un  livre  clos  par 
le  créateur  lui-niême ,  on  dirait  qu'elles  ont  été  éternisées  sous  une 
autre  forme  dans  les  images  et  les  peintures  de  ces  compositions 
épiques,  en  sotte  que  Tëffet  de  cette  poésie  est  de  rejeter  votre  hua- 
gination  par-delà  tousle^  tetfaps  connus,  dans  les  époques  dont  ta 
géologie  peut  setde  refuré  Thistôbe;  tant  il  ési  vrai  que  la  ptas  haifle! 
poésie  et  la  plus  hautb  sdëhce,  lôiti  de  s'exclure,  se  rechenAisiit» 
s'expliquent,  s*atîtoenteirt  iet  lie' confirment  Vune  rtratre^  •    -  i  'i<ï 

De  l'examen  de  la  religion  et  de  la  toâturé,  ^Vm  veut  ]^swau^ 
tableau  de  la  vie  civile  et  domestique,  H  ftiut  entrer  dans  Mi  dtélpi»^ 


qi(^^9^eiK)f  «.it}iw4^  j^fit  Munoo,  ïe  roi  des  Jionjme?.  y^ei, 

degçr^opi  qi|i(E|,|*#frr^.ici^  ainvrie  le  seuil  de  cette  ville  an^é-dilur 
¥ii9si^f)f9,,  p^  ^^nM6^t  .f^nta^ées  Tuoe  sur  l'autre  Ninive^  Gomorrl^ej 
eJiJpal^Xlpn^:   . ,.    ,  ,.     ; 

a  Sur  les  bords  du  fleuve  était  l'illustre  cité  bâtie  par  le  roi  des. 
hwuDu^,  me.  vaste  cité,  dont  le  circuit  est  de  douze  journées  de 
vof  ^g^;  sepi  maisons  s'élevaient  jusqu'aux  nues.  Arrosée  par  des  eaux 
jajlU^sanjIfQiy.^mée  de  bosquets  et  de  jardins,  elle  était  entourée 
d'une: mur^iltf)  ipfrancbissable;  les  accords  des  instrumens  de  rousiqpe 
et  le  fjréwa^ipent  des  armes  s'y  faisaient  entendre  tdùr  à  tour;  elle, 
étiôt  rempU^,  debjayadères,  parcourue  dans  tous  lès  sens  par  de^ 
élépb4P^;et(des,jQbevaux,  visitée  par  des  marchands  et  des  messager^ 
de  tputes  Jteis  cootrées ,  et  sans  cesse  retentiç^nte  djB  bruit  du  cbar  des 
diew.  V^veita  h  une  mine  de  diamans,  ses  mur^.  d'e^cein^ ,  fprmés 
(te  diverses  ^rtes  de  pierreries,  rentot^r^îentronf^n^ç  yn  collier,  et 
les  toits  résonnaient  des  sons  du  cistre,.  de  lafl^^^et^de  la  harpe.^' 
Personne  dans  cette  cité  ne  vivait  naoijçi^  d^  j|;iii}lq  ans.  ^ux  échos , 
répétés  des  prières  sacrées,  elle  était  ri^pUe  (^  banquets  et  d'as-» 
semblées  d'hommes  heureux.  Parfumée  d'^ucenç^  de  guirlandes,  de 
fteurs  et  d'olyets  de  sacrifice,  dont  le  coeur  s'enivrait,  elle  était  gardée 
paie  é^  héros  égaux  en  force  aux  éléphans  qui  portent  l'univers 
comme  une  tour^  par  des  guerriers  qui  la  protègent,  comme  les  ser^» 
pens  à  trois  têtes  protègent  les  sources  du  Gange.  Le  feu  des  sacrifices 
y;étaiteiitreteou  par  un  peuple  de  prêtres  qui  tenaient  éternellement 
Ie«fs  esprits  et  leurs  déws  sous  un  joug  volontaire.  » 

Telle  est  la  Troie  indienne.  Le  chant  pieux  des  Yédas  y  couvre  le 
retratîssement  des  armes.  Mélange  de  volupté  et  d'ascétisme ,  c'est 
un  temple  pour  les  dieux ,  plutôt  qu'une  cité  pour  les  hommes;  et  par 
là  elle  est  conforme  au  génie  de  l'épopée  qui  se  meut  autour  de  ses 
murailles.  J'ai  vu  Hycènes,  Argos,  Tyrinthe,  la  ville  d'Hercule;  je 
puis  affirmer  que  ces  cités  divines  ne  furent  jamais  que  des  bourgades 
en  comparaison  de  la  demeure  réelle  ou  imaginaire  de  l'Hercule 
indien. 

Dans  ce  séjour  d'ascétisme  se  succèdent  lentement  d'étranges  dy- 
nasties de  fois  dont  chacun  vit  des  siècles  4ei  siècles;  ils  remplissent 
pwdc««iistérités  inexorables  cette  videétem^tjé^AgQnoux,  immobiles, 
les. mains  tendues  veis  le  ciel,,  on  dîrait.qu'ils.figmïent  des  siècles  de., 
prières  et  de  flmt^mpMions,  règnes  4'e)itase  qui  passent  comme  un 
smge^  £baq^  peoi4e  réstunoe  tin^  s^s  i^uyenirs  dans  la  personne 
di^'pb^f  ^HgiMîi^.faite  à  fa  p^copre  ^ge«  Chez  les  Hébn^us;^  les . 


lflS>  BBVUB  MVv'MlkJl-lMMéES. 

patriandKB  doiM;  «tes  értiii^  ckmés  d^me  «oiftë  tf  iifmii^itiiUté  tette^ 
En  Italie,  l'histoire  de  Rome  est  ouverte  oonme  u»  hiige  sHlM, 
put  ÉtMdre,  MKHirettr  et  pasleur;  éans  nttde,  les  prreiMefs  r^p 
sont  des  figures  ascétiques  qui,  après  avoir  étoqué,  dtt  fïHtd'éles 
foifèts,  pitt*  irae  cMteMplatien  nmetle,  tes  ptemièt^  fbMAes  êe  la 
société  -efvite,  coaserrenl  le«m  empireg  far  U  pviMtttios  ^ute  de  ta 
médHatioii;  et  c'est  tine  des  grandêors  de  eette  poésie  de  Daike-  éé- 
pe/ndre  ainsi  dÉ  recuelHeneat  d'un  esprit  les  révohrtious  eu  «Nmde. 
Cependant,  après  ces  eitases  séciriaires,  ne  tous  étonnes  pMrsH  rMe 
peu  de  place  pour  l'action,  etn'aNeapas  dierekerla  fla«pie^t1IMe 
dans  ces  épopées  de  la  solitade< 

AfHlessas  du  roi  est  le  pfètve.  Il  tX  retiré,  latttdt,  oointut  ur' 
anachorète,  dans  un  ermitage  aa  fond  d'un  bois  sacré ,  tantM  dans 
la  ceHule  d'un  ittonastère  semblable  à  ceux  du  catMIdsinr,  à  chaque 
ooeamH  iinportanle,  le  roi  Ta  le  visiter,  se  prasteme  à  ses  pièife  et 
lui  deiMnde  conseil*  An  souffle  de  ses  lèvres,  les  ine««  sont  agitées, 
les  teats  s^arrèftent,  les  extréorités  de  Funivers  tonbeni  dans  ta  con- 
fusion; le  soleil  est  édipsé  par  ta  splendeur  de  son  esprit.  La  nature 
toQt  entière  s'effraie  de  ses  austérités.  Les  dieux  em^^nèases  ont  penr 
du  prêtre  4»  s'élève  auniessns  d'en  par  ta  vertu.  Les  oréattirea 
s'écrient  :  O  Brafama,  si  ce  sage  continue  ses  nMN^érationa^  rien  ne 
peut  empèdier que  l'hotnanité  ue  ^vienne  athée.  Jamais,  dans  ses 
légendes  les  plus  hardies,  le  dhristianiinie  n'a  attribué  tant  de  puis- 
sance à  ses  ermites  que  l'Inde  à  ses  brahmanes.  Ib  tmvertent  le 
monde  en  achevant  leur  prière.  Le  feu  de  leur  colère  ressemble  i 
celui  des  sacrifices,  et  ils  régnent  en  souverains  dans  le  poème  aussi 
bien  que  dans  ta  nature  et  ta  cité. 

Le  héros  surtout  leur  est  aven^ément sonnais.  Instraitpar  le  pitbe 
dans  les  Kvfes  sacrés,  il  est  son  élève,  son  instrument.  H  rappelta  le 
pieux  Énée,  non  pas  F  Achille  grec,  oor  11  tient  moins  de  ta  caste  guer^ 
rière  que  de  la  caste  sacerdotata.  Il  a  les  épaides  du  Bon ,  les  yenx 
couleur  de  ta  Oeur  du  lotus.  Pur  sa  pMenr  il  ïesseraUe  au  lis  des 
eaux ,  et  son  haleine  est  embaumée  comme  l'haleine  de  la  nymphiea. 
Avatit  de  comtmencer  le  combat,  il  accomplit  tes  dévotions  matinales. 
Il  se  prépare  aux  batailles  par  l'abstinence,  et,  revenu  de  ta  mêlée, 
il  rafraîchit  encore  sou  ame  par  ta  puissance  des  saintes  austérités. 
Souvent  il  se  couvue  du  ciliée  des  religiâut»  Douceur,  coasponction , 
obéissance,  scrupole,  ce  sMt  Ift  las  vertus  de  ce  héros  sacerdotal.  An 
milieu  des  guerriers,  il  ressembla  à  un  feu  de  sacrifice  entouré  par 
les  prêtres.  Tous  ses  dévotes  sont  résumés  dans  oes  paroles  que  Rama 


fefifit  4^  Mitfpèf?^!^  iiiofii^t  0ù  il  ya  le  quitter  f»o«r  la  furMiii^  : 
foiç:      ,     .    .  ' 

<i  OjnonSi^.^is  l^upoble  et  courMi*-  Obéis  aux  brabmHies 4é^ 
vo^és;àl^turie  des  Védag;  TaQois  leur  insIniGliaii  comme  le  t>reii-i 
vage  «de  r4fiMlfie;:t9Uté.  he^  brahmanee  «ont  grands  ;  ils  possèdent  )a 
souroe  de  Ja  j^vmp^rité  et  du  bonheur.  Pour  assurer  Texistenoe  du 
mwde^  jJ6.opté^,  envoyés  parmi  les  hommes  conanie  des  dieux  ter^ 
restas.  Ils  sont  1^  gardiens  des  Védas  et  des  lois  immuables  de  la 
vertu;  ils..poisède^it  aussi  la  science  importante  des  archers.  Sois 
constamment  à  cbevaU  (m  sur  un  char,  ou  sur  un  ^phant.  Ins^ufe-toi 
dans  les  arts  policés  ;  envoie-moi  de  sages  messagers.  Ayant  parié 
aiosi«  le.^oi  des  hommes  dit  encore  :  Va ,  VMm  fils.  Et  ses  yeux  se 
remplirent  de  tannes,  et  sa  parole  fut  brisée  par  aes  sanglots,  yt 
,  Cherchez  un  idéal  ^mblable  dans  le  héros,  où  le.b^uverez^yous? 
Ce  n'est  pas  sous  la  tente  d'Achille  ni  d'Ajax.  Il  fiant  IraKetser  toule 
Tantiquité  classique  et  pénétrer  au  cœur  du  çlprisiiiamsme;  Les  relen 
tions  du  gumrter  et  du  prêtre  indien  spnt  précisément-eeKes  dii  preux 
chevalier  et  de  Termite  dans  les  romans  d^  la^aUoAonde.  Parceval* 
le-Gallois,  Lancelotdu  Lac,  Tristan,  ont  le  même  ^enre  de  vie  que 
Rama^  Bharata,  et  les  autres  héros  de  race  indienne.  Comme  ces  cter- . 
niers,  ils  poursuivent  un  idéal  de  perfection  morale  sous  le  symbole 
du  SaiotrGraal.  Une  éternelle  macération  est  infligée  aux  uns  coonne 
aux  autres*  Seulement  le  chevalier  errapt  dans  la  triate  forêt  des 
Aijdennes  s'arme  contre  les  séductions  de  son  cœur  plutôt  que  contre 
les  ^sncbantemens  de  la  nature  extérieure.  Qui  eât  pensé  que  l'épopée 
de  la  féodalité  dir^ienne  avait  son  analogue  dans  la  vallée  du  Gange, 
et  qui  eût  cherché,  dans  le  golfe  du  Bengale,  la  chevalerie  rêveuse 
de  la  Bretagne  eodiantée  par  Merlin?  Cette  ressemblance  entre  les 
personnages  se  retrouve  dans  Faction  du  poènoe.  Un  même  genre  de 
vie  devait  produire  des  épopées  analogues. 

Dès  le  commencement,  le  roi,  dans  sa  ville  gipntesque,  aupplie 
les  dieux  de  lui  accorder  une  postérité.  La  IHvinité  suprême  descend 
sur  la  terre  et  s'incarne  dans  la  personne  de  quatre  fils  du  monarque. 
Ces  héros*dieux  grandissent  avant  la  fin  du  premier  livre.  Bientôt 
instruits  daias  les  Védas,  le.  dief  des  prêtres  vient  demander  leur 
secours  contre  le  roi  des  infidèles.  Le  père  hésite  d'abord  à  livrer  ses 
fils  aux  dangers  de  la  guerre;  il  veut  partie  à  leur  pkoe.  Cependant, 
domifié.par  rc^utoritè  du  sacerdoce,  ileiéeutoses  ordres.  Rama  et  son 
frère  reçoivent  d?s  armes  enchantées  ;  pwmi  ces  armes  se  trouve  un 
ajtCtq^e  les  roi»  jet  les.dieMx  sont  incapables  de  bander.  On  l'apporte 


160  BEVCB  DES  DEUX  MONDES.  • 

eÀ  présence  des  jeunes  princes  et  d'une  gpraàde  assemblée  de  peuple. 
11  est  importaiyt  de  voir  comment  cette  situation  tout  liomérique  a 
été  traitée  par  le  poète  indien . 

a  Le  yertueux  brahmane,  s'adressant  alors  avec  joie  à  Rama,  lui 
dit  :  0  toi  dont  le  bras  est  puissant ,  prends  cet  arc  divin ,  incompa- 
rable, essaie  ta  force  naissante.  A  ces  paroles  du  sage.  Rama  répondit  : 
Je  banderai  cet  arc  céleste,  et,  lançant  la  flècbe  au  but,  je  montrerai 
ma  force. — C'est  bien,  reprirent  le  roi  et  le  prêtre.  Alors  Rama  banda 
rapidement  l'arc  d'une  seule  main.  Cependant  la  multitude  assem- 
blée le  regardait;  puis,  en  souriant,  il  se  prépara  à  décocher  un  trait. 
Mais,  par  la  force  de  Rama,  l'arc  bandé  se  brisa  au  milieu.  Le  son 
sourd  ressembla  à  l'écroulement  d'une  montagne ,  ou  au  rugissement 
du  boa  sur  les  sommets  des  monts  de  Sukra.  Ébranlés  par  le  bruit, 
tous  furent  renversés  contre  terre,  hormis  le  prttre,  le  roi  et  les 
deux  descendons  de  la  race  des  Rughous.  » 

11  est  kmpbssible  de  ne  pas  penser  ici  à  l'arc  d'Ulysse.  Sauf  l'hyper- 
bole de  la  fin ,  on  dirait  une  page  d'Homère  tombée  sur  l'Indns  de 
la  cassette  embaumée  d'Alexandre. 

Après  une  suite  de  combats ,  dans  lesquels  le  sacerdoce  intervient 
toujours,  le  glorieux  Rama  est  exilé  dans  le  fond  d'une  forêt  par 
l'ordre  de  son  père  qu'ont  abusé  de  faux  soupçons  ;  ce  vieux  roi  ne 
tarde  pas  à  se  repentir  de  son  injustice,  et  c'est  une  des  parties  les 
plus  belles  de  ce  poème  que  l'épisode  où  le  monarque ,  à  la  barbe 
séculaire ,  se  livre  à  une  douleur  sans  bornes.  Cette  figure ,  jusque-là 
insensible  et  muette,  s'éveille  ainsi  au  sentiment  de  la  vie  réelle  par 
celui  du  désespoir.  Ce  roi ,  qui  devait  se  croire  immortel ,  se  sent 
faillir  à  la  première  atteinte  de  la  douleur.  Cette  scène  est  trop  grande 
pour  que  je  n'en  cite  pas  quelques  traits.  Le  poète  montre  d'abord 
le  changement  survenu  dans  cette  même  ville  qu'il  avait  dépeinte 
comme  le  séjour  de  la  félicité  permanente;  depuis  qu'elle  est  privée 
de  son  héros,  elle  est  semblable  à  la  mer  qui  retombe  dans  le  silence 
quand  les  vents  ont  cessé  de  soufDer,  ou  à  un  autel  dépouillé  quand 
le  sacrifice  est  achevé;  puis  il  porte  la  scène  dans  l'intérieur  du  palais  : 

«  Obligé  d'entendre  la  plainte  de  la  mère  de  Rama,  le  roi  fut  rempli 
d'angoisse.  A  la  fin,  transpercé  par  l'aiguillon  des  regrets  et  fermant 
ses  yeux,  il  s'évanouît  sur  saeeuche.  Après  quelque  temps,  ayant 
recouvré  ses  sens,  puis  voyant  la  reine  près  de  lui,  H  lui  acb«ssa  ces 
paroles  :  0  reme,  je  demande  l'oubli  amans  jointe»;  par  raonour  tle 
ton  fils,  n'flijoate  pas  le  poison  à  mes  blessures  briUantes^  Mon  ccam 
«est  ulcéré,  et  tes  paroles  sont  pour  mottossi  terriblel  ijne  les 


jure  dans  iikmi  agMie;  ne  m'achève  pw,  mm^  ^ auu  4^  Mepié> 

re|i^  fit  ,t#irç,^t4Q^4e^ 

pie^s  4»^  ^  f?Ate  r^Pl^dît  :  Q  loi  des  bomaies,  pardoDseHiuH  ;  privte 
4e  réOç^Q,flaD9kf'f)ic^  4»  m^  wdiiear,  j'ai  dit  oe  qui  m  dewttj 
poÎQ^j^C^  jyfQ^(dn<(^..Qelle  qui  est  suppliée,  les  mains  jointes,  par^o» 
^P9W  AeiH4M4^(W(  djeu>  est  p^u^ne  dws  cette  vie  et  dans  l'antne, 
si,  elle  fiçpqtis9§..f|çs,  j^èces.  Qu'ai-je  dit4ans  ma  détresse?  La  souf*^ 
kffiice  ^éff:^jff  l|i()tjeDJ0Boce;  la  douleur  détroit  )a  mémoixe,  la  douleur 
i(itxiiiti}f{j^i^qi;  il  n'est  point  d'ennew  ptas  destructeur  %Bie  ia 
do^lçt^'^^il^j^l^^^ causée  par  un  tison  ardep(  fi^j^i  par  nm  mnei, 
ipeortfif^r^.fl>ettit,^  0iéri^;  mais,  6r^^  )a,  4étfiew^.4ilitviwt4e 
l'ame  est  sans  remède.  Les  sages  méme«;i;eu:( nui,. étaient  imf^^ 
patie^^  jîmMt^  4ans  les  bfiiîtu^ef  4e  laiYertHn  i)OPt<tf«t>^  au- 
desspw  dq  \^  de  terre,  q^and  itoopt  été  i«lttetat$t  dans  leNT^VMr^ 
le  dése^ioir.  Ces  jours  écoulés  depuis  k< départ  deimoa  Als  sontpeuTi 
moi  commodes  siècles^  lia  doukMir  s'eataocmiefiomnie  leseaux  4u 
(i|D9gip^ 4uaA4  la.froide  saison  e$t  passée.  «ttH'Pendant  que  la  reine 
a^iKai^/çep^puroU^  le  jour  déelina  et  le  sakiliie  coucha. 
^.,f  J4f^  i(^Mf  ^uisé  de  douleiir,  répondit  :  Heureux  ceu^  qui 
iÇY^qpt  ie  ^i^w^  4e  Aama  semblaMe  à  la  pAle  lune  d'automne ,  ou 
^i|(^^^|]|^  4l^wit  heureux  ceux  qui  le  verront  revenir  des  feiéts^ , 
Ifll,,  4f)mj:)laj|^  à  l'étoile  dans  sa  course  céleste  I  Mais  pour  moi,  6; 
tf^  ii  jnqih  <XWV  ^  hrise;  la  douleur  a  consumé  mon  souffle,  et  ma 
vi($  est.^e0ri>lable  a)i  rivage  emporté  par  les  ondes  d'un  fleuve.  » 
;  Ypilà  enfip  que  cette  poésie  foit  éclater  des  douleurs  humaines.  Les 
syrtèmes,  le^  abstractions  du  culte  sont  oubliés;  à  travers  la  dif-^ 
fiance  des  temps  et  des  lieux,  nous  petrouvons  l'homme  sem- 
blable à  noua.  Cette  plainte  va  se  joindre  aux^  plaintes  immor-n 
telles  de  la  poésie  occidentale,  et  œ  vieux  roi^  sorti  de  l'oubli,  va 
grossir  le  chcQur  lamentable  des  vieîUfitds  cposa^iés^  par  le  deuil, 
Frâw,  Qism,  le  père  dU'CMl«;lerQi,Lefii  Le  n^naïque  indien 

;.sA|irè8i.J^iiimort'|du  i;ol,  *UiarataijQMaemble>aii0«rBiée  pour  aller  à 
IteieriwnthetdeBOin ifrijÉe  tetJpLoffrip.i'éMipre.-Getfa»  armée  est  corn*» 
msée^mritmiMpOB'dihopHnBide  {Aei^  dettenfemUitocavaliers,  de  neuTi 
iiôHe>éiéjlbamiiHtpaifa«OBiié&'il^^  dans  le' 

fattd*^  iotiittsi'II  tattVitrietAe  «ai«ey«t  va  deqiander  conseil  à  un 
brahmane  retiré  dans  la  solitude.  Ce  bcahmane,  dans  sa  hutte  de 


•** 


M2  REVCB'  DB9  DBI3X  MONDES. 

feuUleSy  abrite  et  nourrit  par  aiiraele  cette  immenae  réittUon  ^bom- 
raesM.  A  sa  parole,  des  palais  s'élèvent  dans  le  déseit.  Celle  incantation 
de  runiva^par  la  prière  du  prêtre  est  pleinle  de  solennité.  Pen- 
dant qa'il  reste  plongé  dans  la  méditation,  tous  les  êtres  célestes 
desoeddent  des  hauts  lieux.  Un  concert  s'élève  d'înstmmens  invi- 
sibles. Les  arbres  de  toute  espèce  se  changent  en  nains,  en  baya- 
dères;  ils  viennent  eux-mêmes  présenter  leurs  fruits.  Des  fleuves 
d'ambroisie  coulent  dans  la  vallée;  les  rivages  sont  faits  de  sables 
d'émeraude  et  de  saphir.  Toute  l'armée  s'écrie  :  C'est  Ici  qu'est  le 
ciel.  lofais,  à  un  signe  du  brahmane,  ces  merveilles  dispa^issent 
comme  un  rêve.  Cette  féerie,  où  se  déploie  dans  toute  sa  liberté 
l'imagination  orientale ,  semble  être  le  modèle  des  incantations  de 
Merlin.  I^  nature  et  l'humanité  sont  là  comme  enivrées  l'une  par 
l'autre. 

Cependant  que  faisait  Rama ,  le  héros  dû  poème?  Plongé  dans 
la  contemplation  des  forêts,  des  montagnes,  des  fleuves,  ses  Jours 
se  passaient  dans  un  vague  enchantement.  On  ne  voit  pas  dans 
les  poèmes  d'Homère  les  hommes  s'arrêter  pour  remarquer  les 
beautés  de  l'univers.  Ils  sont,  pour  cela,  trop  avides  d'action,  de 
mouvement  ;  ils  sont  trop  remplis  d'émotions  guerrières.  Personne 
ne  conteste  aujourd'hui  que  cet  attendrissement  qui  saisit  l'homme  en 
présence  de  la  nature  ne  soit  un  sentiment  tout  moderne,  et  plusieurs 
croient  en  trouver  les  premières  traces,  en  France,  dans  les  œuvres 
de  J.-J.  Rousseau  et  de  Bernardin  de  Saint-Pierre.  Or,  voici  dans  tm 
poème  de  la  Haute-Asie,  vieux  de  trois  mille  ans  peut-être,  un  héros 
dont  les  impressions,  los  rêveries,  le  langage  même,  sont  tout 
blables  à  ceux  de  Saint-Preux  sur  les  rochers  de  Meiltef^  de 
seau  dans  Tile  de  Biennc,  de  Werther  dans  les  forte  de  rMktmgjK^ 
de  Paul  et  Virginie  dans  l'Ile  de  France.  Je  ne  sa»  même  si,  dans  les 
écrivains  que  je  viens  de  nommer,  Tinthnité  de  l'homme  et  de  la 
nature  a  jamais  été  exprinaée  par  des  traits  aussi  vifs  que  dans  le  pas- 
sage suivant  dû  Ramayana  : 

Après  avoir  long-temps  habité  les  forêts ,  Dusba-Rutha  semblable 
aux  dieux,  séduit  par  la  grâce  de  ces  collines,  montrait  en  ce  moment 
à  son  épouse  bien  aimée  les  sommets  lointains,  et  il  lui  parlait  ainsi  : 
<c  O  ma  bien-aimée ,  ui  la  perte  de  mon  royaume^  ni  la  séparation 
de  mes  amis  ne  m'affligent,  quand  je  contemple  le  front  sublime  de 
ces  montagnes.  Vois  ce  sommet  que  visitent  les  oiseaux  et  où  les 
métaux  abondent  ;  ses  pics  s'élèvent  jusqu'aux  cieux.  Les  flancs  de  ce 
roi  des  montagnes  ressemblent  à  des  veines  d'argent;  d'autres  fois  ils 


paraissent  resplendissans  de  Téclat  des  diamant,  ob  couverts  des 
flearsde  Tasdépias  gigantesque;  et  ceax-ci,  chargés  de  scoloperidi^s 
odorantes,  sont  taillés  en  cristaui.  Le  bananier,  le  baobab,  le  dattier, 
y  répandent  leur  ombre.  Des  couples  d'oiseaux  se  poursuivent  sur  le 
bord  des  rochers.  Vois  ces  retraites  embaumées  où  s'abritent  les 
petits  de  la  tourterelle.  La  montagne  avec  ses  cascades,  ses  fontaines 
jaillissantes,  ses  murmures,  ses  tressaillemens ,  ressemble  à  un  élé- 
phant enivré  de  fruits  sauvages  (1).  Où  est  celui  qui  resterait  insen- 
sible à  ces  tièdes  haleines  qui  s'élèvent  par  bouffées  du  fond  des  val- 
lons, toutes  chargées  de  parfums?  Dussé-je  passer  ici  avec  toi  ma  vie 
entière,  le  regret  ne  m'atteindrait  pas.  Au  milieu  de  ce?  fleurs  et  de 
ces  fruits,  je  sens  se  réveiller  en  moi  tous  mes  rêves.  Les  sages  qui 
m'ont  précédé  ont  avoué  que  la  solitude,  dans  le  fond  des  forêts,  est, 
pour  les  rois,  aussi  douce  que  l'ambroisie.  Vois  les  plantes  fleuries  de 
la  reine  des  vallées  brîHer  dans  la  nuit  comme  la  flamme  d'une  offrande. 
Vois  çà  et  là  ces  berceaux  de  délices  formés  par  les  tiges  du  lotus  et  re- 
couverts des  feuilles  du  blanc  nénuphar!...  »  Ayant  parlé  ainsi ,  Rama 
descendit  du  haut  des  rochers ,  puis  il  montra  à  son  épouse  Mithilé 
le  doux  fleuve  du  Gange;  et  le  prince  aux  yeux  de  lotus,  s'adressant 
de  nouveau  à  la  GUe  du  roi ,  qui  ressemblait  h  la  lune  émergée  de 
l'ombre  des  forêts ,  lui  dît  :  a  Vois  ce  fleuve  amoureux  avec  ses  îles 
que  fréquentent  les  cygnes;  ses  bords  ombragés  ressemblent  à  la 
grotte  du  dieu  des  richesses.  C'est  ici  que  les  solitaires,  se  laissant 
glisser  sur  des  lianes,  se  baignent  dans  la  saison  sacrée;  et  les  mains 
levées,  ils  font  retentir  des  hymnes  au  soleil.  Alors  les  arbres  et  leurs 
rameaux  agités  par  les  vents  secouent  leurs  fleurs  et  leurs  feuilles  de 
chaque  côté  du  fleuve,  et  la  montagne  semble  frémir  et  tressaillir 
jusqu'en  ses  fondemens.  Vois,  6  ma  bien-aimée,  les  têtes  des  fleurs 
s'incliner  sous  la  brise;  écoute,  écoute  les  notes  cadencées  du  rossi* 
gnol  caché  dans  l'ombre,  et  répète  ses  accens  prolongés.  Oui,  j'aime 
mieux  contempler  avec  toi  ces  sommets  bleuâtres,  que  résider  en  un 
palais.  —  C'est  ainsi  que  Rama ,  le  chef  de  la  race  des  Rughous ,  con- 
versait avec  son  épouse  au  bord  du  fleuve;  et,  traversant  la  montagne, 
il  apparaissait  à  ses  yeux  comme  s'il  eût  été  embeUi  par  un  enchan- 
tement. » 
On  pourrait  comparer  ce  passage  au  tableau  des  amours  d'Adam  et 


(1)  On  se  souvient  des  ours  enivrés  de  raisins,  que  la  crilique  a  tant  blâmés 
dans  Âtaiù;  Valmiki  confirme  ici  avec  éclat  Mi  de  CIiAteaubriand,  qui,  en  1796,  ne 
pouvait  cotmMtre  lé:|la#Mi|/ttfm. 


164  V  _     ,  ,  REVUE  W^  DSU|t  if??^^.,,,,,,  .,,.  ,„...  ,,,..,,..,. 

d'Bvft  d^^  fc  Barodù  perd^,  ou  fop?sÇi#>V  JI^ÏWfl»^f<Ï^JW^^l^ 
d'Xseult  ddQS  te^  vieux  poètes  fiéodw^t  ^f^(^i,^%i^,ft^4^9f^ 
aUeqfMinde  de  Go!ttrried  de  Stms)>ourg.  Uy^v^^mi^^l'^iff^^if^^ 
(pi^j^mUent  empruntées  toutes  yivesde  Wfirth^y4j*4i(^^fi^lh9^^ 
du  CAriUianisme.  Une  seule  cbose  distiugoei  Qett^.i)ptjf|fa|B.,BP^ 
asi^Mquede  la  pbésie  moderne  de  rOcc|dent^  c*^/flfi€;iVwqm;I;|iir-. 

Vûim  y  est  iXHume  enseveli  dans  Tamour  de.k^lMr^  ^utR^lp^e^f 
soUUule,  MitbUé,  la  compagne  du  héros,  u'est  q\k*v^i^pift^mêm 
du  speictade  de  la  créatiou.  Ce  n'est  pas  elle  ipii  y„dw^p  fei|l^.)!«m& 
et  la  vie,  car  elle  n'est  pas  comme  Julie,  AtaUf  VÀrgiWf»  ^  twséfit , 
le  parfum  caché  en  toutes  choses;  elle  n'es^  gu'uac;  A^tw  4^  plH^4p« 
I4  fprét  saccée*  Si'ailleurs,  au  moment  même  où  X^ïMdqs.^  IMfW À 
ri^ipj^essiQiiide.iA  l^tj^rpt>i!  ^  /coapabat  par  ses  aust^irMvis^ji§  y(^^lm 
indiiçu,vi,t,?9^¥tifri;^^ifie.,]^la«  c'^  précisément  cette,¥qlup|^  JwM^ 
d'asp^tisfp^,!  89)^^lçr.f«i^  4eq  .twirigif^ ,  qd  fait  de  Ram^  1(9  repfpérr 
sent^ >fi^^{0^#^ 4f sr^c^s lûfvManes.  Rama,  v#u 4e  L'habit 
de  pèlerin,  refuse  Tempire.  11  se  retire  en  quelque  sorte  du  poème, 
pour  viv^e^e;  jj^^.^i^opi^pvf^tiia^^^  des  flot^  d^  M^»  éfs 

monts,  ^e  la  mèm^nvMÛ^re  4e  peuple  indieu  s'^  retiré  46  4'M(^ 
et  du  monde  réel»  afin  d#  vivre  pipogé  dans  lei^Yliis^[nQ|i(.4fiiM{ 
nature.  Lui  aussi  a  infusé  T^mpire de  l'Asie,  q^i,l^ioQîQP{ît(^^ (ti^r?* 
dèqoie.  Au  lieu  de  s'abandonner  au  génie  de  l'aetiou^tdas  ^ap9>jH^9/t 
ainsi  que  tous  les  peuples  voisins,  il  a  mieux  »iaiii>ym/Umi4(^fim? 
forêts  imnaaculées,  s'enivrer  d'extases,  de  parfums ^  de  e^enc^MPJm^ti 
d'une  (ois,  et  toujours  vainement,  l'histoire  l'a  pro«^^é'4^ilin|Ai'l 
^  vsyUée.  Il  a  continué  de  vivre  avec  l'enchantecesse,  sanSoVDilqit'i 
quitter  ses  pmhrages  pacifiques  ;  le  monde  entier  a  passé  devaotiai; . 
et  toutes  les  i;9ces  humaines  l'ont  visité  à  leur  tour,  saus  4ue  rtea:ait  ' 
jauiais  pu  l'arracher  à  son  ei^tase. 

L'ascétisme  a  été  Ip  principe  .de  la  poésie  de  l'Inde  et  de  l'Occident 
au  moyei|b-âge,.f^ce.q9^'iA^été,d^AS  ces  deux  sociétés  un  prinoq>e 
de  dvilisation^  V^jW^Qi^  À^  Ufôss^qe,  enlacée  de  toute?  part» 
dans  les  lie^s  >4e^  )^ m\^^.  ç^t^iupur^  ue  peut  lui  échflip^  qa'mk  Jn . 
ni^ut.  C'est  l^«9fi;fe^il^»i^ssrire#.la!lihef^  moifldeipoii^^résîster^ 
à  la  tyrannie;  de,  A'ufti>Wc^io«yij,ei^ry  Aussi  ks  héto^ide; >  Hai^toè»^^ 

A#|e,  au  n|iliA^4f  >lpi^>^H^fll  i^b#^^w 
des  sens ,  spnt  dei»  m^^  q^i  jçppi^b^^Aeift  (iptérl^^oi^niènlitbnlmilèi 
de^pjUsme  des  choses  ^çpgi^éR^uw  UAp»^» 

^  pj^ce.aivee  raison  ses.pls^  fl^r>ifiïrtç^§a)l«il!S^        aMditfliDit 
qui  fonj^nt  réellement,  avec  le  règne  intime  de ^aml^4l^ i^itterté 


POÈTES  ÉPIQUES.  195 

morale,  celui  du  genre  liumain.  Comme  les  pères  de  la  lliébetde,  au 
temps  dés  sédueUbus  de  rém)[)!re  romain ,  ils  ferment  léius  yeux  et 
leurs  oreilles  à  tout  récM,  à  tous  les  bruits  du  monde  sénsiUie;  9s 
entretiennent,  conservent,  alimentent  en  eux-mêmes  la  conscience 
de  rhumanité,  menacée  d'être  étouffée,  en  naissant ,  sous  les  ravis- 
semens  d'une  sensualité  exubérante.  Les  macérations  prodigieuses 
de  ce  peuple  de  prêtres  dans  le  jardin  de  l'Asie,  qu'esirce  autre  chose 
qu'une  protestation  de  la  pensée  pour  rétablir  l'équilibre  entre  la 
matière  et  l'esprit?  C'est  le  premier  combat  duquel  dépendront  tous 
les  autres.  L'homme  sera-t-il  le  maitre  ou  l'esclave  de  la  nature? 
Telle  est  la  question  posée  à  l'origine  de  toute  société ,  et  plus  la 
nature  est  puissante,  plus  la  réaction  des  hommes  doit  l'être;  ce  qui 
explique  l'ascétisme  des  brahmanes  dans  leur  contrée  enchantée,  des 
pythagoriciens  dans  la  Grande-Grèce,  de  l'Italie  et  de  l'Espagne  au 
moyen-ftge.  Les  saints  qui ,  à  l'origine  de  la  civilisation  chrétienne, 
combattirent,  comme  l'Hydre  ou  le  Python  renaissans,  les  instincts 
de  la  nature  païenne,  voilà  les  Hercule  et  les  Thésée  de  rhumanité 
moderne. 

De  nos  jours,  tout  est  changé.  L'ascétisme  a  cessé  d'être  un  prin- 
cipe dominant  de  civilisation  et  de  poésie.  Pourquoi  cela?  Parce  que 
l'humanité  a  acquis  des  forces  par  la  lutte ,  que  son  indépendance 
est  désormais  conquise  sur  l'univers ,  que,  loin  d'avoir  à  redouter  la 
tyrannie  du  monde  extérieur,  chaque  jour  elle  le  dompte  et  le  plie  à 
ses  nombreux  caprices,  que  la  pensée  détourne  les  fleuves,  comble 
les  vallées,  que  la  matière  s'enfuit  et  disparaît  devant  le  joug  de 
l'esprit,  que  l'homme  n'est  plus  enseigné  par  la  sagesse  du  serpent 
ni  par  l'oiseau  des  aruspices,  qu'enfin  il  ne  craint  plus  d'être  vaincu 
et  retenu  captif  par  la  nature.  Ce  grand  duel  s'est  terminé  à  son 
honneur.  Qu'a-t-il  besoin  de  nier  la  nature?  il  l'enchatne  à  son  char. 

Il  semble ,  au  reste ,  que  la  société  indienne  n'ait  jamais  su  être 
jeune,  tant  il  entre  de  réflexions,  de  combinaisons,  de  calculs  philo- 
sophiques dans  son  premier  poème,  où  se  mêlent  d'aâleurs  des  senti- 
mens  qui  ont  dû  naître  à  des  époques  très  éloignées  les  unes  des 
autres.  L'Iliade  et  l'Odyssée,  avec  tous  les  caractères  d'un  peuple  nais- 
sant, simplicité,  naïveté,  ignorance  des  choses  métaphysiques,  doi- 
vent avoir  jaUli,  l'une  et  l'autre,  presque  spontanément  et  tout  ar-^ 
méei«  du  front  de  la  société  grecque,  tandis^  que  Tépopée  de  Valmiki 
léiuHie  déjà  le  génie  d'un  penple  qui  a  traversé  toutes  les  phases, 
épaké  toutes  tes  doctrines  de  la  vie  sociale  :  cosmogonie,  genèse, 
tradition»  de  l'enfimee  duiMOnide  qvd  attestent  surtout  l'enfance  de 

•    toiÊÈ  xxm.  '  11 


if6  RBV^  9m  WJPX  Ji^NDES. 

rintdljffQQçe  bmsMm;  mwmm  id'iioe  bitte  4e >teM.ji(iqfeimîp 
tives,  iQonimieos 4e  la  fonnatioQ  di^p^ple  ip<fet»4.g^tîpim>t,4e 
méUncolie,  d'attendris8eiBeBt,  rêveries  d*«oç  pfli(Biét6,d6ià  jBfl^irtéfî 
d'elle-même,  écoles  de  pbilo&tyhie,  scep^î^ifioie»  koaw;«.0ci^t^jié- 
tiiphysique8,  royauté  de$  logidèos,  marquei  d*m»e^eiigiaa  et  4*me 
dviUsatioQ  au  déclio  ;  tout  cela  cafisemUé,  mêlé»  oidopoé  iam  une 
même  œuvre,  comme  les  productiQOS  des  divcyys.épMqiie^  de^^la 
nature  sont  superposées  dans  les  flaoes  d'uoe  même  motnti>gnie»  dfppl» 
la  roche  primitive  eilia  yégétation  autédîluviçou^^  $yN3i3fi:véeJmi  du 
jour,  dans  les  reuilles  de  l'ardoise,  jusqu'à  la  fkwpou^^^^iiievîoBt 
de  ronger  dans  la  rosée  Fifisecte  oé  du  matin^  Aumy  app)îq«Mit  à 
ces  poèmes  la  théorie  que  j'ai  réfutée  pour  1imiÈff;^.ç;foiimA!je^  vo- 
lontiers qu'ils  sont  l'ouvrée,  non  d'un  hyomfl»e,  imîi.de  diviecses^ 
nérations  qui  ont  accuqaulé  leur  peofiées  les  uaes.  nur  tes  antMS^. 
Vous  passez  brusquement  ie  l'époque  du  ebaosi  ceUed^laoïétaptqr- 
sique,  des  hommes  des  jbois  à  l'écple  des  sopUMes^  Dam  le  benetu 
de  ce  peuple  eçt  te  .livre  de  sa  vieillesse,  et  vous  diriez  que  sms 
enfance  il  est  né  dans  l'éternité. 

Veut-on  ^voir  ce  que.  peut  être  le  aceptîcisme  jtutàiUlttfîeii  dont 
je  viens  de  parier?  Ou  sera  étouiié  de  voir  cwibien  il  reiseintd^À 
celui  de  notre  temps  : 

ff  Le  roi  des  logicieas  s'adressa  ainsi  à  lUma  pour  l'éprjQriywr;  O 
Rama,  que  l'intelligence  d'ua  ascète  tel  que  toi  ne  desceode tpfis 
au  niveau  des  imaginations  vulgaires  !  Les  livres  sacrés  oot  été  £/^m^ 
posés  par  des  hommes  adroits  afin  de  tromper  les  aiUres  et  daies 
induire  à  faire  des  donations.  Toute  leur  doctrine*  la  voici  :  OSmides 
sacrifices,  consumez-vous  dans  les  austérités  reUgieuses,  le  jeâoe»  la 
macération.  Faites  des  dons  au  sacerdoce...  O  roi,  ue  semfriu  dote 
jamais  sage?  Ce  qui  se  laisse  toucher  et  goàter  par  les  sens  est  «eul 
digne  de  tes  désirs.  Tous  les  rois  tes  prédécesseurs  sont  tombés  sous 
la  main  d'airain  de  la  mort.  Nul  ne  sait  ce  qu'ils  sont  devenus  ni  où 
ils  sont  allés;  on  croit  les  voir  partout  où  Ton  désire  qu'ils  so&eol; 
cependant  l'univers  est  plongé  dans  l'incertitwle.  Il  n'y  a  dans  ce 
monde  rien  d'assuré,  et  ce  monde  mAme,  où  esV-il? 

«  £n  entendant  ces  sentimeps  athées,  Kama,  semblable  à  un  élé- 
phant furieuXr  répondit;  Je  ne  me  soustrairai  pas  plus  auiL  commaa- 
démens  de  mon  père  qu'un  cheval  dompté  n'abandonne  le  cbaft  <^ 
qu'une  épouse  obéissante  ne  délaisse  son  époux.  Je  ne  serai  pas  plus 
ébranlé  par  tes  paroles  qu'une. montagne  ne  piçnt  l'être  pçrr  le  choc 
de  l'ouragan.  »  ,       . .       . 


'    ^ÛÉtES  fiflQIJK».  167 

flnfih^lme^desti^piqties,  lé  ^eptfcisme  ne  pârle^iril  pas  ici  la 
lattgM'  dB  TMMre?  L'étonneioetif ,  la  colère  de  ce  jecne  éléphant 
fMBn,  ble»é  paf  réfernel  arpent,  c'e^  le  seul  brait  qui  nous  rejette 
dMi  lAe  aoeiélé  dotiqiie.  La  société  indienne  n'est  point  encore  fami- 
liarisée avec  le  donte.  Elle  regimbe  violemment  contre  Taiguillon. 
IMb,  (}Mt  qii*dl0  fasse,  le  veiri»  est  entré  aa  cœur  de  sa  poésie;  il 
jtfm  softira  plu».  Étrange  début  pour  afi  penpie,  que  te  blasphème 
nÉM  à  rb  jnMieeoeore  vibrant  de  la  création  et  le  scepticisme  au  sortir 
<iv  cMml  Cet  épiaede  est  le  livre  de  lob  de  la  Bible  indienne. 

STH  est  vnâ  cepetidant  que  la  f(»nte  virile  consiste  à  se  contenir,  se 
littiiliarf  se  «Mitriaer  smaéme,  une  secrète  faiblesse  est  cachée  sons 
la  puissaDoe  nonatmevse  dea  poètes  du  Gange,  et  c'est  là  pour  eux 
le  ai|^  de  nmAmce.  Comme  ces  jeunes^  étéphans  etiivrés  dont 
râttage  tour  est  si  fimiffière,  ils  traversent  en  se  jouant,  dans  lem^ 
si^ela,  les  ferM»  instpédélrablea,  la  création  toirt  ei^ère,  et  souvent 
uflB  ttHie  suflK  patff  les  embanraaser  et  les  arrêter.  Ils  sont  possédés 
de  leur  aujet  MÂi  pins  qn'ila  se  le  possèdent;  errant  à  travers  Tim- 
nmwîté,  toajimrB  un  épisode  peut  s'afouter  à  l'épisode  qui  précède; 
il  n'est  aucnne  ratsen  tirée  de  la  nature  dei»  choses  pour  poser  un 
terme  à  lenra  composMons.  Le  dénouement  n'en  est  vraiment  pos^ 
sifele  ipe  dans  réternîté.  A  l'égard  de  lenr  style,  il  est  ce  que  l'actioB 
est  eBe-mèitie,  aussi  tidie  en  mMs,  en  IqHues,  en  pierreries,  aussi 
ptontnreav  qne  les  flancs  sacrés  de  rffinialaya,  par  où  ils  diffèrent 
sattont  éb  nos  poèmes  caflioHquea  du  moyen^Age,  dans  lesquels  Ter- 
pmalDn  indigente  ne  suit  Taetion  qu'à  grand'peine,  ainsi  qu'un  serf 
sniratt  à  pied  son  sdgneur  emporté  par  un  cheval  caparaçonné. 
Accoutumés  au  demi-jour  de  nos  contrées,  nous  sommes  fiacflement 
éManis  de  œs  trésors  prodigués  de  la  parole  orientale.  S'il  était  vrai 
pourtant  que  fart  dAt  être  seulement  une  imitation  de  la  nature,  ce 
style  leoipiirnt  toutes  les  conditions  de  la  perfection,  puisqu'il  est 
éaldemment  le  relet  du  hue  de  la  evéation  sous  le  del  de  la  Haute- 
Asie.  Que  penMi  donc  y  manquer?  Un  eboti  fait  par  l'homme  entre 
lea  abjets  qu'il  rencontre.  Il  n'est  pas  rare  de  trouver  dans  ces 
poèmes,  pour  un  seul  objet,  jusqu'à  cinquante  comparaisons  accu- 
nnlées  qui  écrasent  la  vie  sous  le  fardeau  de  l'image.  L'homme  est 
conmie  détrAné  par  la  nature,  et  sa  pensée  tarie  ou  éclipsée  par  les 
rayons  de  œ  soleil  trop  puissant,  œil  de  Brahma,  qui  dévore  ce 
quil  contemple.  L'eipression ,  cependant,  est  quelquefois  simple, 
nue,  soudaine.  Ce  contraste  vous  saisit;  vous  erriez  depuis  plusieurs 
jouia  an  hasard  dans  une  forêt  inhabitée;  ses  profondeurs  ne  réson- 

11. 


i(i§,  REVUE  pis^  jm^  ff<m^* 

naiçnt  quQ  Oes  munnur^  de  la  nat»fe,;v^/ifl<fs  4$iA;QvNbAH^ IW» 
voix,  des  reptiles  ailés  se  di^ssaieDt.(K)i[ifuséineQt  à,^Viefc$|l0S,r9pa^^ . 
frissoDpaBs;  rhorreur  croissait*  Soqdaifi  vwsdécquw  des.  pasidapa, 
cette  solitude;  un  cri  s'élève  près  de  U^  i^m  i*nfKhwmeMwM9b\^, 

à  vous!  .     .,..)!■'. 

Ici  se  retrouve  la  question  posée  en  cpmniepçafit  :,Q9i^Uie  p)ac9och 
cupera  la  poésie  indienne  dans  Thistoife  de  Tart?  ]ËcUpi9efia4«eUe  dans . 
les  esprits  la  poésie  homérique?  la  remplacerant-edl^  jwws?  Nul  mo- 
nument, nul  brin  d*herbe  pensant  ne  peut  ten|r  l^^^'un  wU*e,-et 
ce  serait  une  critique  bien  futile  de  se  hflter  4e.c(^écier  la  Gprèce 
par  l'Asie,  ou  l'Asie  par  la  Grèce.  11  y  a  place,  Biieui,mei3ci,  dims  Ja  . 
nature  et  dans  l'intelligence  de  l'homme  pour  tws  les  ppèmes  dut 
passé  comme  pour^l^s  ceux  de  l'avenir.  Seulqmmt.la  peiFy>ective 
dan3  rbis^oi^  i^t  cbapgée.  Le  génie  hellénique  se  ;pap|^oche  de 
nçus  à  me^r^.qu^  4ansJ'éloignement  nous  apercQV^ns  le  génie 
indien  sei  Iç^^  s)^.)foi^  dç^l'tiorizon.  Loin  de  détrôner  le  vieil  Homère, 
ces  mon^|i^ps,,poiUveUeipiçiitt  révélés  feront  éclater  encore  par  leur 
richesse  ipèm.e'.spp  firt,  s^  siqi^plicité,  son  habileté  instinctive.  L'Inde 
fera  ressortir  la,Grèc(^;XHjpialaya  encadrera  l'Olympe*  Dans  ro[Hmoa 
du  dernier  siècle,  l'auteur  de  l'Uiade  passait  pour  un  disciple  aveygle 
de  la  nature  seule.  Peu  s'en  fallait  qu'on  ne  le  tint  ppupori^ntil. 
Depuis  qu'on  peut  le  comparer  à  son  frère  du  Gaqge,,  lapr^isifi^M 
de  son  dessin,  la  fermeté  de  ses  formes,  deviendront  plus  manifi^stw  . 
pour  tous.  Il  rentrera  plus  étroitement  dans  la  fomille  de^g^pî^  4e  » 
l'Occident,  ou  du  moins  il  apparaîtra  comme  le  médiateur  sopmaini 
entre  l'Occident  et  l'Orient;  colosse  de  Rhodes  qui  s'appuie  sur.  1^ . 
deux  rives. 

Si  l'on  demande,  en  outre,  quelle  sera  l'influence  directe  de  cette  * 
renaissance  orientale,  il  est  évident  qu'elle  entrera  popr  quelque 
chose  dans  les  conceptions  de  l'avenir,  puisqu'une  société  tout  eur 
tière  ne  sort  pas  du  tombeau  sans  agir  d'une  manière  quelconque 
sur  les  imaginations  humaines.  Il  est  vrai  que  le  génie  indien  ne  sera 
dans  aucun  cas  pris  pour  modèle,  son  caractère  étant  de  n'avoir  ni 
règle  fixe,  ni  loi  irrévocable.  Mais,  sans  devenir  un  code  littéraire, 
il  grossit  la  tradition  universelle.  Toutes  les  fois  que  les  modernes 
s'emparent  d'une  donnée  grecque  pour  la  traiter  à  leur  tour,  ils  ont 
à  lutter  contre  une  œuvre  parfaite,  laquelle  ne  laisse  presque  rien 
à  ajouter  ni  à  retrancher.  Où  est  la  main  qui  peut  refaire  le  marbre 
sculpté  dans  Athènes?  Tout  au  contraire,  la  poésie  de  l'Inde  çst  une- 
mine  de  Golconde,  où  l'or,  les  métaux  précieux,  les  pierreries  sont 


s&ùt^ôtiftèlft^aV^è  dès  éKteèlià' encore  bruts.  De  ces  masses  con- 
filses;  It)a;id'éWtipbWa  dëgager  (et  il  Ta  fait  déjà),  non  des  formes, 
mtik  de^  Icdiitetirs,  dëà  ii-adKions,  des  images  qu'il  animera  de  sa  vie, 
vh  mëiaO  nbUVëèn  pôiiir  remptir  le  moule  de  sa  pensée. 

Car  Tesprit  de  Thomme  est  aujourd'hui  présent  partout  sur  la  terre; 
soft  bérceatir  delà  Troade  et  dû  Latium  ne  suffit  plus  à  ses  rêves, 
et,  pour  éiprimer  sa  pensée  telle  que  le  christianisme  l'a  agrandie, 
ce  n'cîst'pasr  frèp  tf e  toutes  les  formes,  voix ,  accords ,  parfums  que  ce 
globe  petit  ptèdtiiré  en  chacun  de  ses  climats.  Le  temps  est  passé  où, 
rindttstrië  ^M^IaiYt  dons  les  frontières  de  chaque  état,  le  conmierce 
des  choses  Së  Bbmaif  à  un  échange  difficile  dans  le  sein  d'un  même 
royaume:'  Le^  productions  de  toutes  les  contrées  sont  rassemblées 
dan^  le  grand  ieMti  de  la  société  moderne;  et  lorsque  la  matière  est 
ainsi  transj^Hée,  échangée  d'une  zêne  aune  autre,  qui  vottdrait  que 
la  penséci  restât  seide  stagnante  dans  un  point  dé  Téspace ,  et  que 
chaque  poésie  vécût  et  mourût  sans  contact  sur  la  giëUè  6{i  elle  a  pris 
naissance?  II  n'y  a  plus  de  serf  de  Ta  glèbe  dahs  M'Vié  réléllë;  0  ne 
peut  plus  y  en  avoir  dans  le  mondé  idéaf;  et  c'est  juètîce,  quand  le 
corps  est  affranchi,  que  l'esprit  le  soit  à  sa  manière,  habitant  de  toute 
la  terre,  contemporain  de  tout  le  passé. 

Non,  non,  lïe  Craignons  pas  de  paraître  trop  infatués  en  nous  attri- 
btiaM"  potir  patrie  ce  globe  en  son  entier,  et  osons  fièrement  em- 
brasser sans  partage,  du  levant  au  couchant  et  d'un  pôle  à  l'autre 
pdte,"  tbiii  ce  grain  de  sable  dans  l'infini.  Il  semblait  illimité  dans 
l'Antiîiïiiité,  parce  qu'il  était  inconnu.  Depuis  qu'il  a  été  mesuré,  tout 
sOki  prit  est  tombé.  Que  faut-il  désormais  pour  le  franchir  en  un 
moment?  Il  n'est  plus  besoin  pour  cela  d'être  un  habitant  de  lX)lympe. 
Dans  la  vie  la  plus  obscure,  le  cœur  le  plus  enchaîné,  emporté  par 
l'aile  du  christianisme,  le  traverse  plus  vite  que  ne  faisaient  autrefois 
les  dieux  d*Homère. 

Edgar  Qdinet. 


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CHROOTQUE  DE  U  QXmZMm, 


La  sesaoB  touche  i  son  terme.  Il  ne  leste  devant  la  chambredei  paûs  ^le 
cinq  affaires  io^iortaiite^  :  le  budget,  les  diemins  de  fer,  les  paquebots  trans- 
atlantiques,  la  création  d*uiie  faculté  des  sciences  à  Rennes,  et  la  réforme 
du  tribunal  de  la  Semé. 

La  chambre  des  pairs  se  trouve  dans  une  situation  qui  n^est  pas  nouvelle, 
mais  qû  donne  tie«  cens  a^née  à  des  débats  plus  vift  et  plus  aners  qne  par 
te  passé.  Noos  ne  seaunet  pas  sni^iB  de  ee  redoublenent  de  plaintes  et  dé 
neproches. 

l>*u«  cteé,  la  silnatio»,  par  cela  seul  qu'^  se  prolonge  et  qu'elle  paraît 
vouloir  «^établir  comme  une  règle^  deûent  insupportable  à  la  chambre  doni 
elle  comproioet  la  dignité  et  rUnportaace  politique. 

De  Taulre  côté,  le  ministère  ne  compte  pas  dans  la  chambre  un  grand 
nombre  d'amis.  Si  Ton  ne  songe  pas  à  le  renverser,  on  n'est  pas  non  plus  dis- 
posé à  lui  donner  des  preuves  de  sympathie. 

Quant  au  fond  de  la  question ,  voici  Pexacte  vérité.  D'abord  la  situation  dont 
la  chambre  des  pairs  a  droit  de  se  plaindre,  ne  saurait  être  avec  justice  imputée 
au  ministère.  Ce  n'est  pas  lui  qui  a  distribué  le  travail  de  la  session.  Arrivé  aux 
affaires  dans  le  mois  de  mars,  il  n'était  pas  en  son  pouvoir  de  modifier  le  cours 
des  choses ,  comme  il  n'est  au  pouvobr  de  personne  de  retenir  à  Paris  les  dé- 
putés après  le  vote  de  la  loi  de  finances. 

Une  fois  le  ministère  mis  hors  de  cause,  reste  la  question  tout  entière.  Com- 
ment faire  cesser  un  abus  qui  trouble  profondément  l'équilibre  des  pouvoirs, 
un  abus  auquel  la  chambre  ne  pourrait  se  réngner  sans  anéantir,  au  préju- 
dice du  pays  et  de  la  couronne ,  une  des  principales  garanties  de  notre  système 
politique  ? 

Si  la  pairie  se  résigne,  la  constitution  est  faussée.  La  chambre  des  pairs,  on 
l'a  dit  mille  fois,  ne  serait  plus  qu'un  bureau  d'enregistrement.  Si  elle  résiste 


jmm—cmm&Ba^^ *^* 

60  «iBeaéant  le  budget  ,^smiI  taoyen  f  u'eUe  aurait  ëe  conteaindw  k  tksmbt^ 
desdépQtif  àisepreiidre  eesséanoes,  eUe  ûôt  naître  eatve  4eiixgraBdfi^eiH 
voin  de  Tétai  «ne  de  ces  iutites  qoi  m  se  juirifient  ipM  far  une  néottaité 


Satts  doute  c'est  là  le  ««fiUfMM»^>  et  la  ebaoïbre  des  panra  ne  déviait  pas 
hésiter  à  l'appliquer  le  jour  où  il  lui  serait  démontré  q«e  c'e6t4à  le  seul  moyen 
Je  rétablir  F^^ibrt.  Û  serait  alois  par  Irop  indigne  de  b  eb^^  de  borner 
son  ressentiment  à  dès  compiaintes  aonneiles,  oomplaiittes  ^ue  leur  retour 
périodique  et  toujours  ine£Êcaee  ne  larderait  pas  à  rendre  complètement  ndi- 
CHles. 

Haireusement  il  est  plus  d'un  aïoyen  que  le  ministère  peut  empl^F^  pour 
rendre  aux  travaux  des  deux  chambres  leur  oours  simultané  et  régulier,  et  il 
n'est  pas  douteux  pour  nous  que  le  cabinet  ne  cberdicséneusement,  dès  la 
session  prochaine,  à  résoudre  la  difficulté. 

On  peut  facilement  distribuer  le  travail  entre  les  deux  chambres  d'une  ma* 
nière  plus  égale. 

Il  y  a  lieu  d'examiner  si  Ton  ne  pourrait  pas  changer  l'année  financière  de 
manière  que  les  chambres  pussent  au  besoin  ne  délibérer  définitivement  sur 
Je  budget  présenté  dans  le  oours  de  la  session  qu'au  commencement  de  la 
session  suivante. 

Il  y  a  aussi  lieu  d'examiner  s'il  est  indispensable  de  persévérer  dans  l'usage 
de  présenter  les  bodgets  de  tous  les  ministères  dans  une  seule  et  même  loi. 

Nous  ne  voulons  rien  affirmer.  Ces  expédiens  exigeraient  dans  nos  rouages 
administratifs,  et  peut-être  aussi  dans  les  règlemens  des  chambres,  des  modi- 
fications qu'il  serait  par  trop  présomptueux  d'indiquer  ici  ;  elles  ne  peuvent 
eue  que  le  résultat  de  sérieuses  méditations,  d'études  approfondies. 

Ajoutons  seulement  que,  sur  la  distribution  du  travail ,  il  a  été  énoncé  dans 
les  discussions  de  la  chambre  des  pairs  une  opinion  qui  nous  paraît  excessive. 

On  a  dit  que  l'article  de  la  charte  portant  que  toute  loi  d'impôt  doit  être 
d'abord  votée  par  la  chambre  des  députés,  ne  s'appliquait  qu'aux  lois  dont  le 
but  direct  est  l'établissement  d'un  impôt;  qu'ainsi  on  aurait  pu  présenter  d'a- 
bord à  la  chambre  des  pairs  la  loi  sur  les  paquebots  transatlantiques,  ou  toute 
autre  loi  prescrivant  une  dépense.  A  l'aide  de  cette  interprétation ,  on  pour- 
rait aller  jusqu'à  soutenir  que  la  loi  capitale  du  budget,  la  loi  des  dépenses, 
peut  être  portée  directement  à  la  chambre  des  pairs. 

L'interprétation  nous  parait  forcée.  L'état  n'a  pas  chez  nous  deux  moyens 
de  subvenir  à  ses  dépenses.  Qui  dit  dépense  dit  impôt,  impôt  qu'on  établit, 
qu'on  augmente  ou  qu'on  ne  diminue  pas.  —  D'un  autre  côté,  il  est  également 
vrai  que  ce  serait  donner  à  l'article  de  la  charte  un  sens  trop  large  que  de 
l'appliquer  indistinctement  à  tout  projet  de  loi  pouvant  impliquer  une  dépense. 
La  chambre  des  pairs  a  plus  d'une  fois  voté  la  première  des  lois  de  ce  genre, 
et  nul  n'a  révoqué  en  doute  la  légalité  de  son  vote.  Il  y  a  là  une  juste  ligne  de 
démarcation  à  tracer. 

Mais  sans  entrer  ici  dans  le  fond  de  la  question ,  sans  vouloir  scruter  la 


l^t&re  et  rechticher  Tesprit  ainsi  que  Jet;Qrû[i|^^dç,f,a)r^!i^.d^ 
4î8oiia  seulement  que  nul  ne  songe  à  enlever  à  la  çl^ii4>i!e  ^e^y^  ^çe  qu'elle 
regarde  9  sur  le  fondement  d'une  pratlq^e,de.Tingtrcî|lq,f^^,  ^i^e,un  de  ses 
droits  «  eomme  sa  prérogative  la  plus  importa^ite,  Cps^  u^eyoie^  ou  la  cbamibre 
des  pairs  ne  voudrait  pas,  et  avec  raison  ^  s'engager;  ç'e^3'affaubl|r  que  d'user 
ses  farces  à  saisir  des  droits  contestables.  La  cbambre  des  p^lrs  yeut  maintenir, 
avec  la  vigueur  et  la  dignité  qui  lui  appartiennent ,  se^, prérogatives  recon- 
nues, ses  droits  incontestés. 

L'état  des  partis  ne  s'est  pas  modifié  dans  la  quinzaine  qi;i,ijent  de  s'écouler. 
Les  députés  rentrant  dans  leurs  foyers,  commence  ma^^enant  ce  travail  loeal, 
cette  communication  intime  entre  le  député  et  ses  éiecteurSt  dont  il  est  tou- 
jours difficile,  même  aux  plus  habiles,  de  prévoir  tout^  1^  conséquences  avec 
quelque  exactitude.  Les  députés  qui  ont  interrompu  leurs  longue^  habitudes 
ministérielles,  comme  les  députés  de  la  vieille  opposition  qui  prêtent  aijyQur- 
d'bui  leur  appui  ^  ministère,  auront  h  s'expliquer  avec  lei^rs  comn^ettans. 
ici  le^d^ii^oonv^incra  les  éliecteurs  de  la  sagesse  de  sa  conduite;  ailleurs  les 
élecleursiréagii^mt  pe«Mt}»  sur  le  d^uté. 

Au  surplus ,  les  députés  qui  ont  soutenu  le  ministère  pourront  parler  avec 
quelque  oi^ei):  de^jré^tats  de  la  session.  Des  lois  importantes  vont  donner 
unenouyellaimpfulsioaà  I9  prospérité  matérielle  du  pays.  La  navigation  inté- 
rieure perfectionnée,  l'exploitation  du  sel  ramenée  partout  au  droit  commun ,  les 
chemins  de  fer  en  voie  d*eiécution  soutenus ,  et  de  nouvelles  entreprises  auto- 
risées, aidées,  encouragées;  la  question  des  sucres  terminée  d'une  manière 
équitable;  le  grand  établissement  de  la  Banque  de  France  mis  à|  mém^rpar  la 
certitude  de  son  avenir,  de  rendre  au  commerce  des  services  de  plus  en  plus 
importans;  enfin  nos  relations  commerciales  avec  le  ^Nouveau-Mo^de  secon- 
dées et  étendues  par  plusieurs  lignes  de  paquebots  transatlantiques  :  ce  sont  \à 
des  faits  importans  qui  honorent  cette  session  et  témoignent  de  l'aetiv^  habi- 
leté du  cabinet  qui  a  pu ,  dans  le  peu  de  temps  que  lui  ont  laissé  les  discus- 
sions politiques  et  les  difficultés  de  tout  début,  imprimer  aux  affaires  une  si 
puissante  impulsion. 

Nous  sommes  convaincus  que  la  chambre  des  pairs  n'hésitera  pas  à  donner 
son  suffrage  aux  projets  que  le  ministère  lui  a  présentés  en  dernier  lieu. 

£n  rejetant  le  remboursement  de  la  rente,  malgré  le  vote  réitéré  de  l'autre 
chambre  et  les  effi>rts  du  ministère,  comme  en  confirmant  à  une  très  grande 
majorité  le  privilège  de  la  Banque,  malgré  l'opposition  presque  unanime  de 
la  presse,  la  chambre  a  suffisamment  prouvé  que  rien  ne  peut  la  détourner  de 
ce  qui  luiparattbon^iutile,  éq^itable*  Pîous  nous  plaisons  à  rendre  hommage 
à  son  indépendianfle,.que|lebque.soif;  d'ailleurs  notre  opinion  sur  la  question 
de  la  rente. 

Le  mémesei^menit  d*4n4<^pendance  lui  fera  adopter  des  ,l,ois  ,^e  le  i^ys 
attend  aveo  une^ju^  jn^pâti^çje.  On  aura  l^u  lui  dir^  qpe  ,1e  flépa^ft  des 
4épuléft  lui  âte  to^t^  lîbtrté,  qm'p^  a  voulu  i^  j)ia|^r^8Q^,ieJo^^  de;  jLa,  1;^^ 
Mt  L«,^h«mbre  sait  qu'il  i^'p^çi  ^ijç^^qflf ij^^^^p^^^^^ 


ûeiTeieiét'ùàtiài^]j)[kl  Sâtilk'dHtité^lè Maudit  à  rendra  èompM/  dé  ^n  toté 
à  To^itiroti  publique  cit  à  isa'  piropre  conscience;  mais  la  marche  régulière  dà 
gouveruënletit,  1è  ttiin^  des  sërviceSs  publics  ne  seraient  point  paralysés  par  lé 
rejet  de  ces  lois  \  ce  rejet  ik^ufait  point  les  conséquences  que  pourrait  avoir  le 
rejet  du  budget  ou  d'une  mesure  quelconque  indispensable  au  salut  de  Fétat. 

n  n'y  a  dond  pas  cette  contrainte,  cette  nécessité  arUfîcielle  et  impérieuse 
dont  la  cbaitibrë  pourrait ^e  blesser,  cette  nécessité,  disons-le,  qui  la  domine 
pour  le  budget,  qu'elle  ne  pourrait  refuser  sans  compromettre  la  régularité 
des  services  pub1i(!s. 

En  adoptaut  Iês  atrtrës  lois,  la  chambre,  qui  pourrait  les  rejeter,  aura  agi 
avec  liberté  et  lAdépetidànce;  elle  aura  prouvé  que  les  motifk  de  l'adoption 
remportaient  dafiis^h  esprit  sur  les  objections  qu'opposent  les  adversaires 
de  ces  projets.  ' 

La  chambre, 'tl  èstvra!,  ne  pourrait  amender  ces  projets;  tout  amende- 
ment produli^it,  ddns  les  circonstances  actuelles,  les  ménles  ^ilSé((uencé8 
que  le  rejet,  et  retarderait  d'une  année  toutes  ces  utiles  ebtrepriseâ.  Dhns  ces 
limites,  les  plaintes  sont  fondées;  mais  tout  a  été  dit  sûr  ce' pôittf  lOrs  des 
débats  sur  la  loi  de  la  navigation  intérieure.  '  *      '     i/'r      • 

Trop  insister  sur  les  mêmes  plaintes  (nous  he'disbàs  pàk  les  <MrtièS^  repro- 
ches, le  ministère  a  prouvé  qu'il  n'en  mér^it  pas),  ce  seritft  lés  affàtbiir,  ce 
serait  donner  au  langage  dé  la  chambre  un  ton  làinentiiblé  et  peu  digne  d'un 
grand  pouvoir  défétat.  La  chambre  a  fait  connaître  sa  pedsée:  il  ne  lui  reste 

!)lus  d'autre  moyen ,  le  même  inconvénient  se  renouvelant,  que  la  résistance, 
orsqu'ëïte  aura  devant  elle  un  ministère  qui  aura  préparé  et  distribué  le  travail 
delà  session! 

'  IL^mendemtént ,  c'est-à-dire  le  rejet  d'un  de  ces  projets  de  loi ,  sur  qui  retoro- 
berhît-îl^  su^  les  compagnies,  sur  les  villes  maritimes,  sur  le  commerce ,  sur 
Hudu^trie,  sur  le  public,  qui  certes  ne  sont  pas  responsables  de  la  marche 
des  travaux  au  sein  des  deux  chambres.  Le  rejet  ébranleraitril  le  cabinet?  nul- 
leméht  :  le  cabinet  a  trouvé  à  son  avènement  l'état  de  choses  dont  on  se  plaint  ; 
il  ne  pouvait  plus  le  changer.  Le  rejet  ferait-il  revenir  à  Paris  un  seul  député? 
encore  moins;  les  députa  ne  seraient  ramenés  sur  leurs  sièges  que  par  un- 
amendement  au  budget.  La  chambre  ne  veut  pas  sans  doute  en  venir  cette 
année  à  ce  moyen  extrême;  elle  voudra  encore  moins  témoigner  de  son  mécon- 
tentement par  une  résolution  qui  ne  frapperait  que  ces  mtérêts  nationaux ,  que 
la  chambre  est  jalouse  de  seconder  et  de  protégeîrJ 

II  est  sur  la  loi  des  chemins  de  fer  une  autre  observation  qu!  S'applique  éga- 
lenient  aux  débats  de  Tune  et  de  f  autre  cha(fribt«:  '9ftM  todioM  parler  de  la 
lëuhioà  dahs  ifné  )seu1e  et  mêuie  loi  de  pkteiëtitâ  prèSétsrtiHllPàMitHdiff^ns) 
indépendans  l'un  de  l'autre;  ainsi  le  chemin  de  fer  d'Orléans  et  celui  de  Stras- 
bourg a  Ifiiâtè,  et  pfu^éii)^  autres,  se  trouvéhtbbtk)^  AiM  le  iHéme  projet  de 
Idi.  It  âk,  eh'U6nké4uiéhcè?.  «élut  ado^  o«r  tc^^r^eter^^cès  projeitsse  pré^ 
sentëi^'au!^'iùÉ^éès^%i '^  t^dlbre,  ^uV>ai)i»t'diréJrto  portant  fautre. 
Ënèoiéè  si  ïèWâ^  'prïti^,^si'te^raeiliè  systtlite  dé  Secours  étak  appliqué  à 


ilU  RBVm  DBS  DBDX  HORDES. 

tous  ces  projets.  Loin  de  là  :  la  méiM  loi  endiraise  six  pnijrti  et  qutre 
sjntme»  diffémis;  doui  ne  f  oulona  pas  dire  Of^oiés;  il  se  peut  en  effet  que 
ces  iystèmts  dWcn,  cMitrairM  Bjémee,  soient  avec  raiiDa  applicables  il  des 
ntreprises  diff^reoles.  Toujours  fsl-il  que  la  lincérilé  des  débats  législatîb 
reçoit  une  «tteinte  Icxraqu'une  usembUc  est  f<Ht:ée  de  voter  in  glabo  des  projctt 
différens,milleiiientcaiiiiixea,  et  pouvant  parfaitement  «tisterrunca  os  l'aulve. 

Mabce  n'est  pas  là  qb  expédieDi  inventé  par  le  ministère  do  I"  mars;  c'est' 
on  usage  snr  lequel  il  importa  HKlement  d'attirer  ratientioa  du  gouverne- 
ment pour  les  projets  futurs. 

La  mort  de  H.  Daunou  laisse  vacante 
in^nante.  Le  bruit  publie  a  désigné  p 
bien  informés,  ccqi  sur  qui  l'attention  p 
lière  sont  M.  de  Gasparin,  l'ancien  mini 
est  un  administrateur  habile,  H.  Fteriel , 

tioguent ,  entre  autres,  par  l'euetiwde  et  la  profondeur  des  recherehes.  Selon 
le  point  de  vue  auquel  on  se  place,  le  cboii  de  l'un  os  de  l'antre  ne  mériterait 
que  des  élo^. 

M.  Vincent  passe  dans  le  conseil  d'état  du  service  extraordinaire  an  servie» 
ordinaire.  Rien  de  plus  naturel  que  de  voir  un  administrateur  ausn  éclairé  et 
d'une  n  grande  expérieDce  se  voua  eBtiJfcmeot  etix  travaux  du  conseil  d'étal. 
Nous  espérons  qu'if  sera  digiemeat  renplaeé  dans  ses  importantes  fonctions 
an  minisièredo  commerce. 

Le  public  est  fort  préoccupé  dans  ce  moment  des  nouvelles  d'AVer.  Ea 
admettant  qu'il  y  ait  quelque  exagération ,  peut-étre  ausu  nn  peu  d'animonté 
dans  les  nouvellesqui  circulent,  toujours  est-il  que  noire  campagne  en  AfiîqDo 
est  longue,  difficile  et  sans  résultats  décisib  qui  compensent  les  sacriBces  en 
hommes  et  en  »gent  qu'elle  exige.  Il  serait  plus  que  superflu  de  rechercher 
aujourd'hui  à  qui  l'on  pourrait  imputer  la  guerre  que  nous  avons  sxir  les 
bras,  les  difficultés  que  noua  rencontrons  en  Afrique,  Ce  n'est  pas  te  imn 
ment  de  discuter,  mais  d'agir,  d'agir  avec  résolution  et  d'une  manière  d^na 
de  la  France.  Quelks  qu'en  soient  les  causes,  c'est  là  désormais  une  guerre 
h  mort  avec  les  populations  indigènes,  avec  les  Arabes  afncaini.  C'est  le  mabo- 
métisme,  la  barbarie  et  le  génie  nomade  qui  veulent  expulser  d'Afriifae  la 
religion,  la  civilisation,  la  puissance  françaises.  Dans  le  commencement,  il 
aurait  été  légitioie  et  sensé  de  poser  la  question  de  savoir  s'il  convenait  à  la 
France,  à  sa  politique,  à  son  inDuence  d'entrer  dans  cetta  voie,  de  jeter  bon 
de  l'Europe  une  partie  notable  de  ses  revenus  et  de  ses  forces,  ai  les  avantages 
militaires,  maritimes,  commereiaux  qu'elle  pouvait  en  espérer,  étaient  de  natora 
àeompeuser  ses  sacrifices,  si  le  moment  était  arrivé  d'implanter  par  la  força 
désarmes,  par  la  conquête  la  civilisation  française  sur  le  sol  aride  et  malsaùft, 
sous  le  ciel  brûlant  de  l' Algérie. 

Aujourd'hui ,  empresMos-nous  de  le  reeonoattre ,  la  question  ne  peut  éln 
posée  dans  ces  termes.  Le  drapeau  français  a  été  solennellemeDt  planté  sur  ta 
sol  africain.  lA  FnuKea  dit  qu'il  y  restenit  :  Abd-el-IUider  veut  l'en  arracher  dâ 


BBTUB. -*^  GHROIVIQSI.  t?Ç 

ioné.  LaTKiDoe^peiit-^le  le  supporter?  non ,  è  auonn  prix.  CM  là  «ne  répome 
^ui  esi  au  fond  de  tous  les  cœurs,  de  toutes  les  pensées,  de  fous  les  systèmes. 
Les  adversaires  les  plils  d^dés  de  notre  établissement  en  Afrique,  ceux-là 
même  qui  n^auraient  pas  hésité  à  évacuer  FAlgérie,  lorsque  nous  y  étions  en 
paix  avec  tout  le  monde,  ne  voudraient  pas  aujourd'hui  abandonner  un  pouce 
de  terrain.  (Test  que  toutes  les  opinions,  comme  tous  les  systèmes,  se  rencon- 
trent sur  un  point  commun  ;  c'est  qu'il  n'y  a  plus  de  dissentiment  possible 
lorsqu'il  s'agit  de  la  dignité  de  la  France,  de  Phonneur  national. 

D'un  autre  coté,  tenons-nous  en  garde  contre  l'esprit  de  notre  temps;  pré- 
aerrons-oous  des  atermoiemens,  des  demi-mesures.  L'affaire  d'Afrique,  con- 
duite mollement,  serait  interminable;  elle  pourrait  renouveler  pour  nous  cette 
longue  et  funeste  guerre  d'Espagne,  lorsque  nous  n'étions  jamais  maîtres  que 
du  terrain  qu'occupaient  les  semelles  de  nos  soldats,  lorsque,  vainqueurs  dans 
tous  les  combats,  nous  n'avions  cependant  jamais  ^u  vaincre  le  pays  et  le  plier 
à  nos  lois. 

Ce  fut  une  erreur  de  Napoléon  que  de  se  persuader  que  l'affaire  d'Es- 
pagne n'exigeait  pas  de  grands  efforts,  qu'on  pouvait  la  combiner  avec  d'au- 
tres expéditions,  qu'elle  finirait  d'^le-méme^  de  guerre  lasse;  que  les  popula- 
tions, Êitiguées,  vaincues,  appauvries,  rentreraient  paisiblement  dans  leurs 
foyers.  Les  guerres  nationales  des  peuples  fanatiques  et  barbares  sont  régies 
par  d'autres  lois  générales  que  celles  qui  gouvernent  les  guerres  des  nations 
riches  et  civilisées.  Nos  soldats  avaient  finstinct  de  cette  différence,  lorsque, 
en  Espagne,  ils  regrettaient  si  gaiement  cette  Italie,  cette  Allemagne  si  bonnes 
i  conquérir,  si  faciles  à  garder. 

Le  cabinet  s'occupe  très  sérieusement  de  l'affaire  d'Afrique.  Kous  ignorons 
ses  idées,  ses  projets.  Ce  que  nous  demandons  avant  tout,  ee  sont  des  mesures 
décisives  et  un  plan  bien  arrêté.  Un  système  médiocrement  bon,  qu'on  main- 
tiendrait avec  suite,  avec  énergie,  avec  persévérance,  vaudrait  mieux  que  les 
idées  les  plus  heureuses,  les  plus  lumineuses ,  mises  en  pratique  avec  hésita- 
tion, par  voie  de  tâtonnement  et  d'essai. 

Jusqu'ici  on  n'a  jamais  su  au  juste  ni  ce  qu'on  voulait  faire  en  Afrique,  ni 
ce  qu'on  voulait  faire  de  l'Afrique.  Qu'Abd-el-Kader  nous  rende  du  moins  le 
service  de  nous  contraindre  à  prendre  un  parti ,  à  résoudre  les  deux  questions. 

On  parle  beaucoup  du  projet  du  général  Bogniat,  de  Vobitaele  continu  au 
moyen  d'un  mur  et  d'un  fossé  qui  mettrait  une  partie  de  nos  possessions,  la 
plaine  de  la  MiUdja ,  à  l'abri  des  Incursions  des  Arabes.  Le  projet  est  ingé- 
nieux ;  la  dépense  ne  serait  pas  excessive;  le  résultat  paraît  certain  ;  un  faible 
corps  suffirait  pour  garder  l'enceinte  contre  des  hordes  barbares.  Nous  sommes 
moins  rassurés  sur  les  effets  morbides  d'un  grand  remuement  de  terre  dans 
tin  pays  si  exposé  aux  influenceâ  typhoïdes,  aux  ravages  de  la  fièvre  et  de  la 
dyssenterie. 

.  Les  affaires  d'Espagne  prennent  tous  les  jours  une  tournure  plus  fqvorable 
d  la  cause  constitutionnelle.  Le  général  Ségarra  fait  sa  soumission,  et  il 
ekhorte  les  Insurgés  à  se  rallier  au  parti  national.  Batmaseda  a  été  battu.  La 


17?  vE\%m  vBSk  ^mn  4fWK8. 

reiae  est  aeeamUie  en  Catalo§^  pav  latAots  d- OQe^peptthtti^nMiipHirdtel 
stwme.  Le  peuple  espagnol  est  toojoorB  pr of opdéwertl  <  <imarthiq<g.  Ifol 
douie  queie  voisîDage  de  la  cour  neeoatribtte  à  raHier letfpiiftto;  ft  ràmèiiertm 
grand  nombre  d'hommes  égarés.  Après  beaucoup  de  ëonjeétures,  <M  paraît 
croire  aujourd'hui  que  le  voyage  des  deut  reines  n'a  eu  réellement  d'autre  but 
que  le  rétablissement  de  la  santé  de  la  reine  Isabelle.  Çtuoi  qu'il  en  soit,  on  se 
ferait  illusion  si  on  croyait  qu'une  fois  Cabrera  vaincu  et  le  parti  carliste  en- 
tièrement dissous,  les  dilQcultés  de  l'Espagne  s'évanouiront copuplèt^menL 
Loin  de  là.  Le  peuple  est  monarchique  et  religieux  »  voire  méwesuperslîliwx. 
Il  n'est  pas  moins  vrai  qu'une  partie  considérable  des  «leaws  mo^FeMies^da» 
les  grandes  villes  surtout,  est  imbue  de  nos  idées,  de- nos  primHpes;  et  ptéd- 
sèment  parce  que  ces  idées  et  ces  principes  sont  trop  avancés  pf^ut  l'Espagne  et 
ne  sont  pas  en  harmonie  avec  l'état  général  du  pays ,  la  mitiorité  qui  professe 
cette  politique  d'emprunt,  impatiente  de  réaliser  ses  idées,  est  iouJ9urs tentée 
de  devenir  violente  et  factieuse.  On  n'est  ni  impatient  ni  violent  lorsqu'on  sait 
qu'on  a  le  pays  derrière  soi ,  lorsqu'on  ne  doute  pas  d'un  prochain  succès. 
Sous  la  restauration,  Casimir  Périer  disait  aux  trois  cents  de  M.  de  Yillèle  : 
«  Nous  sommas  quinze  iei^  mm  nous  avons  le  pays  derrière  now;  «  ansm 
Casimir  Périer  et  sesanus-ne  ooDSpiraient  pas;  ils  attendaient,  et  n'attendirent 
pas  long^temps.  * 

Après  la  dispersien  complète  de  Tlnsurrection  cariiste,  le  parti  radical  en 
Espagne  deviendra  probablement  plus  exigeant  et  de  plus  en  plus  violent.  Le 
gouvernement  aura  besoin  de  fermeté,  d'habileté,  de  mesure.  Qu'il  sjb  garde 
surtout  de  mépriser  ses  adversaires.  Les  minorités  ont  si  souvent  bouleversé  et 
gouverné  le  monde! 

M.  Cousin  poursuit  le  cours  de  ses  paisibles  réformes  dan&  to  domaine  de 
l'enseignement.  .    *  ^. 

Une  ordonnance  royale  vient  de  créer  à  la  Faculté  de  Droit  de  Paris' UHk 
chaire  d'introduction  générale  à  l'étude  du  droit.  C'était  une  lacune  qu'il  M- 
portait  de  combler.  Ainsi  que  l'a  dit  le  ministre  dans  son  rapport  au  roi ,  ce 
cours  préliminaire  aura  pour  objet  d'orienter,  en  quelque  sorte,  les  jeunes  étu- 
dians  dans  le  labyrinthe  de  la  jurisprudence. 

U  a  été  aussi  décidé  qu'à  l'avenir,  soit  dans  les  examens ,  soit  dans  les  con- 
cours devant  les  facultés  de  droit ,  il  n'y  aura  plus  ni  argomeotationa  ni  leyg 
latines.  Pions  félicitons  M.  le  nûaiitse  de  riustrwthwi  publique  d'avoir  mis  fin 
à  un  usage  quiti'étaitft'mrnoyen  de  dissimuler  l'ignorance  et  de  paralyser 
le  savoir. 


Le  drame  de  ia  MarichalêtPjéneteyrtpréBmté  il  y  a  neuf  ans  à  fOdée», 
vient  d'être  repris  par  1»  ConédîO'Française.  On  a  pu  remarquer  dana  etfIXt 
œuvre,  dont  la  mis»  «ttscèiie  révèle  un  zèle  IcPuable,  foutes  lès  hautes  et  rurtt 
qualité  qui  distîBgnent  k  Saknt  de  M..  Alfred  M  Vlgviy.  Bien  ^u^Më  «en^ 
dance  instinctive  semUe^  eMialner  rauteiur'd1fîfoei:!vin<  lia'  oontenplatibii'el 
rél^e^  c'est  avec  une  8«périQrké4EéettevUfsvtile'vdcoiiiiiitre^qn^^ 


4MAiimtMfTéi^iai$itJMiim^yV\ïktéTtft^  dtamatiijiie  àé  PhlMolre. TOtlt 
«DT  avoiiant^noerf  rMémnètg  pour  -les  «evmrcs  da  poète  qui  relèveat  uniqoe- 
jiAeBt4e.ni^plff9tJi^B41^>gîaqu6  oiieoBttinplative,  nous  croyons  queee  éranie 
4'une  jpensée,  si  Jb^ute.,> d'yna  ^x^ution  si  sévère,  doit  prendre  rang  parmi 
les  plus  ipsportantes  ciréaUoas  de  M.  Alfred  de  Vigny.  Il  nous  suffira  «  pour 
appuyer  cette  opinion,  de  rappeler  rapidement  quels  matériaux  fournissait 
Thlstoire  et  quel  parti  Tauteur  en  a  su  tirer. 

Assuréitient  le  récit  des  historiens,  dans  sa  nudité  austère,  ne  lui  offrait  que 
^PkiiifffiSÉntès  ressomrbes.  11  s'agissait  de  la  chute  d'un  favori ,  d'un  ambitieux 
TVlgairtf;^  il  seittblait  qu'aucune  émotion  élevée  ne  pût  jaillir  du  spectade  de 
•CM  inlri|me9'mesqekies,  terminées  par  un  assassinat.  Pourtant  M.  de  Vigny 
a  su  întreduivedaBs  son  drame  un  noble  et  grave  enseignement.  Dans  ce 
meurtre  de  jCioi^Qi.«4ui  termine  la  minorité  de  Louis  XIII ,  ii  a  vu  l'expia- 
tion du  crime  de  Ra;vaillac,  qui  avait  amené  le  nouveau  règne  et  fondé  la  puis- 
sance passagère  du  favori.  Cette  donnée  philosophique  peut  s'appuyer  sur  des 
preuves.  Dans  une  des  notes  qui  accompagnent  son  drame,  M.  de  Vigny  cite 
quelques  passages  trouvés  dans  les  pièces  relatives  au  procc^  de  la  Gatigaï,  et 
d'après  lesquels  il 'est  permis  de  regarder  l'ambitieux  Italien  comme  le  com- 
plice de  Kavailfac.  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'exactitude  historique  de  cette  accu- 
sation portée  par  les  contemporains  contre  Concini ,  on  <  doit  i^edOAnaftre  qae 
le  souvenir  du  crime  de  Ravaillac,  habilement  amené  par  le  poète^  produit 
un  effet  saisissant.  Cette  pensée  de  l'expiation  une  fois  admise,  H  reste  à  voir 
comment  le  poète  Ta  développée.  C'est  automr  de  1^  figliive  mélancolique  et 
hautaine  de  Leonora  Galigaï  qu'il  a  groupé  ses* nombreux  personnages.  Si  on 
la  dégage  de  certains  détails  que  Fauteur  a  cru  nécessaires  pour  compléter 
son  tableau  historique,  l'action  est  fort  simple.  La  chute  de  la  maréchale  est 
le  véritable  et  unique  sujet  du  drame.  L'expiation  n'atteint  pas  seulement 
Concini,  elle  frappe  à  côté  du  lâche  ambitieux  une  femme  d'un  noble  et  ferme 
àâttiClète?  dès^ors  l'intérêt  s*éveille,  et  le  drame  devient  possible.  L'action 
s'engage  et  se  dénoue  en  deux  jours.  Cette  rapidité  de  l'action  est  le  seul  rap- 
port «|u^of(re  la  pièce  avec  les  créations  du  théâtre  classique.  L'auteur  n'a 
.^uv^ui^e^meot  cherché  à  réduire  les  proportions  de  Timmense  tableau  que  lui 
.offrait  l'histoire.  U  a  transporté  dans  son  drame  tout  le  mouvement,  toute  la 
variété  que  réclame  la  scène  moderne.  Peut-être  a-t-il  trop  multiplié  les  détails, 
peut-être  la  simplicité  du  sujet  disparatt-elle  un  peu  sous  Tabondance  des  carac- 
tères et  des  incidens.  M.  de  Vigny  n'a  fait  en  ceci ,  nous  le  savons,  que  suivre 
l'exemple  des  tragiques  étrangers;  mais  cet  exemple  ne  saurait  infirmer  notre 
objection ,  qui  reste  entièrement  fondée  au  point  de  vue  de  la  scène  française. 

M.  de  Vigny  avait  à  envisager  trois  faces  diverses  dans  le  personnage  de 
Leonora  Galigaï  :  lltalienne  dissimulée,  l'amante  et  la  mère.  Il  a  su  accorder 
avec  discernement,  à  chacun  des  aspects  de  ce  caractère,  l'attention  qu'il  mé- 
ritait. U  s'est  attaché  surtout  à  faire  ressortir  avec  vigueur  la  fermeté  mâle  et 
courageuse  de  l'épouse  de  Concini.  Il  a  indiqué ,  avec  une  rare  délicatesse ,  ce 
^réglait  de  la  faiblesse  et  des  superstitions^  de  la  feniuie> dans  ce  caractère 
fresçpte  iviviU  A  eété  de  la  maréGhale, fiorgiftctConoim  se  placent  comme 
jpoiHr  ^ciairerfCetteiiQp^^aDte. figure,  l'ufl  par  «ob  ^anow,  l'autre  par  son 
4iBiHliieiiw|C'esfi^u  GcwM  passionné  qu'appartient  le  ooeur  tendre  et  ardent  de 
f  ItftUfloi|e9<€f«atàJaaibitieuxif1oreQtiaquîeUéoéMaeÉiè  l'énergie  de  son  intel« 
JBgeifie  ctid0(»a  yohuité^  6e%4ctH8  iieiaollfliageBftaBeitt  le  groi^  principal  du 


iSf  BEVW.WHrWIlXilWWBS. 

Bhale,-B«rgit,  Coaeilli,  te-  rmewtf  km  pmnwtMaK 
foURHMiEe  d'IwbaUa  MoBti,  Ja  bmme  4e-torgift; 
iuif  Atootalto.  TimpaniMe  et  hawuipe  ainlMtiiB  4e 
iedu  flugiatrat  Dét^cant,  la.buMQM  pubiti  dn 
lance  et  la  légèreté  de  FiisM^w ,  iMitei  «es  imtBoeg, 
Dt  été  rendus  par  M.  de  Vigny  «ne  um  laietoiMD 
retrouve,  dans  les  plus  petits  AiUih  de  oes  tt^wM, 
Jet  traces  d'une  exécutioD  aériauw  et  puieite. 

Nous  croyons  inutile  de  raconter  laluoeqai  ^étabM«aflpe«eadiv«nfev- 
Bonnages.  L'arresutioa  du  prince  deCondé,  la  ffvoUedea  niMnms,  tefwais 
de  la  marécdale,  son  supplice ,  (udiieut  largemmià  rintéf^dfetmtUiiM  par- 
ties du  drame.  On  tait  quelle  terreur éieille  la  tcàaedu.duel,qMlt«taMi(w 
accueille  la  douleur  sombre  et  résignée  de  la  msséebalftffapoeiitrutnr  Je 
cbemin  du  bdcber  les  cadavres  de  son  mari  et  de  ion  amant.  Ce  sont  là  dw 
effets  qu'il  est  superflu  de  louer.  C'est  sur  le  mértte  de  la  forme  qne  notn 
croyons  surtout  devoir  appeler  FatteotioD  du  public,  trop  habitué  peot-étre 
aujourd'hui  à  n'estimer  que  le  mouvement  et  l'iiction.  Le  soin  qui  a  présidé  à 
la  conception ,  à  l'arrangement  des  penonno^ ,  se  retrouve  en  effet  dans  te 
style  Grâce,  vigueur,  coquetterie,  la  forme  de  la  Maréehatt  dÂ*ere  adie 
toutes  les  qualités  qui  distinguent  les  plus  durablescréaticHsdu  poète. 

Il  nous  reste  à  parler  de  l'inierprétation  des  acteurs.  M*"  Dorval  avait  une 
tâche  difBdIe  :  dans  le  earsctèpede  Ismaiéchale  d'Ancre,  il  n'f  a  pas  seulement 
la  tendresse  et  la  résipcnation  d'une  femme,  il  y  a  l'énergie  et  la  dignité 
qn'exige  une  haute  position  politique.  M*"  Dorval,  touchante  comme  toujouis 
dans  la  partie  passionnée  de  son  rAle,  a  moins  parfaitement  rendu  la  partie 
calme  et  sérieuse.  Ligier,  charrié  du  rAle  de  Borgia ,  n'a  point  eu  de  peine  à 
nndre  la  Iwusquerie  sauvage  du  montagnard  corse;  mais  tin'a  réussi  qn'im- 
parfailement  à  faire  ressortir  la  passion  ardente  et  tmfvDdeijni  subsiste  sous 
cette  rude  enveloppe.  Beauvaliet  n'a  été  h  l'aise  que  dans  les  parties  dn  rdle  de 
Coaoini  où  la  dissimulation  fait  place  à  la  colère.  Malgré  ces  imperfections, 
raehetéee  par  beaucoup  de  zèle  et  d'iotelligens  efforts,  le  publier  a  pu  étudier 
avec  intérêt  l'œuvre  qui  était  soumise  une  seconde  fois  a  son  jugement,  et  le 
beau  drame  de  H.  Alfred  de  Vigny  a  été  écouté  dans  tous  ses  développemeos 
avec  une  attention  et  une  curiosité  soutenues. 


—  La  biblîothèqne  Charpentier  s'enrichit  de  trois  charmans  volumes,  qui 
iifiirent,  réunies,  toutes  les  «uvres  de  H.  Alfred  de  Musset:  X' La  Con/esiion 
ffun  Enfant  du  Siècle,  revue  et  corrigée  avec  le  godt  que  l'auteur  apporte 
lUsormais  à  tout  ce  qu'il  écrit;  t°  tes  Comédies  et  Proverbes  en  prose;  S°  les 
Poéwes  complètes.  Ce  dernier  volume  surtout,  par  ce  qu'il  reproduit  de  si 
agréablement  connu,  et  par  ce  qu'il  ajoute  d'inédit,  est  un  vrai  cadeau  pour 
le  public.  De  tous  lespoètesqui  se  rattadient  au  mouvement  littéraire  de  ISM, 
M.  Alfred  de  Musset  fut  le  plus  jeune ,  le  plus  liardi  et  le  plus  fringant  dés 
Pabord;  il  entra  dans  le  sanctutiire  lyrique  tout  éperonné  et  par  la  fenêtre,  je  le 
croîs  bien.  11  chantait,  comme  Chérubin,  quelque  espiègle  chanson,  son 
•^ndo/ouxfi  ou  sa  .Var^uiM,-  il  avait  faitenrs^r  le  guet  avec  sa  lune  comme 
«K  point  sur  uni.  Le  lyrisme  de  cette  époque  éiait  un  peu  sQteoBel,voleatier8 
religieux,  pompeux  comme  un  Te  Oetcn ,  ou  sentimental.  H.  de  Musset  lui  fit 
d'emblée  quelque  déeliirure:  ilosaaTOir  deratprit,  néHW  a«eoun  Mn4e 


seandalé.  Beptiîs  VoHaM,  tm  a  trop* oublié  Fesprlt  en  poésie;  M.  èe  Musset 
laî  refit  une  lai^e  part;  avec  cela ,  îl  eut  encore  ce  qu'ont  si  peu  nos  poètes 
modernes,  la  passion.  Dtfta  passion  et  de  Pesprit,  voilà  donc  son  double  lot 
dans  ses  charmons  contes,  dans  ses  petits  drames  pétiliaos  et  colorés.  Il  est  sdr 
de  vivre  par  là  entre  tous  les  poètes  ses  contemporains  ou  quelque  peu  ses  aînés. 
Sa  NuU  de  Mat  restera  un  des  plus  touchans  et  des  plus  sublimes  cris  d'un 
jeune  cœur  qui  déborde ,  un  des  plus  beaux  témoignages  de  la  moderne 
muse.  Le  Lac ,  Moïse,  Ce  qu'on  eiuàui  sur  la  montagne,  la  NuU  de  Mai,  voilà 
eoaune  de  toro ,  j'imagine ,  la  po^rîté ,  ce  grand  pasteur  au  regard  sommaire, 
et  qui  nef  oit  que  les  cimes,  énumérera  les  princes  des  poètes  de  ce  temps. 
Après  ce  qu'il  a  ftnt,  A.  de  Musset  est  resté  noodeste;  il  ne  s'exagère  point  la 
grandeur  de  son  œuvre,  il  s'en  dissimule  trop  peut-être  le  côté  délicieux  et 
captivant;  peu  soucieux  de  Tavenir,  il  dit  pour  toute  préface  au  lecteur  : 

Ce  liwe  est  toute  ma  jeunesse; 
Je  Tai  fait  sans  presque  y  songer. 
Il  y  parait ,  je  le  confesse , 
Et  j'aurais  pu  le  corriger. 

Msfis quand  Fbomme change  sans  cesse. 
Au  passé  pourquoi  rien  changer? 
Va-t'en ,  pauvre  oiseau  passager. 
Que  Dieu  te  mène  à  ton  adresse  f 

Qui  que  tu  sois,  qui  me  liras, 
Lis-en  le  plus  que  tu  pourras, 
£t  ne  me  condamne  qu'en  somme. 

Mes  prenùen  ven  sont  d'un  enIsMit, 
Les  seconds  d'un  adolescent , 
Les  derniers  à  peine  d'un  homme. 

Ce  naturel-là,  qui  est  un  diarme,  ne  doit  pas  aller  pourtant  jusqu'au  décou- 
ragement intérieur  et  à  la  négligence  de  si  beaux  dons.  Au  moment  où  les  fruits 
sont  le  plus  parfaits  et  le  plus  savoureux,  il  ne  faut  pas  ^e  l'arium  se  dégoûte 
d'en  produire.  L'idéal  suprême,  à  l'instant  où  on  le  déoeavre,  fait  tomber  le 
ciseau  des  mains  de  l'artiste,  mais  il  le  reprend  bientôt,  et  poursuit  plus  lent 
et  plus  sûr,  ne  perdant  plus  de  Fœil  la  grande  beauté.  M.  de  Mwset  fera  ainsi; 
les  trésors  d'observation  et  de  larmes  qui  se  sont  amassés  dans  cette  ame 
jeune  encore  en  sortiront.  Voici,  en  attendant,  et  comme  signe  de  bien 
gracieuse  espérance ,  deux  pièces  inédites  que  nous  empruntons  au  dernier 
recueil ,  l'une  plus  tendre ,  l'autre  plus  légère  %  et  toutes  deux  sensibles. 

Pâle  étoile  du  soh-,  messagère  lointaine, 

Dont  le  front  soLt  briirant  des  voiles  du  couchant; 

De  ton  palais  d'azur,  au  sein  du  firmament, 

Que  regardes-tu  dans  la  plaine? 
La  tempête  s'éloigne ,  et  les  vents  sont  calmés. 
La  forêt,  qui  frémit,  pleure  sur  la  bruyère; 
Le  phalène  doré ,  dans  sa  course  l^ère , 

'  Tt-avèrse  les  prés  embaumés. 

Que  cberches4u  sur  la  terre  endormie? 


taMefHi.  ))emèralaiiiaréobale»fiwgia«  Goaeioi^  m  raiigiot  tonwrinpmgnH 
secondaires.  La  jalousie  fougMeuse  d'IsaheUa  Monti,  J«  femme  4e  rMrgîft; 
,ravarice  et  rbumilîté  du  juif  Moataito«  riaspassiMe  et  baMlaîné  ambiin  4a 
M.  de  Luynes,  Thypocrisie  du  magitfrat  I>éac9eiint^  ia.bnaïQiia  pipbîlé  da 
bourgeois  Picard,  la  pétulance  et  la  légèreté  de  Fiesque,  toules  «as  tmmuemj 
tous  ces  types  si  divers  ont  été  rendus  par  M.  de  Vigny  avec  use  aaMteeaa^ 
et  une  parfaite  vérité.  On  retrouve,  dans  les  plus  petits  détails de^ea-llgaiea, 
les  traces  d'une  exécution  sérieuse  et  patieate. 

Nous  croyons  inutile  de  raconter  la  lutte  qui  s'étafa*^  «rtre  «es  divm  per- 
sonnages. L'arrestationdu  prinee  de  Coudé,  la  révoUedes  néestnftNW,  kfBpoàs 
de  la  maréchale ,  son  supplice ,  suffisent  largeaicnt  à  Tiatéeéli de-toutes  ias  par- 
ties du  drame.  On  sait  quelle  terreur  éveille  la  scène  4u  .duel ,  «p»lle  énelMm 
■aeeueille  la  douleur  sombre  et  résignée  de  la  mayéebakfiPeaQtraaKar  Je 
chemin  du  bûcher  les  cadavres  de  son  mari  et  de  son  amant.  Ce  sont  là  des 
efiets  qu'il  est  superflu  de  louer.  (Test  sur  le  mérite  de  la  forme  que  nous 
croyons  surtout  devoir  appeler  Pattention  du  public,  trop  habkué  peiit«étre 
avyourd*luii  à  n'estimer  que  le  mouvement  et  Tiictien.  Le  soin  qui  a  préaidé  a 
Ja  OQueeption ,  à  l'arrangement  des  personnoges ,  se  retrouve  en  effet  dans  le 
style  Grâce,  vigueur,  coquetterie,  la  forme  de  la  Mmréchmie  d^ Ancre  offine 
toutes  les  qualités  qui  distinguent  les  plus  durables  créaticn&du  poète. 

Il  nous  reste  à  perler  de  l'interprétation  des  acteurs.  M**  Dorval  avait  une 
tâche  difiidle:  densleearactèpede  lamaréchale  d'Ancre,  il  n'y  a  pas  seulement 
la  tendresse  et  la  résignation  d'une  femme,  il  y  a  l'énergie  et  la  dignité 
qu'exige  une  haute  position  politique.  M*"'  Dorval,  touchante  comme  toujoure 
dans  la  partie  passionnée  de  son  rôle,  a  moins  parfaitement  rendu  la  partie 
calme  et  sérieuse.  Ligier,  chargé  du  rôle  de  Borgia ,  n'a  point  eu  de  peine  à 
lendre  la  brusquerie  sauvage  du  montagnard  oorae;  mais  H' n'a  réussi  qu'in»- 
parfaitement  à  faire  ressortir  le  passion  ardente  et  profiaode  qui  subsiste  sous 
cette  rude  enveloppe.  Beauvaliet  n'a  été  à  l'aise  que  dans  Je& parties  du  r^de 
Conoini  où  la  dissimulation  fait  place  à  la  colère.  Malgré  ces  imperfections, 
rachetées  par  beaucoup  de  zèle  et  d'intelligens  efforts,  le  public  a  pu  étudier 
avec  intérêt  rceuvre  qui  était  soumise  une  seconde  fois  à  son  jugement,  et  le 
beau  drame  de  M.  Alfred  de  Vigny  a  été  écouté  dans  tous  ses  développemeos 
avec  une  attention  et  une  curiosité  soutenues. 

—  La  bibliothèqve  Charpentier  s'enrichit  de  trois  charmans  volumes,  qui 
nfiEirent,  réunies ,  toutes  les  œuvres  de  M.  Alfred  de  Musset:  V La  Confession 
(Tun  Enfant  du  Siècle,  revue  et  corrigée  avec  le  goût  que  l'auteur  apporte 
désormais  à  tout  ee  qu'il  écrit;  T  les  Comédies  et  Proverbes  en  prose;  8*"  les 
Poésies  complètes.  Ce  dernier  volume  surtout,  par  ce  qu'il  reproduit  de  si 
agréablement  connu ,  et  par  ce  qu'il  ajoute  d'inédit,  est  un  vrai  cadeau  pour 
le  public.  De  tous  les  poètes  qui  se  rattadientau  mouvement  littéraire  de  1896 , 
M.  Alfred  de  Musset  fut  le  plus  jeune ,  le  plus  hardi  et  le  plus  fringant  dès 
Pabord;  il  entra  dans  le  sanctuaire  lyrique  tout  éperonné  et  par  la  fonétre,  je  le 
crois  bien.  Il  chantait,  comme  Chérubin,  quelque  espiègle  chanson,  son 
AfukUouse  wx^  Marquise  ;  il  avait  fait  enrager  le  guet  avec  sa  lune  comme 
un  point  sur  un  i.  Le  lyrisme  de  cette  époque  était  un  peu  solennel,  volontiers 
religieux ,  pompeux  comme  un  Te  Deum ,  ou  sentimental.  M.  de  Musset  lui  fit 
d'emblée  quelque  déchirure  :  il  osa  avoir,  de  l'esprit,  même  avec  un  brin  de 


«eân^le.  Beptiis  VoHalrè,  <m  a  trop  ovMè  Pesprlt  en  poésie;  M.  dt  Musset 
kif  refit  une  large  part;  avec  cela ,  îl  eut  encore  ce  qu'ont  si  peu  nos  poètes 
modernes,  la  passion.  Delà  passion  et  de  Pesprit,  voilà  donc  son  double  lot 
dans  ses  channans  contes ,  dans  ses  petits  drames  pétillans  et  colorés.  Il  est  sdr 
de  vivPB  par  là  entre  tous  (es  poètes  ses  contemporains  ou  quelque  peu  ses  atnés. 
Sa  Nuii  de  Mat  restera  un  des  plus  touchans  et  des  plus  sublimes  cris  d'un 
jeune  coeur  qui  déborde ,  an  des  plus  beaux  témoignages  de  la  moderne 
muse.  Le  Lac ,  MoUe,  Ce  qu*ott  entmd  awr  la  montagne,  la  Nuit  de  Mai,  voilà 
eonune  de  loin ,  j'imagine ,  la  po£ttérité ,  ce  grand  pasteur  au  regard  sommaire, 
«t  «[ui  ue  Toît  que  les  cime&,  énumérera  les  princes  des  poètes  de  ce  temps. 
Après  ce  qnMl  a  ftrit,  A.  de  Musset  est  resté  modeste;  Il  ne  s'exagère  point  la 
fprandeur  de  son  oeuvre,  Il  s'en  dissimule  trop  peut-être  le  côté  délicieux  et 
captivant;  peu  soucieux  de  Tavenir,  il  dit  pour  toute  préface  au  lecteur  : 

Ce  livre  est  toute  ma  jeunesse; 
Je  Fal  fait  sans  presque  y  songer. 
Il  y  parait,  je  le  confesse. 
Et  j'aurais  pu  le  corriger^ 

Mais  quand  l'bomme  change  sans  cesse , 
Au  passé  pourquoi  rien  changer? 
Va-t'en ,  pauvre  oiseau  passager. 
Que  Dieu  te  mène  à  ton  adresse  f 

Qui  que  tu  sois,  qui  me  liras, 
Lis-en  le  plus  que  tu  pourras. 
Et  ne  me  condamne  qu'en  somme. 

Mes  premieis  ven  sont  d'un  enlsMit^ 
Les  seconds  d'un  adolescent , 
Les  derniers  à  peine  d'un  homme. 

Ce  naturei-là,  qui  est  un  dianne,  ne  doit  pas  aller  pourtant  jusqu'au  décou- 
ragement intérieur  et  à  la  négligence  de  si  beaux  dons.  Au  moment  où  les  fruits 
sont  le  plus  parfaits  et  le  plus  savoureux,  il  ne  faut  pas  ^e  l'arium  se  dégoûte 
d'en  produire.  L'idéal  suprême,  à  l'instant  où  on  le  déoMine,  fait  tomber  le 
ciseau  des  mains  de  l'artiste,  mais  il  le  reprend  bientôt,  et  poursuit  plus  lent 
et  plus  sûr,  ne  perdant  plus  de  Foeil  la  grande  beautés  M.  de  Mwset  fera  ainsi; 
les  trésors  d'observation  et  de  larmes  qui  se  sont  amassés  dans  cette  ame 
jeune  encore  en  sortiront.  Voici,  en  attendant,  et  comme  signe  de  bien 
gracieuse  espérance ,  deux  pièces  inédites  que  nous  empruntons  au  dernier 
recueil ,  l'une  plus  tendre ,  l'autre  plus  légère ,  et  toutes  deux  sensibles. 

Pttle  étoile  du  soir,  messagère  lointaine , 

Dont  le  front  sort  brilfant  des  voiles  du  couchant; 

De  ton  palais  d'azur,  au  sein  du  firmament, 

Que  regardes-tu  dans  la  plaine? 
La  tempête  s'éloigne ,  et  les  vents  sont  calmés. 
La  forêt,  qui  frémit,  pleure  sur  la  bruyère; 
Le  phalène  doré ,  dans  sa  coursé  l^ère , 

'  Traverse  les  prés  embaumés. 

Que  cherches-tu  sur  la  terre  endormie? 


taMefHi.  {tenière  la  iiiaréobaie^fiw|pa«  CoocioU  m  ymgpat  ht  fwrjnimjHH 
secondaires.  La  jalousie  foiigMeuse  d'IiaheUa  MoptifJa  fenwie4erBtrgift; 
Favarice  et  rbuniilîté  du  juif  Mootalto«  riaipaiisiWe.  et  biwliiifié  amMîa»  4e 
M.  de  Luynes,  Thypocrisie  du  oiagifllrat  I>éac9eiint^  la.hKUiQii»  fuibtié  da 
bourgeois  Picard,  la  pétulance  et  la  légèreté  de  FieMiue*  toules  «as  tmmuemj 
tous  ces  types  si  divers  ont  été  rendus  par  M.  de  Vigny  »f«c  use  aaMteene 
et  une  parfaite  vérité.  On  retrouve,  dans  les  plus  petits  détails  de.«es  llgaiea, 
les  traces  d'une  exécution  sérieuse  et  patieate. 

Nous  croyons  inutile  de  raeonter  la  lutte  ^a\  s*étafa*^  «rtre  «es  divmfe»- 
sonnages.  L'arrestation  du  prince  de  Condé,  la  révoUedes  néestnftNW,  kfBpoàs 
delà  maréchale,  son  supplice,  suffisent  largement  à  rifttc«jfedeitoiileaisa  par- 
ties du  drame.  On  sait  quelle  terreur  éveille  la  scène  4u  .duel ,  qmM  éÊMiàm 
accueille  la  douleur  sombre  et  résignée  de  la  œaiéebal^mieeotraat^arie 
chemin  du  bûcher  les  cadavres  de  son  mari  et  de  son  amant.  Ce  sont  là  des 
effets  qu'il  est  superflu  de  louer.  C'est  sur  le  mérite  de  la  forme  que  bous 
croyons  surtout  devoir  appeler  Pattention  du  public,  trop  hebilué  peiit«étre 
avyourd'bui  à  n'estimer  que  le  mouvement  et  l'uctien.  Le  soin  qui  a  présidé  à 
Ja  OQneeption ,  à  l'arrangement  des  personnages ,  se  retrouve  en  effet  dans  le 
style  Grâce ,  vigueur,  coquetterie,  la  forme  de  la  Mmréchate  d'ancre  offine 
toutes  les  qualités  qui  distinguent  les  plus  durable»  créati^nsdu  poêle. 

Il  nous  reste  à  parler  de  l'interprétation  des  acteurs.  M**'  Dorval  avait  une 
tâche  difficile  :  dans  le  earactèpede  la  maréchale  d'Ancre,  il  n'y  a  pas  seulement 
la  tendresse  et  la  résignation  d'une  femme,  il  y  a  l'énergie  et  la  dignité 
qu'exige  une  haute  position  politique.  M*"'  Dorval,  touchante  comme  toujouis 
dans  la  partie  passionnée  de  son  rôle,  a  moins  parfaitement  rendu  la  partie 
calme  et  sérieuse.  Ligter,  chargé  du  rôle  de  Borgia ,  n'a  point  eu  de  peine  à 
lendre  la  brusqu^ie  sauvage  du  montagnard  corse;  mais  il*  n'a  réussi  qu'im- 
parfaitement à  faire  ressortir  le  passion  ardente  et  profonde  qui  subsiste  sous 
cette  rude  enveloppe.  Beau valiet  n'a  tâé  à  l'aise  que  dans  Jes  parties  du  r^de 
•Goncîni  où  la  dissimulation  fait  place  à  la  colère.  Malgré  ces  imperfections, 
rachetées  par  beaucoup  de  zèle  et  d'intelligens  efforts,  le  public  a  pu  étudier 
avec  intérêt  Pœuvre  qui  était  soumise  une  seconde  fois  à  son  jugement,  et  le 
èeau  drame  de  M.  Alfred  de  Vigny  a  été  écouté  dans  tous  ses  développemeos 
avec  une  attention  et  une  curiosité  soutenues. 

—  La  bibliothèque  Charpentier  s'enrichit  de  trois  charmans  volumes,  qui 
nfiEirent,  réunies ,  toutes  les  œuvres  de  M.  Alfred  de  Musset:  V  La  Confession 
dtun  Enfca/U  du  Siècle ,  revue  et  corrigée  avec  le  goût  que  l'auteur  apporte 
désormms  à  tout  ee  qu'il  écrit;  T  les  Comédies  et  Proverbes  en  prose;  8*"  les 
Poésies  complètes.  Ce  dernier  volume  surtout,  par  ce  quil  reproduit  de  si 
agréablement  connu,  et  par  ce  qu'il  ajoute  d'inédit,  est  un  vrai  cadeau  pour 
le  public.  De  tous  les  poètes  qui  se  rattachent  au  mouvement  littéraire  de  1896 , 
M.  Alfred  de  Musset  fut  le  plus  jeune ,  le  plus  liardi  et  le  pkis  fringant  dès 
Pabord;  il  entra  dans  le  sanctuaire  lyrique  tout  éperonné  et  par  la  fenêtre,  je  le 
crois  bien.  Il  chantait,  comme  Chérubin,  quelque  espiègle  chanson,  son 
i4nd€Uous€WXsai  Marquise;  il  avait  fait  enrager  le  guet  avec  sa  lune  comme 
unpoùUsur  un  i.  Le  lyrisme  de  cette  époque  était  un  peu  soleooel,  volontiers 
religieux ,  pompeux  comme  un  Te  Deum ,  ou  sentimental.  M.  de  Musset  lui  fit 
d'emblée  quelque  déchirure  :  il  osa  avoir,  de  l'esprit,  même  av^  un  brin  de 


seanéale.  Beptiid  Voltaire,  xm  a  trop  ov^M  Pesprît  en  poésie;  M.  ée  Musset 
kii  refit  mie  large  part;  avec  cela ,  îl  eut  encore  ce  qu'ont  si  peu  nos  poètes 
modernes,  la  passion.  De  la  passion  et  de  Pesprit,  voilà  donc  son  double  lot 
dans  ses  charmans  contes ,  dans  ses  petits  drames  pétillans  et  colorés.  II  est  sdr 
de  vivre  par  là  entre  ums  ks  poètes  ses  contemporains  ou  quelque  peu  ses  aînés. 
Sa  NuU  de  Mai  restera  un  des  plus  touchans  et  des  plus  sublimes  cris  d'un 
jeune  cœur  qai  déborde ,  an  des  plus  beaux  témoignages  de  la  moderne 
muse.  Le  Lac,  MoUe,  Ce  qû'oneiuàuiêur  la  montagne,  la  NuU  de  Mai,  voilà 
oomaie  de  loin ,  j'imagine ,  la  postérité ,  ce  grand  pasteur  au  regard  sommaire, 
«t  «[ui  ne^t  que  les  cime&,  énumérera  les  princes  des  poètes  de  ce  temps. 
Après  ce  qn'il  aftrit,  A.  de  Musset  est  resté  modeste;  il  ne  s'exagère  point  la 
fprandeur  de  son  œuvre,  il  s'en  dissimule  trop  peut-être  le  côté  délicieux  et 
captivant;  peu  soucieux  de  favenir,  il  dit  pour  toute  préface  au  lecteur  : 

Ce  livre  est  toute  ma  jeunesse; 
Je  Tai  fait  sans  presque  y  songer. 
Il  y  parait,  je  le  confesse, 
Et  j'aurais  pu  le  conrigor^ 

Mais  quand  l'homme  change  sans  cesse. 
Au  passé  pourquoi  rien  changer? 
Va-t'en ,  pauvre  oiseau  passager, 
Que  Dieu  te  mène  à  ton  adresse  f 

Qui  que  tu  sois,  qui  me  liras, 
Lis-en  le  plus  que  tu  pourras. 
Et  ne  me  condamne  qu'en  somme. 

Mes  premieis  ven  sont  d  nn  eniant^ 
Les  seconds  d'un  adolescent , 
Les  derniers  à  peine  d'un  homme. 

Ce  naturei-là,  qui  est  un  diarme,  ne  doit  pas  aller  pourtant  jusqu'au  décou- 
ragement intérieur  et  à  la  négligence  de  si  beaux  dons.  Au  moment  où  les  fruits 
sont  le  plus  parfaits  et  le  plus  savoureux ,  il  ne  faut  pas  ^e  l'arbre  se  dégoûte 
d'en  produire.  L'idéal  suprême,  à  l'instant  où  on  le  déooafrs,  fait  tomber  le 
ciseau  des  mains  de  l'artiste,  mais  il  le  reprend  bientôt,  et  poursuit  plus  lent 
et  plus  sûr,  ne  perdant  plus  de  Fœil  la  grande  beautés  M.  de  Mwset  fera  ainsi; 
les  trésors  d'observation  et  de  larmes  qui  se  sont  amassés  dans  cette  ame 
jeune  encore  en  sortiront.  Voici,  en  attendant,  et  comme  signe  de  bien 
gracieuse  espérance ,  deux  pièces  inédites  que  nous  empruntons  au  dernier 
recueil ,  l'une  plus  tendre ,  l'autre  plus  légère ,  et  toutes  deux  sensibles. 

Pttle  étoile  du  son*,  messagère  lointaine. 

Dont  le  front  sort  brillant  des  voiles  du  couchant; 

De  ton  palais  d'aztir,  au  sein  du  firmament. 

Que  regardes-tu  dans  la  plaine? 
La  tempête  s'éloigne ,  et  les  vents  sont  calmés. 
La  forêt ,  qui  frémit ,  pleure  sur  la  bruyère; 
Le  phalène  doré ,  dans  sa  course  légère , 

'  Traverse  les  prés  embaumés. 

Que  cherches-tu  sur  la  terre  endormie? 


180  BBYUB  DBS  DEUX  MOtOHES. 

Mais  déjà  vers  les  monts  je  te  vois  f  abaisser, 
Tu fiiis  en  souriant,  mélancolique  amie, 
Et  ton  tremblant  regard  est  près  de  s^effsoer. 

Étoile  qui  descends  sur  la  verte  colline. 
Triste  larme  d*argent  du  manteau  de  la  nuit. 
Toi  que  regarde  au  loin  le  pâtre  qui  chemine. 
Tandis  que  pas  à  pas  son  long  troupeau  le  suit; 
Étoile,  où  f  en  vas-tu  dans  cette  nuit  immense? 
Cherches-tu  sur  la  rive  un  lit  dans  les  roseaux? 
Ou  t'en  vas-tu  si  belle,  à  Theure  du  silence. 
Tomber  comme  une  perle  au  sein  profond  des  eaux? 
Ah  !  si  tu  dois  mourir,  bel  astre,  et  si  ta  télé 
Va  dans  la  vaste  mer  plonger  ses  blonds  cheveux , 
Avant  de  nous  quitter,  un  seul  instant  arrête; 
Étoile  de  Tamour,  ne  descends  pas  des  cieux  ! 

CHANSON. 

Tai  dit  à  mon  cœur,  à  mon  faible  coeur  : 
N'est-ce  point  assez  d^aimer  sa  maîtresse? 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse, 
Cest  perdre  en  désirs  le  temps  du  bonheur? 

Il  m'a  répondu  :  Ce  n'est  point  assez , 
Ce  n'est  point  assez  d'aimer  sa  maîtresse  ; 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse 
Nous  rend  doux  et  chers  les  plaisirs  passés? 

Tai  dit  à  mon  coeur,  à  mon  faible  coeur  : 
N'est-ce  point  assez  de  tant  de  tristesse? 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse , 
Cest  à  chaque  pas  trouver  la  douleur? 

Il  m'a  répondu  :  Ce  n'est  point  assez. 
Ce  n'est  point  assez  de  tant  de  tristesse  ; 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse 
Nous  rend  doux  et  chers  les  chagrins  passés? 


Dans  Tarticle  de  M.  Sainte-Beuve  sur  Loyion,  Pohmius  et  De  Loy,  inséré 
au  dernier  n»,  la  phrase  qui  comuience  le  paragraphe,  vers  le  milieu  de 
la  page  1035 ,  doit  être  rétablie  ainsi  :  «  Il  serait  injuste  d^environner 
d'un  trop  grand  appareil  de  critique  Tœuvre  posthume  et  véritablement 
aimable  d'un  poète  mort  sans  rien  d'amer  et  qui  a  vécu  si  malheureux.  » 


1 


V.  DE  MABS. 


éÊÈi 


CABRERA. 


mia0^0^ 


De  tous  les  hommes  que  la  guerre  civile  espagnole  a  mis  en  lu- 
mière, il  n*en  est  pas  qui  ait  donné  lieu  à  des  jugemens  plus  contra- 
dictoires que  Cabrera.  Pour  les  uns,  c*est  un  héros;  pour  les  autres, 
ce  n'est  qu*un  misérable  mairaiteur.  Des  deux  côtés,  il  y  a  eu  exa- 
gération et  esprit  de  parti  :  Cabrera  n*est  réellement  ni  un  Napoléon 
ni  un  Mandrin.  Il  a  commencé,  il  est  vrai,  comme  un  voleur  de  grand 
chemin  ;  mais  il  aurait  6ni  comme  un  grand  homme ,  si  la  cause  de 
don  Carlos  av^it  triomphé.  Son  nom  a  eu  beaucoup  d*éclat,  mais 
sa  véritable  histoire  est  peu  connue;  les  détails  positifs  ont  toujours 
manqué  sur  celle  de  ses  actions  qui  ont  fait  le  plus  de  bruit.  On 
sait  que  les  événemens  se  présentent  souvent  en  Espagne,  faute 
d'informations  précises,  sous  une  forme  confuse,  mystérieuse,  et 
comme  des  énigmes  dont  le  temps  peut  donner  le  mot.  Le  carac- 
tère de  Cabrera  est  encore  un  de  ces  mystères;  ce  qui  passe  le  plus 
pour  certain  sur  ce  sujet  est  faux  ou  du  moins  fort  exagéré.  Main- 
tenant que  sa  carrière  politique  est  Gnie  et  que  le  jour  de  la  vérité 
est  venu  pour  lui ,  nous  avons  cru  qu'il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de 
tracer,  sur  des  Venseignemens  authentiques  et  inédits ,  une  esquisse 
fidèle  de  sa  vie. 

Don  Ramon  Cabrera  est  né  à  Tortose,  en  1809  ;  il  a  maintenant 
trente-un  ans.  Ses  parens  étaient  de  pauvres  marins.  Son  éducation 
fat  d'abord  celle  de  tous  les  enfans  de  sa  classe  en  Espagne.  Il  passa 
ses  premières  années  à  jouer  au  bord  de  l'Èbre  et  dans  les  rues  de 
Tortose,  avec  la  liberté  illimitée  d'un  jçune  sauvage.  Quand  il  fut  un 

TOME  XXIII.  —  15  JUILLET  1840.  12 


lettre  et  c^cbttchfir  Tesprit  ainsi  que  les.  qrM;if^ï»^dQ,^>grt^ 
AÎBOQS  seulement  que  nul  ne  songe  à  enlever  à  la  ç^aa^re.^^l^yq,ce  qu'elle 
regarde,  sur  le  fondement  d'une  pratique  diÇ;yiogt-çfnq,^,  qoqmne.un.  de  ses 
droits ,  eonune  sa  prérogative  la  plus  împortapta.  Çfs^  u^e  yoie  où  la  chambre 
des  pairs  ne  voudrait  pas,  et  avec  raison ,  s'engager;  c'e^^'affaibllr  que  d'user 
ses  farces  à  saisir  des  droits  contestables.  La  chambre  des  paijrs  yeut  maintenir, 
avec  la  vigueur  et  la  dignité  qui  lui  appartienoept,  se^,j;Mrérpgatives  recon- 
nues ,  ses  droits  ipcontestés. 

L'état  des  partis  ne  s'est  pas  modifié  dans  la  quinzaine  qi^i.vient  de  a'éconler. 
Les  députés  rentrant  dans  leurs  foyers,  commence  ma}nmoan^  ce  travail  local, 
cette  communication  intime  entre  le  député  et  ses  élçc^eui^  dpnt  il  est  tou- 
jours difficile,  même  aux  plus  habiles,  de  prévoir  tout^  1^  cof^séquences  avec 
quelque  exactitude.  Les  députés  qui  ont  interrompu  leurs  longues  habitudes 
ministérielles,  comme  les  députés  de  la  vieille  opposition  qui  prêtent  am'our- 
4'bui  leur  appui  au  ministère,  auront  à  s'expliquer  aveclei^rs  commettans. 
Ici  te  df^uté-cpnvaincra  les  électeurs  de  la  sagesse  de  sa  conduite;  ailleurs  les 
électours?r^iont.peu;Mtre  sur  le  député. 

Au  surplus ,  les  députés  qui  ont  soutenu  le  ministère  pourront  parler  avec 
quelque  oi;gueil:  de^  réi^tats  de  la  session.  Des  lois  importantes  vont  donner 
nnenouvelleimpuL^aà  la  prospérité  matérielle  du  pays.  La  navigation  inté- 
rieure perfectionnée,  l'exploitation  du  sel  ramenée  partout  au  droit  commun,  les 
chemins  de  fer  en  voie  d'exécution  soutenus,  et  de  nouvelles  entreprises  auto- 
risées, aidées,  encouragées;  la  question  des  sucres  terminée  d'une  manière 
équitable;  le  grand  établissement  de  la  Banque  de  France  mis  àî  même,  par  la 
certitude  de  son  avenir,  de  rendre  au  commerce  des  services  de  plus  en  plus 
importans;  enfin  nos  relations  commerciales  avec  le  ^ouve^u-Mo^de  secon- 
dées et  étendues  par  plusieurs  lignes  de  paquebots  transatlantiques  :  ce  sont  là 
des  faits  importans  qui  honorent  cette  session  et  témoignent  de  l'aetiv^  habi- 
leté du  cabinet  qui  a  pu ,  dans  le  peu  de  temps  que  lui  ont  laissé  les  discus- 
sions politiques  et  les  difficultés  de  tout  début,  imprimer  aux  affaires  une  si 
puissante  impulsion. 

Nous  sommes  convaincus  que  la  chambre  des  pairs  n'hésitera  pas  à  donner 
son  suffrage  aux  projets  que  le  ministère  lui  a  présentés  en  dernier  lieu. 

En  rejetant  le  remboursement  de  la  rente,  malgré  le  vote  réitéré  de  l'autre 
chambre  et  les  efforts  du  ministère,  comme  en  confirmant  à  une  très  grande 
majorité  le  privilège  de  la  Banque,  malgré  l'opposition  presque  unanime  de 
la  presse,  la  chambre  a  suffisamment  prouvé  que  rien  ne  peut  la  détourner  de 
ce  qui  lui  paraît  bon»  utile,  équitable.  Pïous  nous  plaisons  à  rendre  hommage 
à  son  indépendante,, quelle  que  sol^  d'ailleii^  notre  opinion  sur  la  question 
de  la  rente. 

Le  mêmesentiiBeHt  d'indépendance  lui  fera  adopter  des  lois  que  le  pi\ys 
attend  avec  unC' juste  îa^patiençe.  On  aura  bea\^  lui  dire  i^^M  ^épa^  des 
députés  lui  6te  topte  liberté,  qu,'on  a  voulu  la  J)iaflçr  sôu^.^  joy^  die;  ^çéçes- 

Mi  La  ^îhambro  sait  qu'a  i^'^ç^  rifiihiqijf  ij^s;^,p^4fSWfi^^ 


mgnpB  ~  CHfteaflQPE.  ^  tTi 

eo  «meii^aiit  le  budget, muI  Htoyea  ^u'elie  auBaît  é%  comraiAdiiek  cbanèce 
des  dépotés  à  veppeadce  eesséanees,  ette  ûôtnytre  este  deuigrank^^etti- 
voîn  de  Tétat  «ne  de  ees  luttes  qui  ae  se  jastifienl  ^«e  far  nae  néoMsilé 


Sans  doute  c'est  là  le  gummwmjus,  et  la  ebaBibre  des  pain  oedevcait  pas 
liésiter  à  l'appliquer  le  jour  où  il  lui  serait  démoiitré  que  c'est  4à  le  seul  iBoyea 
•êe  rétaUir  F^q^j^rf^  Û  aenut  alois  par  tiop  iodi^ue  de  la  cMp^  de  borner 
son  ressentiment  à  dès  comptaintes  annuelles,  oom^aimes  que  leur  retour 
périodique  et  toujours  ineffîcace  œ  larderait  pas  à  rendre  ooœplètenieat  ridi- 
cules. 

Heureusement  il  est  plus  d'un  moyen  que  le  ministère  peut  employer  pour 
rendre  aux  travaux  des  deux  chambres  leur  cours  simultané  et  régulier,  et  il 
n'est  pas  douteux  pour  nous  que  le  cdi>inet  ne  cherche  .sérieusement,  dès  la 
session  prochaine,  à  résoudre  la  difficulté. 

On  peut  faoilemeitf  distribuer  le  travail  entre  les  deux  chambres  d'une  ma- 
nière plus  égale.' 

Il  y  a  lieu  d'examiner  si  Ton  ne  pounaitpas  dianger  l'année  financière  de 
manière  que  les  chambres  pussent  au  besoin  ne  délibéra  définitivement  sur 
Je  budget  présenté  dans  le  cours  de  la  session  qu'au  commencement  de  la 
session  suivante. 

Il  y  a  aussi  lieu  d'examiner  s'il  est  indispensable  de  persévérer  dans  l'usage 
4e  présenter  les  bfiMlgets  de  tous  les  ministères  dans  une  seule  et  même  loi. 

Nous  ne  voulons  rien  affirmer.  Ces  expédiens  exigeraient  dans  nos  rouages 
administratifs,  et  peut-être  aussi  dans  les  règlemens  des  chambres,  des  modi- 
fications qu'il  serait  par  trop  présomptueux  d'indiquer  ici  ;  elles  ne  peuvent 
être  que  le  résultat  de  sérieuses  méditations,  d'études  approfondies. 

Ajoutons  seulement  que,  sur  la  distribution  du  travail ,  il  a  été  énoneé  dans 
les  discussions  de  la  chambre  des  pairs  une  opinion  qui  nous  paraît  excessive. 

On  a  dit  que  l'article  de  la  charte  portant  que  toute  loi  d'impôt  doit  être 
d'abord  votée  par  la  chambre  des  députés,  ne  s'appliquait  qu'aux  lois  dont  le 
but  direct  est  l'établissement  d'un  impôt;  qu'ainsi  on  aurait  pu  présenter  d'a- 
bord à  la  chambre  des  pairs  la  loi  sur  les  paquebots  transatlantiques,  ou  toute 
autre  loi  prescrivant  une  dépense.  A  l'aide  de  cette  interprétation ,  on  pour- 
rait aller  jusqu'à  soutenir  que  la  loi  capitale  du  budget,  la  loi  des  dépenses, 
peut  être  portée  directement  à  la  chambre  des  pairs. 

L'interprétation  nous  parait  forcée.  L'état  n'a  pas  chez  nous  deux  moyens 
de  subvenir  à  ses  dépenses.  Qui  dit  dépense  dit  impôt,  impôt  qu'on  établit, 
qu'on  augmente  ou  qu'on  ne  diminue  pas.  —  D'un  autre  côté,  il  est  également 
vrai  que  ce  serait  donner  à  l'article  de  la  charte  un  sens  trop  large  que  de 
l'appliquer  indistinctement  h  tout  projet  de  loi  pouvant  impliquer  une  dépense. 
La  chambre  des  pairs  a  plus  d'une  fois  voté  la  première  des  lois  de  ce  genre, 
et  nul  n'a  révoqué  en  doute  la  légalité  de  son  vote.  Il  y  a  là  une  juste  ligne  de 
démarcation  à  tracer. 

Mais  sans  entrer  ici  dans  le  fond  de  la  question ,  sans  vouloir  scruter  la 


m  BBvro  iwipvn:  IWfffs. 

iittre  et  r^hescher  Tesprlt  ainsi  que  JfsqrÛ^if^^^Ç.^'iajc^ 
AisoQs  seulement  que  nul  ne  songe  h  enlever  à  |a  c^an^'^;  ^<^vqjçe  qu'elle 
regarde,  sur  le  fondement  d'une  pratique, de, Y^)gtHÇf|lq,f^^,  ^qfMne.un  de  ses 
dreâts ,  eonune  sa  prérogative  la  plus  importapta.  ,Ç*|^  u^  yoie  qU  la  chambre 
des  pairs  ne  voudrait  pas,  et  avec  raison  «  s'engager;  ç'e^t^'affs^blir  qne  d'user 
ses  forces  à  saisir  des  droits  contestables.  La  chambre  4e3  po^  veut  maintenir, 
avec  la  vigueur  et  la  dignité  qui  lui  appartienoept,  se^.prériigatives  recon- 
nues, ses  droits  incontestés. 

L'état  des  partis  ne  s'est  pas  modifié  dans  la  quinzaine  q^i,v^entde  s'écouler. 
Les  députés  rentrant  dans  leurs  foyers,  commence  mafoi^nanf  ce  travail  local, 
cette  communication  intime  entre  le  député  et  ses  élçcHe^/MCS,  dont  il  est  tou- 
jours difficile,  même  aux  plus  habiles,  de  prévoir  tout^  l^s  (;Q||^uences  avec 
quelque  exactitude.  Les  députés  qui  ont  interrompu  leurs  longue^  habitudes 
ministérielles,  comme  les  députés  de  la  vieille  opposition  qui  prêtent  am'our- 
d'bui  leur  appui  ^  ministère,  auront  à  s'expliquer  ayeclei^rs  commettans. 
Ici  teidi^uté-cpav^ncra  les  électeurs  de  la  sagesse  de  sa  condi^te;  ailleurs  les 
électîeursT4agicont  jieidhétine  sur  le  député. 

Au  surplus ,  les  députés  qui  ont  soutenu  le  ministère  pourront  parler  avec 
quelque  oi;guei);  dc^réi^tats  de  la  session.  Des  lois  importantes  vont  donner 
unenouvelleùnpiMlsioaà  la  prospérité  matérielle  du  pays.  La  navigation  inté- 
rieure perfectionnée,  Vexploitation  du  sel  ramenée  partout  au  droit  commun,  les 
chemins  de  fer  en  voie  d'exécution  soutenus ,  et  de  nouvelles  entreprises  auto- 
risées, aidées,  encouragées;  la  question  des  sucres  terminée  d'une  manière 
équitable;  le  grand  établissement  de  la  Banque  de  France  mis  ai  même,  par  Îa 
certitude  de  son  avenir,  de  rendre  au  commerce  des  services  de  plus  en  plus 
importans;  enfin  nos  relations  commerciales  avec  le  Tïouveau-Mo^de  scan- 
dées et  étendues  par  plusieurs  lignes  de  paquebots  transatlantiques  :  ce  sont  \à 
des  faits  importans  qui  honorent  cette  session  et  témoignent  de  l'active  hairi- 
leté  du  cabinet  qui  a  pu ,  dans  le  peu  de  temps  que  lui  ont  laissé  les  discue- 
sions  politiques  et  les  difficultés  de  tout  début,  imprimer  aux  affaires  une  si 
puissante  impulsion. 

Nous  sommes  convaincus  que  la  chambre  des  pairs  n'hésitera  pas  à  donner 
son  suffrage  aux  projets  que  le  ministère  lui  a  présentés  en  dernier  lieu. 

En  rejetant  le  remboursement  de  la  rente,  malgré  le  vote  réitéré  de  l'autre 
chambre  et  les  efforts  du  ministère,  comme  en  confirmant  à  une  très  grande 
majorité  le  privilège  de  la  Banque,  malgré  l'opposition  presque  unanime  de 
la  presse,  la  chambre  a  suffisamment  prouvé  que  rien  ne  peut  la  détourner  de 
ce  qui  lui  paraît  bon>  utile,  équitable.  Pïous  nous  plaisons  à  rendre  hommage 
à  son  indépen4Bi¥)e,,^^|le  qufijoît  d'ailleurs  notre  opinion  sur  la  question 
de  la  rente. 

Le  même  sentiment  d'indépendance  lui  fera  adpp^r  d^  lois  ,^e  le  pays 
attend  avec  une^ juste  jm^^atiençie^  pn  aqra  beau  Im  dire,  qfif;  }e  ^ép^ft  4es 
députés  lui  6te  toptt.libfrtéf^  qu,'o^  a  voulu  1?  |)iaf;çr  spu^.îejoji^  die  ja^çép^ 

:mt  L«,^mnbro  sait  qu'M  i^H^  ^«JW^i^tf «l^ser^^M^^K^  !^^  A.^® 


de  rejeter' td^UR'  Hk  iisikl  SàUÉi  doute  elle  '  taunf t  \  rendre  eoiupW  d«  Ma  Mté 
à  l'oplnroh' publSqué  et  à  sa'  ptroiA«  consdence;  mais  la  marche  T^Hîve  d* 
gonvem^ebt,  1ë  Ctéiii'tlés'siirTiets  publics  oe  seraient  point  paratyséspar  le 
rejet  de  ces  lots  :  ce 'rËjet  n'aurait  pbiDt  les  conséquences  que  pourrait  avoir  le 
rejet  du  budget  oti  d'Ane  mesure  quelconque  indii^nsable  aa  salut  de  l'état. 

II  n'y  a  dond  pas  cehe  contrainte,  cette  nécessité  artificielle  et  impérieuM 
donthcbambrè  pourrait  !ie  blesser,  cette  nécessité,  disons-le,  qui  la  domine 
pour  le  budget,  qu'elle  ne  pourrait  refuser  sans  compromettre  la  régularité 
des  services  publiés. 

En  adoptant  les  antres  lois,  la  cbambre,  qui  pourrait  les  rejeter,  aura  agi 
avec  liberté  et  indépendance;  elle  aura  prouvé  que  les  motifs  de  l'adoption 
remportaient  d^s'àiii  esprit  Bur  les  objections  qu'opposent  les  adversaires 
de  «s  projets.  ' 

La  cbambre,  il  esfvTaî,  ne  pourrait  amender  ces  projets;  tout  amende- 
nuent  prodotràit,  dans  les  circonstances  actuelles,  les  mAiles  ceiMéquenc«s 
que  le  rejet,  et  retarderait  d'une  année  toutes  ces  otiles  entreprise^.  Dkiin  ces 
limites,  les  plaintes  sont  fondées;  mats  tout  a' été  dlT  Sbr'be' pdfdf  IM  des 
débats  sur  la  loi  de  la  navigation  intérlenre.  '  ''   '  '    '"'-' 

Trop  inâster  sur  les  mêmes  plaintes  fnous  be'dlsotis  pas  IBsWrimWtepro- 
cbes,  le  ministère  a  prouvé  qu'il  n'en  méritait  pas),  ce  serftît  'lès  affaït^r,  oe 
serait  donner  au  langage  de  la  chambre  un  ton  lamentable  M  peu  digne  d'un 
grand  pouvoir  dé  rétat.  La  chambre  a  fait  connaître  ita  pensée  :  il  ne  lui  reste 
plus  d'autre  moyen,  le  même  inconvénient  se  renouvelant,  que  la  résistance, 
ïoréqu'élte  aura  devant  elle  un  ministère  qui  aura  préparé  et  distribué  le  travail 
déila'E^ionr 

'  ICàmendèment ,  c'est-à-dire  le  rejet  d'un  de  ces  projets  de  loi ,  sur  qui  retooK 
beràit-îl?sur  les  compagnies,  sur  les  villes  maritimes ,  sur  lecomnMTce,  sur 
l'tndugtrië,snrle  public,  qui  certes  ne  sont  pas  responsables  de  la  marche 
dès  travaux  an  sein  des  deux  chambres.  Le  rejet  ébranleraîtril  le  cabinet?  nul- 
lement: le  cabinet  a  trouvé  à  son  avènement  l'état  de  choses  dont  on  se  plaint; 
il  ne  pouvait  plus  le  changer.  Le  rejet  ferait-il  revenir  à  Paris  un  seul  député? 
encore  moins;  les  députés  ne  seraient  ramenés  sur  leurs  sièges  que  par  un- 
amendement  au  budget.  La  cbambre  ne  veut  pas  sans  doute  en  venir  cette 
année  à  ce  moyen  extrême;  elle  voudra  encore  moins  témoigner  de  son  mécon- 
tentement par  une  résolution  qui  ne  frapperait  que  ces  int^ts  nationaux ,  que 
la  chambre  est  jalouse  de  seconder  et  de  piDtéger. 

11  est  sur  la  loi  descherains  de  fer  une  autre  observation  qui  S'applique  éga- 
lement aux  débats  de  l'une  et  de  fautre  chancre :N«us  Toiilotn  parler  de  la 
réuhloia  dans  une  seule  et  même  loi  de  pltsietits  prc^etitoU^i-fiaH  différens) 
min  de  fer  d'Orléans  et  celui  de  Stras- 
iV^HttiètiH^'àAcN  le  Mme  projet  de 
à  M'iohVWijetUf;  ow  projet»  se  pré- 
i  ïfAM'aitlit'âlrfr'rTm -portant  l'autR. 
b  systehie diétecoûrs  était  appliqué^à 


in  REVUS  ima  HtDX  MORDIS, 

tous  ws  projeti.  Loin  de  Ifi  :  ta  même  loi  endirasse  six  projeta  et  qàatre 
sustentes difléraasv  noua  ne  Toalons  pas  din  oppoaés;  il  se  peut  en  ef&t  que- 
ces  systèmes  dhen,  coBtrairu  mtntee,  soient  a«ec  raison  applicables  il  des 
eatrepriKs  différentea.  Toujours  est-il  que  la  tioeérité  des  débats  l^islatifi 
reçoit  une  atteinte  lorsqu'une  aaseniUée  est  forcée  de  voter  in  gtobo  des  prcyctt- 
dîfléren»,niilleiiienlcoiui<)(es,  et  pouvant  parfaitementexisterrun  sa Dfi l'autre. 
Mais  ce  n'est  pas  là  un  eipWeat  inventé  par  le  ministère  do  1"  mars;  c'est' 
MDt  d'attirer  Tattention  du  gouverne- 

ite  aux  archives  du  royaume  une  place 
é  pinsieurs  candidats.  Si  nous  sommes 
a  parah  se  Bier  d'une  manière  partien- 
ninistre,  et  M.  Fauriel.  M.  de  Gasparin 
icl,uitbistiirieadoni  les  travaux  se  dis- 
des  recherches.  Selon 
e  Taulre  ne  mériteisit 

sordtHaire  an  soviee 
rateur  ausù  Éclairé  et 
Bux  du  conseil  d'étal, 
mporiantes  fonctiont 

lOuvella  d'Alg«.  Ea 
admettant  qu'il  y  ait  quelque  exagération ,  peut-être  ausn  un  peu  d'animosité 
dans  les  nouvelles  qui  circulent,  toujours  est-Il  que  notre  campagne  en  Afiique 
est  longue,  difficile  et  sans  résultats  dneiûis  qui  compensent  les  sacriBces  en 
hommes  et  en  argent  qu'elle  exige.  Il  serait  plus  que  superTIa  de  rechercher 
ai^ourd'hui  à  qui  l'on  pourrait  imputer  la  guerre  que  nous  avons  sur  les 
taras,  les  dffiicultés  que  nous  rencontrons  en  Afrique.  Ce  n'est  pas  le  mo- 
ment de  discuter,  mais  d'agir,  d'agir  avec  résolution  et  d'une  manière  digna 
de  la  France.  Quelles  qu'en  soient  les  causes,  c'est  là  désormais  une  guerre 
kmortavec  les  populations  indigènes,  avec  les  Arabeaafricains.  C'est  le  mabo- 
nétisme,  la  baiiwrie  et  le  génie  nomade  qui  veulent  expulser  d'Afrique  I» 
reli^on,  la  ctvUisation,  la  puissance  françaises.  Dans  le  commencement,  il 
aurait  été  légitime  et  sensé  de  poser  la  question  de  savoir  s'il  convenait  à  Is 
France,  <i  sa  politique,  à  son  inQuence  d'entrer  dans  cetta  voie,  de  jeter  ban 
de  l'Ewope  une  partie  notable  de  sesrevenus  et  desesforces,  si  les  avantages 
militaircs,inaritimes,commeretaux  qu'elle  pouvait  en  espérer,  étaient  de  nature 
àcompenser  8essacriGees,si  le  moment  était  arrivé  d'implanter  par  la  force 
des  armes,  par  la  conquête  la  ci vilisatioD  française  sur  to sol  aride  et  malsaùk, 
soua  le  ciel  brûlant  de  l'Algérie. 

Aujourd'hui ,  empressons-nous  de  le  reconnaître ,  la  question  ne  peut  élre 
posée  dans  ces  termes.  Le  drapeau  français  a  été  solennellement  planté  sur  la 
aolafricain .  La  Franeea  dit  qu'il  y  resterait  :  Abd-el-lUder  veut  l'en  arracher  d« 


4aat'lmrM»t^ciiatB:a'jimf^l  PitaWrprMatin  drainafiqne  de  PhtMoIiv. -TbtJt 
<g  awMflni'«ô>i  yrifartoCM  pag  lei  œntm  du  poète  qui  relèvent  nntqae- 
nentde  rJnspÏMtWBél^^aque  wiooiMeinpIalive,  aooe  croyous  qoen  dreioe 
d'une  pensée  ti  haute,  d'une  eiécutiaQ  si  sévère,  doit  prendre  rang  pamii 
les  plus  importantes  créations  de  M.  Alfred  de  Vigny.  Il  nous  suffira,  pour 
appuyer  cette  opinion,  de  rappeler  rapidement  quels  matériaux  fournissait 
l'histoire  et  quel  parti  hauteur  en  a  su  tirer. 

Assurément  fe  réeît  des  historiens,  dans  sa  nudité  austère,  ne  lui  offrait  que 
AlnArfBsmtet  ressonrces.  il  s'agissait  de  la  chute  d'un  favori,  d'un  ambitieux 
Tvlgaîn;  il  semblait  qu'aucune  émotion  élevée  ne  pih  jaillir  du  spectacle  de 
s  par  un  acsaarinat.  Pourtant  M.  de  Vigny 
un  noble  et  grave  easeignement.  Dans  ce 
1b  minorité  de  Louis  XIII ,  il  a  vu  l'expit- 
lit  amené  le  nouveau  règneet  fondé  la  puis- 
année  philosophique  peut  s'appuyer  sur  des 
ccompagnent  son  drame,  M.  de  Vigny  dte 
>  pièces  relatives  au  procès  de  la  Galigai,  et 
igarder  l'ambitieux  Italien  comme  le  com- 
oitile  l'exactitude  historique  rie  cette  aceo- 
is  contre  Concini  ;  «Ti'doltfetwnnBttre  que 
le  Eouveoir  du  crime  de  Ravaiilac,  habitearast  amené  fat  la  poète,  produit 
un  effet  saisissant.  Cette  pensée  de  l'expiation  une  fois  admise,  il  reste  à  vur 
CMoment  le  poète  l'a  développée.  C'est  autour  de  la  Ogute  mélancolique  et 
hautaine  de  Léo oora  Gai igaî  qu'il  a  groupé  ses' naoebreux  pcnonnages.  Sioa 
la  dégage  de  certains  détails  que  l'auteur  a  cru  nécessaires  pour  compléter 
son  tableau  iiistoriiiue,  l'action  est  fort  ^inple.  La  chute  de  la  maréchale  est 
le  véritable  et  unique  sujet  du  drame.  L'expiation  n'atteint  pas  seulement 
Concini,  elle  frappe  à  câté  du  lâche  ambitieux  une  femme  d'un  noble  et  ferme 
(Usnèra;  dè»^rB  l'intérêt  s'éveille,  et  le  drame  devient  possible.  L'action 
s'engage  et  se  dénoue  en  deux  jours.  Cette  rapidité  de  l'action  est  le  seul  rsp- 
pfflrt  qu'offre  la  frièee  avec  les  créations  du  théâtre  classique.  L'auteur  n'a 
aucunement  cherché  à  réduire  les  proportions  de  l'immense  tableau  que  lui 
offrait  l'histoire.  Il  a  transporté  dans  son  drame  tout  le  mouvement ,  toute  la 
variété  que  réclame  la  scènemodeme.  Peut-être  a-l-il  trop  multiplié  les  détails, 
peut-être  la  simplicitédu  sujet  disparatt-elle  un  peu  sous  l'abondance  des  carac- 
tères et  des  incidens.  H.  de  Vigny  n'a  fait  en  ceci ,  nous  le  savons,  que  suivre 
rexemptedestragiqucsétrangen;maÎBcetexemplene  saurait  infirmer  notre 
objection,  quiresteentièrementfondéean  point  de  vue  de  la  scène  française. 
M.  de  Vigny  avait  à  envisager  trois  faces  divines  dans  le  personnage  de 
Leonora  Galigai  :  l'Italienne  dissimulée ,  l'amante  et  (a  mère.  U  a  su  aocordff 
avec  discernement,  à  chacun  des  aspects  de  ce  caractère,  l'attention  qu'il  m^ 
litait.  Il  s'est  attaché  surtout  à  faire  ressortir  avec  vigueur  la  fermeté  mAle  et 
courageuse  de  l'épouse  de Condni.  Il  a  indiqué,  avec  une  rare  délicatesse,  ce 
qui.  restait  de  la  faiblesse  et  des  superstitiontt  de  la  69nine'da>Bce  cttactère 
pre«^  viiiU  A,  câté  de  la  maréehale,  Bm^MCanani  se  ^acent eonune 
fma  «olairercette  JmposanU  iïgure,  l'ua  par  »■  anow,  l'uitze  pu  son 
■mftiiUsn  ^'<M4u  Om»  paaiODiié  qt^aj^iartitia  l«  oœur  tondre  et  ardent  de 
f  llaliMnm-f/MLà  L'aMbitiamt  flonntiiLqu'elleoMHan*  t'éoarf^e  de  ton  intet- 
IgMteebda^vutiMé.  fie«-lrdi|MirBs>tnagwfcnii«Bttsgnwpepriiielp»ldtt 


176  RBVIS  HBSf  rais  4IM»BS. 

im«ee«taecamUieea  Catalogne  par  letiMa  A'OQe^fopuhttiaiUMplivdteteê- 
siasme.  Le  peuple  espagnol  esl  toojoam  profondënMnivieoardiiqiie.  Nul 
doute  que  le  voisinage  de  la  cour  ne  contribue  à  rattkr  teêrptiffie;  à  râmenertm 
grand  nombre  d*faonunes  égarés.  Après  beaucoup  de  ë6kije<^i«s,'(yÉi  paraît 
croire  aujourd'hui  que  le  voyage  des  deux  retnés  n'a  eu  réellement  d^aùtre  but 
que  le  rétablissement  de  la  santé  de  la  reine  Isabelle.  (Juoi  qu'il  en  soit,  on  se 
ferait  illusion  si  on  croyait  qu'une  fois  Cabrera  vaincu  et  le  parti  carliste  en- 
tièrement dissous ,  les  difficultés  de  l'Espagne  s'évanouiront  coffaplàt^inent. 
Loin  de  là.  Le  peuple  est  monarchique  et  religieux^  vcôre  n^ènesupentiiUeiix. 
Il  n'est  pas  moins  vrai  qu'une  partie  considérable  de»  claves  mo^Feanes^danB 
les  grandes  villes  surtout,  est  imbue  de  nos  idées,  de  nos  prinsipes;  et  préci* 
sèment  parce  que  ces  idées  et  ces  principes  sont  trop  avancés  pout  l'Espagne  et 
ne  sont  pas  en  harmonie  avec  l'état  général  du  pays ,  la  tnitiorîté  qui'  professe 
cette  politique  d'emprunt,  impatiente  de  réaliser  ses  idées,  est  bujpurs  tent^ 
de  devenir  violente  et  factieuse.  On  n'est  ni  impatient  ni  violeot  lorsqu'on  sait 
qu'on  a  le  pays  derrière  soi,  lorsqu'on  ne  doute  pas  d'un  prochain  succès. 
Sous  la  re|st;^^r?\tioa,  Casimir  Périer  disait  aux  trois  cents  de  M.  de  Villèle  : 
«  I^ous  sommes. quin^  iei,  -mais  nous  avons  le  pays  derrière  novs;  »  aussi 
Casimir  Périer  et  sesaD»ne  ooospiraient  pas;  ils  attendaient,  et  n'attendirent 
pas  long^tempSi  '  ' 

Après  la  dispersion  cbmpfète  de  Tlnsurrection  carliste,  le  parti  radical  en 
Espagne  deviendra  probablement  plus  exigeant  et  de  plus  en  plus  violent.  Le 
gouvernement  aura  besoin  de  fermeté,  d'habileté,  de  mesure.  Qu'il  se  ^arde 
surtout  de  mépriser  ses  adversaires.  Les  minorités  ont  si  souvent  bouleversé.^ 
gouverné  le  monde  !  •  .  ,  i 

M.  Cousin  poursuit  le  cours  de  ses  paisibles  réformes  dans  le  domaine  de 
l'enseignement.  .     -: 

Une  ordonnance  royale  vient  de  créer  à  la  Faculté  de  Droit  de  Paris' tuMe 
chaire  dintroduction  générale  à  l'étude  du  droit.  C'était  une  lacune  quMI  ftà- 
portait  de  combler.  Ainsi  que  l'a  dit  le  ministre  dans  son  rapport  au  roi ,  ce 
cours  préliminaire  aura  pour  objet  d'orienter,  en  quelque  sorte,  les  jeunes étu- 
dians  dans  le  labyrinthe  de  la  jurisprudence. 

Il  a  été  aussi  décidé  qu'à  l'avenûr,  soit  dans  les  examens ,  soit  dans  les  con- 
cours devant  les  facultés  de  droit ,  il  n'y  aura  plus  ni  argumeatationfl  ni  leçons 
latines.  Nous  félicitons  M«  le  miniatce  de  PintlfifBtkm  publique  d'avoir  mis  fin 
à  un  usage  qui  ïi'étaitcpa'vft moyen  de  dissimuler  l'ignorance  et  de  paralyser 
le  savoir. 


Le  drame  ée  ia  Mwréchale'd^jémere^r^présmté  il  y  a  netif  ans  à  FOdéev, 
vient  d'être  repris  parinConédie^Fram^ise.  On  a  pu  tema^ue^  dami  oettls 
ceuvre,  dont  la  mis»  enisoène  révèle  un  zèle  Iduablef  toutes  lès  hautes  et  ttirm 
qualités  qui  distinguent  lé  Saknt  de  M>  Alfred  de  Vigny.  B^  ^u^iM  «sn*- 
danee  instmctivo  semU»  entraîner  rauteurd^E^foop^inèiis-  la  ooDtempMdtl  et 
l'élégie,  c'est  avec  une  snpémrképâcttnviMautle^vdconniltref^Qlil  a^ssa^ 


«or  avfl>iiaitt-!no6iyrtf6i«^CT'ponr  -les  centrés  du  poète  qui  relèvent  unique- 
KieQt4e.riQ6pqi9ti9aél€#aque  oiicoBteinpIalive,  nous  croyons  queee  érame 
d'une  pensée,  si  liante, t  d'une  exécution  si  sévère,  doit  prendre  rang  parmi 
les  plus  ipnportantes  créations  de  M.  Alfred  de  Vigny.  Il  nous  suffira ,  pour 
appuyer  cette  opinion,  de  rappeler  rapidement  quels  matériaux  fournissait 
l'histoire  et  quel  parti  Tauteur  en  a  su  tirer. 

Assurément  le  récrtdes  historiens,  dans  sa  nudité  austère,  ne  lui  offrait  que 
dftnsufQsânf es  ressources.  11  s'agissait  de  la  chute  d'un  favori ,  d'un  ambitieux 
yirtgÀîrer  il  semblait  qu'aucune  émotion  élevée  ne  pût  jaillir  du  spectacle  de 
45m  imriinieS'raesqttiiies,  terminées  par  un  assassinat.  Pourtant  M.  de  Vigny 
a  su  întreduiffedans  son  drame  un  noble  et  grave  enseignement.  Dans  ce 
jneurtre  de  <;ai^nit>qui  termine  la  minorité  de  Louis  XIII,  il  a  vu  l'expia- 
tion du  crime  de  Ra,Yaillac,  qui  avait  amené  le  nouveau  règne  et  fondé  la  puis- 
sance passagère  du  favori.  Cette  donnée  philosophique  peut  s'appuyer  sur  des 
preuves.  Dans  une  des  notes  qui  accompagnent  son  drame ,  M.  de  Vigny  cite 
quelques  passages  trouvés  dans  les  pièces  relatives  au  procès  de  la  Galigaï,  et 
d'après  lesquelà^irest  permis  de  regarder  l'ambitieux  Italien  comme  le  com- 
plice de  Ravailfac.  Quoi  qu'il  en  soit  de  l'exactitude 'historique  de  cette  accu- 
sation portée  par  les  contemporains  contre  Goncini ,  on'doiti^iJOfinaftre  que 
le  souvenir  du  crime  de  Ravaillac,  habileaaeot  amené  par  le  poète,  produit 
un  effet  saisissant.  Cette  pensée  de  l'expiation  une  fois  admise,  il  reste  à  voir 
comment  le  poète  l'a  développée.  C'est  automr.de.la  figuce  mélancolique  et 
hautaine  de  Leonora  Galigaï  qu'il  a  groupé  ses'nçaibreux  personnages.  Si  on 
la  dégage  de  certains  détails  que  Tauteur  a  cru  nécessaires  pour  compléter 
son  tableau  historique,  Taction  est  fort  simple.  La  chute  de  la  maréchale  est 
le  véritable  et  unique  sujet  du  drame.  L'expiation  n'atteint  pas  seulement 
Concini,  elle  frappe  à  côté  du  lâche  ambitieux  une  femme  d'un  noble  et  ferme 
dataisière?  dès^ors  l'intérêt  s'éveille,  et  le  drame  devient  possible.  L'action 
s'engage  et  se  dénoue  en  deux  jours.  Cette  rapidité  de  l'action  est  le  seul  rap- 
[^rt  qu'offre  la  pièce  avec  les  créations  du  théâtre  classique.  L'auteur  n'a 
auicui^ement  cherché  à  réduire  les  proportions  de  l'immense  tableau  que  lui 
offrait  l'histoire*  11  a  transporté  dans  son  drame  tout  le  mouvement ,  toute  la 
variété  que  réclame  la  scène  moderne.  Peut-être  a-t-il  troptnultiplié  les  détails, 
peut-être  la  simplicité  du  sujet  disparatt-elle  un  peu  sous  l'abondance  des  carac- 
tères et  des  incidens.  M.  de  Vigny  n'a  fait  en  ceci ,  nous  le  savons,  que  suivre 
l'exemple  des  tragiques  étrangers;  mais  cet  exemple  ne  saurait  infirmer  notre 
objection ,  qui  reste  entièrement  fondée  au  point  de  vue  de  la  scène  française. 

M.  de  Vigny  avait  à  envisager  trois  faces  diverses  dans  le  personnage  de 
Leonora  Galigaï  :  l'Italienne  dissimulée,  l'amante  et  la  mère.  Il  a  su  aocorder 
avec  discernement,  à  chacun  des  aspects  de  ce  caractère,  l'attention  qu'il  mé- 
ritait. Il  s'est  attaché  surtout  à  faire  ressortir  avec  vigueur  la  fermeté  mâle  et 
courageuse  de  l'épouse  de  Concini.  Il  a  indiqué ,  avec  une  rare  délicatesse ,  ce 
qui  restait  de  la  folblesse  et  des  superstitions^  de  via  SBaHAe*  éam  ce  caractère 
presque  fviviU  A  c6té  de  la  maréchale,  fiorgiA«t:€anomi  se  placent  comme 
fiQur  ^daîrer  cette  4iQpe9M)tei0gure,  Tus  par  «m -«no»,  l'autre  par  son 
.^foi^timK,  jC'est  4u  Gtwse  passionné  qu'appartieat  te  cœurtMidre  et  ardent  de 
f  ItftHflOiie^'CfMt  àlf  aaibitieux^loreotinqu^eUé  oéMaHè  l'énergie  de  son  intel« 


d'isabella  Uiwtii  ia  femme.  Je :B«^iib; 
10.  rimpMsible  et  bavuiae  amUliaii  de 
Urat  Déageant,  la.buiwgiM  prabUé  du 
légèrelé  de  Fieii}ue ,  teutea  «w  imhdcm, 
is  par  M.  Ae  Vigny  anc  uh  bbn  tmam 
aoB  les  piui  petits  deuils  de  «es  figncBS, 
lea  traces  d'une  exécutioD  sérÎMige  et  patieHie. 

Nous  croyons  inutile  de  raeotuer  la  lutteqoi  ^étahMtatreccsdlfeafw- 
Bonnages.  L'arrestation  du  priofe  de  Coudé,  ia  r^oUedes  néMnttae.  kfBpaès 
de  ia  marédiaie,  son  suppiiee,  suHiseut  largemenLà  l'iatér^de-toNlei  toi  pv- 
ties du  drame.  On  tait  quelle  Urreor  éveilie  la  M!àne4u.du«l,ipMileén«lNB 
-accueille  la  douleur  sombre  et  résignée  de  la  niav^hil«rwiG*ntnBtaw-Je 
chemin  du  bdclier  les  cadavres  de  son  minri  et  de  son  amant.  Ce  sont  là  dce 
effets  qu'il  est  superDu  de  louer.  C'est  sur  le  mérite  de  la  fortne  que  nous 
croyons  surtaut  deroir  appeler  l'attention  du  public,  trop  habitué  peot-toe 
aujourd'bui  à  n'estimer  que  le  mouvement  et  l'uctioD.  Le  soin  qui  a  présidé  à 
la  conception ,  à  l'arranicement  des  personnaaes ,  se  retrouve  en  effet  dans  le 
style  Grâce,  vigueur,  coquetterie,  la  forme  de  la  Marëehah  d'Ancre  aBn 
toutes  les  qualitésqui  distinguent  les  plus  durables  créationsdu  poète. 

Il  noua  rMie  à  parler  de  l'inierprétation  des  adeure.  M"  Dorval  avait  uM 
lâche  diffidte:  dans  le  caractère  de  lamaréchale  d'Ancre,  it  n'y  a  pas  leulenient 
la  tendresse  et  la  résimation  d'une  femme,  il  y  a  l'énergie  et  la  dignité 
qu'exige  une  haute  position  politique.  M"'  Dorval,  touchante  comme  toujoum 
dans  la  partie  pasaîonnée  de  son  râle,  a  moins  parfaitement  rendu  (a  partie 
calme  et  aérieuse.  Ugier,  chai^  du  rAle  de  Borgia ,  n'a  point  eu  de  peiM  à 
nodre  la  brusquerie  sauvage  du  montagnard  comr,  mais  iln'a  réussi  qu'int- 
parfaitement  ii  bire  ressortir  la  passion  ardente  et  profonde  qui  subsiste  sous 
cette  rude  enveloppe.  Beauvallet  n'a  Hé  h  l'aise  que  dans  les  pnrties  du  r^  de 
Omrani  où  la  dissimulation  fait  place  â  la  colère.  Mali^ré  ces  imperfection  a,  ' 
rachetées  ps-  beaucoup  de  zèle  et  d'intelligens  efforts,  le  public  a  pu  étudia 
avec  intérêt  l'œuvre  qui  était  soumise  une  seconde  fois  à  son  jugement,  et  le 
beau  drame  de  H.  Alfred  de  Vigny  a  été  écouté  dans  tous  ses  développemeos 
avec  une  attention  et  une  curiosité  soutenues. 

—  La  bibliothèque  Cbarpenlier  s'enrichit  de  trois  charmans  volumes ,  qui 
nffrent,  réunies,  toutes  les  œuvres  de  M.  Alfred  de  Musset;  \' La  ConfessUnt 
dtm  Enfant  du  Siècle,  revue  et  corrigée  avec  le  godt  que  l'auteur  apporte 
désormais  à  tout  ee  qu'il  écrit-,  2°  les  Comédies  et  Proverbes  en  prose;  8°  les 
Poésies  complètes.  Ce  dernier  votume  surïout,  par  ce  qu'il  reproduit  de  si 
agréablement  connu,  et  par  ce  qu'il  ajoute  d'inédit,  est  un  vrai  cadeau  pour 
le  public.  De  tous  les  poèiesqui  se  rattadicnt  BU  mouvement  littéraire  de  1896, 
H.  Alfred  de  Musset  fut  le  plus  jeune ,  le  plus  hardi  et  le  plus  fnngant  dès 
Cabord;  il  entra  dans  le  sanctutiire  lyrique  tout  éperonné  et  par  ia  fenêtre,  je  le 
crois  bien,  il  chantait,  comme  Chérubin,  quelque  espiègle  ehansen,  bm 
.4nd<Uo>t*eoMS3Mar<)iiiae;  il  avait  faitenr^r  le  guet  avec  sa  lune  comme 
vtpotiUsurwH.  LelyrismedeeetteépoqueélaituupeusoknBel,  volentiers 
raligi(us,pompein comme unTe/tetM»,  ou  sentimental.  U.  de  Musset  lui  fit 
d'emblée  quel^  déchirure:  il ota  avoir  de  l'eiprit,  nême  avec  un  bnnde 


é^ 


CABRERA. 


De  tous  les  hommes  que  la  guerre  civile  espagnole  a  mis  en  lu- 
mière, il  n*en  est  pas  qui  ait  donné  lieu  à  des  jugemens  plus  contra- 
dictoires que  Cabrera.  Pour  les  uns,  c'est  un  héros;  pour  les  autres, 
ce  n'est  qtt'un  misérable  mairaiteur.  Des  deux  côtés,  il  y  a  eu  exa- 
gération et  esprit  de  parti  :  Cabrera  n*est  réellement  ni  un  Napoléon 
ni  un  Mandrin.  Il  a  commencé,  il  est  vrai,  comme  un  voleur  de  grand 
chemin  ;  mais  il  aurait  Gni  comme  un  grand  homme ,  si  la  cause  de 
don  Carlos  avait  trmoidié.  Son  nom  a  eu  beaucoup  d'éclat,  mais 
sa  véritable  histoire  est  peu  connue;  les  détails  positifs  ont  toujours 
manqué  sur  celle  de  ses  actions  qui  ont  fait  le  plus  de  bruit.  On 
sait  que  les  évènemens  se  présentent  souvent  en  Espagne ,  foute 
d'informations  précises,  sous  une  forme  confuse,  mystérieuse,  et 
comme  des  énigmes  dont  le  temps  peut  donner  le  mot.  Le  carac- 
tère de  Cabrera  est  encore  un  de  ces  mystères;  ce  qui  passe  le  plus 
pour  certain  sur  ce  sujet  est  faux  ou  du  moins  fort  exagéré.  Main- 
tenant que  sa  carrière  politique  est  Gnie  et  que  le  jour  de  la  vérité 
est  venu  pour  lui,  nous  avons  cru  qu'il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de 
tracer,  sur  des  renseignemens  authentiques  et  inédits ,  une  esquisse 
fidèle  de  sa  vie. 

Don  Ramon  Cabrera  est  né  à  Tortose,  en  1809  ;  il  a  maintenant 
trente-un  ans.  Ses  parens  étaient  de  pauvres  marins.  Son  éducation 
fut  d'abord  celle  de  tous  les  enfans  de  sa  classe  en  Espagne.  11  passa 
ses  premières  années  à  jouer  au  bord  de  TÈbre  et  dans  les  rues  de 
Tortose,  avec  la  liberté  illimitée  d'un  jçune  sauvage.  Quand  il  fut  un 

TOUS  XXIII.  —  15  JUILLET  1840.  12 


\. 


180  BBVIS  I«S  I«IJX  MCnrDBS. 

Mais  déjà  vers  les  monts  je  te  vois  f  abaisser. 
Tu fiiis  en  souriant,  mélancolique  amie, 
Et  ton  tremblant  regard  est  près  de  s'effacer. 

Étoile  qui  descends  sur  la  verte  colline. 
Triste  larme  d*ai^ent  du  manteau  de  la  nuit. 
Toi  que  regarde  au  loin  le  pâtre  qui  cliemine. 
Tandis  que  pas  à  pas  son  long  troupeau  le  suit; 
Étoile,  où  f  en  vas-tu  dans  cette  nuit  immense? 
Cherches-tu  sur  la  rive  un  lit  dans  les  roseaux? 
Ou  t'en  vas-tu  si  belle,  à  Theure  du  silence. 
Tomber  comme  une  perle  au  sein  profond  des  eaux? 
Ah  !  si  tu  dois  mourir,  bel  astre,  et  si  ta  tête 
Va  dans  la  vaste  mer  plonger  ses  blonds  cheveux , 
Avant  de  nous  quitter,  un  seul  instant  arrête; 
Étoile  de  Famour,  ne  descends  pas  des  cieux  ! 

CHANSON. 

J'ai  dit  à  mon  cœur,  à  mon  faible  cœur  : 
N'est-ce  point  assez  d'aimer  sa  maîtresse? 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse, 
Cest  perdre  en  désirs  le  temps  du  bonheur? 

Il  m'a  répondu  :  Ce  n'est  point  assez , 
Ce  n'est  point  assez  d'aimer  sa  maîtresse  ; 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse 
Nous  rend  doux  et  chers  les  plaisirs  passés? 

Tai  dit  à  mon  coeur,  à  mon  faible  coeur  : 
N'est-ce  point  assez  de  tant  de  tristesse  ? 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse, 
Cest  à  chaque  pas  trouver  la  douleur? 

Il  m'a  répondu  :  Ce  n'est  point  assez. 
Ce  n'est  point  assez  de  tant  de  tristesse  ; 
Et  ne  vois-tu  pas  que  changer  sans  cesse 
Nous  rend  doux  et  chers  les  chagrins  passés? 


Dans  rarticle  de  M.  Sainte-Beuve  sur  Loyion,  PoUmius  et  De  Loy,  inséré 
au  dernier  n»,  la  phrase  qui  commence  le  paragraphe,  vers  le  milieu  de 
la  page  1035,  doit  être  rétablie  ainsi  :  «  Il  serait  injuste  d'environner 
d'un  trop  grand  appareil  de  critique  Tœuvre  posthume  et  véritablement 
aimable  d'un  poète  mort  sans  rien  d'amer  et  qui  a  vécu  si  malheureux.  » 


V.  DE  MABS. 


ii^ 


BVi» 


CABRERA. 


mia0^0^ 


De  tous  les  hommes  que  la  guerre  civile  espagnole  a  mis  en  lu- 
mière, il  n'en  est  pas  qui  ait  donné  lieu  à  des  jugemens  plus  contra- 
dictoires que  Cabrera.  Pour  les  uns,  c'est  un  héros;  pour  les  autres, 
œ  n'est  qu'un  misérable  maiïaiteur.  Des  deux  côtés,  il  y  a  eu  exa* 
gération  et  esprit  de  parti  :  Cabrera  n*est  réellement  ni  un  Napoléon 
ni  un  Mandrin.  Il  a  commencé,  il  est  vrai,  comme  un  voleur  de  grand 
chemin  ;  mais  il  aurait  6ni  comme  un  grand  homme ,  si  la  cause  de 
don  Çarlos  avait  trtomidié.  Son  nom  a  eu  beaucoup  d'éclat,  mais 
sa  véritable  histoire  est  peu  connue;  les  détails  positifs  ont  toujours 
manqué  sur  celle  de  ses  actions  qui  ont  fait  le  plus  de  bruit.  On 
sait  que  les  événemens  se  présentent  souvent  en  Espagne,  faute 
d'informations  précises,  sous  une  forme  confuse,  mystérieuse,  et 
comme  des  énigmes  dont  le  temps  peut  donner  le  mot.  Le  carac- 
tère de  Cabrera  est  encore  un  de  ces  mystères;  ce  qui  passe  le  plus 
pour  certain  sur  ce  sujet  est  faux  ou  du  moins  fort  exagéré.  Main- 
tenant que  sa  carrière  politique  est  unie  et  que  le  jour  de  la  vérité 
est  venu  pour  lui,  nous  avons  cru  qu'il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de 
tracer,  sur  des  Venseignemens  authentiques  et  inédits ,  une  esquisse 
fidèle  de  sa  vie. 

Don  Ramon  Cabrera  est  né  à  Tortose,  en  1809  ;  il  a  maintenant 
trente-un  ans.  Ses  parens  étaient  de  pauvres  marins.  Son  éducation 
fut  d'abord  celle  de  tous  les  enfans  de  sa  classe  en  Espagne.  11  passa 
ses  premières  années  à  jouer  au  bord  de  l'Èbre  et  dans  les  rues  de 
Tortose,  avec  la  liberté  illimitée  d'un  jçune  sauvage.  Quand  il  fut  un 

TOME  XXIII.  —  15  JUILLET  1840.  12 


d82  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

peu  plus  grand,  on  le  destina  à  I*état  ecclésiastique,  et  on  le  plaça 
comme  clerc  ou  famulo  chez  un  chanoine  de  la  cathédrale,  nommé 
don  Vicente  Presivia.  Il  n'y  a  point  d'université  à  Tortose;  ceux  qui 
veulent  étudier  pour  entrer  dans  les  ordres  se  placent  ainsi  chez  des 
prêtres,  qu'ils  servent  à  peu  près  en  domestiques,  et  qui  leur  ensei- 
gnent en  revanche  le  lalpa,  la  tj^éologi&el»  la  ptiUoBoi^ie  d'Aristete. 

Le  caractère  ind^endsK^t  et«  dissipé,  du  jeune  Cirera  ne  s'ac- 
commodait pas  de  cette  vie  studieuse  et  docile.  Le  bon  chanoine 
épuisa  en  vain  tous  ses  sermons  pour  le  décider  à  garder  qudque  re- 
tenue; de  tous  les  écoliers  de  Tortose,  c'était  bien  le  plus  licencieux 
comme  le  plus  déguenillé.  Son  goût  passionné  pour  les  femmes  le  jetait 
à  tout  moment  dans  toute  sorte  de  mauvaises  aventures;  parlait-on 
de  quelque  maison  escaladée,  de  quelque  alguasil  battu,  c'était  sur 
lui  que  retombait  toujours  la  responsabilité  du  méfait.  Il  était  pares- 
seux, débauché,  querelleur,  effronté,  enfin  un  franc /ron^ro  (vaurien), 
si  bien  que ,  quand  vint  pour  lui  le  moment  de  solliciter  le  sous- 
diaconat,  Hévâque  dc^  Victor  Saez  le  lui  refàsa. 

Le  voilàdoiicsur4epavé  à  vingt-quatre  ans,  sans^tat,  sans  argent, 
a,voG  une  réputation  détestable,  ne  sachant  que  devenir.  Alors  arriva 
à  Tortose  la  nouvelle  de  la.  mort  de  Ferdinand  VU.  C'était  un  gniid 
bonh6^^  pour.  FécoKer  désappointé^  qui  s'embrassa  d«  profiter,  d^. 
l'occasion.  Sept^buit  jour»  après,  vers  la^nii»oetofare  1883s  uneooiH 
spiratioQ.fat  décounerte  contre  l'autorité 4e.  la  raoa.  Isabelle  11;^  Ca^ 
bcera  enétatt.  Legénéral  Berton^  gouverneur  de  la  viHe^  (adonna 
des  poursuites^  le  viçaire^général  don  MatéoSsoponsinfoniia  oontn» 
Jui.  Il  parvint  à  s'évader  et  se  sauva^  dans  les  montagnes,  retagof 
habttuel.de  tqua  ceux  qui  ont  affime  è  la  justice  dans  les  ¥ifies»  Là*  ii^ 
appcit  que  la  GMteresse  de  Morella  était  tonabée  au  pouvoir  d^doe 
insurrection  carliste,  et  il  s'y  readitaussitiôt-poiir'  s'enràier^ 

Cette  ville  de  Morella  joue^  un  grané  râle  dans  la.  vie  de  CabP^?a; 
elle  a  été sucoessivement  le  berceau,  le>  siège  et  le  tombeau  de  sai 
fortune^  C'est  la  capitale  d'un  petitpajrs  nommé  le*  Maestraeigo,  parœ^ 
que  «on  territoire  était  autrefois  une  grande  maîtrise  d'uni  ordre  d^ 
chevalerie.  Le.Maestrazgo  est  admirablement- fortifié  par  la  nature^ 
et  tout  semble  le  désigner  pour  l'établissement  d'une  seigneurie  féo<^ 
dale  ou  d'une  république  indép^idante^  Il  fait  partie  de  la  hante 
sierra  qui  sép«(jre  leSr'royaureesKd^Aragon-etde  Valattee;  des-monta^ 
goes  escarpées  et  pi^sque  toujours  couvartesrde  neige  y  enfenueut' 
de  loQgs  détiiés  ^t  des  vidlées^  étroites^  C^est  dana  uoe.  de  ces  vallées 
qu'est  b^ti  Morella>i  s^r  mv  rocbêTr  qui.^f  dét|i4ie.de  laobaiM;  lo 


CABnERA.  183 

"diAteâu  occupe  la  pointe  de  ce  rocher,  qui  s'élève  'de  plus  de  trois 
cents  pieds  au-dessus  du  sol.  Deux  pètcées  donnent  entrée  dans  la 
vallée,  Tune  par  Monroyo ,  vers  TAragon ,  rftntrefpâr  Vîlliibona ,  vers 
le  royautoe  y e  Valence,  emq  provinces  confinent  au 'Maestrazgo, 
comme  des  rayons  autonr  d'un  centre,  FAragon,  la  Catalogne,  le 
TOyawtae'  de  Valence,  h'  G&^fîfle  nouvelle' et'  !a  Manche. 

L'hnportance  de  cdpoiht  est' très  cônmiédan^tépays;  c'est  sur  lui 
■que  durent  tiaturellemetit  se  porter  les  premiers  efforts  dé  la  révolte. 
Le  baron  de  Herbes,  ancien' (^régîdor  de  Valence,  et  l'alcade  de 
Vîllaréal,  don  Joaquîn'Llorens,  n'enrent  pas'plus  tôt  appris  la  mort 
ide  FerdinatïdVII,  que,  se  plaçant  à  la  tête  de  quelques  bataillons  de 
volontaires "^ royalistes,  ils  arborèrent  l'étètidard  de  Charles  V,  et  se 
VMrigèrent  sur  te  Maefetrazgo.  Ces  deux  chefs,  renommés  par  leur 
noble  naissance  et  leur  position  sociale,  exerçaient  une  très  grande 
influence  dans  ces  contrées  ;  leur  prestige  attira  beaucoup  de  monde 
dans  les  rangs  dès  rebelles.  Le  colonel  don  Victoria  Sea,  gouverneur 
de  Morella,  soit  par  sympathie  d'opinions,  soit  qu'il  ne  se  crût  pas 
en  ^tat  de  se  défendre,  leur  ouvrit  les  portes  def  la  plafce,  et  ils  y  éta- 
Hîrent  le  quartier-général  de  résurrection  en  faveur  du  prétendant. 

Ce  ftit  alors  que  Cabrera  se  présenta.  On  était  dans  les  premiers 
Jours  de  septembre  1883. 11  arriva  dans  celte  ville,  où  il  devait  régner 
tin  jour,  en  mauvais  cofetume  d'écotîèr,  des  alpargatesaux "pieds,  et 
•un  bâton  à  la  main.' Comme  il  annonça  quil  savait  écrire,  on  le  fit 
tAporal,  et  les  armes  manquaVit,  on  lui  donna  un  fîisil  de  chasse.  Les 
fcandes  caHIsteàftirent  bientôt  attaquées  par  le  gértéral  Berton ,  à  la 
Pedrera,  en  face  de  MorèBa.  Le  jeune  recrue  montra  une  véritable 
ïffafoure- dans  Cette  première  aiffaire,  et  reçut  pour  récompense  le 
çrade  de  sergetit.  On  avance  vite  au  commencement  des  insurrec- 
tions, et  1es'pre*nîers"tertus,  en  courant  les  plus  grands  dangers,  ont 
aussi  les  phis' belles  chances. 

Cependant  le  général  Bertôn ,  à  la'  tête  d^ine  poignée  de  soldats , 
tontinualtà  menacer'Morena.'Lesfengagemens^se  succédaient  dejoûr 
en  jour.  lia  fh^'on  sertit  dfe  la  place  et  alla  au-devant  des  troupes  dé 
ta  rHne;  elfe  ftrt ^ battue  urte  première  fois  par  le  général  Berton, 
hattue  de  nouveau  et  dispersée  quelques  jours  après  à  Calanda,  par 
une  brigflfde  qucc^^mmandàît  le  génértirtiriares.  ^rella  ftit  repris; 
fe  baron  de^HéH)*s  fW;'fusfllé;'PaWcitenJ^g!^vcrtfenr'de  la  place,  don 
Victoria 9c» ,  eut lemêmesôrt vlès atitt^  d^éfsf et  sotdnts se- disper- 
sèrent en  diversiés  bandes.  Cabrera  ,'ttttf 'étèît  déjà  s<!rtis^lîeiltenant ,  se 
rtlt *«  îa  Ijéte  »e  ^<imé  Ou  "ilii^'  Bomrtî^s-de  l\>rtôèe ,  sa  ville  natale , 

12. 


.ith  REVUE  Dtâf  'ttfim?  MONDES. 

et  se  jeta  dans  les  mtiotâ^is^  du  tabs^Ài^n  i  p6ûé  y  tënif  la  éann 
pagne  pour  son  propre  compte.  '  ...'!...«       .iMiu* 

On  sait  quel  est  le  goûttles  EspUgnélâ  {ibuiiâ  gueitetle  pàHfstfnfs;  !k 
guérilla.  Cabrera  avait  t6dtit>ëM[i^^»irdli&i^'t^Ui'  rédâiii' dàh^tclè  Retire 
de  guerre;  il  était  iëude\f¥ebdàle<{  leAtV^ifÉ'èlfiant  ètt^u  s^rHi^^Û^^^ 
^avte  et  i)r6scirit  j  41  A^av^tft  i«éi¥  ât^é^Ariô;  <è'ëttii«  m^  "^ètWiéT&p^mh. 
LeBas^Ara^iv éstVtl'iriKetttis;  le^'payiâ' de^Pfisi^àgne oO' les bdndièrët<- 
rantes  se  recrutent  ifô  ptu^rii^éihéitll;  tes  hàbitanfà  de  èes  mntiighds 
sont  presque  ioji^ ' cimilt&hm^iers;  \e^  tudtonesy  leslècMppC^lûéÉ'priè' 
sides,  vieniierit  ^  loutlis 'piû^â  diercher  un  reruge<  ^li  Mliëti  d^et^x. 
Une  pareille  popufaitiofi  estf  nettïrellement  vouée  au  brigandage,  et 
quand  elle  rencontre  un  chef  qui  lui  convient,  elle  se  presse  avec  joie 
autour  de  lui ,  pour  se  livrer  avec  plus  d'ensemble  à  la  rapine.  C*est 
ce  qui  a  fait  le  premier  succès  de  Cabrera. 

Il  importe  de  bien  distinguer  entre  elles  les  trois  grandes  fractions 
de  rinsurrection  carliste  en  Espagne.  En  Navarre  et  dans  les  pro- 
vinces basques,  la  cause  de  don  Carlos  s'identifiait,  comme  on  Ta  dit 
souvent,  avec  celle  des  libertés  locales;  en  Catalogne,  cette  cause  était 
celle  du  fanatisme  religieux ,  de  l'esprit  monacal  ;  en  Aragon ,  le  nom 
de  don  Carlos  servait  de  cri  de  ralliement  à  ceux  qui  cherchaient  un 
prétexte  pour  mener  la  vie  hasardeuse  du  bandit.  Ces  trois  tendances 
se  sont  manifestées  par  les  chefs  qu'a  eus  la  faction  pour  ses  trois 
armées  :  en  Navarre,  des  hommes  notables  du  pays;  en  Catalogne,  des 
j>rétres;  en  Aragon,  un  aventurier.  Cette distiiiction  explique  bien  des 
choses ,  et  ne  doit  pas  être  perdue  de  tikte  par  quiconque  veut  se  faire 
des  idées  justes  sur  la  guerre  civile  espagnole.^  '  * 

Ce  qui  a  caractérisé  de  tout=  temps  Cabrera,  ^c'eBt'rhorreur  de 
l'obéissance  et  l'ambition  d'être  le  ihaitrd  pàrtdqtoùf  il  est.  Quelques 
jours  après  son  arrivée  à  MÔrella,  il  avail  déjà»  essayé  de  s'emparer 
du  commandement,  en  suscitant  une  insurrection  militaire.  La  fer- 
meté du  baron  de  Herbes  avait  fait  avorter  l'entrepfièifr,'  et  si  Cabrera 
n'avait  pas  été  fusillé,  ainsi  que  son  complice  ValdèS,  c'était  à  l'in- 
dulgence de  ce  chef  qu'il  le  devait.  Quand  il  fut  à  la  tète  de  sa  guérilla, 
aptèsia 'distorsion  de  la  première  armée  carliste,  il  se  donna,  de  son 
autorité  privée,  le  titré  de  colonel.  Puis  il  courut  le  pays  dans  tous 
lès  sens ',  pendant 'deùi  années,  pHlant,  saccagent,  menant  joyouëe 
vièj  efttfl^peRnfif  à  lulqdieAnqïie  voûtait  le  solvre<:;II  parvlM  ainsi  à  ise 
foiltier  une  petite  blindé^  tïiaîs  ce  n'était  pas^éneot^  aksëir^ur  lui ,  et 
'i»îtîf^Wde»Wm-HÉluieà'«é^iïiéès'.'-   ♦•'■ '-^''  ''^^  '»'^'^<>'l  J"'       '  ■'* 


^ 


gnant^du  BiSjAragon  une  bien  plus  grande  influence  que  lui  ;  c*était 
le  fameux  Carnicer.  Cabrera  était  jaloux  de  Tautorité  et  de  la  réputa- 
tion dei  p^ .çaJt^çjUa  ;  il  souffrait  impatiemment  de  se  voir  dominé  par 
fffj.^lJi^  jg^VyTiÇ^nicer  t^\ï{  du  prétendant  Tordre  de  se  rendre  dans 
l^pr^j^içe^.  t^f  sq^qf  ;,  jl  f^  ^n  çiDfc|<*  mm  »U  passage  du  pont  de 

^f^j^iiJt:fVt^8ris,ppruo  «Wï^c^  de  la  reine  ejt 

{u^i}l/fnt{^Sub^^its  lesp|u9  gruvea  o^t  çour^  à  eeisujet  contre  Cabrera; 
Jçvi  qfl^.qf^  jiU^  qu'il  ayait  prjoifoqpé  l'ordre idq  rappel,  pour  se  défaire 
cl'A^aappérli^W  qui  le  gênait;  d'aujtres  affiivQeiit  <que  Tordre  était  &usr, 
et  que  Cabrera^  après  avoir  ainsi  attiré  ÇoriMœr  Qupoat  de  Aranda,  avait 
fait  prévenir  les  christinos  du  moment, de  son  passage.  Il  est  encore 
bien  difficile  de  se  prononcer  sur  ce  que  cette  accusation  peut  avoir 
de  fondé;  tout  ce  qu'on  en  peut  dire,  c'est  qu'elle  est  très  répandue 
en  Aragon,  et  qu'on  en  parlait  jusque  dans  Tarmée  de  Cabrera,  au 
plus  fort  de  sa  fortune. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  mort  de  Carnicer  donna  a  don  Ramon  le  premier 
rang  parmi  les  chefs  de  bandes  qui  battaient  le  pays.  Il  alla  bientôt 
après,  vers  la  fin  de  1835,  faire  un  voyage  en  Navarre,  auprès  de  don 
Carlos,  et  il  en  revint  avec  un  brevet  régulier  de  colonel.  C'est  alors 
que  son  nom  commença  de  prendre  du  retentissement.  Il  eut  dans  le 
royaume  de  Valence  quelques  engagemens  heureux  avec  les  géné- 
raux de  la  reine,  et  se  fit  ainsi  une  renommée  de  hardi  guérillero.  Un 
millier  d'hommes  environ  servait  sous  ses  ordres.  Sa  puissance  crois- 
sante lui  donnant  de  plus  en  plus  les  moyens  de  satisfaire  ses  goûts 
d*écolier,  il  se  livrait  au  plaisir  avec  emportement  au  milieu  des 
hasards  de  cette  guerre.  Partout  où  il  était,  et  il  a  conservé  cette  ha- 
bitude jusqu'au  dernier  moment,  il  y  avait  festin  et  bal.  Il  donnait  à 
ses  officiers  l'exemple  de  bien  boire  et  de  danser  gaiement.  Il  avait 
aussi  trois  ou  quatre  feoimes  dans  chacun  de  ses  cantonnemens,  et 
ce  qu'on  raconte  de  ses  débauches  est  vraiment  incroyable. 

Une  des  qualité^  les  plus  nécessaires  d'un  cabcc^lla  «  c'est  le  mépris 
du  sang  humain.  Cabrera  n'avait  pas  plus  cette  qualité  que  beaucoup 
d'autres,  mais  il  l'avait  autant  que  qui  que  ce  soit.  Le  bandit  espa- 
gnol n'estime  son  chef  qu'autant  qu'il  le  voit  ne  faire  aucun  cas  de  la 
vie  d'autrui  ;  c'est  dans  le  sang-froid  à  donner  la  mort  qu'il  place  la 
dignité  du  commandement.  Aussi  cette  vie.sKyoluptueuse  était-elle 
mêlée  d'affreux  épines  qui  mettaient  Cabrerp  à  une  haute,  pl^ce 
dans  TestiJii94le  ses  ^pldAts.  Kul  ne  fmoaît  pltt3,  froidement  le  cigarilo 
en  donnant  Tordre  de  fusiller  des  pi^^mMer^  n»}!  Miies.i;egar^^t 
passer  d'un  œil*pl^ôec»tfj4pR/WlpfKTei^pm^ï(t,qu1^^  'a 


tSB  RBVDB  DKS.  DBIIX  MONDES. 

mort.  Cette  cruauté  de  Cabrera ,  qui  «et  deTenue  depuis  prev^Uale, 


lier 
.<t 
ils 
de 
Di- 
on, 
des  borreurs  que  son  Gis  commettait  tous  les  jours.  Interrogé  plus 
tard  dans  les  cortès  sur  cet  acte  de  barbarie  sauvage.  Mina  a  voulu 
soutenir  qu'il  y  avait  eu  conseil  de  guerre,  procès  régulier,  juge- 
ment, et  que  la  conspiration  avait  été  démontrée;  mais  il  lui  fut 
impossible  de  le  prouver,  et  la  responsabilité- du  fait  retomJw  tout 
entière  sur  Nogueras  et  sur  lui. 

Quoique  brouillé  depuis  loag-tenops  avec  sa  mère,  Cabrera  avait 
conservé  pour  elle  cette  attection  reconnaistante  que  les  mauvais 
sujets  ont  toujours  poar  la  seule  personne  qui  leur  ait  montré  de  l'in- 
dulgence dans  leurs  égaremeiis.  Transporté  de  fureur  à  la  nouvelle 
du  crime  .qui  venait  d'être  commis,  il  ordonna,  dans  un  ordre  du 
jour  terrible,  que  trente-quatre.  Temmes  d'ofGciers  christinos,  qui 
étaient  alors  entre  ses'  mains,  fussent  immédiatement  fusillées.  Il 
aononça  en  même  temps  que  tous  ceux  qu'il  prendrait  à  l'avenir  les 
armes  di  la  main  seraient  fusillés,  et  qu'il  vengerait  s^ms  rémission  le 
meurb'e  de  sa  mère  sur  les.ramilles  des  chefs  christinos.  Cette  épou- 
vantable menace  fut  remplie  à  la  lettre,  surtout  dans  les  preroifaï 
terpps  qui  suivirent  l'attentat  de  Nogueras,  et  l'ascendant  de  Ca- 
brera s'accrut  de  tout  le  prestige  que  donne  en  Espagne  une  mission 
de  vengeance  religieusement  exécutée. 

Pendant  les  six>  premiers  mois  de  183G,  il  ne  cessa  pas  de  battre 
la  campagne  dans  le  royaume  de  Valence,  où  il  se  rencontra  plusieun 
fois  avec  le  général  Palarea.  Au.  mois  de  juillet  de  la  même  année,  il 
fut  élevé  par  don  Carlos  4u  grade  de  m»réohal-de-camp.  Ses  ennemis 
ont  prétendu  que,  pour  s'assurer  de  l'avancement ,  il  avait  placé  une 
de  ses  anciennes  maîtresses  en  qualité  de  servante  chez  le  comte  de 
Villemur,  alors  ministre  de  la  guerre  -de  don  Carlos,  et  qu'il  avait 
soin  de  lui  taire. passer  de  l'argent  de  temps-en  temps  par  un  mule- 
tier pouc  qu'elle  corrompit  à  son  profit  les  conseillers  du  prétendant. 
Hais  cette  JristoirÊ  pourrait  bien  n'être.  >qu'une  de- ces  suppositioDs 


ImMluellemeittinV 
tntie  ddnt  on  ne  v< 
La  nn  de  1836  fi 
dition  de  Gomez  a 
bande,  ainsi  qu'un 
fiomez  passa  près 
passa  ensuite  entn 
àCaceres,  Gomei 


1  pourexpllquerune  for- 
ritablés  causes. 
t,  par  la  fameuse  espé- 
abrera  s'y  joignit  avec  sa' 
nommé  Serrador,  lorsque 
ifi  sait  pas  bien  ce  qui  se 
certain  qu'à  son  p^ssage 
ierrodor  qu'ils  eussent  k 


«piEtter  son  armée  dans  les  vingt-quatre  heures,  ce  qu'ils  Dtent  en 
eOet.  On  a  dit  que  les  déprédations  commises  par  les  hordes  indisci- 
plinées qui  les  accompagnaient ,  avaient  motivé  cette  brusque  rup- 
ture de  la  part  de  Gomez.  Peut-être  est-il  plus  naturel  de  l'attribuer 
à  cette  jalousie  de  commandement  qui  a  toujours  divisé  les  chefs  car- 
listes. A  son  retour,  Cabrera  fit  emprisonner  Serradùr,  et  devint  défi- 
nitivement le  seul  cabecilla  de  Valence  et  de  Murcie. 

II  ne  tarda  pas  à  être  nommé  commandant-général  de  ces  deux 
provinces.  Quand  eut  lieu,  en  mai  1837,  la  grande  tentative  de  don 
Carlos  sur  Madrid,  l'armée  expéditionnaire,  ayant'à  sa  tête  le  pré- 
tendant lui-même,  sortit  dé  Navarre  et  traversa  l'Aragon  et  la  Cata- 
logne dans  une  direction  parallèle  aux  Pyrénées,  pour  aller  faire  sa  jonc- 
tion avecCabrera;  Le  jeune  commandant-général ,  dont  cette  marche 
attestait  l'importance,  attendit  don  Carlos  avec  ses  troupes  à  FIJx, 
sur  la  rive  droite  de  l'Ëbre;  l'armée  royale  passa  le  fleuve,  et  toutes 
les  forces  de  l'Espagne  carliste  furent  réunies.  Le  bonheur  habituel 
dé  Cabrera  voulut  que  le  seul  rival  qui  pàt  lui  être  encore  opposé 
dans  l'est  aandânt-général  carliste 

de  rArag<  ;ement  dans  l'atTaire  qui 

eut  lieu,  :  le  général  Buerens  et 

l'armée  ei  'S  cette  brillante  affaire, 

l'armée  était  devant  Madrid. 

Cabrera ,  qui  nœrchait  à  l'avant-garde,  montra  une  grande  intrépi- 
dité. Il  s'avança  jusqu'à  une  des  portes  de  la  ville,  la  porte  d'Alocha, 
et  couronna  de  ses  tirailleurs  lés  hauteurs  qui  li  dominent.  De  sou 
quartier-général ,  on  put  reconnaître  avec  une  lunette  l'infante  Luisa 
Carlotta,  qui  regardait  l'armée  royaliste  du  balcon  du  palais.  Chacun  sait 
ce  qui  arriva  dans  cette  circonstance  décisive.  Au  moment  où  l'armée 
s'attendait  à  recevoir  l'ordre  d'entrer  dans  Madrid,  le  15  août,  don 
Carlos  donna  au  contraire  l'ôrdfe  dé  la  retraite.  Ce  n'est  pas  ici  le 
lieu  d'examiner  ce  qui  amena  cette  résolution  si  singulière  et  si 
inattendue.  11  doit'  nous  sufBre  de  dire  qu'elle  excita  ati  plus  haut' 


Depuis  ce  jour,  il  a  toujours  occupé  la  scène.  L'année  1838  a  été 
funeste  aux  armes  de  don  Carlos.  Elle  a  été  très  favorable  au  contraire 
à  Cabrera,  qui  semblait  s'élever  à  mesure  que  la  cause  carliste  s'abais- 
sait en  Navarre.  Ctiaque  pas  fait  en  avant  par  l'armée  d'^parter» 
était  compensé  par  un  succès  de  l'heureux  partisan,  et  les  regards 
s'habituaient  peu  à  peu  à  se  porter  sur  lui. 

Depuis  long-temps ,  il  convoitait  la  place  de  Morelta,  pour  en 
faire  sa  place  d'armes.  On  apprit  tout  fi  coup ,  au  mois  de  février  1838, 
qu'il  venait  de  s'en  rendre  maître.  Voici  des  détails  authentiques  sur 
ce  coup  de  miain,  dont  les  circonstances  ont  été  complètement  incon- 
nues jusqu'ici.      ' 

Un  artilleur,  nommé  Pedro,  avait  déserté  des  troupes  de  la  reine 

Christine ,  et  avait  pris  du  service  sous  Cabrera.  Un  jour.cet  homme, 

qui  avait  fait  partie  de  la  garnison  de  Morella ,  se  plaça  sur  le  cTie'min 

de  don  Ramon;  et,  portant  la  main  à  son  berret:  Générât,  iiÙ,-\i„Je 

m'engage  à  prendre  Morella  avec  la  moitié  d'une  compagnie,' si  voir^ 

excellence  veut  la  mettre  à  ma  disposition. —  Tu  l'as',  répondit  ïp 

général  frappé  de  son  air  résolu  ;  qnanâ  ce  ne  serait  que  pout;récom- 

penser  ta  bonne  rolonté.  Peu  d'instans  après,  Pedro  partait  pour 

le,  qui  se  composait  de  quarante  hommes 

ar  un  lieutenant.  Il  éiait  environ  sept 

lit  close  quand  i)  arriva  au  pied  du  rocher 

lercher  dans  les  ténèbres  le  point  par  où 
descendu  lé  rocher,  pendant  qu'il  était 

le,  les  vivres  étaient  rares;  le  lieutenant 

it  à  murmurer,  quand  ils'  virent  Pedro 
de  hauteur  au-dessus' i^e  tèurs  te^,  et 

}  long  du  pic.  En  moins  <te' trois  quarÙ 


«CAJIUEBA.  189 

d'heure.  j1  était  ttrriy^^  ^  impart,  q^u'îl  escalada  coinmo 

l^res^.  Leç sentineUçs^s  es  daiis  leurs  guérites,  contre 

la  rigueur  de  là  saison;,  jfisqif'à  ,Ia  première  guérite, 

déchqjge  sou  ;niousqitçJt  ■  it  |dans  la  pqitrine  du  faction- 

I  rc  de,  sou  ï  détonatJi^ ,  le  poste  aç^ùrj,; 

Pedro  p  iijl  fait  feu  siir  le  premier.qv^ 

'qtcnd  ra  riaQf  de^^tes  ses  forces  :  Vivç 

1  lutres,  croyant  lq',(:b<|fÇ{Hl  ^u^ppuvoir  des  carlistes, 

!  en  jetant  leurs  armçs,^  l'alarme  se  répand  d'étage  eii 

iteau ,  et  ce  cri  retentit  de  toutes  parts  ;  Les  carlistes  ! 

les  carlistes  ! 

Cependant  Pedro  ne  perdait  pas  de  temps;  il  fermait  avec  soin  toutes 
les  issues  de  la  terrasse  dont  il  s'était  si  heureusement  emparé.  Après 
s'être  barricadé  du  mieux  [qu'il  avait  pu,  il  aidait  le  lieutenant  à 
s'élever  avec  des  cordes  jusque  sur  le  rempart,  puis  le  sergent,  puis 
la  plupart  des  hommes  qui  les  accompagnaient  ;  les  autres  étaient 
partis  ù  la  hilte  pour  aller  porter  à  Cabrera  la  nouvelle  de  la  miracn- 
leuse  ascension  de  leur  chef.  La  petite  troupe  passa  la  nuit  sur  la  ter- 
rasse ,  s'étonnaut  de  n'être  pas  attaquée ,  et  attendant  l'arrivée  de 
forces  supérieures;  elle  ne  savait  pas  jusqu'à  quel  point  sa  victoire 
était  complète.  Le  gouverneur  de  la  place,  gagné  par  la  panique 
qui  avait  saisi  la  garnison,  avait  fait  ouvrir  les  portes  de  la  ville  A 
deux  heures  du  matin ,  et  avait  évacué  Horella  avec  toutsou  monde, 
laissant  le  chAteau  désert- 

Xu'ppint  dujour,  les  babitans  de  Morella,  qui  étaient  presque  tous 
carlistes,  et  qui  savaient  le  départ  de  la  garnison ,  se  répandirent  dans 
les  rues,  en  criant:  Viva  Carlos  guintot  vira  la  religion!  viva  la 
Virgen!  vha  Cabrera!  Mais  le  prudent  Pedro  se  gardait  bien  de 
dcscendi;e  de  sa  forteresse,  et  les  habitans  ne  savaient  à  quoi  attribuer 
le  silence  eXtrnordinoire  que  gardaient  les  maîtres  du  château,  quand 
arriva  aux  portos  de  la  ville  un  groupe  de  cavaliers  au  galop  :  c'était 
Cabrera  qui  était  accouru  avec  son  état-major  dès  la  première  nou^ 
velle  du  succès.  Tout  fut  bientôt  eipUqué;  les  prisonniers  de  la  cita- 
delle furent  délivrés  et  portés  en  triomphe,  et  le  drapeau  de  Charle^  A' 
flotta  victorieusement  sur  Morella.  Pedro  devint  capitaine  et  çhçva- 
licrde  ^àjnt-Fcrdtnand;  mais  dans  le  retentissement  <^u'eut  àii  Loii) 
la  prmde  la  place,  sn  gloire  disparut  dans  celle  de  son  général. ,  , 

Il  éçt  yraî  qiie  '  si  Cabrera  avait  pri$  par  lui-même  peu  de  part  h  cette 

prise,  il'eh  eut  davàntàW  à  l'orÉanisation  qui'suivit.  Des  qu'il  fui  en 

NiJiul.  i;j(nj;n>  >iii!i,ii  iP.r.  ■,;  ,.Py   -  ;,     ■'.-■'■':.  ••ti  '■■i.  iii'lj!  ,  .,  , 
possession  de  ces  murs  si  désires,  il  entreprit  d  y  fonder  le  siegi^ 


£.  De  tous  cdtés 
tniit  des  choses 
1  sens  de  suivre 
s  matières.  Des 
Imposés  par  lui  à 
une  fouderie  de 
]ui  lui  avait  été 
nanière  des  clo- 
>es  fabriques  de 
Drella  même,  et 
iQcatJons  furent 
ajoutées  à  celles  qui  existoîeut  déjà  dians  tout  le  pays. 

Les  cbristiiios  voyaient  avec  impatience  ces  travaux  d'organisation, 
et  De  songeaient  qu'à  reconquérir  la  position  qu'ils  avaient  perdue 
par  une  surprise.  Leur  tentative  ne  fut  que  l'occasioti  d'un  nouveau 
succès  pour  Cabrera. 

Ce  fut  vers  la  un  du  mois  de  juillet  1838  que  le  général  Oraa,  è 
la  tète  de  l'armée  constitutionnelle  du  centre,  se  mit  en  marche  sur 
Morella.  Ses  forces  étaient  d'environ  vingt  mille  hommes,  divisés  en 
trois  corps.  Le  premier,  que  commandait  Aspiroz,  aborda  les  mon- 
tagnes du  Maestrazgo  au  nord  par  Alcaoiz  ;  le  second ,  sous  les  ordres 
de  Van  Halen,  se  réunit  à  Téruel  vers  l'ouest;  le  troisième,  que 
conduisait  le  brave  général  Pardiôas ,  prit  position  au  sud-est,  à  Cas- 
tellon  de  la  Plana. 

Ces  trois  colonnes,  qui  occupaient  les  trois  pointes  d'un  triangle 
dont  Morella  était  le  centre,  reçurent  l'ordre  de  se  porter  en  même 
temps  sur  Morella  et  les  forteresses  voisines.  Ce  mouvement  s'exécuta 
avec  précision ,  mais  avec  une  extrême  lenteur.  Quand  une  des  co- 
lonnes était  arrêtée  dans  sa  marche  par  les  trqvaui  que  Cabrera  avait 
fait  construire  en  avant  des  villages  qu'elle  rencontrait,  les  deux 
autres  en  étaient  aussitôt  instruites  avec  ordre  de  ralentir  leur  mou- 
vement, tant  on  mettait  de  soin  et  de  crainte  à  bien  entourer  dans 
son  fort  cet  eunemi  si  redouté.  On  perdît  ainsi  beaucoup  de  temps 
à  s'attendre  les  uns  les  autres ,  et  les  munitions  rassemblées  à  grands 
frais  diminuèrent  d'autant. 

De  son  càté,  lorsqu'on  lui  annonça  l'approche  d'Oaa,  Cabrera  avait 
laissé  dans  la  place  ses  meilleurs  soldats  pour  la  défendre,  et  en  était 
sorti  avec  un  corps  de  trois  mille  hommes  pour  tenir  la  campagne.  Il 
occupa  avec  cette  troupe  les  hauteurs  qui  entourent  Morella ,  et  quuid 
les  chrisUnos  y  péuétrèreot ,  il  les  harcela  de  toute  sorte,  en  se  jetant 


CABRfeRÂ.  *  '  I9Î 

a  riraproviste  sur  leurs  derrières  et  en  tiraillant  lé  long  des  colonnes 
en  marche,  à  la  manière  des  Arabes.  Aucune  règle  de  tactique  ne 
présidait  à  cette  guerre  de  surprises;  seulement,  des  signaux  con- 
venus étaient  échangés  entre  les  assiégés  et  leurs  défenseurs  du 
dehors ,  par  le  moyen  de  fusées  de  diverses  couleurs ,  et  servaient  à 
donner  quelque  ensemble  à  leurs  opérations. 

Cabrera  s'était  d'ailleurs  réservé  un  moyen  plus  simple  encore  de 
communiquer  avec  l'hitérîeur  de  la  place.  Presque  tous  les  soirs, 
pendant  la  durée  du  siège,  un  jeune  homme  se  détachait  des  avant- 
postes  des  carlistes  campés  sur  les  hauteurs,  et  se  glissait  dans  l'ombre 
jusque  sous  les  murs  de  la  ville.  On  lui  jetait  du  haut  des  murs  une 
cerde  à  nœuds,  et  il  se  hissait  ainsi  dans  Morella.  Ce  jeune  homme, 
c'était  Cabrera  lui-même,  si  l'on  en  croit  les  récits  des  carlistes  enthou- 
siastes de  cette  audace  de  leur  chef;  il  s'assurait  ainsi  de  l'état  de  la 
garnison  à  qui  il  apportait  les  nouvelles  du  dehors,  et  retournant  par 
le  même  chemin  au  milieu  des  ténèbres,  il  se  retrouvait  le  lendemain 
au  milieu  de  sa  petite  armée  pour  donner  quelque  alerte  à  l'ennemi. 

Arrivé  devant  la  place  f  Oraa  attendit  encore  huit  jours  son  artillerie 
qu'il  avait  laissée  à  Alcaniz.  11  passa  ce  temps  à  pousser  des  reconnais- 
sances dans  tous  les  sens,  et  à  se  retrancher  dans  ses  positions.  Enfin , 
le  huitième  jour,  il  ouvrit  le  feu ,  et  trois  jours  après  la  brèche  était 
pn^kable;  mais  au  lieu  de  donner  Tassant  immédiatement,  les  christi- 
nos  attendirent  encore,  et  dans  l'intervalle  les  assiégés  s'avisèrent  d*un 
singulier  moyen  de  défense,  qui  montre  bien  la  nature  de  cette  guerre. 

La  place  de  Morella  était  pleine  d'une  immense  quantité  de  bois  qui 
provenait  des  charpentes  de  plus  de  cent  maisons  appartenant  à  des 
constitutionnels  et  détruites  par  les  carlistes.  On  entassa  ce  bois  sur 
la  brèche  et  on  y  mit  le  feu.  Des  tourbillons  de  flammes  s'élevèrent  à 
une  hauteur  prodigieuse  et  illuminèrent  de  leurs  reflets  la  ville  et  la 
citadelle.  En  quelques  heures,  la  brèche  devint  un  vaste  brasier  qui 
projetait  autour  de  lui  une  chaleur  ardente  et  qui  aurait  dévoré  qui- 
conque se  serait  hasardé  à  le  franchir. 

Cependant  les  soldats  de  Cabrera,  qui  rôdaient  sans  cesse  autour  des 
avant-postes ,  criaient  ironiquement  aux  assiégeans  :  Voyons  si  vovs 
ne  monterez  pas  à  l'assaut  cette  nuit,  on  a  pris  la  peine  de  vous 
éctairer!  L'assaut  eut  lieu  en  effet,  mais  sans  succès;  plus  de  deux 
cents  hommes  fiircnt  mis  hors  de  combat  tant  par  les  balles  que  par 
le  feu  de  la  brèche,  et  les  soldats  brûlés  criaient  en  fuyant  devant  cet 
horrible  incendie  :  Cabrera  est  un  démon  et  Morella  un  enfer!  — 
Cabrera  es  un  demonio  y  Morella  un  infierno. 


1^^  BEVUE  DEilâii^  Fondes. 

sfefcina  tikièttà  fût Jtëhtë^qùi'  édliolla  lk)ftitfè  le'îifërtilfeK  ta  disettç  se 


si^efs,  on 
mtfD^éà'lë^'^hëvàiik'La  &ém6f»f^âti!oti  iitfiéfia'fihdisèi^pttnè/qi^a 
otttôdd  un 'fitssAW  feértérdU  m!a»  bette  lettte^^^ 
i^ôès^éê.  EtoWi,  Ife^airi^înÀS,  feKiilnràn  grënd  ionfibre  de  mbrts^ 
s^*  les  ttrtïrs  de  fa' jJfeée',  |)atfni  ïe^aël^  Tandén  gouverneur  de 
Mbrella,  qui  S'haït  lîalssg'ertlëvèrîè  château  si  sottement ,  lèvêreni' 
le  sîége  le  18  août;  la  brèrtié  brttiàiVtoiq^^  "    \''  ''..''.!.. 

Elle  s'éteignit  pout!  laisséi-  f entrer  Cabrera.  L'héiireux  général 
revînt  en  triomphateur  datts  sa  Ville  délivrée.  JaniiâisVoi'd^Éspagne 
n'avait  été  reçu  avec  de  tels  transports  d'enthousiasme.  Toutes  les 
cloches  sonnaient  à  grandes  volées.  Des  fanatiques  se  jetaient  à  ge- 
noux sur  son  passage.  Un  journal  qui  s'imprimait  à  Morella,  sous  le 
titre  de  Pcriodico  de  Aragon  y  Valencia  y  Murcia^  et  dont  le  rédacteur^ 
qui  était  un  vieux  prêtre,  allait  prendre  tous  les  soirs  les  ordres  de 
Cabrera,  fit  une  relation  pompeuse  du  siège,  et  termina  son  article 
par  ces  mots  :  Nous  tous,  vaillans  soldats  de  V armée  et  habitans  de 
ùétte  héroïque  et  fidèle  cité,  nous  pensons  que  le  roi  ne  saurait  mieux 
ftiife  qiic  de  àécérnery  après  une  si  grande  victoire,  à  l^ immortel  Ca- 
breray  le  titre  de  comte  de  Morella. 

Letftre  aihsl  demandé  fut  accordé  avec  le  grade  de  lieutenantr- 
général,  par  décret  daté  d'Onate,  2  septembre  1838.  Doq  Carlos 
n*avaît  rien  à  refuser  au  vainqueur  de  l'armée  du  centre,  ftânliôn^ 
l'écolier  Ramon,  put  signer  de  te  nom  ^omre  :^Èl  conàe  dj^  ^orem 
Don  Carlos  lui  écrivit  en  oùtre^  pour  te  féliciter  dé  celte  victoire, 
une  lettre  autographe  dontvoicî  la  tradiièïîôriT  '  '  '    '*  ^  ' 

(c  Mon  CHER  Cabrera  ,  '        •   .i  .1  i  m   »i 

«  Grande  a  été  la  satisfaction  que  j'ai  eue  pour  là  'très'  glorieuse 
victoire  qae  tù  viens  de  remporter  et  pour  la  cotnplètè  déroute  dés 
ennemis  de  la  vraie  félicité  de  notre  chère  Espagne,  de  mes  droits 
légitimes  et  de  Dieu  môme;  grande  aussi  a  été  ma  joie  d'avoir  ce 
houveau'îdôtif  de  récônipenser  tes  services  non  interrompus,  ta  fidé- 
lité eonfiiiatité^'  ton  amour,  ton  zèle  et  ton  désintéressement.  Je  dois 
dé  grandes ^gralîesè' Dieu,  qui  m'a  donné  un  brave  serviteur  comme 
toi  et  quH^TéVét;!!  d'drte  valeur,  d'une  constance  et  d'une  fidélité  et 
gtoande^d^urië  telle  ap^catfoh  à  la  fin  principale  dé  notrfe  èWfrëpriSe. 
SoûtieHs-*t6î  toujours  constant  et  chaque  fois'pfluy  féhné  d'dH^ nbk 
solides  principesfâMs  te  couteau  {et  cjuckillàfdè^ifApieé'éll  Âe'^'M^ 


iffle  jpjp.i^éajiiç.  ,J'i)i  pppciï  4Wtu  fi^.été 

ijje,  j'çf)  apiflifi,  cp.sep"!  Ufte-grandeiperto-. 

!ifi  t"^qp:^dfir  d^^,i|iftpirep  cwiwie  pnrile. 

rgc,  d;f  s,  JQqlctuxni^tw  g^éralissime,  iB 
couvre  de  sa  mantp,  te  protège,. tfi|dfrige,,*e  df-IJqnde,  et  nous  donne 
de  nous  ¥i^jr,))içiiVit  tranquilles  à,l)(a4rid,  pp^^s .avoir  vaincu  tous 
nos  ennemis.  Adieu  ;  je  t'estime  et  je  l!aiipe.  ■  ■         «  Carlos.  » 

Le  brait  de  la  levée  du  siège  de  Morella  se  répandit  promptement 
dans  toute  l'Espagne.  C'était  le  plus  grand  succès  et  le  plus  inattendu 
<|ne  les  carlistes  eussent  obtenu  depuis  long-temps;  Cabrera  devint 
plus  que  jamais  le  héros  de  son  parti.  On  a  vu  comment  cette  grande 
renommi'e  lui  était  venue,  et  ce  qu'il  avait  fait  pour  la  gagner.  Les 
lenteurs  d'Oraa  avaient  la  plus  grande  part  dans  ce  qui  était  arrivé. 
Quant  i  Cabrera,  il  n'avait  eu  d'autre  mirite  que  d'attaquer  l'ennemi 
à  tort  et  it  travers,  sans  plan  et  sans  ordre,  comme  un  brave  gueril-< 
lero  qu'il  était. 

Il  ne  songea  même  pas,  après  son  succès,  à  pqprauivre.  l'armée 
d'Oraa.  Cette  fu'méc  se  retirait  dans  le  plus  grand  di'sordre  en  se  dé- 
lùndan,^  ;  elle  ne  GG  rallia  qu'«  Alcaoiz.  Si  les  carlistes,  profitant  de 
leiire  ay^ntàges,  avaient  .su|vi  1^^  cliristîpos  l'épée  dans  tes  reins,  il  en 
serait ftôrti  'bien  pcu,des  déPtlés  étroits  qu'ils  avaient  à  traverser;  mais 
ce  n^cst  pas  ainsi  qu'on  fait  Iq  guerre  en  Espagne,  et  Cabrera  avait 
d'autres  affaires. 

te  lendemain  de  sa  rentrée  dans  Morelta,  il  rassembla  toutes  ses 
forcer,  loissa  Ipijlç  sans  défense,  et  partit  du  cAté  opposé  à  celui  par  où 
fuyait  t^ra^:  w>  seul  bataillon  fut  mis  à  la  poursuite  des  assiégeans. 
Si  l'armée  constitutionnelle,  avertie  de  ce  départ,  était  revânue  sur 
ses  pas,  elle  serait  infailliblement  entrée  dans  la  ville  sans  coup  fénr, 
d'autant  plus  que  la  brèche  était  toujours  ouverte;  mBtftOraain'aurait 
eugarded'en  concevoir  seulement  la  pensée.,  jgeg.aoldibbidis^rsés 
i^e  spngçaipnt  qp'à  dévaster  le  pays  qu'ils  trav«rsaifiDt,  et  qui;  garda, 
long-leriy)s,,^pf,è^lçur  pif^sagc.  l'aspect  d'unpsftlttudeidéiftléeii  Le 
bft^jflQfl,qui  lç3|S|jfVfljt  lewr  tua.pe  qu'y  ypufet,:;çttpw  fit, demsiotnte 
Çrif9j)pj[er^,q)if^  ^ijyffintlt^siUésppwrowrwc  twawApr.oo'W^^ 
QiJ()n,t|(;;i^r^iq!J,^ll(i^t-L(?,(;'e3tçe,qfl'w  «a-ndr.,.,,,,  .1,,,,;  -  •  ■!  ■ 


1^.,  REVUE  DE$.  PKWrMONDES. 

Quelque  îqms  ^pr^s  l^.le^éedxxsv^,  à^^ràm^^rà^  VolnHOi  «cii 
bajgoaieut  dans  la,. mer,  le  long  dq,  la^luQlkcOte.qji^.e&t^^.iqiK^lquei 
distance  dç  la  ville.  Comme  oDiJip.s^  jeûnais  çieu  à  temps^uEspdffHs 
la  pl^s  parfaite  cppûance  régaait4iw&'la  yille4et  dan^Jes. .environs»; 
Le  jouroal  con^t|lsU)4oDQelde  Valence  contenait  les  plMfi.heaiu[  récitet 
SUT  la  valeur  (ù(is^rria)  que  i^s  chriMioAS  déployaient  au  siège  à» 
Mçrella,  et  un  Teu  d'3rtiQçe  av^it  été  pfépacé  par  \e$  habitons  pour^ 
célébrer  la  prise  de  ceUe  place  redoutée.  On  assurait  déjà  que  Ca« 
brera  avait  été  tué,  et  on  s'en  réjouissait  Lesi  portes  de  la  ville  éUient , 
ouvertes;  tout  respirait  la  joie  et  la  paix  sous  ce, ciel  si  doua^  et  si  pur^ 
qu'il  sufGt  de^voir  la  lumière  et  de  respjrer  l'air  pour  être  beureui^. 

Tout  à  coup  des  cris  s'élèvent  et  s'approchent,  et  les  baigneuses 
effrayées  voient  d'affreux  cavaliers  soulever  en  courant  «  dit  bout  de 
leurs  lances,  les  mantilles  qa'elle&  avaient  laissées  sur  le  rivage*  Los . 
fc^cciosos/  iosfacciû9osI  A  ce  cri  terrible,  tout  fuit;  les*  portes  de  la 
ville  se  referment.  C'était  en  effet  un.  escadron  de  Cabrera  qui  précé-. 
dpiit  le  reste  de  son  armée.  On  dit  que  le  chef  de  cette,  troupe,  don 
Ran^n  Morales»  ancien  garde-duK;orps,  eut  pitié  des  pauvres  femmes 
qui  avaient  été  ainsi  surprises.  Pendant  qu'elles  se  cachaient  «de.  leur 
mi^nx  derrière  les. rochers,  il  ordonna  à  ses  soldats  de.se  retirar  et 
leur  assura  galamment  qu'elles  n'avaient  rien  à  craindre* — Ah!  quel 
donimsige,  disaieptrcUes^  ep.  sortant  du  bain  et  en  regagnant  la  ville 
an  plus  vite,  qif*ua  tel  cavalier  soit  un  factieux.:  que  lasiimaqm  lai 
caballero  sea  un  facçioso /i 

Cependant  Cabrera  mettait  à  feu  et  à  sang  cettç,  magnifiquei  huerta 
de  Valence,  qui  est  si  célèbre  par  sa  richesse.  Die  tous  les  points  de 
l'horizon  s'élevait  la  fumie  des  villages  incendiés.  Le  bruit  des  cloches 
et  le  son  des  tambours  appelèrent  bien  les  Yalenciens  À  la  défendre, 
mais  nul  ne  se  hasarda  contre  l'ennemi.  Pendant  deux  jours  eotiers, 
les  carlistes  pillèrent  à  leur  aise;  puis  ils  repartirent  pour  Morella 
aussi  vite  qu'ils  étaient  venus,  poussant  devant  eux  de  longues  files 
de  chevaux  et  de  ipulçts  qui  portaient  leur  buUn,  D'imn^nses  quan- 
tités de  blé  furent  déposées  à  la  citadelle;  de  grands  troupeaux  de 
bœufs  et  de  moutons  furent  parqués  dans  les  mpntagnes  voisines  ; 
quant  à  l'argent,  il  fut  partagé  entre  les  soldats  et  les  chefs.  On  com- 
prend maintenant  qu'une  pareille  expédition  avait  dû  être  plus  goûtée 
des  barateros  qui  compo3aient  la  plus  grande  partie  de  l'armée  de 
Cabrera,  que  la  poursuite  et  la  destruction  d'un  corps, d'armée* 

La  terreur  que  cette  sanglante  apparition  a  laissée  jderrière  elle  ne 
s'est  pas  encore  aujourd'hui  effacée  à  Valence»  Une  aventure  q^i  a  eu 


Ue«i  tong-teflq^ «kppè^46 f aasagette  €abrera;  et  qne  tout  le  monde 
raee»te  en  Espagne,  en  donnera  une  idée.  Un  négociant  de  Valence 
attendait  un  <najirire  eba^  'de  «ontrebande;  du  bord  delà  mer,  H 
voyait  ce  navire  louvoyer  à  distance,  mais  sans  oser  aborder,  parce 
que  les  douaniers  conwatent  le  rivage.  Il  imagina  nlors  de  courir  à 
toutes  jambes  vers  la  ville,  e»  criant  à  tue-4ète  :  (kbrera  1  Cabrera  I  A 
ce  nom,  bientôt  répété  de  tous  côtés  par  la  population  épouvantée^ 
les  douanion»  «e  sauvent  et  courent  à  leur  tour  vers  la  ville;  une 
panique  générale  se  répand;  de  totts  les  points  dé  la  huerta,  chacim 
accourt  avec  ce  qu'il  peut  emporter  de  plus  précieux.  Les  portes  de 
Valenoe  demeurèrent  fermées  pendmit  trois  jours  à  la  suite  de  cette 
alerte.  Un  énorme  encombrement  d'hommes,  de  femmes,  de  mulets, 
se  forma  sous  les  murs;^  il  en  sortait  des  cris  de  désespoir  et  de  prière, 
mais  les  babitans  refusaient  d'ouvrir,  craignant  d'introduire  avec  le^ 
fugitifs  le  terrible  dévastateur.  A  la  faveur  de  ce  désordre,  le  navire 
débarqua  ses  marchandises,  et  les  Valenciens  en  furent  quittes  cejtte 
fois  pour  la  peur. 

Nous  avons  laissé  Cabrera  à  Morella.  Nous  le  retrouvons ,  à  quel- 
ques jours  de  là ,  près  de  Falset.  Falset  est  une  petite  ville  foirtiflée 
au-delà  de  TÈbre,  à  vingt  lieues  environ  au  nord  de  Morella,  comme 
Valence  en  est  à  trente  lieues  vers  le  sud.  La  promptitude  datis  les 
mouvemens  est  le  premier  mérite  d'un  chef  de  bande,  en  ce  qu'elle 
lui  permet  de  se  porter  inopinément  sur  les  points  où  il  est  le  moins 
attendu;  Cabrera  a  eu  long-temps  ce  mérite  au  phis  haut  degré,  et 
cela  suffit  pomr  ex|lHquet' sa  réputation  ndh'taire  auprès  des  Espagnols. 

n  mardiait  donc  sur  Falset,  dans  l'espoir  de  ntettre  à  Sac  cette 
place  et  d'y  fiiite  encore  thi  butin,  quand  il  dut  au  hasard  tme  nôu* 
velle  victoire  qu'il  ne  cherchait  certainement  pas.  Le  général  Pardi- 
nas^  qui  commandait  la  troisième  division  de  l'armée  du  centre,' 
n'avait  pu  voir  sans  indignation  la  retraite  de  Tannée  devatit  unt^^ 
bicoque  défendue  par  quelques milliers  de  bandits;  il  nouhîssait  dans 
son  ame  le  désir  tioleni  de  prendre  sa  revanche,  et  qttond  il  apprit' 
que  le  nouréau  comte  de  Moretta  était  près  de  lui ,  il  s'empressa  de 
marcher  à  sa  rencontre.  Cabrera  avait  trois  mille  hommes;  Pardifias 
en  amena  aix  mille,  né  doutant  pas  qu'avec  de  pareilles  forces  il  ne 
culbutât  l'ennemi. 

Cabrera  ne  présentait  jmmh  la  bataHte  en  pleine  campagne,  mais  il 
la  refusait  rm^enieitt.  Bès  qu'il  apfM  l^tfrrivée  de  Pardiftas ,  il  alla  au- 
devant  de  lui.  Les  deux  armées  se  rencontrèrent  le  1"  octobre  1838, 
entre  Flix  et  Sf délia.  Pardifias  déploya  sa  divisioti  sur  une  seule  ligne; 


G^bjriein^.fifi|fi(;^oM«»^|H^»pwt(#l^  un 

mpin»  (te|ip^çe^;q^^,^Q|^t^flvWNIÎteé  B'<<xpD$iitt.i  èlre<iébMidéé«dniUii 
et  à  gauche,  et  attaqué  sur  les  deux  flancs  en  mftmeteflit^^lmidfV' 
front.  Selon  t4MUes'le${appdr|9iHV^.  «MdiHfî^îon^eVliflsétiièfclétrùiièçtc^ 
fut.celle  de.PardiAasq^j'lerutentièfCfliMt. .:    l '^  'i  i;    .  .'t.. 

Le  combat  $'e9gagp«a[v<^cacb2irQemeiit  Lea  soldats^AnsliDOS^se  ' 
battaient  avec  r^énergiq  fg^  .^ikwejo' désir  de  ven^r'm»éèheo^'ies 
carlistes  avec  cette  contiaficaqui  oait  de  Tbabitude  de  lamficloir^  Au 
bout  de  deux  heures  de  feu»  les  troupes  de  Cabrera  dliMBtreédtfct 
devant  des  forces  supérieures;  l'aile  gauche  coBviieDça  à  plier;  et  le 
mouvement  de  retraite  oe  tarda  pas  a  se  propager  sur  toute  la  ligne. 
Cabrera  furieux  s'élance  en  avant.  «  Lâches  I  s*écrie*t-il ,  vi>iis  m'aban- 
donnez ;  eh  bien  !  je  saurai  mourir  seul  au  milieu  de  rennemi.  — -  Non 
pas  seul ,  mon  général,  lui  répond  le  colonel  d*un  escadron  aragoBiôs 
qui  soutenait  la  retraite,  mais  avec  vos  Aragonais  !  d  A  ces  mots ,  le 
colonel  fait  volte-face,  et  son  escadron  se  précipite  avec  tant  de  rage 
sur  Taile  gauche  de  l'ennemi ,  qu'il  la  disperse  en  un  clin  d*OBil. 

Le  brave  PardiAas,  voyant  le  désordre  se  mettre  dans  cette  partie 
de  ses  troupes,  se  porte  aussitôt  sur  le  lieu  du  danger,  à  la  tète  à^ 
son  état~m«jor.  Eu  le  voyant  venir,  le  colonel  aragonais  court  à  lui  et 
lui  porte  a  la  gorge  un  coup  de  lance  qui  le  renverse  mort.  En  même 
temps,  rétatHDaajor,  assailli  par  la  cavalerie  carUate,  tourne  hniê. 
Cabrera,  qui  était  parvenu  à  rallier  les  fuyards^  arrive «veo  toulca^es 
forces,  mais  sa  présence  n'était  déjà  plus  néoeaiaiffek  Ett>appittoant 
la  mort  de  leur  malheureux  général  «  les  soldat»  de  Paidilib.8'»étafeat 
assis  par  terre,  levant  leurs  fusils  la  crosse  en  l'aîri,  et  eriaol<|tt'iIaëe  >• 
rendaient.  On  les  Qt  tous  prisonniers;  ib  étaient  o^M|/milhi(  Je  «reste.  »^ 
avait  été  tué.  De  cette  belle  division,  il  ne  se  sauiftieq  tf>ui!  qn'tiao  , 
quarantaine  de  cavaliers.  <  .  .m  •   - 

Ainsi  s'est  passée  cette  fameuse  aflaire  de  HaeU««  la  plus  désa»^ 
treuse  pour  les  christinos  de  toutes  celles  qoi  ont  «u  lieu  pendant 
cette  guerre.  Le  général  Pardiûas,  qui  y  périt,  était  on  des  meilleocs 
officiers  de  rarmi6e  constitutionnelle;  issu  d'une  des  plus  nobles 
familles  de  Calice,  il  avait  embrassé  par  goût  l'état  militaire;  nommé 
député  aux  cortès  de  ,1837,  il  avait  volontaireaient  quitté  les  fcancs 
de  la  chambre  po^r  les  rudes  travaux  de  l'armée.  Il  diait  ègé  de  ftrente- 
cinq  aii$  quand  il  mounfiU  Cette  action  a  été  raooufate  aiikrement  dans 
h  temp^  par  l^sjouruaiiEi  espagnels;  mais  ce  4MiKNas:VcneB8<de  dire 
est  la  \énLû^,^i|l,c  qu'i^Ue  nous  a  é\é  attMMe  paii.ded'*émbiiis  oou^ 


I      » 


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coittmles#B>bnnfeBn  •»'*  <»'»*i^*  '*»**»  ^  ••  't'^  ••;'•••    '   *  •   -  -■  '  '"^ 

comble  i  la  renommée  de  QriHWfé.  f/éptf^tfaotë  sfe  rëf^dR  jusque 
daasflwraeiteej  A'tMt  ilioÉMil,'m  fattetklail  frie  toit  aMvér  soti^ 
le» «uns'de ocÉte «Hei  doottopoj[iniliiic)h  pitt  Icf^ànndes.  Il  ne  palut 
pat/  Afrèt  fqoelqae»  tentatives  4sôlées>dQr  Qispe  et  dTaiitres  petites 
YîHaasansîHpoftnKes  îl  a^^  Nf^stma^tiillenietit  le  cbemin  de  ses 
montagnes;  isans  ^fkmwittjr  des  sofles  qu'aurait  pu  avoir  sa  victoire. 
Nul  doute  que  s^il  s'étail  présenté  après  un  tel  succès  sur  les  derrières 
de  Tannée  d'EsparterOt  Û  n'eât  opéré  une  diversion  puissante;  mais 
ce  n'était  pas  sa  manière.  Son  unique  soin  fut  de  se  défaire  en  détail 
des  prisonMers  qu'il  avait  fints.  Les  habitans  de  Sarragosse  ayant  mani- 
fiesté  leur  crainte  et  leur  colère,  selon  leur  habitude,  par  l'exécution 
de  quelques  carfistes  enfermés  dans  le  château ,  Cabrera  ordonna  par 
représaffles  qu'il  s^ait  fusillé  dix  christînos  pour  un  carliste,  et  lei 
devr  partis  s'arnmgèrent  si  bien ,  que,  de  représailles  en  représailles*. 
les  cinq  miOe  y  passèreni  presque  tons. 

Ce  moment  est  l'époque  la  phis  brillante  de  la  vie  de  Cabrera.  B^ 
son  royaume  de  MoreHa,  H  occupait  et  tenait  en  respect  un  bon  tier«^ 
de  fB^agne?  son  année  étirft  devenue  forte  de  quinze  mille  hommes 
de  troupe»  à  >peu  prts  régulières,  dont  huit  cents  chevaui.  11  avait 
qoaranle^àcesf  de  caBM;  plusietiri  forteresses  et  trob  braves  lieute- 
nans,  F#fOMMI>LhÉigostt«4»etPolo.  Tont  ebéfssiut  et  tremblait  autour 
de  Ira;;  Hnte'veoonnaksait  aucune  autorité,  pas  même  celle  du  roi. 
Son^nométait  imfofué'avce  respect  d'un  bout  de  l'Espagne  à  Fautre, 
paréflute  la  population  carliste;  enfin,  il  était  comte,  ce  qui  devait 
l'étonner  beaucoup  lui-même.  Cinq  ans  avaient  suffi  pour  porter  à  ce 
haut  point  der  graurfèur  le  pauvre  écolier  de  Tortose. 

JiMq«e4à  la  fortune  avait  semblé  conduire  par  la  mafn  le  jeune 
aventurier;  mais  le  moment  était  venu  oà  elle  devait  refavèrser  cet 
échaCnidage  de  pouvoir  et  de  renommée  encore  plus  rapidement 
qu'elle  ne  l'avait  élevé.  Quand  en  vit  en  préseneel'nii  de  f  autre  les 
4leuxphiisfrand8  champions  desdeux  causes  qid  diviscdent  FEspagne, 
on  s'attettM  généralement  à  un  choc  redooûbler  Ee  duc  de  la  Tic- 
toife  'était' gouÉÉinidilit  ^éfal  des  troupes  de  la'iieine;  Hbn  Carlos V 
par  un  déopaé<rtfede!pw»gcs ,  le  9  jamier  iSM.  téUttifTè  colraDan- 
dément»  daiVaPÉiée' de  QMogne  à  celui  de  fanuèe  d'Aragon,  dé 
TOMB  XXIII.  la 


Wè  REVUE  DBSHmai  MONDES. 

de  Mot^Uà.  L'effeiAif -de^es  .deni  •eraiécs  réiNHes-  éteit  é'etnâwm 
d(M^bomiBes<90ft4)oiJwaH  tloBC  eeoaptec^ar  itneTésittaiice  iénMiie 
de  la  part  de  Cabrera,  et  le  parti  carliste  fondait  de  frtades  eripé-^ 
raocQS  sur,  «on  .^ehef  lBi¥or».  Tout  À^onp  une  (Maie  M«veUe  i4fit 
frapper  œpftftî.OQmnie  un  eoùp  de^HKlfo  :  Gâbfert  tfétait^ikiQ  nae 
rowbre  de  lui^mètae ,  il;  était  nabde-t  il  était  «ourant 

On  ne  sait^s  pTédsémeiifc  à  qodle  époque  renMiièe  eelte'inaiadie 
de  Cabrera.  On  croît  cependant -qae  c'est  dans  les  prenHefsyoarsde 
novembre  1830  qa'il  e»  ressentit  les  prenriàres  atteintesi.  Le  bnrit  a 
coura  qu'il  avait  été  empoisonné,  d'antres  ont  dit  qu'il  avait  eu  le 
typhus.  Il  a  eu  autour  de  lui  jusqu'à  quatorze  médecins  à4a'Ms,*ffié- 
decins  espagnols,  il  est  vrai,  et  dont  le «phis  habile  éMt  un  chonMeè 
de  Valenee,  nommé  SeviHa,  sans  qu'aueuftaît  plu  assigner  le  véritable 
caractère  de  son  mai.  Ce  mal,  c'était  l'époisement.  Nous  avons  dit 
qu'il  avait  gardé ^lans  son  élévation  les  joyeuses  habitudes^ «a  pre- 
mière jeunesse;  les  excès  auxquels  il  se  livrait  tous  les  jours,  unis  au 
fatigues  de  la  guerre  et  aux  nombreuses  blessures  qu'il  avait  reçues 
par  tout  le  corps,  avaient  ruiné  à  la  longue  sa  constitution,  il  rérâla 
à  une  première  crise,  mais  un  plus  grand  danger  l'attendaH  à  sa  eon^ 
vaiescence.  Habitaé  à  satisfaire  tous  ses  caprices,  il  rqprit  trop  tôt 
son  genre  de  vie;  le  vin,  les  faonenes  et  les  danses  ardentes  de  l'Ëfr** 
pagne  qu'il  aime  avec  passion,  achevèrent  d'user  ses  forces,  et  ame* 
Hèreot  de  nombreuses  rechutes. 

Dans  cet  état ,  il  commandait  encore.  Ceux  qui  l'eRtouraÉnit  c»i 
cbaient  de  leur  mirax  son  abattement  à  la  popuMion  et  à  Tarinée. 
Plusieurs  fiois  on  fit  sonner  tes  cloches  dans  tout  4e  Maesirazgo ,  poulr 
célébrer  sa  guérison  imaginaire.  Pour  mieux  donner  le  change,  un^e 
ses  lieutenans  prenait  ses  habits ,  montait  son  cheval,  et  passait  au 
galop  dans  les  villages  qui  lui  étaient  soumis.  Quand  cette  ruse  ne  fut 
plus  possible ,  il  se  montra  lui-même  de  temps  en  temps  dans  une 
litière,  et  tel  était  le  culte  qu'on  hii  portait,  que  ces  apparitions 
relevaient  un  peu  le  courage  de^  tous.  Mais  le  plus  souvent  ^  il  vivait 
retiré  et  invisible  comme  ^n  despote  d'Orient,  et  la  démoralisatiou 
gagnait  en  son  absence  ceux  qui  étaient  habitués  à  compter  sur  hiî 
comme  sur  un  dieu. 

Les  formidables  prépamtife  d'Ëspartero  n'^a  continuaient  pas  moins, 
et  il  devenait  évident  pour  tous  qu'il  serait  bien  difficile  à  Cabrera, 
même  en  lui  supposant  toute  son  énergie,  de  résister  à  des  foroes  si 
considérables.  Cabrera  le  voyait  aussi  bien  qu'4in  autre,  Bwlgré-soa 


v^v^àfipaix^ft  ïmmêfjBê  sWftnms»§^  dwii^*le$*iMi9.de  janvier  et 
do  Unfin,  pooi:  Aui  ùÂm  coaiiii|l90«M  iiMJtÎM  ^  riaytieivà  venir  àsm  • 
s<ipeiiiiid*ow(Baatè»t^ii^d*oa6a4ib)(^  Dtn  Caiios  lui  ^ri  vit  plusieurs 
l^Mies  en.  l'appelanl  wn  ehm  ittimomei ,  dii.p#tift  *noiii»^*«iiri^  qa*ii 
lui  do3iiBitdai)9>de9leinps  plus  lieunen-,  et^ePfHwitiiQttàBe  bien 
garder  de  ioutit  mm^tude;  il  créa -de  pUie  une- dée^tation.  periioiir- 
Uèae  pour;lea  troupes  de  Gatatogoe,.  d'Anfp&v  de.  Velenee  et  de 
Mureie;  Iteiaee  M  là  le  aeul j^tp!»  que  le)Pféte<idaut  put  dernier  à  sa 
deraiëre  année;  les  piùssanaes  di^Nerd  a'étaiwi  ddfimtiveinent  retn 
résadeh»^  et  Ufttttmfiessi&le  de  rien  oMeevr  d'elles,  malgré  de.très 
grande  efiiarta. 

finfitt.»  dans  les  derniers  jonm  demaps,  use  grande  dirersioa  dans 
le»ps»vifiGes  da  jiord  fut  réaelue  pnur  dégager  Calonera*  Il  était  trop 
tard.  Là  paix  awit  jeté  de  trop  fortes  racines  dans  ces  provinees  pour 
qu^'elie  pûtéte  ébranlée.  Lesofâciers  espagnols earUstes^ réfugiés  en 
Rrance  à  la  suite  de  don  Caries^  s'évadèrent  en  foule  des  dépôts  qui 
loBr. avaient  été  assignés;  mais,  arrivée  sur  la  frontière,  il»  ne  trouvè- 
rent aucune  sympathie  dans  ces  populattons  jadis  sîasdentes  peor  la 
gueive.  Le  gouvernement  français  fit  arrêter  les  chefs  désignés,  entre 
autces  le  général  £lio,  qu'il  fit  enfiermer  dans  la  citadrtie  de  Lille;  un 
nouvel  émissaire  do  Cabrera,  le  colonel  Gaeta,  fut  arrêté  aussi  et 
enfisrmé  dans  ki  cîladeUe  de  firent.  Une. tentative. d'insiirredion  eut 
lieu  dans  les  provinces;  les  chefs,  les  armes  et  l'aogent  manquèrent  : 
elle  avorta  «iséraUemeut. 

G^jieodant  le  temps  merddtaitv  et  la  belle. saison  était  revenue.  Au 
mois  d*aviil,  £sportero  s'est  rais  en  mouvement,  mai;  l'attente  géné- 
rale a  été  déçue,  et  il  n'a  rencontié nulle  part  l'ennemiqu'il  cherchait. 
Il  a  assiégeât  emporté  successivement  Castellote,  Segura,  Gantavieja; 
Cabnera  n'y  était  pas.  Il  a  mis  le  siège  devant  Morella,  cette  ville 
chérie  du  guérillero ,  cette  capitale  de  sa  comté  féodale,  cette  forte- 
resse où  il  avait  aimé  si  Imig-temps  à  se  croire  ineiLpugnable;  Cabrera 
n!y  était  pas.  Morella,  démantelé  par  une  artillerie  terrible,  s'est 
rendu  à  discrétion  le  31  mai  ;  tout  le  Maestrazgo  a  été  occupé  presque 
sans  coup  férir  par  les  troupes  de  la  reine;  Cabrera  n'y  était  pas*. 
Jamais  déchéance  plus  complète  n'avait  succédé  à  de  plus  fastueux 
antéoédeos;  o»  aurait  dit  une  illusion  qui  s'eCTa^^ait  au  premier  choe 
deJa  réalité. 

L'armée -de  Cabrera,  emmenant  sou^généval,  a  passé  l'Èbre  au 
commeneement  de*  juin,  et  s'est  repliée  sur  la  Gatalot^e.  Quand  le 

13. 


j«t  REVUE  DBS  MUm  MONDES. 

9ioéf^  ia*l)oiiieUT«  attiitiito  A  la  iî^ 
pewrfoparai^miaQOote  iMiefdto^wrte^liaipp^ie  batailleçiilvslestoM^ 
fmf&ibtêN^me^knfA  iit>«ti.iaoii  >«beMilrtaé»isouâ>  hiî.  ffiyVLéMtilk 
qu'w  4N%«  :^«6tteiffldioBvrWipéiit'lciifrèi«fd'(0*DMfi^^  4l>é(étlflii 
4eaiiâi^  Depuis  loog^^jteoips^  CaiNreimi^ogfaHitiiGfJl  iieipo«Mit)fliiÉ 
imm  il  «'a  pliif  s)Diqgé>  iè»-lom  qu'ir  4e  séfiifiQr»  eni  firanee^t  illiii 
passé  pr^de  aFoi8r^aiai«e»(à|lli^,;aàiji  B^fml^fiemfMm^ftimm. 
tel  fiBîr^  le procèsr des  assasaiof  4u  «comte  d'Espagoeç'pim^rqiiind 
l*armée  d'Espartevo  Si'est^appiiaeKésede  ce  damier  rempartida.  la  Ae^ 
tion  en  Espagne,  il  s'est  remis  en  marche  pour  laAoïrtièi^»  >  .ii^!.>  i 
s  II  a  commeAeé  par  wvoyer  devant  \m  ses-dm»  si»ai8i4.qu7ilipaiiitt 
iiimer  beaucoup.  Ces  dew  jeunes  feaunes^  dont  Tune  aidîMl^ana 
el  Tautre  quinze,  sont  entrées  en  France  à  la  fin  de  juin ^  aoaomi- 
pagnées  de  la  femme  de  Tintendant  milttaire  carliste  Lahandew 
oo  les  a  trouvées  nanties  d'une  somme  de  cinquante  mille  francs  en 
or.  L'une  est  la  femme  de  Polo,  l'autre  devait  épouser  un  autre  aide- 
de-camp  de  Cabrera ,  nommé  Arnau.  Le  gouvernement  leur  «assigné 
pour  résidepce  la  ville  de  Bourg,  département  de  l'Ain,  où  elles 
s'occupent,  dit-on ,  à  cultiver  des  fleurs, 

Ua  Qouvel  adversaire  est  venu  enfin  consommer  le  désastre  de  C^ 
brera,  ei^  y  assistant:  ce  dernier  vainqueur  p'est  rian  looins  que  .la 
reine  Isabelle  elle-même.  Partie  de  sa  capitale»  pour  ve^iirprencH^les 
eaux  à  âarcelone ,  elle  a  traversé  hardipdei^t  i^s  contrées  (W  ti^fiH 
blaieiAt  naguère  deitanit  te  ceinte  4e.  ^iiella,  L'a^jcepda^  4^¥  VKfWi^t 
i*st  si  grand  en  Espagne,  que  la  présence  de  oett^  iw>^  AV^>ff|iMe 
*ît  maladive  a  plus  fait  qii^'uue  «r^viQipqurfla  pacjftjîitlflPfMHjpars- 
Les  troupes  factieuses  qui  ont.vojulua'oppQppriii^oM/pasQ^g^^^iP^ 
été  écrasées;  les  cris  d'enthousiasme  etd'aqnoqnqf ii4*<>|^t>acq9^tiKfi 
dans  les  vUtes,  ont  retenti  dans  les  camp90PeaeiiiWiiii^)iett#es.pto 
terribles  ennemis  ont  disparu  devant  la  poussière  que  fiOBleiwM  h  roue 
rapide  de  sa  voiture.  Le  30  juin ,  eUe  est  entrée  à  Barœloxie  nu  mUea 
des  fêtes;  quatre  jours  après,  le  k  juiUet,  Aergaétaitprjs par  Espar* 
terov  et  le  ïCk,  4^  cinq  heures  du  matin ,  Cabrera  se  réfugiait  en  France, 
nvee  10^090  hooMUes. 

U  n'y  ftvf  it'sur  la  frontière  q^e  deux  cents  soldai  français,  quand 
toute  eeUer&mié^  s^lest  présentée»  Les  thristiiKM  ne  la  suivaient  pas, 
et  on  ne  liraitipas:unt  coup  de  fusils  Uae  dernière  discussion  s'est 
(engagée  sur  le  teTritoii«'fraiii(aiS'<;ptrè4^ui^>ii|M  ^ti?er<et 

c*euK>  qui  ne  AeîV^iaiIaiefll  ^4  LeS)(;eiadtrift^ 

au  lÉpeu  nAme  de>ses^b'W^^i^«»nibbaa»4fète  Boto^latr  aiiiffertf^e 


rcfkRéMl^'a'  ditQài^tiièiiiejquel  ^  wM^kn/hi  /'H  Mmit^^uiMnlrim^ 
odrdisil^èsepit  aiMl  daoïrlésiitaAiila^eff^tnai^qii'M^avélC'nêcttté  UéVttil 
Vjdéè'de  .^riieK  ifihtHeinèirtl  ^s^trcmpflBiMBiaitttitiPs;  ^pië^  «tbir 
ftirité^une^aîmâev  il  tai  ^répugnait  ife  /xtre»  ^  <  jrtM^  («H'^otir/^Ah  ;  'Sow 
dtiUée'esindiitrte  dti'fVifrite  par  KNiloànériel  dm»  te  fAès  grand  oMréfj 
eti»^dialitiillkf:rtMgbti&i»,tlont  la^pfèpaft**^éitii88aient  d^  se  rendre 
éinsi  '  ma»  :«pmlMMire ,  >  plein»  de  '  ^aptfet  «ficor^  >  pour  les  derniers 
ord^esl déièwr thof ,- se  sent  taiMés^ésffrmer'sans'rééislanèe par nne 
poignée  d'iiodiines;  "•    '  •     "  ^' 

Leiiiiottieiilioè'  Cabtera  s'est  éloigné  de  fci'  frontière,  prisonnier 
▼«loiitaire  du  gouvernement  français,  A  présenté  one  scène  tou- 
c4ianle;  ses  soldats  couraient  en  Toale  aunlevant  de  lui  pour  le  voir 
encore  un  faioînent  de  plus,  agitant  loirs  bonnets  en  Tair  et  criant 
vive  Cabrera/  et  ces  rudes  visages,  qui  n'avaient  jamais  pâli  dans  les 
plus  horribles  épisodes  de  cette  guerre ,  étaient  couverts  de  larmes. 
Lui-même  pleurait  en  se  séparant  pour  jamais  des  compagnons  de 
sa  puissance.  Ainsi  a  flni  la  guerre  civile  espagnole.  Avec  Cabrera 
sont  entrés  Forcadell,  Llangostera,  Polo,  Palillos,  Burjo,  tous  les 
chefs  aragonais.  Les  Catalans  ont  essayé  de  tenir  quelque  tetnpS' en- 
core, et  n^ont  pas  voulu  abandonner  la  partie  sans  brûler  Ht  moins 
leur  dernière  amorce^  mais,  après  quelques  jours  de  lutté,  ils  Ont  été 
(ïittêé  dtt'pn^rla  fh)frtie^*à  leur  tour.  A  part  quelques  bai^des 
éj^èr^,'l^ëit'éé  l-Espagiie  est  matntetiawt  libre  de  factieux,  comme 
lé^»pfdVtece#«tiîi«rtf.-'''  '-^  »''•••••■"'•• ' 
^Ë'StilAfnëttléht^à  été  gVaHd  dn  F¥àMce  qnand  on  a  vu  Cabrera.  Petit 
èr<tndig^,^ttv<^'\itie>  barbe  trè^piefu^  fournie,  il  a  l'air  d'un  jeune 
MiMMè'ddti^è^fÉiBlêf.'^Se^'cbevëtnc  sont  très  noirs  et  son  teint  très 
briib.^On^dititVinBftatltstt'nMtadie,  son  regard  avait  un  éclat  singulier; 
ailjouttinMi;>eehi!dlit  semble  s'être  affaibli.  Il  regarde  rarement  en  face 
son  fMtetloeu^r,*èt' jette  souvent  les  yeux  autour  de  lui  aVee  une 
sorte  dlnifiufétdde.  Sa  physionomie  est  intelligente;  sana  être  précis- 
sémenli  remarqufilblé^quànd  il  sourit,  s<^  visage  |^nd  fiksë  expres- 
sion de  Gnesse  naïve  qui  n'est  pas  sans  grâce  «Il  ^eatéiMitiement 
simple  dans se^ lùalnières, mèiue  lin peuembar^sfeé;' Ilparattselif- 
frànt;  et  n^a  plus  ^cetle  extrême  mobIHté  qui  4e  portait  ttntrefois, 
Atr4)n\  ktYmtigèt'Wai'  cesse  de  pMcei' Son  ^attitôdèv^gèremeut 
coûri^;dmfbtoiiidii^erqaesàipoitriiieeM^  •'  *>  v  .  >.,    : 

=  Tel'éétfhbtiinéià  qui  leiliaiëpA^esévètMiilemèiCritàDe  sa  grande 
plaè^â«nrlflitslbilfe*d6'6esf4drfiières^«aMiécfts^N  coÉïfiéter 

ce  portrait  par  quelques  détails  sur  son  caractèreé 


20£*  REVUE  DE^  ïlAmt  MONDES. 

Cabrera  n^ajaimâa  en  lavomie  opAiioii'pfolitHpie.'II  a  «mbmaéJai 
cauaieda  donCarios,  parce  que  c'était  celle  qui  poorait  le  mener  à  la 
fortune;  il  aurait  suiri  tout  autre  parti  qui  lui  aurait  donné  plus  de 
chances.de  succès;  il  Ta  bien  prouvé  en  ne  tenant  aucun  compte  des 
ordres  qu'il  recevait  du  prétendant.  On  dit  qu-il  lui  est  quelqu^ria 
arrivé. d'écrire  de  sa  ^nmin  au  bâa  d'un  ordre  qu'il  recevait  de  don 
Carias  :  Recibid^  p^o  non  efecutado  todo  por  el  setvicir  de  vumtra 
magestad  (reçu^  mais  non  exécuté,  le  tout  pour  le  service rde*  votre 
majesté  ) ,  et  de  le  renvoyer  «inai  à  son  auteur. 

Il  a  toujours  détesté  les  prêtres  et  les  moines,  ce  qui  est  étrange 
ppur  un  prétendu  défenseur  de  la  religion.  Tout  ignorant  qu'il  était, 
il  connaissait  assez  d'histoire  pour  savoir  que  les  prêtres  avaient  tou- 
JQurs  voulu  dominer  en  Espagne ,  et  il  était  trop  jaloux  de  son  aufto^. 
rite  pour  s'accommoder  de  ces  prétentions.  Peut-être  aussi,  se  sou- 
venait-il qu'il  n'avait  pas  pu  entrer  dans  les  ordres,  et  conservait^^l 
quelque  rancune  contre  ceux  qui  portaient  l'habit  eodérâstique. 
Quelques  anecdotes  feront  connaître  sa  façon  d'agir  avec  eux. 

Un  jour  il  s'aperçut  qu'un  prêtre  qu'il  employait  dans  la  perception 
des  impôts,  avait  fait  payer  deux  fois  la  même  somme  à  un  paysan; 
il  le  fit  fusiller.  L'évêque  de  Mondonedo,  président  de  la  junte  car- 
liste d'Aragon ,  écrivit  à  don  Carlos  pour  se  plaindre  de  cette  violation 
inouie  des  privilèges  du  clergé. — Des  prêtres,  disaii-il,  ne  pouvaient 
être  exécutés  que  sur  un  ordre  exprès  du  roi,  et  après  avoir  été  con- 
daauiés  par  les  juges  ecdésiastiques.  — Don  Carios  écrivit  luinnême 
a  son  général,  pour  lui  recommander  plus  d'égards  envers  les  mi- 
nistres de  l'église.  —  L'évêque  de  Mondoftedo  en  a  imposé  à  votre 
majesté,  répondit  Cabrera;  je  n'ai  pas  fait  fusiller  un  prêtre,  mais 
bien  un  mauvais  larron.  Autrefois  les  mauvais  larrons  étaient  cru- 
cifiés; aujourd'hui  je  les  fais  fusiller;  Ion  iiempos  catnbian  ias  cosimm-* 
bres^  les  temps  changent  les  mœurs. 

Lorsque  l'armée  du  centre  marchait  sur  Morella,  il  fit  engager 
tous  les  habitans  qui  se  crokaient  inutiles  à  évacuer  la  place  :  Je  don- 
nerai des  annes,  dit-il,  à  tous  cemx  qui  resteront.  Tout  le  monde 
resta,  excepté  les  femmes,  les  enfans  et  environ  cinquante  moines 
franciscains.  Quelques  jofurs  après  que  le  siège  fut  levé ,  les  moines 
revinrent  et  reprkent  possession  de  leur  couvent.  Cabrera  leur  fit 
donner  l'ordre  de  se  rassembler  sur  la  place  d'armes;  il  s'y  rendit' 
lui-même,  et  leur  dit  brusquement  :  Votâs  devez  vous  rappeler  que 
vous  vous  êtes  vous-mêmes  jugés  inutiles;  ainsi  repartez;  il  n'y  a  ici 
que  des  bmves.  Les  moines  savaient  qu'il  n'y  avait  rien  à  répliquer  : 
ils  défilèrent  sans  mpt  dire.  Cabrera  les  suivit  jusqu'à  la  poite  de  la 


\ille,  et  leur  cria  pendant  ,qu'jib  ^ortajçojt  ;  Gard^-vousde  revenir, 
car  vous  ne  sortiriez  pofi  Ai.aUcmfjdU  ,     , 

L'évéque  de  Mondofiedo  réçl^m^oi  encore  miprès  de  don  Carlo&; 
don  Carlos  écrivit  de  oo^vea^,  et  Cabrera  ié|K>Ddit:  -r  II  est  possible» 
bien  que  je  ne  le  comprenne  pas^  que  les  moines  soient  utiles  au  ser- 
vice de  votre  mcûesté  lorsqu'elle  sera  à  Madrid;  mai&  je  puis  rassurer 
qu'ici  ils  ne  me  servent  à  rien,  si  ce  n'est  à  consommer  des  rations 
que  j'aime  autant  garder  pour  ce^x  qui  3e  battent  journellement 
pour  la  bonne  cause.  —  Quelques  jours  après,  il  destitua  l'évéque  de 
ses  fonctions  de  président  de  la  junte,  et  en  nomma  un  autre. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  cruauté  de  Cabrera.  Nous  avons  dit 
qu'il  fallait  faire  la  part,  pour  le  bien  juger  sous  ce  rapport,  des  pré- 
juges et  des  mœurs  de  son  pays., On  a  voulu  faire  de  lui  un  être  féroce 
toujours  altéré  de  sang  humain  ;  c'est  aller  trop  loin.  Ceui  qui  le  con- 
naissent bien  disent  qu'il  n'a  jamais  versé  de  sang  sans  motif.  Il  est 
insensible,  mais  il  n'est  pas  cruel  pour  le  plaisir  de  l'être.  Il  y  a  un 
mot  qui  a  fait  bien  du  mal  à  l'Espagne;  c'est  le  terrible  mot  de  reprc-- 
saiUes.  Ce  mot  explique  tous  les  meurtres  de  Cabrera.  Les  constitu- 
tionnels traitaient  les  révoltés  comme  des  brigands  et  les  égorgeaient 
sans  pitié;  à  leur  tour,  les  révoltés  le  leur  rendaient.  Les  tétcs  se 
montent  aisément  en  Espagne;  chaque  parti  croit  et  raconte  des  hor- 
reurs de  son  ennemi ,  et  s'excite,  par  ces  récits  souvent  imaginaires, 
à  en  faire  autant.  On  va  loin  ainsi  de  part  et  d'autre.  Il  est  vrai  pour- 
tant de  dire  que  Cabrera ,  surtout  quand  il  était  irrité,  pouvait  compter 
parmi  les  plus  sanguinaires. 

Naturellement  gai ,  il  se  mettait  en  colère  avec  une  extrême  faci- 
lité ,  et  il  était  alors  tout-i^-fait  hors  de  lui.  Ses  officiers  l'excitaient 
d'ailleurs  dans  ses  emportemens,  au  lieu  de  le  retenir.  On  raconte 
que,  quelques  jours  avant  l'arrivée  d'Oraa  devant  Morella,  il  avait 
réuni  dans  un  diner  tout  son  état-major.  Dès  le  commencement  du 
repas,  la  conversation  tomba  sur  ce  qu'on  ferait  des  prisonniers  après 
les  engagemens  qui  allaient  avoir  lien.  Il  fut  convenu  d'abord  que  les 
chefs  seraient  fusillés  sans  pitié;  puis,  le  diner  s'avançant  et  les  ima- 
ginations .s'échauiïant  par  le  vin,  des  chefs  on  passa  aux  officiers, 
puis  aux  SQus-ofQciers ;  à  la  fin  du  repas,  il  était  décidé  qu'on  ne 
ferait  aucun  quartier,  même  aux  simples  soldats.  Cabrera  prenait  part 
à  ces  orgies  et  s'enivrait  comme  les  autres;  il  se  croyait  ensuite  lié 
par  sa  parole,  et  exécutait  par  fanfaronnade  ce  qu'il  avait  juré  dans 
un  moment  de  transport. 

Quant  à  ses  talens  militaires,  on  a  vu  aussi  ce  qu'il  faut  en  penser. 


^fA  REVUE  DES  DBUX  MONDES. 

£d  Espagne^  où  la  chouannerie  est  nationale,  on  conçoit  qu'il  ait 
passé  pour  un  hàbilë  général;  partout  ailleurs,  il  serait  considéré 
comme  n'ayant  aucune  connaisance  de'  la  guerre.  Il  eut  du  bonheur 
sans  doute,  beaucoup  de  bonheur;  mais  le  hasard  ne  suffit  pas  pour 
expliquer  un  succès  comme  le  sien.  Il  faut  encore  qu*il  ait  eu  les 
qualités  qm'  font  réussir  dans  son  pays.  Il  a  été,  dans  l'origine  de  son 
élévation,  d'une  activité  presque  fabuleuse;  H  excellait  surtout  dans 
l'art  précieux  pour  un  partisan  de  prendre  vite  les  résolutions  les  plus 
imprévues.  Les  malentendus,  les  surprises,  les  terreurs  paniques, 
ont  joué  un  grand  rôle  dans  l'échafaudage  de  sa  fortune;  mais  il  eu 
est  de  même  pour  tout  guérillero,  et  les  plus  célèbres  faits  d'armes 
de  Mina  n'avaient  pas  d'autre  caractère. 

Ce  qui  a  été  réellement  remarquable  chez  lui ,  c'est  son  instinct 
organisateur.  Quelque  informe  qu'ait  été  sa  création  du  Maestrazgo, 
elle  atteste  des  facultés  rares  chez  un  écolier  devenu  général.  Il  n'est 
pas,  sous  ce  rapport,  sans  quelque  ressemblance  avec  Abd-el-Kader. 
La  préférence  obstinée  qu'il  a  montrée  dans  les  derniers  temps  pour 
un  séjour  prolongé  à  Morella ,  tandis  qu'il  avait  paru  répugner  pré- 
cédemment à  coucher  deux  nuits  de  suite  dans  le  même  lieu,  fait 
voir  qu'il  avait  pris  goût  aux  soins  d'un  établissement  durable.  H  est 
permis  de  croire  qu'il  aurait  fondé  quelque  chose ,  s'il  avait  eu  plus 
de  temps,  s'il  n'avait  pas  été  arrêté  par  la  maladie,  et  si  l'on  n'avait 
pas  déployé  contre  lui  toutes  les  forces  d'une  nation  organisée.  Bien 
des  principautés  se  sont  fondées  au  moyen-âge  qui  n'avaient  pas  jeté 
d'aussi  fortes  bases  en  si  peu  d'années. 

Sa  manière  de  recruter  était  fort  simple.  Quand  les  enrôlemens 
volontaires  ne  suffisaient  pas ,  il  envoyait  un  fort  détachement  dans 
un  village  quelconque  soumis  au  gouvernement  de  la  reine,  et  fai- 
sait afficher  le  banclo  suivant  :  Los  mozos  de  este  puebh  que  no  sepre- 
senten  en  el  iermino  de  las  24  horas,  seran  arcabuseados  por  detras 
como  traidores  (les  jeunes, gens  de  ce  village  qui  ne  se  présenteront 
pas  dans  les  24  heures  seront  fusillés  par  derrière  comme  traîtres). 
Les  soldats  obtenus  par  ce  moyen  étaient  appelés  minones.  Il  agis- 
sait avec  non  moins  de  cérémonie  quand  il  avait  besoin  d'argent  :  il 
tombait  à  l'improviste  sur  un  boiu'g  du  pays  ennemi  et  frappait  im- 
partialement d'une  contribution  égale  carlistes  et  christinos.  Un  jour, 
à  Caspe,  quelques  personnes  notables,  connues  par  leur  adhésion  au 
prétendant,  vinrent  réclamer  auprès  de  lui  contre  cette  égalité  :  «  Jp 
ne  reconnais  pour  amis,  répondit-il ,  que  ceux  qui  me  suivent  le  fusî^ 
sur  l'épaule,  et  si  je  fais  une  différence  entre  ceux  qui  ne  me  suivent 


pas,  ce  n'est  pas  en  faveur  de  ceux  qui  se  disent  mes  partisans ,  et 
qui  ne  veulent  pas  se  priver  pour  mpi.  » 

Il  était  généralement  très  aimé  de  la  population  de  ses  domaines. 
Autant  il  était  cruel  et  exacteur  pour  tout  le  pays  qui  ne  reconnais 
sait  pas  son  autorité ,  autant  il  était  protecteur  et  bienveillant  ponr 
celui  qui  lui  était  soumis.  Souvent  brusque  et  hautain  avec  ses  offi- 
ciers, il  se  montrait  toujours  affable,  prévenant  même,  envers  les  pay- 
sans. Il  laissait  carte  blanche  à  ses  troupes  pour  piller  à  leur  gré  hors  de 
ses  frontières  ;  mais  dans  le  sein  de  son  petit  royaume ,  nul  n'était 
admis  à  frapper  la  moindre  contribution  sans  son  ordre.  Complète- 
ment étranger  à  tout  système  régulier  de  police  et  d'administration , 
il  était  pourtant  parvenu,  par  la  terreur,  à  étabUr  autour  de  lui  une 
administration  assez  honnête  et  une  police  assez  sévère.  Il  livrait  les 
diverses  directions  m%  hommes  les  plus  habiles  et  les  plus  spéciaux 
qu'il  avait  pu  rencootrer,  puis  il  les  faisait  surveiller  avec  soin ,  et  à  la 
première  prévarication ,  il  les  mettait  à  mort  sans  miséricorde. 

Il  n*y  a  jamais  eu  autant  d'argent  dans  le  Maestrazgo  que  pendant 
sa  domination.  Tout  ce  qu'il  en  recueillait  dans  ses  excursions  ou 
dans  celles  de  ses  lieutenans ,  au  travers  des  provinces  environnantes, 
il  le  dépensait  dans  le  pays.  On  a  dit  qu'il  avait  amassé  des  sommes 
énormes  pour  son  propre  compte;  s'il  l'a  fait  réellement,  ce  ne  peut 
être  que  depuis  bien  peu  de  temps ,  car  il  était  naturellement  prodigue 
et  peu  occupé  de  l'avenir. 

Quand  le  premier  effroi  qui  avait  suivi  le  désastre  de  Pardifias 
fut  passé,  la  cause  carliste  recommença  à  décroître  en  Navarre.  Les 
troupes  constitutionnelles  cernaient  de  plus  en  plus  le  quartier  royal , 
et  l'armée  qui  entourait  le  prétendant  ne  comptait  plus  les  jours  que 
par  des  défaites.  Des  divisions  mortelles  éclatèrent  alors  dans  son  sein  ; 
un  fort  parti  se  forma  sourdement  pour  la  paix  ;  le  général  en  chef 
Maroto  se  mit  lui-même  à  la  tête  des  désabusés.  Cabrera  entretenait, 
ditH)n ,  une  correspondance  secrète  avec  Arias  Tejeiro,  ministre  de 
don  Carios  :  il  dut  souvent  être  averti  de  ce  qui  se  passait  dans  les 
provinces.  Il  persista  pourtant  à  ne  tenter  aucun  effort  pour  dégager 
le  prétendant,  et  passa  dans  cette  inaction  Tannée  1839  tout  entière. 
Il  était  évident  qu'il  ne  songeait  désormais  qu'à  se  fortifier  à  part, 
pour  jouir  en  paix  de  sa  merveilleuse  fortune  et  se  maintenir  indé- 
pendant, quoi  qu'il  arrivât. 

Mais  ses  intérêts  étaient  loin  d'être  aussi  distincts  de  ceux  de  don 
Carlos  qu'il  voulait  bien  le  croire.  Il  s'en  aperçut  quand  arriva  à 
Morella,  à  la  fin  du  mois  de  septembre  1839,  la  nouvelle  de  la  con- 
vention de  Bergara  et  de  l'entrée  de  don  Carlos  en  France.  Plusieurs 


1  Moes  chinoises  se  font 

I  ^sses  pauvres  imitent, 

I  (loçtterie,  est  évideni- 

1^  pesé  »ur  la  fenune 
toute  civilisation.  C'est 
st  une  précaution  sei»- 
l'éj^rd  de,  ses  sQum  n 


Tout  ce  qu'il  prit  ensuite ,  et  leurs  Jsmbei  coupto 
Fireol  qu'il  les  nuRgeait  à  sa  commodité. 

Maïs,  politiquement  et  socialement,  la  Chine  peut  invoquer  de 
beaux  titres  à  la  supériorité.  Les  Chinois  ont  résolu  des  problème^ 
bien  difficiles.  Ils  ont  réussi  à  faire  vivre  sous  une  même  loi ,  pendant 
nue  suite  indéfinie  de  siècles,  des  myriades  de  myriades  d'hommes. 
Chez  nous,  on  a  vu  échouer,  l'une  après  l'autre,  toutes  les  tentatives 
ayant  pour  but  de  fonder  l'unité  européenne  [par  nous  qualifiée,  avec 
notre  modestie  accoutumée,  d'empire  universel],  qui,  toute  vanité 
nationale  à  part,  serait  plus  favorable  au  bonheur  des  populations, 
(lue  le  morcellement  entre  des  gouvememens  ennemis  ou  seulement 
rivaux.  Elles  n'ont  même  jamais  été  hautement  avouées  depuis  les 
Romains,  car  Charlcmag 
suprématie  dans  un  con! 
ont  érigé  un  empire  qui 
temps  historiques,  qui  d 
secondant  notre  soif  de  c 
portée;  les  conditions  d 
plies,  que  rien  n'a  pu  1< 
quêtes  qui ,  à  plusieurs  r 
et  ont  entassé  ruines  sni 
l'ont  consolidé ,  raffermi ,  étendu. 

C'est  que  l'organisation  sociale  et  politique  de  la  Chine  est  fondée 
sur  une  notion  plus  exacte  et  plus  complète  de  la  nature  humaine 
que  ne  l'a  été  dans  le  passé,  et  que  ne  l'est  dans  les  temps  modernes 
celle  d'aucune  des  parties  de  notre  Oecideut. 

Dans  un  ouvrage  récent  et  trop  peu  remarqué  [l}t  par  l'unique 

loMeftlpi  (niUimu  dM  CUmMi,  M  niit  nttaiés  à  ÉnltraiiHie' wid»  He  )r  iMiHiiUo 
deapiadt-i  ■.'     ■■-■!    ■■     ■!■■■ 


rt!o(if  qué'Vautent'aiV  liS'^crrvain  toulousain^ 

)f:X.'  :br(tttiiéli',  i)àr  1  uré  'sî^neûre  a  cdle 

dë'lÀoiitdsçjuiëu,  'm  rols''âènien's"j)riipor-' 

ditot '^  ta  liitétH^  li  B 'iaiijille',.(ès  intèrête 

g'!^h^i^tix',  'et  'pbrt'dé  gouvemcment.  Cette 

dd^ifitàttbVî  iirisè  ji<  ',  de'lo  coinbinaison  ei 

dé  laVépàHitwn  des  i  pàs'dele  r^'pétér,  plus 

profonde  et  plas  vraie  que  la  doubjlAtriqité.JiDMwn:bù)uetaristocra> 
tique  et  démocratique,  ou  executive»  lâgislative  et  judiciaire  de  l'îl- 
lostre  théoricienne  la  Brède.  ,   t, ., 

Cela  posé,  le  gouvernement  doit  reproduire  fidèlement  l'image 
de  tous  les  grands  élémens  de  la  société.  Tous  les  grands  principes 
sur  lesquels  la  sot^iélé  repose  doivent  avoir  au  sein  du  gouvernement 
une  institution  qui  en  soit  l'incarnution  et  ta  figure;  autrement  le 
titre  de  gouvernement  représentatif  serait  une  enseigne  menteuse, 
et  tout  gouvernement  doit  fitre  représentatif  (je  ne  dis  pas  parle- 
mentaire], sous  peine  de  périr.  Les  pouvoirs  publics  doivent-ils,  peu- 
vent-ils être  autre  chose  que  la  personnification  des  forces  sociales? 
Or,  chez  nous ,  je  parle  en  Européen ,  les  publicistes  modernes,  dans, 
leurs  conceptions  politiques,  font  abstraction  pure  et  simple  de  la 
Emilie ,  comme  si  le  sentiment  de  famille  n'était  pas  l'un  des  lienà 
sociaux  les  plus  forts,  comme  s'il  n'était  pas  l'un  des  plus  puissans 
ressorts  de  la  société.  Faut-il  s'étonner  de  ce  que  leurs  œuvres  sont 
si  périssable^,  de  ce  que  nous  changions  de  constitution  à  peu  près 
coftimé  viii  fashîonable  de  cheval,  et  de  ce  que  la  vie  moyenne  des 
dynasties!  est  rnain tenant  en  France  du  tiers  ou  du  quart  de  la  vie 
moyerine'de  l'homme,  dans  les  classés  où  la  misère  et  la  souffrance 
l'abrogent  le  plus','  nous  qui,  en  quatorze  siècles,  n'avions  eu  que 
trois  dynasties?     '  , 

Toute  constitution  politique  qui  ne  tient  pas  compte  de  l'esprit 
de  famille,  qui  ne  lui  fait  pas  une  place  suffisante,  est  radicale- 
ment incapable  de  rien  constituer,  exactement  comme  gi  elle  faisait 
abstraction  des  intérêts  individuels,  ou  comme  si  elle  passait  sous 
silence  les  intérêts  collectifs  de  l'état.  Négligeant  une  force  de  pre- 
mier ordre,  celle  qui  produit  la  stabilité,  par  cela  seul  elle  fnanque 
de  stabilité  elle-même.  Elle  est  bâtie  sur  te  sable  mouvant  des  révo- 
lutions, ou  suspendue  en  l'air  dans  l'atmosphère  agitée  des  orages 
populaires.  MaltwunettBemeDt,  daw  notre  OccidHit,  1»  priocipe  de 
la  famille  se  présente  comme  incompatible  avec  un  autre  principe 
non  moins  sacré  désonnais,  cher  k  l'intérêt  individâeVd'dîitirëst'le 

TOHE  ZXIII.  14 


Quelques  jours  avant  l'entrée  de  Cabrera  eo  France ,  le  25  juin  « 
une  autre  troupe  et  un  autre  général  passaient  aussi  la  frontière,  du 
côté  de  Bayonne.  Cette  fois,  ce  n'était  plus  le  chef  qui  entraînait  ses 
soldats  sur  le  territoire  étranger;  c'étaient  les  soldats  qui  avaient  forcé 
leur  chef  à  y  chercher  un  asile.  Poursuivis  l'épée  dans  les  reins  par 
les  généraux  de  la  reine,  accueillis  à  cou]^  de  fusil  par  les  habitons 
des  cÂi^'a^|s|.  il^  av^n^  fait  |cen|  lieu^eîiil^^|ur|,[^iSs  {|iin, 
sans  habits,  sans  diaussures,  presque  sans  munitions,  mais  non  sans 
avoir  souvent  fait  face  à  Tennemi ,  quoiqu'ils  ne  fussent  en  tout  que 
quinze  cents.  Ces  honunes  de  fer,  qui  ont  efTrayé  la  ville  de  Bayonne 
de  leur  aspect  farouche  et  sauvage ,  avaient  brisé  leurs  armes  à  la 
frontière  plutôt  que  de  les  livrer  à  l'étranger.  Ils  avaient  pour  général 
l'indomptable  Balmaseda. 

Balmaseda  est  l'homme  vraiinent  Gort  de  cette  guerre.  C'est  lui  qui 
a  le  premier  deviné  Maroto,  lui  qui  est  seul  resté  debout  dans  la  dé- 
bâcle de  l'armée  de  Navarre.  Né  en  Castille  d'une  famille  distinguée, 
il  était  lieutenant-colonel  à  la  mort  de  Ferdinand  VII.  Il  prit  aussitôt 
les  armes  pour  don  Carlos ,  et  ne  les  a  quittées  qu'au  dernier  mo- 
ment. Doué  d'une  haute  taille  et  d'une  force  herculéenne,  il  a  tou- 
jours fait  la  guerre  en  partisan ,  à  la  tête  d'un  corps  de  cavalerie  qui 
répandait  partout  la  terreur.  On  a  vu  qu'il  avait  été  rejoindre  Cabrera 
après  la  convention  de  Bergara;  mais  ils  ne  purent  pas  s'entendre, 
et  il  le  quitta  bientôt.  Il  revînt  le  trouver  vers  le  milieu  de  l'hiver, 
pour  l'inviter  à  l'aider  à  faire  pendre  Segarra,  qui  commandait 
l'armée  de  Catalogue^  et  qu'.qn  .«^jupçoonnii  dé^if  de^  toi  défection 
i^i^'il  a  réalisée  phis  tard..  Cabrera  nefVOiilUt(Pf)s«J'étfotito(f(|iM0ts^filaa 
de  ne  trouver  dans  les  généraux  i  carlistes,  que!  éesii^Miltip^r  km /de^ 
dameursy  *-  c'est  ainsi  qufil  leâfapp6llc(t^M^p|i'^eàsaya>(ki'S*^Uill  b 
part  à  Beteta;  nais  il  n*y  put  réus^r^ret  c'est  d&MdquTilla'âtèTéqem- 
ment  contraint  de  partir  pour  se  jeter  en  Ftance)àJBMptdie»fQrQée&. 

Cabi^era  a  eu  sur  Balmaseda  l'avantage  de  se  dountside  bonnp 
hieure  un  oeotiie  d'opérations  où  il  revenait  toujours^  mais:si>fBahiia^ 
aeda  avait  été  moins Jm^iet^  omns  nomade,  et  que  le^ort  Feût  apr- 
pelé",  aur  lieu  de  l'élève  du  clianoine  don  Vicente,  à  être  le  chef  de 
W^AQO^ùMOS^^'il  estprabable  qa'ilrarait. fait  une  ao^  fin.  Aussi 
1M»ile^tMi  ïïWRiôééàm  in^MOÊ^  de  IfereUa  ^  «/Il  se  ttroavera  bien  en 
iFittni)e,;^iliamènHneiit;  îl  poiirniy  faire  de^Ifiijiuiiîfiii^à'aoii.aise; 
iqu'ûA  ilui  t dei^ef  uoe  Igoitare,  et  il  ica  .chant<|r)  fifir^lés  ^^ 


fmèwWi^hMir'  i^ 


profonde  et  plus  vraie  que  la  douUftbriiiité.jponBrGbiqiU).  aristocra> 
tique  et  démocratique,  ou  exéi^Htive»  légistolwe  et  judiciaire  de  l'il- 
lustre théoricien'd&  la  Brède. 

Cela  posé,  le  gouvernement  doit  reproduire  fidèlement  l'image 
de  tous  les  grands  élémens  de  la  société.  Tous  les  grands  principes 
sur  lesquels  In  société  repose  doivent  avoir  au  sein  du  gouvernement 
une  institution  qui  en  soit  l'incarnulion  et  la  figure;  autrement  le 
titre  de  gouvernement  représentatif  serait  une  enseigne  menteuse, 
et  tout  gouvernement  doit  ôtre  représentatif  [je  ne  dis  pas  parle- 
mentaire] ,  sous  peine  de  périr.  Les  pouvoirs  publics  doivent-ils,  peu- 
vent-ils être  autre  chose  que  la  personnification  des  forces  sociales? 
Or,  chez  nous,  je  parle  en  Eurapécn,  les  publicistes  modernes,  dans 
leurs  conceptions  politiques,  font  abstraction  pure  et  simple  de  la 
Emilie ,  comme  si  le  sentiment  de  famille  n'était  pas  l'un  des  lienâ 
e  s'il  n'était  pas  l'un  des  plus  puissans 
s'étonner  de  ce  que  leurs  œuvres  sont 
is  changions  de  constitution  à  peu  près 
eval,  et  de  ce  que  la  vie  moyenne  des 
France  du  tiers  ou  du  quart  de  la  vie 
les  classes  où  la  misère  et  la  souffrance 
,  en  quatorze  siècles,  n'avions  eu  que 

le  qui  ne  tient  pas  compte  de  l'esprit 
>as  une  place  suffisante,  est  radicale- 
ment incapable  de  rien  constituer,  exactement  comme  si  elle  faisait 
abstraction  des  intérêts  individuels,  ou  comme  si  elle  passait  sou» 
silence  les  intérêts  collectifs  de  l'état.  Négligeant  une  force  de  pre- 
mier ordre,  celle  qui  produit  la  stabilité,  par  cela  seul  elle  fnanque 
de  stabilité  elle-même.  Elle  est  bâtie  sur  le  sable  tnouvant  des  révo- 
lutions, ou  suspendue  en  l'air  dans  l'atmosphère  agitée  des  orages 
populaires.  UaUwunsHsement,  dem  ntAre  Ocoident,  1»  priocipe  de 
la  famille  se  présente  comme  incompatible  avec  un  autre  principe 
non  moins  sacré  désormais,  cher  à  l'intérêt  individâe1''dï)iitHt  "éstle 

TOUS  XXIII.  14 


2t0  RBTfJE  UES  BCtTX*«MONmS. 

et  des  arUs  et  par  les  empiétenèRS  successifs  de  TEurope  sur  l'Asie , 
qu'une  ei^péditioneoutre  la  Chine,  dont  l'idée  eût  été  traître  de  folie 
il  y  a  un  demi-siècle ,  a  été  organisée  par  le  gouvernement  anglais 
comme  une  entreprise  toute  simple,  tout  élémentaire.  Elle  est  en 
route,  et  probablement  à  ToBuvre  maintenant.  Qu'en  adTiendra-t**fl? 
Il  serait  téméraire  d'essayer  de  le  prévoir  avec  quelque  préctsîon.  Mais 
il  n'y'Q>pa9  de  téniérité'à  iire  que'det  aett  'éhkï^tpMMs&i  ^va- 
hissant,  aussi  fort  et  aussi  habile  à  conserver  ce  qu'il  a  pris  que  l'est 
le  peuple  anglais,  est  un  événement  considérable,  et  l'on  est  en  droit 
de  le  regarder  comme  le  prélude  d'une  ère  nouvelle  dans  les  relations 
de  la  Chine  avec  l'Europe. 

On  a  beaucoup  discuté  sur  les  mérites  comparatifs  des  populations 
chinoises  et  de  celles  de  l'Europe.  Naturellement,  avec  cette  modestie 
qui  nous  distingue ,-  nous  ii^us  sommes  adjugé  l'avantage.  Je  ne  pré- 
tends pas  que  ce  soit  à  tort.  Le  procès,  cependant,  n'est  pas  jugé 
sans  appel.  Les  Chinois  sont  de  beaucoup  en  retard  sur  nous  dans 
le  domaine  des  sciences  et  des  beaux-arts,  etuon  moins  dans  celui 
des  arts  utiles.  Ils  avaient  devancé  l'Europe  pour  toutes  les  inventions 
les  plus  précieuses,  telles  que  l'imprimerie,  la  poudre  à  canon,  la 
boussole,  et,  dans  un  ordre  moins  relevé,  le  sondage;  mais  ils  n'en 
ont  tiré  parti  qu'à  moitié,  parce  qu'ils  paraissent  dépourvus  de  cet 
esprit  infatigable  de  perfectionnement  qui  caractérise  l'Europe,  et  il 
a  fallu  que  leurs  découvertes  fussent  transplantées  chez  nous  pour 
porter  tous  leurs  fruits.  Leur  industrie  est  particulii  rement  arriérée 
en  ce  qu'ils  n'ont  pas  su'se  créer  imssi  làm  qife  nous,  dans ^ le- monde 
matériel ,  des  organes  supplémenlalres  de  ceux  dont^  h»  nature  fffomhé 
le  corps  hmnain.  Leurs  machines  et  leurs  bètes*  desMime  9dnt  peu 
nombreuses  et  peu  perfectionnées;  Chez  eux ,  les  mufles  de  rfïonnne 
doivent  subvenir  à  tout  labeur,  firéquenfiment  même  au  transport  à 
^grandes  distances  des  objets  les' plus' tourds.  *  Ils  ^«nanf^nentide  eél^ 
faeolté  domtnàlrice  qui  nous  a  perfvris  -de  ployer  *à  udtre'ttsage*^ 
defairetravailter pour  nous,  lAirlarphisgrande  é(*e!le,  leséléttiénsrèt 
les  animaux,* etkle  remodeler,  pour  ainsi  dire,  le  globe  terrestre,  afin 
que  nos  voies  de  commfonication  pussent  s*y  développer  plusè  l'âise.- Il 
y  a  pefut-étre  ptasdemactiines  etautaAtde  grandes  routes  eti  chausiÉe 
et  de  ûêfomx  4e na^fgaMon'  dms  cette'  ^e^ te*  petite  fie  qui'se  ^filaHfie 
ûefGmnd€'^Bf^t6igÊie;%\Qe  ^bns  (outTeMi^  èhinbîs.  Il  s'y  fàfcrtqtte 
èl  s'y  conswwne^^s'defer. 

Sous^ie  point  de  -vue  religieii^,  on  ne^petot  iguère  signaler,*  cWttme 
«nepfedve^lde^^iMéHoirftéitfe  4a  Oitae,  lefétieHfMne^idolA^'dës"S«(;- 


r  ■ 


Meur»  de^  So^  cA  IVurop»  c«tboliq«e  e»  ol6«  le  pendant  par  le» 
s«per8litioos«tl^pittllqi6S4te8  busses  clame^dMieunées  crofantes, 
ptc  tour  dénotion  ami  reKqws,  etpw  46UPfoî*aini  miracles  joumaHer» 
dtt'Saints.  A  ré|»qd> dus.  rappoitsrde  llMNiuiie  aveela  DifinHé,  le»- 
éhiaes  édaiftes  sont  e»€hîlie  à  peir  près  ai  mAiiie  pomt  que  dans 
BOtreOfiôdeoi:  eHas  preSeasesl'  un  détsme-d'Une oharité  eitréme-- 
WÊBÊi  6t— daa;  je  dkaJi  «•îvef8eUe>  si,  par  une  omsaion  que  noua 
n'avons  pas  le  droit  de  leur  reprocher,  tout  énorme  qu'elle  est,  puis- 
que, relativement  à  eux,  nous  avons  le  même  péché  sur  la  con- 
science ,  les  lettrés  chinois  n'avaient  oublié  de  compter  les  popula- 
tions nombreuses  et  puissantes  de  notre  civilisation  occidentale  (1). 
Du  point  de  vue  moral ,  en  ce  qui  concerne  les  rapports  de  Thomme 
avec  rhonmie,  le&  Chinois  sont,  dans  la  forme  au  moins,  plus  avancés 
fue  nous^  car  il»8Ml  phis  btenveillans.  Les  rixes  etiea  emportemena 
aonl  peu  commune  parmi  eux.  Hs  ont  cherché  et  trouvé  dans  le  céré- 
monial un  exceUent  procédé  pour  refouler  les  instinct»  grossiers,  vio- 
lons 4>n  hautain».  En  général,  le  Chinois  «  s'il  sait  moin»  maîtriser  ta 
Batnre-physique,  sait  mieux  se  maîtriser  hii-mème.  Domination  pour 
domination,  l'une  assurément  vaut  Tantre.  Moralement,  cependant, 
laChine  présente  une  imperfection  énorme.  La  polygamie  y  subsiste, 
ou  pluUVt  le  concubinage  y  est  admi»  et  beaucoup  pratiqué  par  les 
riebe»^  qui ,  à  côté  de  leur  Sara ,  ont  très  souvent  une  Agar.  La  femme 
B-'ye^pastout-à^aitla  compagne  de  l'homme;  elle  est  plutôt  l'ins^ 
tament  de  se»  plaisirs.  Phis  généralement,  chose  bizarre,  dans  les 
ahroo»  ouKif  ée»  que  chee  lO'Vulgahre,  eHe  porte  sur  son  corps  l'em- 
pMitte,  lamarguê  de  la  servitiide.  EHe  est  estropiée  (2).  Cet  usage 

(1)  Voici  uu  raipprochemaiU  renan^uable  qvifi  je  troa?e  duasiuua  nou^de  U  reli^ 
CioD  de  PambassaUe  de  lord  Macartne^  en  Chine,  par  sir  Georgs  SUuotoA; 

« Lear  retigioû  (des  Chinois) ,  celle  que  leur  gouvernemeni  conserve  encore, 

«Ét.la  reHf^n  queute  «grand  Newton  appelle  la  plos  ancienne  de  la  terre,  et  qu'il 
pial  dt*«B«  Baaièit  >i  nébkê  et  si  to«obÉiit«:  —  «  Croire  fennemeiK  q«e  Dieu  a 
«  créé  le  monde  par  soa  pouvoir  et  le  gouverna  par  aa.  providiaoe;  oraladia  pioua^* 
K  aNBOt.  chérir,  adtrpr  cet  être  suprèaie}  respecter  ceux  dont-oa  lient  U'Vie  et  les 
€  personnes  avancées  en  âge;  avoir  une  arfection  fraternelle  iK)ur  tous  les  homm^» 
«  et  même  de  la  sensibilité,  de  la  pitié  |iour  la  partie  brute  de  la  création.  » 

(  Tradmetion  âêMsJ.  CoMtéra,  1901,  tome  I ,  p.  Si.  ) 

(i)  On  peut  faire  remarquer^  ceame  un»>cigéoi>ataooe  atténaaoteea  fkveaf  de» 
CWa«i»,qii&câUe  mode eftti^lne, cowtfxe  eonaéqufKnçft  i^nvm^ià^u  >  ppuf4a  iemme, 
de  tout  travail  pénible,  forme  d'affranchissement  que  la  f^nime  est  encore  à  attendre 
eiHBiiff«|»«t  d<ma  t«iiaro<ci4aiit»  p^rtiaaltowBont  eAdehor^dn  terrilaire  occupé 
par  la  race  anglaise. 

U  est  digfK  d*alieotieii  que  les  Tartnea  conquérana  de  la  CMttft«  qai^etiadepté 


m  RBYQi;  DES  fiJfVJ.  MOHDVB, 

palladium ,  et  auquel  le  droit  de  d(é  est  Irrévocablement  ftoqais,  celui 
4e  l'égalité,  çoBSécration  de  l'uDîté  nationale  sans  distinctiioiide  races 
et  d'origine,  de  vaioqi^urs  et  de  vaioçHs,  de  conquénios  et  de  con- 
quis ou  de  vassaus.  Le  principe  d'égalité  s'étant  heureusemeat  bi^ 
jour  depuis  UD  demi-siècle  daos  le  moade  politique,  ip^lgcé  l'o^ 
position  des  héritiers  de  la  cont^i^&te  et  des  légataires  de  la  l'étH' 
dalité,  nous  n'avoos  su  lui  faire  sa  part  qu'en  roffpaot  Af  plus  ea 
plus  celle  du  principe  de  famille,  dont  ceux-ci  se  ri^daW'cU  et 
qu'en  BOUS  appliquant  à  déraciner  le  sentiment  de  fanûHs  de.  la  vie 
ptJilique  et  miîme  de  la  vie  privée.  \ous  avons  ainsi  «datir^temeot 
rûuasi  à  mettre  à  néant  les  prétentions  des  féodaux  ;  mais,  c9otre  notre 
intention,  nous  avoo6  désorganisé  la  société.  Sur  ce  point,  d'ailleun, 
les  défenseurs  de  la  famille  n'ont  aucun  reproche  à  adresset  aux  anrâ 
de  l'égalité  (  je  parle  de  l'égalité  véritable,  et  non  du  nivellement ,  que 
trop  de  gens  encore,  et  même  des  esprits  distingués,  des  libéraux,  con- 
fondent avec  elle,  quoique  ce  soit  l'iuL'galité  la  plus  tyrannique  et  la 
plus  monstrueuse].  Les  uns  et  les  autres  ae  trouvent  fatalement  d'ac- 
cord sur  ce  point ,  que  les  deux  principes  se  repotusent  et  s'excluent.  - 
C'est  une  opinion  reçue,  qui  semble  ^idélébile  dans  nos  cervelles: 
c'est  devenu  un  article  de  foi  qu'on  ne  conteste  plus.  Ctai  est  pour 
l'égalité  ou  pour  la  consécration  politique  du  sentiment  de  la  funiUe, 
on  n'est  pas  p}ur  les  deux  à  la  fois  ;  et ,  comme  la  so^été  ne  saurait  i 
l'avenir  se  passer  de  l'égalité  non  plus  que  de  la  famille.,  il  résulte 
de  ces  prétentions  exclusives  une  bascule  interminable,  une  suite  de 
combats  sans  issue.  Nous  tournons  dans  un  cercle  vicieux ,  allant  de 
Cbarybde  en  Scylia  et  de  Scylla  en  Charybde,  chassés  d'a/^a^tùç  en 
absolutisme  et  d'absolutisme  en  anarchie,  de  révolution  en  révolu- 
tion .  On  dirait  que  cette  idée  de  rincnmpatU>ilité  absolue  de  l'e^trit  de 
famille  et  de  l'égalité  a  été  jetée  par  un  génie  malfaisant  au  milieu 
de  •  Occidentaux ,  comme  une  semence  d'étemelle  discorde,  aQn  qu'ils 
s'entredétruisent  ;  et  on  serait  tenté  de  croire  qu'elle  atteindra  ce 
but  internai ,  si  i'on  ne  songeait  que  cette  croyance  est  une  nouvelle 
venue  sur  la  terre,  qu'elle  ne  date  que  d'un  demi-sièc|e,  et  que,  ac-r 
créditi'e  seulement  à  la  faveur  dçs  passions  d'une  lutte  terrible,  elle 
doit,  si  ces  passions  s'apaisent,  se  réformer  par  degrés,^  et  disparaître 
Lt  d'autres  préjugés  considérés  dans 
suprêmes  ou  comme  d'incurables 

u  concilier  les  deujt  principes  ^  non 
jiteuse,  mais  ijar  une  conciliation 


ffetm(iti^4¥'iJt"tjNÉ'"       ^    ëê 

motif  qué'VantCiir'aiViït  Vmj/AW  rfc  prolmcé' un  "^cm^^ 
Mi't.  bnftWer,  pi  ig  J'oserai  oire'si^neure  ij'celle 

dë'ïfolitesi^uiëu^  a'  société'  trois  éïèrbëns' j)riif)of- 

dt^dt':'  té  inXéi^t  '  Inté'f^^'^^e  'iainille^  lés  intérêts 

^'i^ti^iti ji^ ,  'ét'pkirt  -iinplaii  âe  gouvernement.  Cette 

cti'^îftt^ètt(lti  liHse  destination,  de  là  cohibinaisan  et 

dé  la  r'êiiâirUtion  A  ]è  né  crains  pas'deïe  répéter,  plus 

profonde  et  plus  vraie  que  la  doub)i9,triitîté.^MUirclù(|ue.  aristocra- 
tique et  démocratique,  ou  executive,  lûgialetire  et  judioiaire  de  l'il- 
lustre théoricien  de  la  BrMe. 

Cela  posé,  le  gouvernement  doit  reproduire  fidèlement  l'image 
de  tous  les  f^nds  élémens  de  la  société.  Tous  les  grands  principes 
sur  Ies<iucls  la  so<^iélé  repose  doivent  avoir  au  sein  du  gouvernement 
une  institàtion  qui  en  soit  l'incarnution  et  la  figure;  autrement  le 
titre  de  gouvernement  représentatif  serait  une  enseigne  menteuse, 
et  tout  gouvernement  doit  être  représentatif  [je  ne  dis  pas  parle- 
mentaire), sous  peine  de  périr.  Les  pouvoirs  publics  doivent-ils,  peu- 
vent-ils être  autre  chose  que  la  personnification  des  forces  sociales? 
iropéen ,  les  publicistes  modernes,  dans, 
,  font  abstraction  pure  et  simple  de  la 
nt  de  famille  n'était  pas  l'un  des  lîenà 
e  s'il  n'était  pas  l'un  des  pins  puissans 
s'étonner  de  ce  que  leurs  œuvres  sont 
s  changions  de  constitution  à  peu  près 
naï,  et  de  ce  que  la  vie  moyenne  des 
France  du  tiers  ou  du  quart  de  la  vie 
lés  classes  ou  la  misère  et  la  souffrance 
,  en  quatorze  siècles,  n'avions  eu  que 

le  qui  ne  tient  pas  compte  de  l'esprit 
las  une  place  suffisante,  est  radicale- 
ment incapable  de  rien  constituer,  eiactement  comme  ai  elle  faisait 
abstraction  des  intérêts  individuels,  ou  comme  si  elle  passait  snus 
silence  les  intérêts  collectifs  de  l'état.  Négligeant  une  force  de  pre-, 
mier  ordre,  celle  qui  produit  la  stabilité,  par  cela  seul  elle  fp^nque 
de  stabilité  elle-même.  Elle  est  bôlie  sur  le  sable  tnouvant  des  révp- 
Jutfons,  où  suspendue  en  l'air  dans  l'atmosphère  agitée  des  orages 
popoJakes-  MaUwtusBscmeat.daBS  wAiq  Occident,  le  i^iàpe  de 
la  (âmille  se  présente  comme  incompatible  avec  un  autre  prindpe 
aoo  moins  sacré  désormais,  cher  à  l'intérêt  individuel 'dijoï il' est; le 
TOMB  xxiti.  14 


31Ï  BEVQ¥  DBS  mVX  VOHS^ 

palladium,  et  aiu{uel  le  droit  de  cité  est  in'évod^lemeDt  «oquig,  celui 
dfi  l'égalité,  «oosécration  de  l'unité  natiouale  saqsdistiDCtifHids  races 
et  d'origine,  de  vaîoqwurs  et  de  vawvs,  <Je  couquéTans  et  de  câu- 
quis  ou  de  vaseaux.  Le  principe  d'égalité  s'élant  lieureuseaieDt  (ail, 
jour  depuis  ud  demi-siècle  dans  le  moude  politique,  iQ^lgié  r<^ 
position  des  héritiers  de  la  con^ii,£te  et  des  légataires  de  la  féo- 
dalité, nous  n'avons  su  lui  faire  sa  part  qu'eu  rogaaot  de  plus  eu 
plus  celle  du  principe  de  famille,  dont  ceujL-ci  se  récla^ieitt,  et 
qu'en  BOUS  appliquant  à  déraciner  le  sentiment  de  famille  d&  la  vie 
pi!j)lique  et  mi'me  de  la  vie  privée.  Nous  avons  ainsi  admirablcmeat 
réussi  à  mettre  à  néant  les  prétentions  des  féodaux  ;  mais,  c«ntre  oobe 
intentitm,  dous  avons  désorganisé  la  société.  Sur  ce  puiot,  d'ailleurs, 
les  défenseurs  de  la  famille  n'ont  aucun  reproche  k  adresseï  aux  amis 
de  l'égalité  (je  parle  de  l'égalité  véritable,  etooaduaivellemeDt.que 
trop  de  gens  encore,  et  méioc  des  esprits  distingués,  des  libéraux,  con- 
fondent avec  elle ,  quoique  ce  soit  l'inégalité  la  plus  tynuuùque  et  la 
plus  monstrueuse  ).  Les  uns  et  les  autres  se  trouvent  fatalement  d'ac- 
cord sur  ce  point,  que  les  deux  principes  se  repoussent  et  s'excluent.  - 
C'est  une  opinion  reçue,  qui  semble  vidélébile  dans  nos  cervelles.: 
c'est  devenu  un  article  de  foi  qu'on  ne  contsate  plus.  Ou  est  pour 
l'égalité  ou  pour  la  consécration  politique  du  sentiment  de  la  famille, 
on  n'est  pas  p^ur  les  deux  à  la  fois;  et,  comme  laaoeiété  ne  saurait  à 
l'avenir  se  passer  de  l'égalité  non  plus  que  d«t  la  famille.,  il  résulte 
de  ces  prétentions  exclusives  une  bascule  interminable,  une  suite  de 
combats  sans  issue.  Nous  tournons  dans  un  cercle  vicieux,  allant  de 
Charybde  en  Scylla  et  de  Scylla  en  Charybde,  chassés  d'a^cbif  ea 
absolutisme  et  d'absolutisme  en  anarchie,  de  révolution  en  révolut- 
tion.  On  dirait  que  cette  idée  de  l'incompatibilité  absolue  àfi  l'ee^t  de 
famille  et  de  l'égalité  a  été  jetée  par  un  génie  malfaisant  au  milieu 
de  <  Occidentaux ,  comme  une  semence  d'étemelle  discorde,  afin  qu'ils 
s'eutredétruisent  ;  et  on  serait  tenté  de  croire  qu'elle  atteiodra  ce 
but  internai,  si  i'on  ne  songeait  que  cette  croyance  est  un«  nouvelle 
i  date  que  d'un  demi-siècle,  et  que,  ac-^ 
Lir  dçs  passions  d'une  lutte  terrible,  elle 
it,  m  réformer  par  degrés.,  et  disparaître 
is  tant  d'autres  préjugés  considérés  dans 
icéea  suprêmes  ou  comme  d'wcunibles 

ont  su  concilier  les  deux  principes ,  non 
et  boiteuse,  rotiis  par  une  conciliation 


1*EITK0PB  BT  lA  CHINE.  2T5 

parfaite;  et ,  faft  curlèul ,  qtii  montre  à  quel  pofnt  leur  nature  et  leur 
ttst<rfre  (Mlftrent  fie  la  nôtre ,  cette  éoncîliatîon  a  eu  lieu  naturelle- 
ment, sans  combats,  sams  efforts. 

Le  prhidpe  d*égdlîté  est  installé  ctiez  eux  sans  réserve.  Leur  con- 
stitution ne  reconnaît  d'autre  titre  que  le  mérite  personnel ,  et  efle 
met  tout  en  cBuvre  pour  que  le  mérite  surgisse  et  prenne  son  rang 
dans  rëtat.  Toirt  y  e^  au  plus  digne,  tout,  à  l'exception  de  la  cou- 
ronne; encore  n'est-ce  pas  la  loi  de  primogéniture  qui  règle  l'ordre 
de  succession  :  fempereur  choisit  parmi  ses  fils  celui  quî  doit  le  rem- 
placer. C'est  l'organisation  démocratique  la  plus  réelle  qu'il  y  ait  sur 
la  teite.  Avec  un  peu  de  bonne  Volonté,  on  pourrait  dire  qu'elle  est  la 
seule  dont  la  valeur  ait  été  parfaitement  constatée  et  sanctionnée  par 
^expérience;  car  les  andeunes  démocraties  occidentales  n'ont  été,  à 
vrai  dire,  que  des  oligardiîes  ou  des  aristocraties.  Les  opinions  qui  se 
propagent  aujoard'bui  chez  nous  sous  le  nom  de  démocratiques  sont 
des  idées  non  d'égalité,  mais  de  nivellement  odieux  et  de  promiscuité 
brutale,  non  populaires,  mais  populacîères.  Et  la  démocratie  améri- 
caine, à  qui  l'on  peut  à  bon  droit  adresser  ces  reproches  de  promis- 
cuité et  de  populacerie,  n'est  encore  qu'à  l'état  d'essai  ;  ce  serait  un 
jugement  précipité  que  de  lui  décerner  dès  à  présent  les  honneurs 
dus  à  un  système  étaWi,  solidement  assis,  ayant  pignon  sur  rue. 
Elle  a  clos  à  peîne  son  premier  demi-siècle,  et  déjà  elle  a  cessé  d'offrir, 
dans  le  jeu  de  ses  mécanismes,  cette  régularité  simple  et  majestueuse 
qui  la  renclaft  Tenvie  des  nations  de  l'Europe  et  l'effroi  des  tètes 
couronnées. 

Wè  mCAie  la  fattuHe  est  Iç  pivot  de  leur  société.  L'unité  sociale 
^1  chez  nous,  aujourd'hui,  est  l'individu,  est  chez  eux  la  famille, 
ils  Vivent  de  ta  Vie  de  famille,  groupés  par  nombreux  ménages,  frfres 
avec  (rtres,  parers  et  eitfans  réunis,  ce  qui  renforce  et  resserre  les 
liens  du  sang,  élargit  Texlstence  et  lui  donne  du  charme,  et  présente 
tous  les  avantages  économiques  qu'amène  avec  elle  Fassociation .  En 
Chine ,  le  sentiment  de-  famille  est  le  régulateur  supn^me  des  actes 
pttbKcs  ou  privés  de  rtiac^n ,  la  base  des  peines  et  des  récompenses,  tl 
joue  le  plus  grand  rMe  dans  la  politique  comme  dans  la  vie  intime , 
par  rassimilatlon  coroplète  et  parfaite  de  l'état  à  une  famille.  Cette 
assimilation  n'est  pas  une  fiction  admise  seulement  dans  les  livres,  et 
n'ayant  d'existence  que  sur  le  papier  ;  c'est  la  religion  politique  du 
TMiys,  religion  quî  n'a  pas  de  dissidens;  ce  n'est  pas  une  vaine  for- 
mule, une  convention  sans  conséquence,  è'est  un  fait  positif;  car  qu'y 
*a-t-ïl  de  plus  positif  et  de  plus  réel  qu'un  sentiment  gravé  dans  toi 


Sl^  RBVpB  Q^  DÇIJX  «(«(DBS. 

Ifîs  cœurs  et  dirigeant  à  chatiDe  instant  la  pen^e,  et  les  actes  de  tous 
les  hommes?  Le  sentiment  de  famillca  la  plus  substantielle  incarna- 
tion dans  le  gouvernement  de  la  Chinç,  du  moment  où  depuis  quel- 
qi^es  milliers  de  siècles  la  Chine  cnticre  est  convaincue  que  l'état  est 
une  famille,  et  que,  dans  les  idées  comme  dans  le  dictionnaire  des 
Chinois,  il  n'f  a  pas  dedilTérence  entre  le  prince  et  le  père.  Les  Chi- 
nois ont  même  résolu  avec  bonheur  un  problème  qui  nous  semble 
insoluble,  celui  d'associer  harmonieusement  les  distinctions  hérédi- 
taires avec  l'esprit  d'égalité,  en  substituant  l'hérédité  ascendante  à 
l'hérédité  descendante,  en  anoblissant  les  ancêtres  à  cause  des  ser- 
vices du  fils,  au  lieu  d'accorder  des  privilèges  au  fils  h  cause  des  faits 
et  gestes  du  père. 

Cela  est  fort  surprenant,  mais  cela  est.  Avec  ce  dédain  que  nous 
affichons  pour  tout  ce  qui  ne  nous  ressemble  pas,  nous  pouvons 
traiter  cela  d'étrange  et  de  bizarre,  et  en  rire  comme  d'un  préjugé 
grossier;  mais,  avant  de  taxer  te  système  chinois  d'étrangeté  et  de 
bizarrerie,  demandons-nous  si  nos  systèmes  politiques  ne  méritent  pas 
des  qualiScations  plus  sévères.  Nos  théories  érigent  en  principe  la 
méfiance  contre  le  gouvernement;  elles  légitiment  contre  lui  tes  plus 
injurieux  soupçons,  les  accusations  les  plus  déshonorantes;  elles  dé- 
peignent comme  citoyen  modèle  celui  qui  passe  sa  vie  à  l'entraver, 
à  le  délier,  à  l'iosulter.  Celles  des  Chinois  sont  diamétralement  en 
sens  inverse.  Tout  préjugé  révolutionnaire  à  part,  n'est-ce  pas  plus 
conforme  aux  règles  du  bon  sens,  du  bon  ordre  et  de  1^  sfiiue  j^s-, 
tice  distributive?  La  main  sur  le  cœur,  lequel  est  le  plus  honorable, 
le  plus  beau,  le  plus  digne  d'hommes  intelligens,  libres  et  coura- 
geux, de  respecter  et  de  chérir  à  régal  d'iirt  -pèté  te  prWce,  en 
qui  se  personnifie  l'unité  nationale,  oii  de  lui  prodiguer,  avec  la 
certitude  de  l'impunité,  des  outrages  que  le  SpE^iate  ,1e.  plus  sm^ 
gant  n'eût  pas  adressés  à  l'ilote  qu'il  tenait  sous  ^es  pieds,  de  le 
poursuivre  daas  ses  plus  chères  alTections,  dans  ses  fils  que  tous  les 
rois  lui  envieut ,  et  dont  seraient  jaloux  l'orgueil  de  tous  les  pères,  la 
'    '     '     les  mères?  Sommes-nous  en  droit  de  nous  préva- 
a  nos  conceptions  politiques,  nous  chez  qui  l'ordre 
..gouvernement,  l'indépendance  nationale,  sont 
îr  événement?  Avant  de  rire  de  ces  peuples  éloi- 
p^ul^,  et  examinons  de  SBng-frojd  si  noua  devoos 
|a  compassion ,  nous  dont  tous,  les  ^e^^av<>rteDt 
^,  q^lques  ffnnée^  d'çsçérieqçQ,  ^nous.qyi  ne 
^(tusdon^  Qul;ne  sau^t^irè. ayçc,^|lJ!fft)^'cpn- 


t*fi0ROPB  Èi  LA  CHINE.  21? 

fiance  ce  que  sera  la  patrie,  ce  qull  sera  lai-méme  dans  nn  délai  de 
dix  ans ,  de  dix  mois  peut-être? 

Autrefois  nous  avions  à  pleines  mains  des  illusions  à  la  chinoise; 
mais  nous  nous  en  sommes  guéris,  nous  sommes  devenus  des  esprits 
forts.  Malheureusement,  nous  pouvons  le  dire,  car  c'est  entre  nous, 
il  n*y  a  pas  de  Chinois  qui  écoute  à  la  porte,  nous  n*en  sommes 
devenus  jusqu'à  présent  ni  meilleurs  ni  plus  heureux.  Puis,  sommes- 
nous  bien  sûrs  de  nous  être  dépouillés  de  toute  illusion  et  de  tout  mys- 
ticisme? L*amour  de  nos  rois,  qui  se  confondait  jadis  avec  l'amour  de 
la  patrie,  c'était  un  préjugé,  soit;  et  il  ne  nous  en  reste  plus  un  atdme. 
Mais,  si  nous  ne  nous  inclinons  plus  avec  un  respect  filial  (j'allais  dire 
chinois)  devant  le  trône  de  nos  princes,  en  retour  nous  nous  sommes 
mis  à  adorer  profondément  des  abstractions  métaphysiques.  Y  eut-il 
jamais  au  monde  mystère  qui  fût  plus  mystifiant  que  le  dogme  par- 
lementaire de  la  pondération  des  pouvoirs,  lequel  donne  pour  sym- 
bole à  la  perfection  des  gouvernemens  ce  quadrige  sculpté  sur  la 
façade  du  Louvre,  que  deux  vigoureux  attelages  tirent  de  toutes 
leurs  forces  en  deux  sens  opposés  sans  le  faire  bouger?  En  fait  de 
mystère,  pour  des  gens  de  progrès,  nous  pouvions  plus  heureusement 
choisir. 

Des  esprits  éminens,  et  en  dernier  lieu  Benjamin  Constant,  ont 
pensé  et  dit  que ,  politiquement  et  socialement ,  l'Europe  marchait 
vers  le  système  de  la  Chine  I  Était-ce  de  leur  part  du  pessimisme  ou 
de  IV)ptimisitie,  un  regret  ou  un  espoir? 


-  j  t  '■ 


"  •       ,  ,   1 


If .  TrUlf  LA  TJSTfOAfiÇQ  OB  ft*OCClDENT  A  SB  BAPPEOCHBB  DB 

i.*EXTmÈiiB  oEiEirr. 


Dans  les  temps  d'instabilité  extrême  où  nous  vivons,  les  hommes 
qui  tiennent  lés  rênes  de  l'état  chez  la  plupart  des  nations  euro- 
péennes et  particulièrement  en  France,  ne  prennent  aucun  souci  de 
ce  qui  se  passe  dans  cet  Orient  reculé  :  ils  ne  s*inquiètent  pas  de  la 
convenance  qu^il  peut  y  avoir  à  préparer  des  relations  avec  lui,  et  Ton 
serait  mal  venu,  probablement,  à  signaler  ce  sujet  à  leur  attention. 
Cela  ne  prouve  point  que  le  sujet  doive  être  relégué  parmi  ceux  dont 
se  bercent  les  visionnaires,  et  qu'il  soit  indigne  d'un  homme  positif 
de  s'en  préoccuper.  Cela  |>ourrait  bien  attester  seulement  ce  qui  mal- 
héttreusement  ta*est  plus  à  démontrer,  que  les  Intérêts  dé  IV^nir 
i^odtphi^âé'plâcé  (brisia  pensée  des  gouvernahs.  Ministres  diri- 
geiiis  eik' ÎÉlimtrés'^i^  les  hommes  politiques  sont  absorbas  ' 


-ils  RKVIS  DBS  OBUK  WM«S. 

par  les  «^(Seissités^leiir  eristeooe  éphéHoère.  ComBoent  aaraieiit4s 

le  loisir  et  la  faculté  de  plonger  dans  r^veair?  L'homiBe  songera 

Favenir  de  «ou  pays  quaod  il  $'eD  croit  un  à  loi-mèiBe.  Les  gouver- 

«ans,  fKnff  s^in^ifiéter  de  ce  qui  inpoite  aux  vaoes  futures ,  obC  lie- 

«dîn  de  voir  un  futur  q^elconcpie  devant  eux.  L'avenir  maintenant, 

<fest  la  séance  de  demain  ou  de  ce  soir.  Il  ftnit  avoir  «un  coup  d'an! 

^  d'aigle  pour  étendre  son  regard  jusqu'à  la  session  prochaine.  Les  mi- 

'  oistres  de  notre  teni|>s  savent  qu*au€un  -orateur  încomroode  ne  les 

interpellera  sur  le  céleste  empire ,  qu'aucun  journal  de  mauvfliae 

bumeur  ne  les  sommera  4e  s'esîplic^er  sur  je  Japon.  Dè&4om  ots 

nations  lointaines  doivent  èlre  pour  eux  comme  si  eHes  n'existaieat 

pas.  Nés  de  petites  causes,  ceimés  .de  petites  i^aMtés  et  de  pelMes 

intrigues,  destinés  à  mourir  d*un  incident  gros  ou  microscopique, 

à  Timproviste,  entre  deux  portes,  pour  noe  servir  d'un  mot  postlHHie 

d'un  des  plus  spirituels  de  ces  défunts,  ils  ne  sauraient  se  Kvrer  à  4e 

grandes  pensées,  quelque  talent  quils  aient,  et  certes  nous  avons  eu 

aux  affaires  des  tiommes  qui  en  étaient  richement  pourvus  ;  car  en 

im  pays  où  Vim  a  vu  presque  toujours  depuis  ^  ans  au  ministère, 

séparément  ou  deux  à  deux,  des  hom«nes  de  la  trempe  de  MM.  Moié, 

Guizot  et  Thiers,  on  ne  saurait  prétendre  que  le  royaume  de  la 

politique  est  aux  pauvres  d*esprit.  Obligés,  pour  veiller  à  leurcon- 

iservation ,  d'woir  rcedl  fixé  sur  un  étroit  rayon  autour  d'eux ,  ils  k 

peuvent  en  conscience  traquer  leur4unette  sur  ce  qui  se  passe  «ai 

loin  ;  primo  vivere.  Ainsi  de  l'indifférence  plus  ou  moins  dédaigneofle 

que  rencontrerait  sur  le  terrain  de  la  politique,  si  on  Ty  jetait,  la 

pensée  de  isebtioDs  nouvelles  entre  l'Europe  et  rorienl  le  plus  reculé» 

il  ne  faut  point  conclure  que  te  question  soit  inopportune  ou  oiseuse. 

Il  n'y  a  de  conclusion  à  tirer  que  contre  la  politique  actuelle,  on 

plutôt  contre  4a  faij^se  direction  depms  long-^tenaps  îftipriroée  aux 

intelligcfnces.  Quelles  que  soient  à  cet  égard  les  disposftions  des 

homnesfditiques,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'état^isseoieiit  4& 

iappolis  réguKers,  étroits  et  animés  entre  l'Europe  et  rextr^edté 

orientale  du  vieux  continent  serait  un  événement  d'une  portée  incat- 

•diriable,  immense;  il  n'en  demeure  pas  moins  certain  qu'en  ce  moment 

ies  An^is  rompent  la  glace  et  Mitent  l'époque  o4  ces  deux 

<6a«s  foyers  de  -eivifaatton ,  de  kaauère  et  de  richesses,  situés 

^teux  boute  de  l'ancien  monde ,  se  renverront  mulgeilement  leums 

rag^oM»  redauMoffont  d'éctet  et  de  fécondité  l'un  par  l'aulPe,  t>Mi 

fMT  t'aOtce.  ^i  •aajoQrd'tei  te  poitfqve  f«t  §  de  te  question  et  là 

laisse  eu  coin  de  telionie,  il  eoBvient^'eMe^sQît  relevée  fur  d' 


l'mAon  fef  LA  cmiiB.  919 

miuwo*  PcDStert^Ue  eicîter  Ift  solUoitade  detpenrfelffs  afldsie  FlivflHK 
mté^  qui  m  diffëreat  Ad  rhotame  d'état  Agne  de  %e  mm  q^^w  0e 
qvie^  tovr  œ^ni^avaBcaiit'wr  làsienAe,  an  Heu  d^  te  liltrre,  itolai 
ouvreal  le  cheasia  i 

IieiBar€|fioa&  cependsiit  qqe  h  poKtktue  inaderne,  kl  même  oà  elle 
eit  déscvrdoBoée ,  vacilla^,  à  caitrte  tM,  reM  an  Matant  bofti^ 
mage,  sans  préci&éBieiit  oa  bira  avoir  conafJeBeef,  à  oit  Ortetit 
lointain.  €*est  un  legs  des  àgea  pteâés  ipt)  bm  gvé  inud  gfés'tm^ 
pose  à  elle,  une  irrésistible  tradition,  un  courant  qu'elle  n'est  pas  la 
maîtresse  de  ne  pas  suivre,  parce  que  c'est  le  courant  des  siècles. 
Le  grand  débat  des  cabinets,  de  ceux  qm  darem  Gemnim  de  ceax 
qui  se  succèdent  à  la  façon  des  étoiles  filantes,  de  ceu  qit)  déro«toiit 
.graduellement  des  plans  tracés  de  loAgae  main  et  qui  onl  des  id6m 
fixes  comme  de  ceux  qvi  manquent  d'idée  et  de  plan;  ce  cpil,  fim- 
que  toute  autre  cause,  bien  ph»^  que  la  eratvite  é$  la  par0pigafide« 
maintient  l'Europe  à  l'étal  d'observation  armée,  e'esl  la  qMstiW  êd 
Levant.  Or,  ce  qui  donne  tant  de  prix  aUx  dépodines  de  Klstouftianie, 
«'est  qu'il  avait  planté  ses  tentes  e«tfe  l'Ëiirope  et  l'Orieal  recelé.  €e 
qui  faisait  et  fût  plus  que  jamais  le  pm  du  •osptM)re  et  de  f  Egypte, 
ce  qui  détermina  Alexandre  à  marquer  de  son  seemi,  de  aoH.  ftom^ 
ri&Uime  de  Suez ,  Constantin  à  transporter  dans  Bjsiiwe  les  pénatea 
de  4*empire  ronAaih ,  quand  la  ville  de  Homulua  ne  le«t  offrit  ph»  nu 
sûr  asile,  les  caUfes  à  établir  à  Bagdad  la  capitale  de  leurs  domaîBes^ 
lea  Turcs  à  redouUer  d'efforts  jusqu'à  ce  que  le  creusant  ttt  artoré 
SUIT  Sainte-Sophie^ce  qui  ÎAspira  au  génie  de  Leiboitz  leli  mélnflàtr 
à  Louis  XIV  sur  la  conquête  de  l'Egypte;  00  qui  attira  lie  général 
Bonapaiie  sur  la  terre  des  Pharaons;  la  cause  pe<ir  laq«eBe«  de  mb 
jours,  Alexandrie  et  Constaotiiiople  allument  b  eonvottise,  disons 
mieu;^ ,  l'ambitton  avouée  et  bautemeot  afouri^  de  l'An^erre  et  d» 
laAussie)  ce qu^expliquepeuvquo* les  Busses sacrîSeaA  tant d'hèmme» 
et  d'argent  dans  des  expéditions,  stériles  e»  apparedee,  eentfe'  Kbit* 
ou  contre  des  tribus  de  pauvres  Tcberkesses;  poiirquoi  rAngleterte 
promène  sans  reUicbe  ses  habiles  agenSf  sestintrépidesroilcicrrai  sesf 
citadelles  flottantes,  ses  intrigue»  et  son  or,  du  golla  Andrique  an 
golfe  Persique«  du  Nil  à  t'Ëuphrate,  d'Ade»  à  Bender^^MaMi)  ce  qni^ 
au  fond,  motive  (j9  ne  d^pas  légitin^)  y^p^aftieil  HMiaeede  elut- 
<mïe  de  ces  pvissances  au^  projet»  de  l'autre ,  et  de  la  Frafice  attX- 
Tceax  de  toutes  deux,,  cen'est  patrie  ùi^  eucbaoté  «ù  se^dléflej^Co*^ 
st^oti^ople<  ce  n'est  poin4  la  MHHédel«vaUéedaNil„etiteolyirfli» 
deceU^  de  l'Euphrat»;  ce  sont  ^«fi^ve  «aotaftr  \m  plogeë%  aiMe»  iM 


^  BBVCP^DPS  DEUX  MONDES, 

iM)(f4es,)qiii  burdentlatner ItMkge on «pii  longent  le  golfe  Persiqne, 
OUil^ill^ques  nillionsidep^MiiatioQS  laisérables  qai  ont  yéca  où 
ifnl  yégèteût  dans  tes  diveraes  dépendances  du  cndevant  empire  otto* 
mon  :  c'est  que  le  Bosphore  et  les  rives  de  la  mer  Noire  et  de  la  €as^ 
pieane,  -^  l'isthme  de  SueE«  la  mer  Ronge  et  Aden^  «^  rEùphrats> 
Bagdad  «  le  golfe  Persique  et  Bender-*Bushir,  -^  sont  le&  trois  grands 
chemins  entre  rSurope  et  la*  vieille  Asie;  c'est  que  le  Levant  •est  \t 
vesUbide  de  l'Asie  Iwataitie,  de  rinde  et  de  * 

La  Chine,  puisqu'il  faut  rappeler  par  son  nom.  ^  , 

Deux  forces  puissantes  poussent  les  peuples  de  l'Europe  à  atteindre 
ceui  de  l'extrême  Orient*  L'une,  mystérieuse,  instinctive,  irréslstibte^ 
semble  être  due  à  l'action  de  la  Providence  elle-même  qui  nous  mène 
par  la  main  a  notre  insu;  l'autre  résulte  du  tempérament  actif,  ambi- 
tieux, remuant,  insatiable,  qui  a  été  transmis  aux  nations  européennes 
p^r  les  peuples  anciens  dont  elles  sont  les  héritières. 

Depuis  l'origine  des  siècles ,  depuis  que  Prométhée ,  dérobant 
jaux  dieux  le  feu  sacré ,  eut  embrasé  l'ame  de  nos  premiers  pères, 
jusqji'aiors  engourdis  et  passifs ,  la  civilisation  à  laquelle  nous  ap- 
partenops  s'est  mise  en  mouvement  d'Orient  en  Occident,  d'un  pas 
uqesuré  et  par  stations  successives,  depuis  le  plateau  qui  domine 
l'Iados.  et  le  Gange.  Se  régénérant  &  chaque  station  par  rinftisiiki 
d'ua  sang  nouveau,  elle  s'eàt  avancée  par  un  majestueux  pèlerinage, 
coupant  tour  à  tour  les  déserts,  les  fleuves,  les  môntagnfes,'  les'dl^rofts 
etles  bras  delà  Méditerranée,  qui  était  pour  «elle  alors  une  hiei^  gigan- 
tesque, mare  ingens^  jusqu'à  ce  qu'elle  se  ti'OUtftt  eti)  It^nèstït*  le 
littoral  de  l'Atlantique,  du  fond  de  la  Péninsule  espagnole  ju^à'lfa 
pointe  des  Iles  britanniques  et  de  la  presqu'île  scaiidhiaye.' Alors, 
après  une  pause  nonvelle  où  elle  a  excité  ses  forces  en  exërçmA;  ses 
enfanfrlesnns  cMtre  les  autres,  elle  a  traversé  l'Océan,  dont  lé  nom 
jadis  ^étatt  lAi  sujet  d^efTroi;  elle  a  envahi  le  Notaveau*Monde ,  Ta 
iranphi^'lin  bond  audacieux,  et  bientôt,  du  sommet  de  la  Cordillère, 
du  CjBf  Hom  ad  mont  Saint-Ëlie,  elle  a  pu ,  comme  d'un  observatoire 
.de  deute  mille  cioq  cents  lieues  de  long,  contempler  te  (kmter  espace 
4UÎk  séparait  dm  versant  oriental  de  l'anden  continent; 

.,  Une  autre  4^îUsatioD>  mardiant^i  rebours  de  la  nMre;  acheminé 
d*OccideDt;  eA*  Orient,*  en  partant  du  méme<  foyer;  «C^estc^le  <ie 
ÏOn^itstièmi^i  de  l'Orient  véritaUevdu  agrandi  Orient,  ({ui  avant 
^H  stf fty4Drieiit  unique,  ear  FEvrope  absorbe  bts^assiiililetesl  régions 
et  les  peuples  qui  jusqu'ici  ont  formé  ce  que  nous  appelions  l'Orient 


L'EUROPE  ET  LA  CHINE.  SU 

par  exœllence,  parce  I)ifil''ét6it*te  pllis  prbche,  le  seul  proche,  et 
qa*H  Dous  révélait  son  eiistence*  es*  iuCfant  'hatdiineiit  contre  Mtrtl 
Mai»  cette  «seconde  biv«U8aiio»«iimii»re*ittaDte^  iDOiiis>  a«Jeeleii8é 
^ue  ia  iiAtre,  s!est  arrêtée  en  Chilien  lOts  apràa  avoii^  envoyé  une  gahfe 
«««laoée  M>  JapoO)  eUe  s'«st  ixée  i  -demeure  sur  la  terre  ferme,  ctB^ 
gDant<d'*8flronter  la  terrible  niÉr;  C'est  à  pekie  ti,  «taltéd  par  le  iny^ 
tfcîante  reU^diK,  quelques-uns  de  ses  fila  ont  pu*  ^'aventurer  isat 
la  wrfeca  redoutée. de  rOcéan,  ctoune dàn» t'eipéditioii  qui,  detti 
siècles  avant  notre  ère,  pârcoumit'la  liier  de  T^eat  ccpout  cberdier  un 
remède  qui  procure  l'immortalité  de  Vame.  i> 

En  même  temps  que,  par  un  mouvement  général  et  providentiel 
aeiBiUable  aux  révoluliofis  phnétaires,  et  <loii!  elle  ne  se  rendait  pas 
oompte^  notre  civilisation,  ainsi  entraînée  de  Test  à  l'ouest,  s'avan<- 
^çait ,  en  fisisant  le  tour  du  globe,  vers  sa  sœur  de  l'Orient,  eDe  la 
recberchait  par  une  autre  voie,  sous  l'influence  d'un  autre  mobfle 
essentiellement  humain.  Cédant  à  la  soif  des  richesses  et  des  con- 
quêtes, aux  instincts  du  sensualisme  et  de  l'ambition,  elle  se  retoon- 
nait  en  arrière,  dans  sa  marche  régulière  vers  l'ouest,  tantM  pour 
combattre,  tantôt  pour  traBquer.  De  là  les  Argonautes,  non  moins 
avides  qu'ils  ne  furent  vaillans;  de  là  les  luttes  de  Troie  et  les^oam«- 
pagnes  d'Alexandre;  de  là  les  croisades,  de  là  les  comptoirs  des  Lon»' 
bards,  des  Génois,  des  Vénitiens;  de  là  les  héroïques  entreprises  des 
Albuquerque  et  des  Vasço  de  Gama;  de  là  les  tentatives  un  momédt 
beuj^uses  des  Français  sous  Louis  XIV;  de  là  enfin  la  compagnie 
4es  Indas:  et  rempjroides  Anglais  en  Asie. 
,  ,Pe.  V^)t  t^mps  les  peupks.de  l'Europe  ont  été  persuadés  que 
l'Qirient^il^t  plus  reisulé  irendsrnifit  des  richesses  inouies.  Toujoiks 
fboii^q  a  âupp<^  <Iiie  les  régions  lointaines  recelaient  des  mer- 
miles  etdea.tcésors,  Suivant  les  premiers  poètes  et  les  philosophes 
.4e  r^Ie  ionienne.  Thaïes  et  Anaximène,  la  terre  était  un  disque 
que  rOcéan  entourait  comme  une  ceinture,  et  I'ob  plaçait  vers  ses 
bords  rÉIydée,  les  iles  des  Bien-Heureux,  les  Hyperboréens  et  le 
peuple  juste  des  Éthiopiens.  La  fertilité  du  sol,  la  douceur  dta 
climat,  la  force  physique  des  hommes,  l'innocenoe  des moBUils, -tous 
les  biens  appartenaient  aux  extrémités  do  disque  térneslite.  PUis 
4ard ,  lorsque  la  oosmographie  cbiétieBiie,  effisçant  tldfie  '40  la  rèlo»- 
^dilé^e  la  tarre^^  eUt  de  nouveau  converti  notre  ptanèteeil' 'une  Sur- 
face plane,  mn  en  forttie  dei  disque  comme  au  tetapè  de  Tbalès,  <nais 
en'para}lélogDaitiilieg,w  enseigna  qu'a»Hlelà  de'rOoMii;/deÀ'«tioftt^ 
^é^  du>coiittlkMtintérieiir*i^uti  représente  Vxi»m^  4fi  i|lil^#nml0  éd 


RMM  DtS  DfilTX  MOftMS. 

Jioae^  Bit  pteete  ««e  «atre  lerre  renfermMt  te  (^raéis,  «t  t}tte  les 
^ocmnei  ont  bahiiéô  jaiqH'è  l'époqvie  du  déluge  (1)«  n  Héredole,  Méie 
iatorprfttB  deli  icîetice  el  des  prëjuf^és  de  Ben  temps ,  pose  en  prin- 
cipe ifjm  les«flferénulés  duoionde  ont  obtenu  dans  le  partaige  des  biens 
4e  la  terre  les  pliis  belles  productions.  Cette  opinion ,  comme  le  (kit 
^BtmvéfmBr  U.  de  Hnmbèldt,  n'exprimait  pas  uniquement  Tidée  mé» 
iaacidUpic.  «t  naÉvreHe  à  Thoimne  que  le  bonheur  est  loin  de  nous  ; 
eHe  se  AHriatt  mbsI  «or  l'élolgnement  des  Keui  d'oik  les  Hellëoes 
recerafeot  réteotniBi  €t  rétaîo ,  For  et  les  aromates.  Là ,  selon  les 
premiers  historiens,  et  selon  Ptolémée,  la  Chersoônèse  à'or  dcveU  p- 
^tit  ses  «ivoges  aMongés;  là  était  l'Ophir  de  Salomon.  La  cro^  ance  que 
l'^tiéme  Orient  est  on  dorado  se  retrouve  ohez  les  nations  sémitiques. 
Les  géografAies  aiïabes  Édnel  et  Bakoui  indiquent,  aux  limites  orien- 
tales du  tnende  connu,  Ttle  aux  sables  d'argent,  Ballet,  et  les  ties 
M^ifères  OuaoOaacet  Saïla,  dont  les  ehiens  et  les  singes  portent, 
4to^t-ils,  des  ooHiers  d'or. 


411.  ^  LB  D^IB  Ji^ATTBlNDBB  L*EXTRàVlTé  BB  L*OBIBIfT  A  ÉTÉ  LA  CAUSE  0B  LA 
DÉCOUYEBTE  AE  l'AMÉBIQCE.  —  CHBISTOPHE  COLOMB. 

La  passion  des  Occideûtaux  pour  la  richesse  ou  pour  la  domination 
politique  et  religieuse,  qui  les  précipitait  vers  les  terres  d'Orient, 
sanctîotmant  ainsi  un  mystérieux  décret  de  la  Providence,  a  produit 
les  plus  grands  êvènemens  sur  l'espace  que  notre  civilisation  occupe; 
car  où  en  serions-nous  sans  Texpodition  d'Alexandre  et  sans  les  cr(û- 
sades  par  exemple? 

Cfest  pareillement  au  désir  d'atteindre  l'Orient  qu'est  dû  un  fait 
qui  a  changé  la  face  du  monde,  la  découverte  de  l'Amérique  par 
Christophe  Colomb.  L'historiographe  du  grand  navigateur,  M.  Irvîng, 
et  plus  encore  Thomme  à  qui  l'on  doit  pour  ainsi  dire  une  seconde 
découverte  du  nouveau  continent,  M.  de  Humboldt  (2) ,  puisant  l'un  et 

(1)  Chriitianorum  àpinio  de  Mundo  (on  topographie  chrétienne),  ouvrage  attrf- 
IHié  à  vn  nftarcbatid  d^Àlexandrie ,  Cosmas,  qui  se  fit  moine  sons  Temperetir  Jus- 

tlif6n. 

(9)  Vo^tSE  VMtMtre  de  la  €4of/raphie  du  noMVMu  eêntUMfU.  C'est  dans  ce  IHrre 
que  nous  avons  puisé  la  plupart  des  faits  consignés  ici  au  sujet  de  Colomb.  Nous 
lui  avous  même  fait  quelques  emprunts  tout  littéraires.  Ce  n'est  pss  notre  faute  si 
H.  de  Humbdldt  écrit  le  français  aussi  purement  et  avec  autant  d'aisance  que  si* 
«*étalt  sa  langue  naturelle;  ne  pouvant  dire  autrement  aussi  bien,  nous  lui  avons» 
«n  désespoir  de  cause,  dérobé  quelquefois  ses  propres  expressiouF. 


Taptre  dam  les  archives  aspagnoto»,  on  se  servanNes  iioabreu4looQ* 
mens  publiés  par  deux  savans  historiens  espagnols,  JÊiL  Nafairela  et 
Mpftos,  ont  dénaontré  que  le  bat  de  ramiral  était  d'atteindre,  en  cher- 
chant le  levant  par  le  couchant  {el  levamieporel  petiienté)  les  régîoM 
de^l'Asie,  fertiles  en  épiceriesyrtcbeftoft  diaiMnseten.métatapié- 
cieQx. 

An  xv^  siècle,  les  intelligences*  étaient  travaillées  dn  besoin  de  se* 
ra|iprocher  de  l'A^*  Les  progrès  du  luie  et  de  la  civilisatien  dans  le 
midi  de  TËurope  y  faisaient  avidement  rechercher  les  producUona  de- 
rinde;  mais  ces  appétits  de  la  àétSy  conune  dit  Xavier  de  Maisti^ 
n^étaient ,  si  vivace&qu'ils^fussent ,  qu'au  second  rang  panai  les  causes 
<|ni  poussaient  les  esprits  vers  le  monde  oriental.  Dès. le  xiii*  siède, 
les^qiéditHMM  et  les  conquêtes  des  Mongols  sous  Gengis-Khan  et  sea^ 
fils,  près  desquelles  celles  d'Aleiandre,  le  maître  des  coaquérans 
ocddenlaux,  sont  des  échaufTourées,  avaient  attiré  sur  l'Orient  ei- 
tréme  Tattention  des  chefs  des  peuples  européens.  Ges  mêmes  Mon- 
gola  qui  atteignaient  la  mer  Jaune,  à  l'est  de  la  Chine,  étaient  venus 
à  Touest  régner  sur  la  mer  Noire  et  sur  la  Baltique,  et  faire  boire 
leurs  chevaux  au  centre  de  l'Allemagne,  jusque  dans  les  fleuves  de 
la  Silésie.  Le  nom  du  grand  Khan  rendait  soucieux  les  monarques  de 
l'Europe,  et  leur  supérieu^  le  souverain  pontife.  On  lui  avait  adressé 
des  ambassades,  et  il  avait  daigné  en  envoyer  à  son  tour.  Les  savana 
grecs  qui  s'étaient  enfuis  de  Constantinople  après  la  destruction  de 
l'empire  bysantin ,  avaient  semé  en  Europe  des  notions  sur  l'Asie,  et 
avaient  appris  à  la  considérer  comme  une  terre  moins  excentrique^ 
plus  prochaine.  La  religion  conspirait  avec  la  politique  et  le  com- 
merce pour  nouer  des  rapports  entre  FOrient  et  l'Occident.  Des^ 
voyages  provoqués  ou  encouragés  par  la  ferveur  catholique  avaient 
étendu  l'horizon  géographique  et  inspiré  le  désir  de  l'agrandir  en- 
core. Les  têtes  avaient  été  échauffées  par  les  récits  de  simples  moines 
pleins  de  résolution,  tels  que  Rubruquis^  Plan  Carpin,  Simon  de 
Saint-Quentin,  Ascelin  et  Bartholomée  de  Florence,  qui  avaient 
déployé  le  courage  et  la  persévérance  justement  admirés  par  l'Eu- 
rope moderne  dans  Burnes,  leur  successeur,  et  la  sagacité  qu'un 
autre  de  leurs  continuateurs,  l'infortuné  Jacquemont,  alliait  avec 
une  philosophie  si  charmante  et  un  esprit  si  fin.  Les  rapports  de 
voyageurs  laïcs,  tels  que  Mandeville  et  surtout  Marco  Polo,  redou- 
blaient, au  lieu  de  les  satisfaire,  la  curiosité  qui  s'attachait  au  grand 
Orient  et  le  besoin  qu'on  éprouvait  de  s'en  rapprocher.  Le  prosély- 
tisme ^  excité  par  les  triomphes  des  Espagnob  sur  les  Maures,  ré- 


^  RE  vos  DÉS  BBUX  MOlfBBS. 

clamait  un  nouvel  aliment.  Un  ébraniemeiit  intellectuel,  prélude  de 
la  réforme,  tenait  les  cerveau!  en  émoi.  Novateurs  Inspirés,  les  grands 
hommes  de  Fltalie  répandaient  autour  d'eux  des  flots  d'une  lumière 
éblouissante  qui  était  accueillie  avec  trahsport.  La  science  be  déga- 
geait de  Tenveloppe  de  la  scolastlque  et  des  erfenrs  du  moyen-lige; 
elle  restituait  à  Vesprit  humain  tes  trésors  de  l'antiquité.  Indiquant 
dès  issues  inconnues^  jusqu'alors,  elle  les  montrait  sous  cette  fohne 
vague  qui  fascine  les  imagii^atiôns  ardentes  et  qui  les  féconde,  et  elle 
fournissait  des  moyens  de  réalisation  que  le  passé  n'avait  pas  pos- 
sédés. 

En  réhabilitant  l'opinion  de  la  rotondité  de  la  terre,  parfaitement 
admise  et  démontrée  par  les  pythagoriciens  et  par  Aristote,  par  l'école 
des  philosophes  d'Alexandrie,  par  Strabon ,  et  avérée  chez  les  Ro- 
mains, elle  faisait  naître  la  pensée  d'entreprises  inQnies  en  nombre  et 
grandioses  de  proportion.  Chez  les  anciens,  cette  croyance  était  restée 
stérile  à  cause  de  l'imperfection  extrême  de  la  navigation.  Au  xv*  siècle, 
l'art  nautique,  grossier  encore,  avait  cependant  fait  assez  de  progrès 
pour  qu'il  fût  enfin  possible  à  des  hommes  doués  d'un  corps  de  fer  et 
d'une  ame  de  bronze  d'explorer  et  de  sillonner  notre  planète  arron- 
die. L'usage  plus  fréquent  et  mieux  entendu  de  la  boussole,  que 
l'Europe  avait  reçue  des  Arabes,  qui  la  tenaient  de  la  Chine  par 
l'Inde,  impliquait  toute  une  révolution  maritime.  Se  joignant  à 
la  boussole ,  l'invention  de  l'astrolabe  et  du  quart  de  cercle ,  et  le 
calcul  des  hauteurs  du  soleil,  au  moyen  de  tables  telles  que  celles  de 
Regiomontanus,  achevaient  de  dépouiller  l'Océan  du  titre  que  lui 
donnaient  les  géographes,  de  mer  ténébreuse  y  et  en  promettaient 
l'empire  à  l'homme. 

Buvant  à  la  coupe  qu'on  leur  présentait,  les  peuples  s'initiaient  à 
des  désirs  sans  limites  et  à  des  espérances  sans  fin.  La  vue  des  hommes 
s'allongeait,  les  poitrines  se  dilataient;  on  eût  dit  que  tous  les  sens 
redoublaient  de  vivacité  et  d'énergie.  L'intellect  s'épanouissait,  les 
appétits  grandissaient ,  une  vie  nouvelle  entrait  par  tous  les  pores , 
avec  ses  chances  tant  mauvaises  que  bonnes,  avec  son  surcroit  de 
sensations  douces  et  pénibles,  ses  nouveaux  besoins,  ses  tumultueuses 
exigences,  son  nouveau  faix  de  responsabilité  et  de  soucis,  et  débor- 
dait comme  un  torrent.  Les  chefs  des  peuples  devaient  se  dire  ces 
paroles  inquiètes  des  disciples  au  Christ  :  Comment ,  avec  trois  pains 
et  deux  poissons,  rassasierons-nous  cette  multitude? 

C'était  une  situation  pareille  à  celle  qui  se  déroule  sous  nos  yeux.. 

Ainsi  tout  faisait  à' l'Europe  chrétienne  une  loi  de  trouver  quelque 


X*E€AOPB  BU  LA  CHINE.  225 

source  nouvelle  de  satisfactions  laatérielles,  in|;ellectuellesçt  morales, 
4e  grandes  sensations  religieuses  et  politiques;  tout  en  elle  était 
mûr  pour  Touverturede  la  cainpagne  ^ù  eUe  devait  gagner  la  dpmi* 
nation  du  monde  :  car  c'est  «seuleuiient  depuis  le  xv"  siècle  que  nos 
nations  se  sont  assuré  la  suprématie.  Jusque-là  Tislamisme  leur  tenait 
tète  eu  EurQpe,  et  leur  nom  était  ignoré  dans  l'Asie  lointaine  (1). 

L*Europe  donc  se  sentait  attirée  vers  l'Asie  reculée;  les  rois  espé- 
raient y  trouver  des  trésors,  des  tributaires  et  des  alliés  ;  les  hommes 
religieux  comptaient  y  recueillir  une  abondante  moisson  d'arnes  ;  les 
commerçans  enGn  pensaient  y  amasser  des  fortunes  qui  fissent  pâlir 
l'opulence  4es  Gênoi^  et  des  Vénitiens. 

Pendant  la  jeunesse  de  Colomb,  le  Portugal  était  à  la  tête  de  ce  projet 
de  croisade  asiatique,  dans  la  personne  du  prince  Henri.  Malgré  l'au- 
torité d'Hipparqueetde  Ptplémée,quireprésentaientrAfriquecomme 
un  continent  étendu  indéfiniment  vers  le  pôle  austral ,  et  rejoignant 
TAsie  au-delà  du  Gange  en  cernant  la  mer  des  Indes ,  transformée  ainsi 
par  eux  en  une  autre  Méditerranée,  ce  prince,  hçmme  lettré  et  érudit. 


(1)  «  L'influcDcc,  dit  M.  de  Humboldt,  que  ces  peuples  (  de  TEurope  oecidentale  > 
exercent  sur  tous  les  points  du  globe  où  leur  présence  se  fait  sentir  sirouitaaémeQt» 
la  prépondérance  universelle  qui  en  est  la  suite,  ne  datent  que  de  la  découverte  de 
TAmérique  et  du  voyage  de  Gama.  Les  évènemens  qui  appartiennent  à  un  petit 
groupe  de  six  années  (  Colomb  s'est  embarqué  à  Palos,  le  3  août  li93,  et  a  vu  la 
terre  le  11  octobre  de  la  même  année;  Vasco  de  Gama  est  parti  le  8  juillet  1497,  a 
doublé  le  cap  de  Bonne-Espérance  le  ÎO  novembre,  et  est  arrivé  à  Calecut  le  20  mai 
1198)  ont  détertïiiné  pour  ainsi  dire  le  partage  du  pouvoir  sur  la  terre.  Dès-lors  le 
'  pouvoir  de  Tintelllgence,  géograpbiquement  limité,  restreint  dans  des  bornes 
»  étroites,  a  pu  prendre  un  libre  essor;  il  a  trouvé  un  moyen  rapide  d*étendre,  d'en- 
iretQuir,  de  perpétuer  son  action.  Les  migrations  des  peuples,  les  expéditions  guer- 
rières dans  Tintérieur  d'un  continent,  les  communications  par  caravanes  sur  des 
routes  invariablemeiit  suivies  depuis  des  siècles,  n'avaient  produit  que  des  effets 
partiels  et  généralement  moins  durables.  Les  expéditions  les  plus  lointaines  avaient 
été  dévastatrices,  et  Timpalsion  avait  été  donnée  par  ceux  qui  n'avaient  rien  à  ajouter 
aux  trésors  de  Tintelligence  déjà  accumulés.  Au  contraire ,  les  évènemens  de  la  fin 
du  XYQ  siècle,  qui  ne  sont  séparés  que  par  un  intervalle  de  six  ans,  ont  été  longue- 
ment préparés  dans  le  moyen-âge,  qui,  à  son  tour,  avait  été  fécondé  par  les  idées 
des  siîHslcs  antérieurs,  excité  par  les  dogmes  et  les  rêveries  de  la  géographie  systé- 
matique des  Hellèn^.  C'est  seulement  depuis  Tépoque  que  nous  venons  de  signaler 
que  l'unité  homérique  de  TOcéan  s'est  fait  sentir  dans  son  heureuse  influence  sur  la 
civilisation  du  genre  humain.  L'élément  mobile  qui  baigne  toutes  les  côtes  en  est 
devenu  le  lien  moral  et  politique,  et  les  peuples  de  l'Occident,  dont  Tintelligence 
active  a  créé  ce  lien ,  et  qui  ont  compris  son  importance,  se  sont  élevés  k  une  uni- 
versalité d^actîon  qni  détermine  la  prépondéranee  du  pouvoir  sur  le  globe.  »  (Hti- 
tmUigdê  la  Géogfiaphie  du  nouveau  continent ,  (om.  IV,  pag.  21.) 


^6.  REVUE  DES  DEUX  MOfiOlBS. 

frappé  de  la  tr^dUioD  d'une  expédition  carthaginoise  autour  de  la 
péninsule  africaine,  soutenait  que  la  mer  des  Indes  n'était  pas  close^ 
qu'un  navire  pouvait  tourner  autour  de  l'AGrlque  depuis  Gibraltar 
jusqu'à  la  mer  Rouge,  et  par  conséquent  qi^'il  était  possible  à  des^ 
i9arins  de  se  rendre  de  Lisbonne  au  pays  des  cpici^  quelque  tei:reui; 
qii'inspirât  alors  le  cap  Non ,  situé  à  moins  de  cent  cinquante  lieu^  du 
détroit  ^e  Gibraltar,  et  qjiie  les  plus  habiles  navigateurs  considéraîept 
comme  l'extrémité  du  monde.  Cette  pensée  du  prince  Henri,  pour- 
suivie p3r  lui  avec  dévouement  et  intelligence,  donna  lieu  après  sa 
mort  au  voyage  de  Vasco  de  Gama,  à  la.ducouverte  du  cap.d^  Bonnç- 
Espérance,  et  au  déploiement  d'héroïsme  dont  le  Portugal  a  conservé, , 
conune  un  souvenir,  Macao  et  Cfoa.  Colomb ,  qui  vécut  loug-temps 
en  Portugal,  savoura  ce  projet,  puis,  novateur  audacieux ,  lui  donna 
ipie  autre  forme.  Malgré  son  profond  respect  pour  l'aujborité  reli- 
^euse^  il  était  convaincu  de  la  i:otondité  de  la  terre.  U  eu  concluait 
naturellement  qu'on  pouvait  se  rendre  d*£urope  au  fond  de  l'Asie, 
en  cheminant  de  l'est  à  l'ouest,  aussi  bien  qju'en  allant  de  l'ouest 
à  Test  comme  on  l'avait  fait  jusqu'alors.  Entre  ces  deux  routes  oppo- 
sées conduisant  ati  même  but,  de  bienheureuses  erreurs  dont  nous 
allons  dire  un  mot ,  et  qui  étaient  sanctionnées  par  la  science  la 
plus  avancée  de  l'époque,  le  déterminaient  à  donner  le  choix  à  celle 
qui  se  dirige  de  l'est  à  l'ouest.  C'était  au  surplus  une  idée  exprimée 
autrefois,  comn^  une  possibilité  seulement  et  non  comme  un  con- 
seil, par  l'antique  Eratosthène,  et  recueillie  par  Strabon.  Il  est  même 
curieux  que,  dans  cet  exposé  spéculatif,  Eratosthène  eût  expressé- 
ment désigné  pour  point  de  départ  la  péninsule  ibérique. 

Du  cap  Saint-Vincent,  qui  termine  cette  péninsule  au  sudK)uest  et 
lui  sert  de  tète  de  pont  sur  l'Océan,  ju^u'aui^  côtes  de  la  Chine,  la 
distance,  dans  la  direction  de  l'est  à  l'ouest,  que  préférait  Colomb, 
est  de  230^  de  longitude  (le  tour  de  la  terre  étant  de  360°),  c'est-à- 
dire  des  deux  tiers  de  la  circonférence,  tar  un  remarquable  hasard,  le 
plus  ancien  des  observateurs ,  Eratosthène ,  estimant  juste  à  10*"  près^ 
avait  évalué  l'intervalle  à  2&'0*'.  Cette  opinion  avait  été  reproduite 
par  le  célèbre  géographe  d'Amasée,  Strabon,  dont  Colomb  con- 
naissait quelques  fragmens  par  intermédiaire,  et  qu'il  appelait  Extra- 
bon.  Mais  plus  tard,  un  autre  géographe  dont  Colomb  avait  pareille- 
ment lu  des  extraits  dans  le  traité  du  cardinal  Pierre  d'Ailly,  Marin  de 
Tyr,  par  d'assez  mauvaises  raisons ,  et  dans  l'ignorance  des  travaux 
des  navigateurs  phéniciens,  diminua  l'espace  à  franchir  au  travers  de 
l'Atlantique;  il  le  réduisit,  des  îles  Canaries  à  la  Chine,  à  135°.  Il  se 


t^ttt^OPB  n  LA  CHINE.  22T 

tTDinpaft  4e  SG*",  et  plaçaR  ainsi  la  Chine  aux  fies  Sandwidi.  iHolë- 
niée,  venant  après  Marin  deTyr»  rectifia  son  calcul ,  mais  îl  se  méprît 
encore  de  kV.  H  mettait  le  littoral  des  Sères ,  ou  Chinois ,  dans  les 
parages  dés  Carollnes  orientales.  Colomb,  par  aventure,  ou  philAt  par 
une  de  ces  inspirations  que  Dieu  envoie  à  ses  élus,  se  persuada  que, 
de  toutes  ces  évalaatfons,  cefle  de  Marin  de  Tyr,  la  plus  inexacte 
précisément,  était  la  p!ns  vraie.  A  force  de  conjectures,  îl  rétrécit 
encore  Hntervalle  maritime  des  deux  extrémités  du  continent,  et 
supputa  que  des  Mes  du  Cap-Vert  an  Cathay,  comme  on  appelait 
alors  la  Chine  septentrionale,  11  ne  devait  y  avoir  que  120^,  ou  le  tiers 
du  tour  de  h  terre.  Ce  n'e«t  pas  tout  :  dans  l'opinion  accréditée  alors 
parmi  les  hommes  les  mieux  informés ,  par  suite  des  récits  de  Marco 
Polo ,  bien  avant  le  Cathay,  du  côté  de  l'Europe ,  sur  le  chemin  de 
l'Espagne  h  là  Chine  par  la  direction  de  Test  à  l'ouest,  se  trouvait,  au 
milieu  d\m  archipel  innombrable,  une  tle  grande  et  florissante  où 
l'or  et  les  pierreries  abondaient,  celle  de  Zipango  ou  Cipango  (c*est 
l*fle  Japonaise  de  Tïîphon).  la  présence  de  cette  Ile  ramenait  la  tra- 
versée, dans  la  pensée  de  Colomb,  à  des  proportions  presque  ordi- 
naire^, car  il  résulte  du  journal  de  son  premier  voyage  qu'il  avait 
compté  la  rencontrer  à  sept  cent  cinquante  lieues  des  Canaries. 

Deux  autres  erreurs  inspiraient  à  Colomb  une  grande  confiance 
dans  la  réussite  d'une  expédition  maritime  dirigée  droit  à  Touest. 
Sur  la  foi  ou  plutôt  sur  une  mauvaise  interprétation  d'un  livre  apo- 
cryphe, appelé  Jadis  dans  l'élise  grecque  VApocalypse  d^Esdras, 
il  admettait  que  les  continens  et  les  Iles  occupaient  sur  la  suriSace 
de  la  terre  un  bien  plus  grand  espace  que  celui  qui  leur  appar- 
tient. 11  était  persuadé  que  six  parties  de  la  surface  du  globe  étaient 
à  sec ,  et  que  seirtement  la  septième  était  couverte  d'eau.  De  cette 
incorrecte  n(rtion  de  géographie  physique,  11  concluait  que,  dans 
quelque  dhpection  qu'on  s'aventurât,  l'on  devait  trouver  des  terres 
après  lin  assez  court  voyage.  La  méprise  était  forte ,  car  le  rapport 
réel  de  la  superficie  des  terres  à  celle  des  eaux  est  de  1  à  2  7/10,  au 
Keu  de  6  à  1,  c'est-à-4ire  seize  fois  moindre.  Enfin  l'amiral  suppo- 
sait notre  planète  moindre  qu'elle  n'est.  Sur  Tautorité  de.  Vauteur 
arabe  Alfragan,  tl  pensait  dès  Torigine  et  îl  a  répété  plusieurs  fois, 
dans  ses  rapports  à  Ferdinand  et  à  Isabelle ,  que  le  monde  était  peu 
étendu  {ei  mondo  es  poco).  Confondant  les  auteurs  anciens  entre  eux, 
il  a  dit,  dans  une  lettre  écrite  d'Haïti  à  Isabelle  î  «  Aristote  nous  ap- 
prend que  le  monde  est  petit  et  que  facilement  on  peut  aller  de 
l'Espagne  dans  Tlnde.  Ceci  se  trouve  confirmé  par  Avenruîz  (Avcr- 


roésj.et  p^  Je  f;ar|^ina]„^e(lrv  .iip,.^ifCD  .[iPieire  d'Aitly),  qai  w 
foDde  sur  l'autorité  (^e  SéaèfiVC^,tC(Vt:,Qit  disant  qu'Aristote  pouvait 
savoir  beaiicpup  de  ^Cf;e^,jp(ff,4|£^ftp^(,^  S^nèque  par  Céw 
M^ron.»,  Il  y  a  efTecUï^i^ent  .d^n^,  les  ^ejj[^«iu  IVaturçlUs  ie  Su- 
Dèqu&  ces  mot^,  fort  pets  er^  '{ifiik^qnce,,]qp'pif.  poun-ait  allqi;ieri  ,p«j» 
de  jours,  a,vec  un  veijt.  favqrable,,.4^^rEspagne,dans  J.Ifide,  Q'«st 
tout  simplement  que^néque,  ^y^c  ce.  4qdaia  pour  leSj<;tiaGcs  «te 
ce  monde  qui  caractériel.  l'éicqlQ  ^toïque.  apfè»  avoir  coqtem[4é 
l'immensité  des  ort>e;^  pVmtÀtqves,  j|ige  fort  eii^  par.comparaisoB 
le  domicile  de  rhi^maoité.  Pierrç  d'Ajlly  et  Colomb  avaient  ju-ia  au 
siirieus,  comme  unç  supputation  mathématiquo ,  cette  figure  doik 
rhétorique  stoïcic  a  oc. 

Colomb  avait  été  encouragé  à  considérer  comme  facUe  la  traYCTsôe 
d'Espagne  eu  Chine,  en  se  dirigeant  de  l'est  à  l'ouest,  par  1»  coiv 
respondance  qu'il  entretenait  avec  un  des  hommes  les  plus  éclairés 
de  l'Europe,  l'astronome  Paul  Toscauelli,  de  Florence.  Toscanelli, 
dans  son  cabinet,  poursuivait  les  mêmes  rêves  d'Orient  long-tompï 
avant  que  Colomb  mit  à  la  voile ,  et  il  serait  difGcile  de  décider 
qui ,  du  Génois'  ou  du  Florentin ,  eut  le  premier  l'idée  d'un  voyage 
par  mer  dans  la  direction  de  l'est  à  l'ouest.  Plusieurs  années  avant 
d'avoir  des  rapports  avec  Colomb,  il  écrivait  au  chanoine  portugais 
Fernando  MartineE ,  qui  l'avait  consulté,  au  nom  du  roi  de  Portugal, 
sur  la  meilleure  route  de  l'Inde,  qu'il  (allait  passer  par  l'ouest, 
que  c'était  le  plus  court  chemin  [brevitsima  camitM)  pour,  turiver 
i  ces  régions  si  fertiles  et  si  abondantes  en  épicericsi  et  ien  {ferres 
précieuses.  Il  entra  eu  relation  avec  Colwab  à  caaujet'déa  1VT>V, 
c'e^-à-dire  dii-huit  ans  avant  le  départ  de  l'amiral,  Ef^iluteoviojiaot 
copie  de  sa  lettre  k  Martinez,  et  de.ia  carte  qutil; avait '(kvbsûâ  fiour 
le  roi  de  Portugal ,  il  lui  dit  :  «  Votr^  voyage  aéra  mokis:  loog  iqu^ 
ne  le  pense.  »  Toscanelli,  plein  des  récits  de  Marooipeloyictlait  A 
Colomb  les  merveilles  qui  s'offriraient  à  lui  en  Asie  et  lui  traçait  un 

lailfi. les  parages 

3  H.  Navarrete. 
l'incerlitodoaur 
Je  son  jouihal, 
iginal'lui  a  sui^ 
smmijnaiBseiit 

itîbrAlaat^daDa 


L*mmûPÉ  ET  LA  CtfUIB.  ^ 

son  ame  cbrélienne ,  il-nes'^agh'sait  pM  seulemeiit  d'one  exploratioo 
géographiqoe  ou  .d'une  tentative  méreautne;  il  s^était  fait  ud  pro^ 
gramme  de  \9t  plus  teagnKqûé  grandeur,  dont  les  amis  de  rhuma^i 
nité  et  de  la  chrétietité  devaient  s*applaudir.  Il  allait  a  trouver  le 
igrand  Khan,  le  rot  des  mis  .(l'empereur  chinois  qui  descendait  de 
Gengis-Khan],  dont  lés  peuples  étaient  plongés  dans  Pidolètrie  e^ 
dont  les  prédécesseurs  avaient  envoyé  maintes  fois  à  Rome  pour  de- 
mander des  docteurs  de  oolre  sainte  foi  qui  pussent  les  instruire  des 
vérités  de  rËvanj;île»  i>  H  avait  des  lettres  de  leurs  majestés  catho- 
liques pour  le  gtBnd  Khan.  Il  était  chargé  d*étudier  le  pays  et  les 
babitans,'  d^examiner  la  nature  et  le  caractère  de  tous ,  ainsi  que  les 
moyens  à  prendre  pour  leur  conversion.  Enfin  Flnde,  où  tout  était 
d*or  et  de  diamans,  devait  fournir  des  ressources  au  trésor  castiDan , 
épuisé  par  la  guerre,  afin  de  délivrer  Jérusalem  et  d'affranchir  le 
tombeau  du  Ch-ist  de  la  domination  des  infidèles. 

Dans  la  conviction  profonde  qu'il  chemine  vers  l'Asie,  une  fois 
embarqué  il  compare  ce  qu'il  observe  aux  renseignemens  que  lui  a 
donnés  son  savant  ami  Toscanelli.  Dans  une  conférence  avec  sop  lieu- 
tenant, Martin  Alonzo  Pinzon,  commandant  d'un  de  ses  trois  na- 
vires, /a  Piniay  qui  le  pressait  d'obliquer  vers  le  sud,  Colomb  perr 
aiste  à  aller  droit  à  l'ouest  par  le  motif  qu'il  convient  «  d'aller  d'abord 
à  la  terre  ferme  d'Asie  pour  revenir  ensuite  vers  les  Hes,  parmi  le»^ 
quelles  se  trouve  Cipango.  i»  A  la  distance  de  sept  cent  cinquante 
Ueuea  des  Canaries,  il  s'étonne  cependant  de  ne  pas  avoir  rencontré 
ee  Cipaogo  tant  célébré  «  car  ses  calculs  hypothétiques,  auxquels  il 
croyait  d'une^-foi  pfofiMde,  hii  avaient  dit  qu'il  le  trouverait  à  cette 
dîstipnoe.*Su)[)posaM>d«rs  qu'il  se  sera  trompé  dans  l'estimation  quo- 
tid^oo  des  latitudes,  tl  feH  à  Pitùxm  la  concession  de  dévier  un  peu 
«ers  le  nîdi^et  de  lonmer  le  cap  du  navire  à  l'ouest  sud-ouest.  C'était 
le  7  octobre:  DansVa  soirée  du  11,  l'expédition  aperçut  Ttle  de  Gua- 

L'idée  qu'il  allait  aux  Indes  par  l'ouest  n'a  pas  quitté  Colomb  quand 
la  découverte  a  été  accomplie.  Les  hommes  qu'il  rencontre ,  H  les 
appelle  des  Indiens,  et  ce  nom  est  resté  aux  indigènes  du  nouveau 
continent,  tant  dans  l'Amérique  anglaise  que  dans  l'Amérique  espa-; 
^gnole.  Quand  il  s'approdie  de  ftle  Isabelle  (aujourd'hui  Ëxumeta), 
il  croit  remarqncf  dans  ¥m  cette  odeur  d'épices  qu'on  disait  s'exhaler 
des  fies  xle  la  mer  desindes.  L'eqirit  plein  des  termes  die  Ifairco  Polo 
que  Im  a  transmis  TMcanelU,  il  cherche  les  villes  et  Ie]s  provinces  ixjL 
voyageur  vénitien^MAiprèi  «voir  touché  successivement  à  GuaDahahi,  â 

TOHX  XXIII.  15 


^aUb  RBVTTC  iHÈÎ  DEUX  HONDBS. 

%  CtmcopÀon ,  à  lîle  ï'enwndimi  dt  i  IsabeHe,  tenairt  pour  cerlaîrt 
qtill  ^tait  dans  ï 'rt-Aipel  Infhri  tju'on  croyait  exister  en  avant  de  la 
•CWtte,  il  «nteod  parter  d'wie  grande  te  :  H  ne  doute  pas  que  ce  ne 
«oH  le  Cfpango  de  Marco  Pote,  et  11  fhit  vofle  pour  s'y  rendre,  afin 
a  'de  se  tfMger  eASuHIe,  dit-il  datis  son  journal ,  Ters  la  terre  ferme 
^et  la  vHle  de  Ctrisay  (Quinsaï  ou  ttangtçheoufou ,  que  Marco  Polo 
avait  beaucoup  yantêe],  et  donner  les  lettres  de  vos  altesses  au  grand 
Khan,  lui  demander  réponse  et  la  rapporter  tout  de  suite.  »  Le 
dpango ,  vers  leqnd  îl  faisait  Voile ,  c'était  Ttle  de  Cuba ,  appelée 
Oolba  par  les  naturels.  «  A  minuit,  dit-il ,  je  levai  l'ancre  pour  cher- 
cher nie  de  Cuba ,  où  il  y  a  de  l'or,  des  épices  et  de  grands  navires 
propres  à  en  être  chargés.  »  En  chemin ,  ayant  stationné  à  un  mouît- 
lage  qu'il  nomma  le  Puerto  de  San-Salvador  (port  de  Nipe  selon 
M.  Navarrete),  il  sTmagine  entendre  de  la  bouche  des  indigènes  que 
les  vaisseaux  du  grand  Khan  venaient  y  commercer. 

Quand  îl  part  pour  son  second  voyage  (  en  1493  ) ,  f  Espagne  entière 
partage  sa  croyance.  Des  hidalgos  de  haut  rang,  de  nobles  cavaliers 
d'Andalousie,  des  offlders  de  la  maison  royale,  briguent  l'honneur  d'un 
poste  dans  l'expédition .  Ils  se  représentaient  des  Hes  étendues,  produi- 
sant en  qtrantité  indéfinie  des  épicès  et  des  parfums ,  aux  montagnes 
pleines  de  filons  d'or,  aux  côtes  semées  de  perles.  Là  ils  devaient,  après 
des  prouesses  dignes  du  siège  de  Grenade,  planter  l'étendard  de  la 
croix  sur  les  murs  d'opulentes  cités  qui  deviendraient  leurs  fiefs.  De 
là  ils  n'auraient  plus  qu'une  traversée  de  quelques  jours  pour  atteindre 
les  provinces  chinoises  de  Mangi  et  de  Cathay,  convertir  ou  soumettre 
le  grand  Khan,  faire  abondante  provision  de  gloire  et  de  richesses. 
Colonrt),  d'un  enthousiasme  moins  intéressé  et  plus  religieux ,  mais 
non  moms  exalté ,  songeait  à  la  délivrance  du  saint  sépulcre.  îl  pro- 
mettait au  roi  et  à  la  reine  «  d'entretenir,  pour  cette  sainte  entreprise 
(du  produit  de  ses  découvertes),  pendant  sept  ans,  cinquante  mille 
fantassins  et  cinq  mille  cavaliers,  et  le  même  nombre  pendant  cinq 
autres  années.  »  S'il  s'occupe  de  l'or  qu'on  devait  ramasser  par  bois- 
seaux dans  ces  terres  de  promission,  si  dans  une  lettre  à  Isabelle  il 
dit  que  l'or  est  une  chose  excellente  (ei  oro  es  excelentissimo),  c'est 
un  peu  parce  qu'avec  cet  or  tm  tire,  (Bt-H ,  les  âmes  du  purgatoire; 
c'est  surtout  parce  que  l'accomplissement  de  son  projet  politico-reli- 
gieux d'affranchir  la  Terre-Sainte  dépend  des  trésors  qu'il  rapportera. 

Dans  cette  seconde  expédition ,  l'aspect  des  lieux  et  des  hommes 
ne  détrompe  ni  l'amiral  ni  ses  compagnons.  Cette  fois,  ayant  touché 
la  côte  allongée  de  Cuba  en  un  point  où  elle  se  dirige  à  peu  près  du 


nord  9U  sud,  il  est  persuadé  qm'îl  a  oûa  te^pied  awle  contiaeiit  asia- 
tiq[ue,  dan.§  la  Chersonèse  dVr^  parçe^que,  daas.ses  iidées  de^éo^aphiev 
le  littoral  de  cette  Chersonèse  a  1^  p^èBieducectio^;  ef  le  i^>u^n  149% 
il  fait  prêter  sera^eot  à  chacun  des  homme»  de  resca4riUa  qp*il&  ont 
découvert  la  ter^  ferme  d'Asie  (1)^  Bien  plus^,  danst  sm  îmfertar- 
bable  confiauce,  il  regrette  (  c*esi  swr  fils  don  Fernand<>  et  son  a^ni 
intime  Berna|dex,  curé  de  los  Palacios,.  qui  nous  rapprennent),  de 
ne  pas  avoir  assjBz  de  vivres  pour  retounuer  en  £s|]A8iK^^  pw  rOriett, 
c*e8t-à-^ire  en  ac^vant  le  tour  du  gtoli^,  tant  i,l  tient  pour  certain 
qu'il  est  au  ccaur  de  la  mer  des  Ind^  <»  U  aurait,  diiit  Bervaktoz^ 
doublé  la  Cherson/eiM^  Aurea^  traversé  le  golfe  di&  Gange  et  cb^rdié 
une  nouvelle  route,  soit  autour  de  TA^frifue,  spjt  ^u»  alliât  piçM^  terre 
à  loppé  (laffa)  et  à  Jérusalem.  ». 

Cette  croyance  n'a  jamais  été  ébranlée  ei\  lui*  Avec  une  naïve  cré-* 
duUté,  Colomb  retrouve coff^mment  d^ns  le  Nouveajcr-Monde  tout 
ce  que  sa  mémoire  lui  rappeUe  de  l*  Asie  onentate»  Sem^ble  à  quet- 
ques  voyageurs  modernes  dont  les  prétendues  observMions  ne  soiiat 
dues  qu'à  la  réminiscence  des  lectures  par  lesqjoelles  ils  se  sonit  pré- 
parés ea  quittant  le. sol  natal,  il  recueille  avec  avidité  les  noms  qui 
ressemblent  à  ceux  qu'il  a  puisés  daujs  les  lettres  de  ToacaneUi,  ou 
dans  le  récit  de  Mandeville.  Ainsi  le  nom  de  la  province  cbinaise  de 
Mango  (Mangi)  le  frappe  plusieurs  fois;  il  croit  tantôt  qu'il  y  a  pris 
terre,  tantôt  qu'il  est  au  moment  d'y  aborder.  Une  fois,  pendant  un 
mouillage,  un  matelot,  revenant  de  la  chasse,  rapporte  qu'il  arencontré 
dea  hommes  vêtus  de.  blanc,  semblables  à  des  religieux  de  la  Merci. 
Ces  longues  figures,  au  nombre^de  trente,  étaient,  disait-il,  armées  de 
lances.  Selon  toute  apparence^  c'étaient,  comme  l'a  pensé  M.  Irving, 
une  bande  de  grues  et  de  hérons  des  tropiques,  hauts  sur  jambes 
comme  le  flamant.  Aujourd'hui  ces  oiseaux  sont  appelés  soldados 
par  les  colons  espagnols,  parce  que,  vus  contre  le  ciel,  ils  ressemblent 
k  des  hommes  postés  en  sentinelle^La  poétique  imagination  de  l'amiral 

(!)  Dans  cette  pièce,  la  direction  de  la  côte  est  citée  quatorze  fois  comme  une 
preuve  décisive.  —  Voici  quelques  détails  que  donne  M.  de  HumboMt  sur  cet  acte 
de  Tamiral  :  «  Fernand  Ferez  de  Luna ,  e$crihano  publico  de  la  ville  d'Isabella 
(d'HAtti),  reçut  Tordre  de  Tamiral,  le  IS  juin  1491,  de  se  transporter  à  bord  des 
tn>iâ  caravelles,  pour  demander  à  chaque  homme  de  Péquipage,  devant  témoins, 
sll  leur  restait  le  moindre  doute  que  cette  terre  (  Cuba)  ne  fût  la  terre  ferme  au 
commencement  des  Indes  et  à  la  fin ,  d'où  Von  pouvait  venir  d^ Espagne  par  terre, 
Vescribano  déclarait  de  plus  que,  si  quelque  incertitude  restait  à  Téquipage,  on 
s'engageait  à  dissiper  les  doute\  et  à  faire  voir  qu*il  était  certain  qû»  c'était  la 
terre  ferme,  p 

i5. 


332  RKriJË  DBS  MnX  tfÙNDES. 

prit  le  récit  da  matelot  pouir  «ne  preuvle'  qu*on  était  dans  le  voisinage 
du  Prétre^ean,  pontifiHroS  dont  Plan'Carpin  avait  entretenu  les  Occi- 
dentaux, et  sur  lequel  on  avait  répandu  en  Europe  beaucotiiy  de  contés. 
Rempli  de  souvenirs  bibliques  et  de  fVa^ens  de  Ptolémée  que  le 
cardinal  d'Ailly  lui  avant  appris,  il  fhit  intervertir  sans  cesse  dans  ^ 
lettres  llle  d'Ophir  (qu'il  qualiBe  de  mont'Sopora),  et  fAuf-ea  tfu 
GhersQuèse  d'Or,  tantÂt  les  confondant  et  tantôt  les  distinguant  Time 
de  l'autre.  Dans  son  quatrième  et  dernier  voyage,  il  affirme  qiiè  là  tehie 
de  Veragua  (au  N.-O.  de  l'isthme  de  Panama)  est  cette  Aured  des 
Indes.  Toujours  l'Asie.  M.  Navarrete  a  trouvé  dans  les  archives  du  duc 
deVeragua,  descendant  et  héritier  de  Colomb,  la  copie  de  la  main  de 
don  Fernando,  fils  de  l'amiral ,  d'une  lettre  de  son  père  &  Alexandre Vl, 
écrite  quatre  ans  avant  sa  mort;  il  y  est  dit  :  «  Je  découvris  et  pris  pos- 
session de  quatorze  cents  lies  (1)  et  de  trois  cent  trente  lieues  de  la 
terre  ferme  d'Asie.  »  Plus  tard,  lorsque  rebuté  par  le  roi  Ferdinand, 
prince  sans  cœur,  ce  grand  homme  réduit  à  la  misère,  et  nourrissant 
encore,  malgré  son  âge  avancé,  le  projet  de  travaux  dignes  de  ses  hauts 
faits  antérieurs,  se  plaint  de  ce  que  les  terres  par  lui  découvertes  «  sont 
incèordables  pour  celui  qui  1^3  avait  refusées  à  la  France,  à  FAngle- 
terre  et  au  Portugal,  »  il  les  nomme  les  Indes.  A  la  fin  de  la  dernière 
expédition,  le  7  juin  1503,  écrivant  de  la  Jamaïque,  il  répétait  la 
même  idée  que  dans  son  second  voyage  il  avait  fait  certifier  par  le  ser- 
ment de  ses  compagnons  :  que  llle  de  Cuba  était  une  terre  ferme  du 
commencement  des  Indes,  et  que  de  là  on  pouvait  retourner  en  Es- 
pagne par  terre.  Un  an  après,  vingt-deux  mois  avant  sa  mort,  il  parlait 
comme  un  honune  qui  revient  de  la  Chine.  «  J'arrivai  lé  13  mai  ddtis 
la  province  de  Mago  (pour  Mango  ou  Mangi,  nom  donné  parîRfarcb- 
Polo  à  la  Chine  méridionale  ) ,  qui  est  limitrophe  de  céHe  de  Cdtayo 
(pour  Cathay  ou  Kathaï,  Chine  septentrionale  ).  De  Cigaare,  dans  la 
terre  de  Veragua,  il  n'y  a  que  dix  journées  de  chemin  à  la  rivière  du 
Gange.  »  Il  est  donc  mort,  comme  l'a  dit  M.  de  Uumboldt,  dans  la 
persuasion  qu'il  avait  noué  le  lien  entre  l'Europe  et  le  vaste  empire 
de  la  vieille  Asie. 


(1)  Dans  la  hoja  tueîta,  qui  existe  de  la  main  de  Tamiral,  et  qui  a  été  écrite  à 
la  fia  de  l'année  1500,  lorsqnMl  rentra  à  Cadix  chargé  de  fers,  ce^r  l,iOO  tics  sont 
portées  à  1,700.  «  C'est ,  dit  M.  de  Humboldt,  une  vague  évaluation  de  V Archipel  du 
roi  et  de  la  reine,  au  sud  de  Cuba ,  évaluation  qu'on  pourrait  croire  tenir  à  un  sou- 
venir des  1,368  lies  que  Ptolémée  place  près  de  Taprobane,  et  que,  dans  la  première 
expédition ,  le  U  novembre  149â,  Tamiral  crut  déji  voir  vis-à-vis  de  la  côte  septen- 
trkAate  du  Cuba,  en /In  deï  or^te.  » 


Loin  de  moi  la  pensée  sacrilège^  d^  f  abaisser  Colomb  en  insistant 
sur  les  détails  qui  montrant  que  .fispbuit  avait*  été  d'aller  en  Asie,  et 
qu'il  resta  persuadé  ^jusqu'à. Ia>fia.  de  <^,  jours  qu'en  effet  H  avait 
Atteint  le  revers  oriental  de  l'aqcien.€#i»lHieat  Dieu  me  garde  de  fhire 
de  l'analyse  historique  à  la  façon  de  ces  esprits  jaloux,  flétris  par 
M.  W.  Irying,  qui,  sous^  le- prétexte  de  savantes  recherdies,  vont 
furetant  l'histoire  pour  ronger  ses  monumens  et  marquer  d'une  souil- 
lure pareple  à  la  trace  que  laissent  après  eux  des  insectes  impurs,  les 
plus  beaux  trophées  du  génie  de  l'homme. 

En  se  plaçant  sur  le  terrain  de  la  science  moderne  et  de  l'art  nau- 
tique tel  qu'il  .est  aujourd'hui,  on  pourrait  dire  que  le  voyage  de  Co- 
lomb n'avait  rien  de  miraculeux  ;  que  c'était  une  exploration  sem- 
blable à  celles  qui,  de  nos  jours,  ont  été  entreprises  par  HM.  Parry, 
Ross,  Franklin  et  Beechey,  et  même  moins  p^illeuse;  qu'il  essayait 
un  passage  aux  Indes  par  l'ouest  tout  comme  ces  braves  officiers  ont 
tenté  des  passages  par  le  nord-ouest.  Mais  l'astronomie  et  la  naviga- 
tion du  temps  de  Colomb  ne  ressemblaient  pas  à  celles  de  nos  jours; 
elles  n'ont  atteint  leur  perfection  actuelle  que  par  suite  de  la  décou- 
verte du  glorieux  Génois.  Avant  Colomb,  la  rotondité  de  la  terre  avait 
été  écrite  dans  des  livres,  enseignée  par  des  philosophes,  nais  c'était 
une  vérité  toute  de  théorie,  qui  n'était  pas  passée  dans  la  pratique. 
Princes  et  peuples,  savans  et  ignorans,  braves  et  poltrons,  gens  cloués 
sur  la  terre  ferme  et  navigateurs,  le  genre  humain  tout  entier  sans 
excepUon  était  de  fait  comme  s'il  b'y  croyait  pas,  car  nul  encore 
n'avait  agi  coqune  s'il  y  croyait.  Colomb  le  premier  fit  ce  solennel 
,  acte  de  foi  Lui,  chrétien  fi^rvent,  il  préféra  sur  ce  point  l'autorité  de 
Ptoléméq  4  celle  de  Chrysostéme,  les  conseils  de  Toscanelli  aux  répri- 
mandes d'im  synode  d'évoqués  et  aux  admonestations  des  docteurs 
de  Salamanque».  Cplomb  a  pratiquement  découvert  la  rotondité  de  la 
planète. 

Son  départ  ne  fut  pas  un  coup  de  tête,  ce  fut  toute  une  création, 
préparée  par  de  longues  études,  mûrie  par  la  méditation. 

Colomb  ne  fut  pas  seulement  un  homme  au  génie  créateur  et 
inventif;  il  fut  plus  grand  encore  à  exécuter  son  œuvre  qu'à  la  con^ 
cevoir  ou  à  la  préparer.  Il  se  montra  alors  aussi  prudent  qu'il  avait 
été  hardi  dans  ses  projets.  Quoique  à  un  Age  où  les  autres  hommes 
songent  au  repos  (  il  avait  près  de  cinquante  ans  lors  de  son  premier 
voyage),  à  bord  on  le  voyait  toujours  sur  pied,  toujours  alerte.  Il 
prenait  sa  part  des  «fatigues  plus  qu'un  simple  matelot.  Il  passait  les 
nuits  sur  le  pont ,  attentif  aux  signes  du  ciel  et  des  flots ,  veillant  pour 


21k  BBfm  M»  DJBOK  MONM^^ 

tow  sttp  ee natire  qdî  porCnt  nne  plMiiiB|K)ftdiifefr  foitMe  ({tiefeelte 
deCéM*.  Et  e'^M*aib«frqii'ih^ le  premier  l»teiTe,el  gagna,  Mli^  te 
vice-io^oté-et'Uifimrah^,  lapentioii  de  trente  cbiiioMeft(l)  pmoai6e' 
paries  Miveraim.  à  cMu^  ^  Ki^reéVrakt 

H*  se  croyait  gEudé  par  la  maîii  é&  Itt  Providenoe;  Hkriff  ce!  afétfait 
pdîft^âd  celle  for aven^,  soeur  dHm  fataliÉfne  hébété  qui  s'-eA  reAet 
à  Dieu  po^  toute  chose  el  croîè  hors  de  ppopo»  de  prévok^.  H  avait' 
songé  à  toirt,  M^  sayait  pa^er  à  tout,  et  il  monira  dans  Kafifirife  de- 
réclipse  à  quel  point  il  était  léeoiiéén>es]^édiieiia  el^ôokBmeiil  il  savait 
lesmemeTh 

Colomb  était  aooni  <f  uAe*  théologie  seolaatiqne ,  et  cependanl^ 
très  apte  ai^  mfHaiemenl  de^  affaires.  Il'  était  instruit  autant  qu'on* 
pouj^trétre  alere,  qaoiqne,  en  géon^étrie,  il  aasociAt  volontiers  la 
vérité  et  Fenreur^  QH^  le  regardait  en  Espagne  conme  a  gran  teoricgf 
y  mirabilmente  piatie&.  >>  M»  de  HiHntM>ldt,  à  qui  personne  ne  eouf- 
testera-  le  droit  de  prononcer  des.  arrêts  pour  tout  ce  qui  est  dn  do^ 
matne  des  sciences  naturelles ,  admire  «  la  pénétration  et  la  finesse 
extrêmes  avec  lesquelles  il  safisissait  les  phénomènes  du  monde  exté- 
rieur. »  (cCoioaab,  ajpute-t-il,  est  aussi  remarquable  comme  observa- 
teur de  la  Baturov  que  comme  intrépide  navigateur.  »  Suivant  cette 
autorité  illustre,  la*  découverte  impoitante  de  la  déclinaison  magn^ 
tique  et  celle  plus  difficile  encore  de»  variations  que  suIhI  cette  décK- 
naison  quand  on  passe  d*un  lieu»  à  ttn<  autre ,  lui  appartiennent  (^ 
à  ji'c'i^  pas  doutery  ek  ili  en  tara  dès  déductions  hardies  d'uHe  0Pande 
portée  et  d'une  exactitude  parSaMo;  H  connaissail  avant  Pigafefitfr  1^ 
moyen^  de  trouver  la  longitude  pal^  les  diffiSTenees  d'ascension  droite 
des  astres  (3). 

(1)  Ou  3»  piastres  d'or,  équivalant  à  IIY  piastres  {  6f  i  francs  )  de  lios  jours. 

(S)  Colomb  fut  au  moins  le  premier  Bwrùpéên  qui  s'aperçut  de  cette  décUnaîson; 
la  constata  et  l'étudia;  car,  comme  renseignement  sur  la  Chine  à  Tappui  de  ce  qne 
nous  avons  dit,  il  n*est  peut-être  pas  inopportun  de  rappeler  ici  que,  quatre  siècles 
au  moins  avant  Colomb,  les  Chinois  avaient  découvert  de  leur  côté  la  déclinaisou 
de  raiguille  aimantée,  c'est-à-dire  sa  déviation  de  la  direction  du  pôle  terrestre. 
Les  belles  recherches  qae  M.  Klaproth  a  faites  à  la  demande  de  M.  de  HUmboidt 
ont  parfaitement  établi  ce  point  de  Thisitofre  des  sciences.  Les  termes  de  rauteuf 
chinois,  cité  par  M.  Kiaprolb,  iadiqueitmâm^la  OonBatasanoedes  varktiona  de 
cette  déclinaison. 

(3)  Voici  un  extrait  de  V Histoire  de  la  Géographie  du  nouveau  continent ,  qui 
donnera  une  idée  des  titres  scientifiques  de  Colomb  : 

«  Arrivé  sous  un  nouveau  ciel  et  dans  un  monde  nouveau,  ainsi  quMI  récrit  à  la 
nourrice  de  Tinfont  don  Juan,  la  configuration  des  terres,  Taspect  de  la  végétation*, 
lea  mœur&  éeè  animaav ,  la  distiibiitioD  de  la  chaleur,  selon  rinfluenee  de  la  louai- 


4k»  earpi  «étertat  et  4iii8  les  pbéaanèws  de  i»  fiaUn  tecreitare. 

Pteki  à  It  Mt  d'eittiMBîaMBB  et  de  réscrre  (TJiiitérfen  Oviedo 
fait  remarquer  qu'il  était  cnuêa  ) ,  d'ardeur  et  de  petîeneeji  oaloie 
4aDa  le  Mcoèi,  couiagem  et  traofuille  dans  Tadveivité,  il  |w>rta 
atfeettw  égale  nobleiae  Jea  fers  dont  rtefMne  lebadUia  chargea  aes 
■Mîns  eugnalea,.  et  lee  imipies  de  ^rafid^anûml  im  la  iwiiipe  dea 
vîee-ceis.  Il  est  beau  à  eonlenifrier,  lelâiootobre  lifli,  lonqu*tl  dea- 
cend  dana  sa  chakMipe,  retétu  d*uQ  riche  eoitume  écarlata»  et  que, 
lenaat  réteedard  reyal,  ayant  è  aes  eôtés  lea  deux  frères  PkinMi ,  il 
va  baîaer  la  terre  de  Gnanabani  et  recevoir  «ir  ce  deiMaine  le  serment 
d'ohéiaBaiiee  de  ses  corapagnona.  Maia  je  Tadaûre  pku  encore  lore*- 
qii*en  ikSk^  à  aon  arrivée  dn  Portugd  eu  Espagne,  allant  pauvre- 
aœnt  à  pied  et  tenant  par  b  main  tm  jeune  garçon,  il  s'arrête  à  la 

tude,  les  coarans  pélagiques,  les  Taiialions  do  magnétisme  terrestre ,  rien  n'écbap- 
iwit  à  sa  sttgaciié.  Recberdiaiit  avec  ardeur  les  épiceries  de  llede  et  la  rbutMii>e, 
reodae  célèbre  par  les  raédeeitis  arabes,  par  Robruquis  et  les  voyageurs  italiens,  il 
examme  minutieusement  les  fruits  et  le  feuillage  des  plantes.  Dans  les  conirères,  il 
distingue  les  vrais  pins«  semblables  à  ceux  d'BsfMigiie,  et  les  ftins  à  frait  HKNiocarpe  : 
€*âsi  reecmnaltfe  avant  L*Héritier  le  genre  Podooarpusk 

«  Ck>lomb  ne  se  borne  pas  à  recueillir  des  fiiits  iselés;  U  les  combine,  il  obercbe 
leur  rapport  mutuel ,  il  s'élève  4|nelquefois  avec  bardiesse  à  bi  découverte  des  lois 
générales  qui  régissent  le  monde  pbysiq«e.  Cette  tendance  à  généraliser  les  ftiits 
d'observation  est  d'autant  plus  digne  d'attention ,  qu'avant  la  ftn  du  \^  siècle,  je 
dirais  presque  avant  le  père  AoosCa,  nous  n'en  voyons  pas  d'antre  essai.  Dans  ses 
raisonnemens  de  géograpbie  pbysique ,  dont  je  vais  oiTrir  ici  un  fragment  très 
remarquable,  le  grand  navigateur,  contre  sa  coutume,  ne  se  laisse  pas  guider  fiar 
^ies  rémloificences  de  la  philosophie  aeolastique;  il  lie  par  des  théories  qui  lui  sont 
propres  ce  qu'il  vient  d'observer.  La  simultanéité  des  pbéBomènes  lui  parait  prou- 
ver qu'ils  ont  une  même  cause.  Pour  éviter  le  soupçon  de  substituer  des  idées  de 
la  pbysique  medeime  aux  aperçus  de  Colomb ,  je  vais  traduire  bien  littéralement  uu 
passage  4e  la  lettre  d«  mois  d'octobre  U98 ,  datée  d'Haïti  :  «  «  Chaque  fois  que  je 
«  naviguai  d'Espagne  aux  Indes,  je  trouvai ,  dès  que  j'étais  arrivé  à  cent  lieues  à 
«  Touest  des  Mes  Âçores,  un  cbangemeoi  extraordinaire  dans  le  ciel  (dans  les  mou- 
«  vemens  «éiestes)  et  dans  les  étoiles,  dans  la  temi^rature  de  l'air  et  dans  les  eaux 
a<le  la  mer.  Ces  changemens,  je  les  ai  observés  avec  in  soin  particulier;  je  remai«- 
«  quai  que  les  boussoles,  qui  jusque-là  variaient  au  Bord-<est,  se  dirigeaient  «n  quart 
«  de  vent  (probablement  le  quart  des  huit  vents  de  la  boussole  ou  il»  J/i)  au  nord- 
«  miest,  et  traversant  cette  bande  comme  une  cftCe  (le  penchant  d'une  chaîne  de 
«  montaffies,  oomo  quim  frojpoiie  «fio  euéêta  ),  je  trouvai  la  mer  tellement  cou- 
«  verte  d'vne'berbe  qui  leasemblaità  de  petites  brandies  de  pin  chargées  de  fruits 
«  de  pteUchier,  que  nous  pensions,  è  cause  de  l'épaisseur  <le  l'algue,  que  uous  étions 
«  sur  un  bas-fond,  et  que  les  navires  allaient  toudier  par  manque  d'eau.  Cepen- 


236  BBVUB  DBS  DEUX  MONDES. 

porte  dn  couvent  de  Saiîta-Marià  dle^Râ&ida ,  Wec  le  cakne  et  la  tran- 
quillité de  rhomm'e  ^lïpéHeOf  à  is«  ft)rttitle,  '({iri  ne  doute  jamais  de 
^'hautè  miséioti ,  et  qtilT  detiiajldë  M  |>oHier  tift  peu  de  f^h  èft  d'eau 
pour  son  enthnt,  lui  qui  àj^rtaitttà  tttonlâe  au  sdtitéiliin'dë  Gâitiflê, 
et  qtil  venait  exprèssétnetit  |)ottr  Votfiih      r  i .    ; .  / .       ; 

So'n  attitude  était  enipreinte  dé  -la  «Majesté  è  léqudlè  le  poâb  dit 
qu'on  reconnaît  lé^liabitaM  de  fOlympe.  Sa  phy^nobdè  dffiratt 
cette  sérénité  qui  signale  leurs  cfaeTs  àut  sim^es  mortiels.  Itè  piour 
le  conmiandement^  Il  avait  dans  Fé^pnC  les  ressoun^s  ((ùt  le  ren^ 
dent  léger  à  qui  Texèrce,  dans  le  cœur  cette  crainte  de*  IMeil  et  cet 
amour  des  hommes  qu!  le  font  chérir  de  ceux  sur  qui  tle^'erercé; 
n  y  a  de  lui  un  mot  qu'oublièrent  trop  souvent  Useotiqnisfàdùres, 
que  l'héroïque  isabeUe  eut  constamment  présent,  dont  les  ieyës  de 
las  Indias  ont  porté  profondément  l'empreinte,  malgré  ce  qu'ont  pu 
dire  les  détracteurs  de  l'Espagne  :  il  recommandait  qu'on  ménageftt 
les  indigènes,  parce  que,  disait-il,  ce  c'est  la  richesse  de  l'Iode.  » 

tt  daat>  avaBt  d'atteindre  la  bande  {raya)  qoe  je  Tiens  d'indiquer,  nous  ne  renoofi- 
«c  trâimespa»  une  tige  d'herbe.  A  cette  même  limite  (cent  lieues  à  l'ouest  des  Açores), 
«  la  mer  devint  unie  et  calme,  puisqu'aucun  vent  de  quelque  force  ne  l'agite.  — 
«  Quand  je  vins  (dans  mon  troisième  voyage)  d'Espagne  à  Ftle  de  Madère,  et  de  lia 
«  au%  Canaries,  et  des  Canaries  aux  Iles  du  Cap- Vert,  je  me  dirigeai  vers'  le  sud 
ir  jusqu'à  ta  Kgneéquinoiiale  (  le  fils  de  Colomb  ditt|a*ûii  n'avança  que  jusqu'au  5»  de 
«  latitude  boréale),  lie  trouvant  sous  le  parallèle  qui  passe  pyr  la  Siwftk-Leoa  (sans 
f  doute  Siarrorleofie),  j'eus  à  souffrir  une  si  horrible  ohaleur^que  le  vaisseau  parais- 
o  sait  brûlant;  mais  ayant  franchi  vers  l'pucst  la  bande  que  j'ai  indiquée,  on  changea 
«  de  climat;  l'air  devint  tempéré,  et  cette  fraîcheur  augmenta  à  lùdsû'ré  que  'nûu4 
fc  allions  en  avant.  j>  .'      '  '  ''       *   «*•   ••   '*'  <: 

«  Ce  long  passage,  dans  lequel  j'ai  eonseivèle  oaraotère)  do  siyltiftiaiidttt simple^ 
amis  diffus,  de  Colomb,  renferme  le  gen^e  4è)gr^c^<vfest8ur  l^iS^naphienta^ 
-slque.  En  y  ajoutant  ce  qui  est  indiqué  dans  d'autres  éorHs  du  np^n^ç  navlga^pf , 
«es  vues  embrassent  :  !<>  l'influence  qu'exerce  la  longitude  sur  là  déclinaison  de 
4'aiguille;  S»  l'inflexion  qu'éprouvent  les  lignes  isothentaes  en  pourskiit^nt'  fe  tracé 
-des  courbesdepuls  les  côtes  occidentales  d'Europe  jusqu'au*  côtefi^oHeb^esd^Amé- 
lique^  3*  la  position  du  grand  banc  de  Sargasse  dams  le  bassinde  l'océan  aHaiitiqiie, 
et  les  rapports  qu'offre  cette  position  avec  le  climat  de  la  portion  de  l'atmosphèK 
qui  repose  sur  l'Océan  ;  4»  la  di^ction  du  courant  général  des  mers  tropicales;  5»  la 
configuration  des  ties  et  les  causes  géologiques  qui  paraissent  avoir  influé  sur  cette 
configuraftion  dans  h  mèr  des  Antilles. 
•    ••••• *.•*..♦..♦ 

«  Mais Famitâl «'eut' pas^eoletneut  le nëritâ de •treuverld ligM  »an$ vmHatifim 
dans  l'AHantique»  iV^t  d^ops  4)us^  la  rem^rqne  ingé^^ei^e  que  la  déclinais<^ 
magnétique  pouvait, servir  ^  obtenîf  (eptre  de  certaines  limites)  la  longitude  du 
yaisses^i ,  etc.  »  (  Hittoîre  de  la  Géographie  du  nouveau  continent,  tome  it|,  pai^ 
#im,'(ielapaV»fàli'|iâgé'i«,)   "    '      '^     "    "   *   '^'^^i  '^r^tUi^nn..  i  .  ../ 


•  ) 


L'£1IR0PBr.BT  LA  CHINE.  23T 

C'était  iui|;raiid  e^t,  uoebeUe  910^  uo  cœur  généreux  et  boi^. 

Cplomb  est  upe.dQ  c^  6giu^  ff^res4f  n^  L'Mbstojre,  à  Vaspçct  radieux 
et  «oldo,  qu'on  aiine.  auta|ltfq^'Qn  les  ^mire,  qui  consolent  et  rassu- 
rent autant  qu'elles  inspirent)  )f|  respect  et  qu'elles  frappent  par  la 
ff^n^tmr,  4e  leurs  prq[>ortioni;  une  de  celles  qui  sontr  le  plus  parti- 
a^renv^  dignes  du  culte  des  peuples  modernes.  Partagés  entre  leur 
•ntiiMiAliie^ontra  le  passé  et  la  terreur  d'autres  cataclysmes,  préoccupés 
de  l'Atl^qte  d'immenses  évèoemeis  dont  les  signes  sont  daus  l'air^ 
agités  d'ivfatHJbles  instincts  qui  leur  annoncent  un  novu$  ordoy  mais 
bvBsM  d^  perturbations  et  repoussant  la  violenoe,  qu'on  leur  avait 
recoBunwdée  et^u'ils  avaient  acceptée  comme  le  plus  sûr  moyen  de 
liàter  la  venue  de  cet  ordre  nouveau  qu'ils  désirent,  dégoûtés  d'une 
philosophie  qui  enseigne  la  haine  et  sème  la  défiance  et  la  guerre,  les 
peuples  maintenant  ont  besoin  de  reposer  leurs  regards  sur  des  types 
à  la  fois  puissans  et  bons,  réparateurs  et  rénovateurs. 

Comme  l'a  très  bien  senti  l'historien  de  Colomb,  M.  W.  Irving, 
c'^st  diminuer  l'expression  d'un  éloge  que  de  l'exagérer.  Disons*le 
donc  sans  détour,  Colomb  reflétait  en  lui  les  bizarreries  du  moyen-Age 
avec  tout  ce  que  cette  époque  avait  de  plus  beau  et  de  plus  pur.  Son 
imagination  était  parfois  déréglée,  mais  c'est  à  cette  imagination  qu'il 
dirt  it  force.  L'imagination  donne  la  foi,  et  Colomb  en  eut  besoin 
tels  son  œuvre  colossale.  C'est  elle  qui  fait  éelore  les  grandes  pensées 
et  les  grandes  actions.  Ad  service  d\ine  ame  vulgaire  ou  d'Un  coeur 
pusillanimç,  l'imagination  est  un  don  funeste  à  celui  qui  t'a  reçue, 
plus  fatal  encore  a  ceux  qui  l'entourent.  Unie  à  une  intelligence 
élevée 'etciairvoyante,  à  un  cœur  magnanime,  elle  enfante  les  plus 
nobles  passions ,  et  il  n'y  a  que  des  hommes  passionnés  qui  fassent 
du  sublime;  1^  faculté  de  souffler  autour  d'eux  l'enthousiasme  et  la 
conviction  a  été  réservée  pour  eux  seuls.  L'iroaginaUon  est  l'attribut 
le  plus  distinctif  de  cette  race  privilégiée  que  le  peuple  prédestiné 
appelait  prophètes,  que  le  peuple-roi  qualifiait  de  vo/ei,  c'est-à-dire 
de  poètes  par  excellence.  Elle  perçoit  dans  les  objets  de  la  création, 
dans  les  phénomènes  du  monde  physique  iet  dans  les  évènemens  de 
l'histoire,  dans  l'esprit  et  dans  la  matière,  des  rapports  trop  déliés 
pour  être  perçus  par  un  autre  sens.  Elle  devine  l'homme  et  la  nature; 
^*  montre  des  themtns  au  bout  dfssquels  sont  de  brillantes  décou- 
vertes dont  ene-mème  n'a  qu'à  demi  le  secret,  parce  qn'eUe  les  a 
seulement  çntrevues  à  la  lueur  d*un  fugitif  éclair  que  Dieu  a  lancé 
dans  l'atmosphère  pour  elle  seule.  L'imaghiatipa,  a,  dit  up  habile 


2W  RKimi  m  Bfen  Mmra. 

eritii^Bt.  [1),,  èc#  1»  ooimm»  cbHiftHobMre  el  dettMuiacMcr  ^ 
ffààff  la  caiwtfiie  hMasiHe  éam  le»  iéstrl»  t)e  FtataHigenee;  »  nous 
ajoQterOB»  :  €*  dM»  let^  (léfikéft  eKaffé»  et'  tnrtneoar  de  hi  eitiftwittiit». 
Gt9t  ei^  v«i!ft  «une  Hiéditeol  4e  rîmaftnjittai  etni  i|n  «'es»  onl  411e 
potàr  nomer  d'éfMrt^  k4fieiie»«  Be  tow  199  trésors  detit  diipwwrt» 
Fdo^denre,  e*ea^  kipivs^pirécîcM  feaIrMte  et  le  fkw  édKlMl  à  wvnjf^ 
sés\  vmié  mmi  ^*eM  le  fk»  iMfd  è  pdrten  eriw  ^sr  (Mt  MhMfter 
iç  Iriûs  înlMmUtnimltefr  fuMAitaiMs  à  qwi  Dieu  arririt  faM  I»  gr^k^i» 
(te  le  coâfiert  â^HaeeisMi  d^étre  sur  teiiis  #MrâM,  »  k«r  «ïfpril  iTg^ 
dorl,  ai  léim  généf««s0i  syin^thiea  »'anteliisMfit  CeA  c«lul  cftti 
attire  let  toaitolcs  ptn^acéiés  <te  yenviey  cpû  taïf  faM  distiBer  se»  fiéi^ 
seM^ljBs  plu»  gttbtiia.  C/M  ceM  9«r  pc^  mrtaB»  hi  fooie  ^  flatt  to 
piof  à e«Éia(jer.  N«l  Mlpr  »'a  prnchnt  pOÊâr  le  gwre  kutanin,  par 
l'iiAlemiéëieû^  im  h^anMKs»  é'éHte  i|iil  Vo^  e«  eb  portage,  aola^ 
de  gloire  et  de  heoJwwir»  et  peur  ««sHflièmm  aatltnl  ée  aenfimAe^ 
et4'aB9)isies;  oar  eell^  fl^wne  <pii  ite  eut  aw  frenl  et  dont  le  Tolgaiie 
neïp««t  lenr  pardeiPBer  réeht,  ne  la  Imv  emtei  pet^:  eHveil  VtedM 
<KvHi  fBa  Méfleiir  (pt  lest  dévête  ^ 

$»  OokMfiib  fiM  pertî  paup  déeeimir  n»  m«ieM  eautinefit  dottt 
aiciifi  tediee  ne  i^éleit  reiilateaee  wi^  peuples  chez  fesiiiiefe  il  avait 
passé  SB  ialN)«ieiffe  vie  (9|i  i}  n'eàt  été  <yyiNH»  liettreux  avetftvriev. 
QDlAwb  po«mi^aît-,  anec  une  persévéMnoe  q^'eit  «e^  sawaît  tnyp' 
adnmir,  une  eoBUeme  qfm  émènilt ,,  une  vigoepr  i|ii»,  dam  Faetiqvill^ 
raiHnpt^faft  desaef  pa«iû  Weduivirdiew ,  ime  pwaée  qpii  lur  ai^iataiaf 

(1)  IMf,  Magnin V  9^vufitde$  Beua^  abondes  du  1*^  jiiin  iSiO^pag.  727^ 
(8)  Il  est  incontestable  atijourd*bui  que  d*auires  Européens  avaient  vu  et  tou^b^ 
'Amérique  avant  Colomb.  Dès  le  x<^  siècle,  des  aventuriers  Scandinaves  avaient 
lété  poussés  par  les  vents,  papTamouf  4\p  péfH,  pùf  Tesprit  de  <!0Aqu6ie,  dBdft' 
le  Qe^ënlaiid,  qui<  appaUtent  au  iiow>eaoi  ooiUoentf^  et  quo  fil  d^  IbittlMkli 
ap^el^  la  Soan4iAa^»  iuBitUbe  de  i'jlfwéi^u^  \a  diaiance  ^  GsMalaeé  ai| 
nord;  de  TÉcosse  n'est  que  d^  2<t&  Uew^.  mgrifii^s.  de  Xb^  au.  degré;  par  ua  veut  Craifk 
de  nord-Quest,  ce  serait  un  voyage  de  quatre  jou^.  Les  expéditions  des  mission- 
naires se  joignant  à  celles  des  guerriers,  plusieurs  étabUsseuiens  furent  Tondes 
daa»  le  Greônlmid  ;  VIslaiMl&sepf  ait  de  stetlen  ittterm?d4aii<e  pour  s^y  ren«k««  te  lÉ, 
eurttM^,  rislandaiji  Btoro  OaiiplfiMNi^,,  ^gà  aUaii  éms.  le  Ceôsoiâiiii  i^ioiâdra.aaai 
pèi^  Dut  c1^s»é ,  1^'  m  ^<4  ^M4wit  4»  naviMs^^  sim  W'Ce#in(N»4,9né#filii'>Be 
retour  obez  sqi^  père,  Biai^n,  e}Lécmi,i^  av.ec  qjuelçiue^s  a>o|fiuig9i[)o&  upe  ei.péd^9il 
lointaine,  daps  laquelle  ils  touchèrent,  Tan  tOOl  ou  1005,  successivement  dajit 
diverses  paniet  de  F^lmériique  da'Novd,  qu'il»  appelèrent  ll^llytend,  Markland 
et^  Vialand.  Ce  deraiar  pi^fi  fm  alesi  nennoe  à»  danse  de  l-aboadiiffoe-  dtesrafK 


sait  justement  comme  devaot  exercer  rioJSaeDce  la  plus  bieDCaisante 
et  la  plus  étendue  sur  les  destinées  du  genre  humain ,  celle  de  la 
jonction ,  de  l'association ,  de .  la  {usion  »  sous  une  même  loi  et  uae 
même  Toi,  des  deux  massifs  de  la  famille  humaiuev  qui ,  alors  c^unme 
^  a«is.j«jUT^,  ai^geaîefH,tDniS6  to«rimiti)e.d<m,Mfludei|x«Éié«iiMs  de 
l'ancien  continent,  séparéaipqr 4ti  imBume^ttptce^fnirdes  déseels, 
y^^fis  P^Wl^  bapA^ces^ettdQiiit  r^Mi  oûQMpeidefitaaiaiiouMlUitti  un 
^i^oiurewoic^e  queColcimbiui  ad#Mé.'GeHe  jpeaaée  était  siiwBte, 

. ni  dUficiie  ^  Jiéolisw,  Ifue,  Vois  fiiMei»  «I  d«mi  «pflàsi«i,  dUej^eate 
ettopre  à  «accomplir^  et  qu'elle  4i'««tt  même  pas  iML-^vk  sontie  du 
4(piwie  ^e  A^  iHulî^i^cie  |hi  veiMwt  toonteiiiriative.  ta  mpposant  ^ee 
4apws.€|lle4e  iéalîsefileioejmQt^^Ms  fféaecvie,  jiMcpii&4à  €Ue«uttra 
.encone  ^  la  gloire  •de  f  lus  d'iupe  ptéiadie  de  «rnods  iimiBies*  Elle.eet 
de 'notre  temps,  et^era,,  bien  après  qie  ncw  tous,  ^ni  vîmss  *«fin- 
tenant,  serons  ouUiés,  la  plu$  gigwtesq«e  t^ui  pwii^se  Mre  ^caress^e 
Har  4es  rêves  d'un  homme  d'état  <HNMiie  p«r  4'(mibttmi  >d'«n  omqoi*- 
«anC,  par  Tame 4e  l'IiooMne religieiis  ce^oMne  par Ja^penséedu pfailo<- 
«ophe,  par  l'esprit  4u  savant  QOim»ie  par  les  caiouto  de  rindflstiîel , 

.4»ar  le&espéopces  dm  novateur  Je  pkis  awlaoîewx  coiame  |Mr  la  aolli- 
^ildide  prudente  0t  c^onse^vatrioe  des  amjs  de  Ywke  «aiiwsel. 

JLa  mew^  4a  plus  eseçte  de  l'mspoilkawe  des  évéaeraeoB  humains 
iaat  celle  que  dowwt  i(d  «ornière  et  4a  valeur  des  kMEMNes  ilMt  ils 
igffplbijassQnt  l'eikist^e^^.  ^e  «e  point 4e  viie,  l'assacîattoo  de  ta  dvi* 
Vfi^tim  occidentale  j^m  ÏOt^^  fp^trâfiie^emt  4e  plttSfrBoid  ^afticfiii 
se  lût  jamais  passé  sur  ia  terre. 

loi^gtieir  un  Jour  ^ans  les  cUCfére^tM  sag9s,.on  eu  a  qoqcIo  ^at  iesceaaïées  vJâii^es 

alors  par  les  Normands  étaiâot  siliiées  entre  les  .parallèles  de  il»  et  50o,  ce  qui  cor- 

ïespood  k  la  côte  qu!  s^é.tèad  de  New-Tork  à  "Terre-Neuve,  côte  su,r  laquelle  vivent 

^lis  de  sèptespèces  ée  vi^ne.  tl'fKirjft  n#ine  qae  tes  valltans  hommes  du  NoM 

^av««#ie«t  tieoifioap  plus  lola  an  nâdi.  iÇaekiiies  posâtes  ^  ^iic4qnes  tMa^es  peut- 

jMrol^reiiceQBsanilcs  par  eux,  au  moins  ilaas  le  Vtnlaad.  ^  a  fttsouvé  réeeauneat 

4es  io8cripti(»s  ru  niques  <|iii  eopstaHeot  leur  passafe  ^et  -leur  $^)oitr  svr  divers 

points  du  continent  américain.  Mais  vers  le  mMieu  du  liu*  siècle,  tout  {souvenir  du 

Tioland  disparaît  de  lliistoire;  plus  tard ,  les  établissemens  du  Groênlanil  eus* 

mêmes  Airsot  -iMnés  «t 'abcHidoinné».  Qnolque  tldiotnb  eiVt  «àarvig^é  au  nord ,  dalis 

Ml  paiiages île  féel»)^, Tien  me  poi«e  è  croiBe  qall  y  ait  rccaéllli  des  données 

99opr^  à  4e;golder  ou  !à  reaoovtra^ar  dans  aoo  eotrepHse.  U  j  a  6e«  de  iieaser  que, 

S^ade  aux  efforts  des  savans  do  Danemark ,  notre  éppqne  est  inflniment  mieux  Hi- 

^^^ftaée  BUT  cette  découverte  anticipée  du  Nouveau-Monde  qu*on  ne  Tétait  do  temps 

^CokNnb,  non-seulement  dans  la  péninsule  ibérique,  où  l'on  n*en  savait  pas  un 

^^v  «laiB  «Me^attS  <a  'pi^liAle  iteaodfnaVe  ti «es  èé()èttdances,  xfh  tt  paraît 

^^^  dës-lo»  elle  était  oukWée. 


SM  RBVtB  DBd  vÈn  AONDÉS. 


IT.  —  COaH EICT  LA  MâXB  PETf^ÉB  ^B  PHÊSI^OIB  AVJOIIBD^KUI  AVEC  DB  PUISSAffS 

MOYENS  d'exécution. 

La  pensée  qui  animait  Colomb  revient  aujourd'hui  s'ofTrir  de  nou- 
veau à  l*£urope  :  je  devrais  dire  s'imposer. 

Si  Ton  compare  l'Europe  moderne  à  celle  d'il  y  a  trois  cent  cin- 
quante ans,  on  reconnaîtra  sans  peiné  que  l'état  de  crise  est  aujour- 
d'hui plus  caractérisé  encore;  que  nous  sommes ,  plus  que  les  con- 
temporains de  Colomb,  en  pleine  eau  de  rénovation;  que  le  travail 
moral,  intellectuel  et  matériel  auquel  la  société  est  en  proie,  est  plus 

4 

violent,  plus  actif,  plus  général  qu'alors.  L'espace  sur  lequel  ce  tra- 
vail s^opère  est  plus  vaste,  car  l'Europe  entière  y  participe,  et 
l'Amérique  en  est  tourmentée  d'un  pAle  à  l'autre.  Au  sein  de  chaque 
pays  isolément,  la  quantité  de  mouvement,  pour  me  servir  de  l'ex- 
pression consacrée  par  la  mécanique  rationnelle,  est  beaucoup  plus 
considérable;  il  n'y  a  pas  une  molécule  sociale  qui  n'y  ajoute 
son  moment  y  parce  que  l'évolution  est  éminemment  démocratique, 
et  elle  ne  l'était  pas  il  y  a  trois  siècles.  Chez  chaque  individu,  l'agi-» 
tation,  les  passions,  les  espérances,  les  appétits,  sont  ce  qu'ils 
étaient  alors  chez  quelques-uns  seulement.  Si ,  pour  offrir  aux  peu- 
ples une  occupation  digne  d'eux  et  proportionnée  à  leur  élan,  à  leur 
énergie,  il  fallut  alors  leur  livrer  un  nouveau  monde  où,  à  vrai  dire, 
il  n^y  avait  rien  à  vaincre  qu'une  nature  inanimée,  rien  à  transformer 
que  le  monde  physique,  sera-ce  trop,  sera-ce  assez  pour  rÉurope., 
moderne  qu'une  arène  où  son  activité  pourra  s'exercer  suf  dçs  pppju-, 
tations  plus  nombreuses  que  les  siennes  propres?  Ûii  nouveau,  con-  , 
tinent  presque  désert  suffit  (1)  à  absorber  la  vie  déb()rdaqte,de.i)ps  . 
pères,  n  faut  plus  aux  peuples  modernes;  si  le  but  taut  çoul^aité  p^ 
eux,  l'extrême  Orient  venait  à  nous  écheoir,  nous  y  trouverions  non- 
seulement  de  nouvelles  terres  (car  de  quels  archipels  l'ancien  conti- 
nent n'c^-il  pas  entouré  du  côté  de  l'est?)  mais  une  nouvelle  huma- 
nité, c'est-^-dire  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  délicat  à  manier  et  de  plus 
difficile  à  pétrir,  quand  on  répudie  les  traditions  brutales  avec  lesr- 
qijielles  en  effet  l'Europe  a  définitivement  rompu  ;  tout  ce  qu'il  y  a 
a  de  plus'gldrieux  à  perfectionne!^,  tout  ce ^ui  paie  avec  le  plus 
d'usure  les  soins"  qu'on  y  donne.  ,   .      , 

,    ,      ,.    .  ^        '   ,r  *.     >         ■     *  1     "î  '■•'1*'  i-;ii4*  ;•  "'.1  '♦n     h  '     . 

(1)  Il  senii  péui-èiré  plus  exact  de  dire  quMl  n*y  safQt  pas  complè^ineikt.  puisqiie . 
cetlfrdâcb#y(«^ii6M^dteftsèi*fesg^n^enEûit^    ' ^^  '''  '^^'  '^'^  ^^  ' 


l'lfKfiO^M,SJ  LÀ  CHINB..  3^1 

En  vérité ,  od  ne  voit  pas  quel  aa,tre  objet  répondrait  coraplèle- 

roent  à  l'attente  de  grands  évènemens  qui  tient  les  tètes  en  ébulli- 

tion,  à  l'étendue  des  forces  qui  sont  là,  frémissant  de  rimpaUence 

d'être  mises  en  œuvre. 

Cela  peut  être  traité  d'utopie  et  de  rêve.  Rêve,  soit.  Tout  songe 
est  uii  mensonge,  mais  tout  rôve  n'est  pas  songe,  et  celui-ci  n'est  pas 
bAti  en  l'air,  dans  les  nuages;  il  repose  sur  les  traditions  du  genre 
humain,  sur  ses  tendances  révélées  par  l'histoire,  sur  ses  besoins 
présens. 

L'Europe  ne  manquera  pas  de  donneurs  d'avis  parfaitement  inten- 
tionnés, pleins  de  philanthropie  et  de  lumières,  qui  seront  empressés 
i  lui  représenter  qu'elle  a  mieux  à  faire  de  son  temps,  de  sa  peine 
ainsi  que  de  son  sang,  car  on  n'abaissera  pas  sans  un  choc  sanglant 
les  barrières  qui  nous  séparent  des  peuples  de  l'Orient  extrême.  Ils 
lui  peindront  les  douceurs  d'une  vie  paisible,  honnête  et  rangée,  le 
calme  du  mouvement  social  et  les  jouissances  du  bonheur  domestique, 
chez  une  nation  régulièrement  ordonnée  qui  renonce  à  courir  les 
aventures  et  à  poursuivre  au  loin  des  projets  ambitieux ,  pour  se 
vouer  au  soin  de  se  perfectionner  et  de  se  polir,  «Chacun  chez  soi, 
diront-ils;  concentrons  nos  efforts  sur  nous-mêmes;  n'avons-oous  pas 
carrière  sufllsante  entre  nos  frontières?  quelle  ample  moisson  de 
bien-être,  d'opulence,  de  gloire  peu  flamboyante  peut-être,  mais 
solide  et  durable,  s'offre  sur  notre  sol,  è  nos  piedsl  II  n'y  a  qu'à  sç 
baisser  pour  la  cueillir  :  hors  de  là  tout  est  fumée  et  déception.  »  Us 
conseilleront  aux  gouvernemens  de  se  vouer  exclusivement  à  favoriser 
,  à  multiplier  les  travanx  publics,  à  insti- 
:s  écoles;  à  encourager  l'industrie  sous  sa 
mufacturière  et  commerciale,  à  organisa 
de  la  sécurité  aux  travailleurs  et  de  leur 
remontreront  qu'à  ce  prix  l'exaltation  des 
,,  l'ordre  de  plus  en  plus  ébranlé  irait  se 
publique  de  plus  en  plus  compromise  se 
M  on  verrait  se  dissiper  les  nuages  qui 
ropéen. 
n  y  a  sur  ce  thème  de  bons  et  utiles  enseignemens  à  adresser  à 
a  parfiiit«iDent 
t  i'espèce  bien 
.  Lorsque  Cy- 
,  Ril^fWita  Pyrr 


94â  vxirVE  0BS  Dfeok  norotts. 

(KM  lei'epos^otitfl  se  proposait  de  fotiflrati  terme  de  9es  conquftes, 
le  hri  trouva,  feu  suis  convaincu,  t[ue  son  conseffler  s*exprimaît  eh 
fcomme  tfû  plus  grand  sens;  thaisîl  le  laissa  dire  et  fit  comme  devant. 
L'Europe  est  moins  inaccessible  aux  sages  avis.  £Ue  réalisera  donc 
chez  eilfe  plusieurs  des  améliorations  «[ui  lui  seront  recommandées , 
lors(i|tte  te  convenance  et  l'efficacité  Itri  en  auront  été  prouvées;  mais 
feBe  ne  saurait  consentir  à  s'endore  dans  i^on  tetrîtoire.  Nous  ne 
sommes  pas  gens  à  bàlir  a\itour  de  nous  des  muraîHes  de  Ta  Chine;  lofti 
de  là,  nous  ne  voulons  pas  permettre  que  les  autres  en  bâtissent,  et 
nous  prétendons  démolir  celles  qu'îb  auraient  érigées.  Se  mCler  des 
«tfféires  d'autruî,  intervenir  chez  le  prochain,  régenter  le  monde  par  fe 
parole  et  par  la  force,  tantôt  par  des  actes  individuels ,  tantôt  par  des 
démonstrations  des  gouvememens,  ici  par  des  négociations  diploma- 
tiques, ailleurs  à  coups  de  canon,  c'est  pout  la  nature  européenne  un 
{)esoiQ  impérieux  auquel  elle  n'est  pas  libre  de  ne  pas  céder,  car  les 
peuples  comme  les  individus  luttent  en  vain  contre  lett  tempérament. 
Peut-être  serions-no^s  plus  heureux  si  nous  étions  autres  :  cela  peut  se 
soutenir  par  de  bonnes  raisons.  L'homme  qui  sait  le  mieux  se  conte- 
nir est  aussi  celui  qui  sait  le  mieux  se  contenter.  Celui  dont  les  pen- 
sées et  les  désirs  ne  connaissent  pas  de  limites  a  aussi  des  passions  sans 
frein;  il  est  Rvvémix  mêmes  labeurs,  aux  mêmes  soucis  que  le  havi- 
f  atèur  qui  doit  gouverner  Un  frêle  navire  sur  une  mer  où  les  courans 
«e  croisent  impétueux,  où  les  vents  se  heurtent  avec  violence.  Mais 
telles  senties  nations  européennes,  tels  furent  les  peuples  anciens 
^oiit  noms  dérfvons  et  dont  nous  continuons  la  tâche  sur  la  terre, 
teb  nous  devons  être  long-temps;  car,  sans  méconnattire  la  bonté 
«UfMrême  de  !a  Providence,  on  peut  petiser  que  c*est  soù  aîgufllon  qui 
«OBS  pousse  en  avant,  et  qu'il  ne  cessera  de  nous  mener  hatelans  d'es- 
«alede  en  escalade,  de  précipice  en  précipice,  de  clîmats  en  dhnats» 
ée  continent  en  continent,  que  lorsque  nous  serons  au  bout  de  l'œuvrfe 
^fui  nous  a  été  assignée,  ceHe  de  dérouler  et  de  sceller  tout  autotïr 
die  la  pMnète,  à  travers  les  plus  formidables  obsl;adès,  les  anneaut 
^'un  cerde  dliarmonie  et  de  fratemîté  universelle ,  et  de  souder  à 
jamais  l'un  à  l'autre  les  deux  extrêmes ,  l'alpha  et  l'oméga ,  lX)rieiQft 
et  Wcckterrt. 

On  «e  ééddera  pôs  I^Eurtypéeii  à  se  dore  Aans  le  foyer  dotnes=- 
'^ûfàe,  m  même  dan*  te  foyer  de  te  patrie.  îl  \iA  faut  une  vie  pu- 
-Mique  agitant  qu'uh^  vte  pilvre;  i1  doft  se  sentir  làcteur,  père  noble, 
jètt^e  prewler,  tit  comiparsè,  tians  tm  drame,  et  îl  faut  qttè  dans  ce 
étMÉe  soient  «n  Jeu  4es  destinées  de  h  patkle,  du  genre  humain.  ïJt 


<Iii'est-ce  donet  fiînon  Ii^  pjçfjyiYe  ^ij^  r^urope  est  la  4éppait9ffe  4ies 
destina  de  r^umanité  ? 

Je  ne  veux  ceijtea  pouit  décrier  ce  que  ina  (oible  y(4x  a  vapté  au^ai^ 
qu'il  lui  était  possible.  Je  ue  veux  pcÀut  médire  de&  cbémûw  de  fer, 
des  canaux  et  autres  travaux. publics,  des  améliorations  matérielles  et 
positives  en  géuéral  :  ce  que  i'ai  adoré«  je  ne  le  brûle  pas,  je  Taclojre 
encore*  Chez  nous,  le  gouvernement  de  1830  a  fait  de  ces  perfectioor 
nemens  beaucoup  plus  que  ceux  qui  l'avaient  précédé.  Il  n'en  a  point 
fait  assez  cependant.  Il  ne  leur  a  pas  i];nprimé  ce  cachet  de  généralité 
et  de  grandeur  que  le  Français  aflectionne.  Il  n'a  pas  su  les  coordonner, 
les  conduire  avec  unité  et  ensemble.  £n  somme,  à  cet  égard,  soa 
entreprise  dirigée  à  bâtons  rompus  par  des  ministères  constamment 
menacés  de  mort ,  sous  les  auspices  de  chambrea  trop  disposées  à 
confondre  l'épargne  avec  Téconomie,  à  traveiçs  mille  soucis,  mille 
exigences  des  partis,  a  été  incomplète  et  quelquefois  mesquine. 
Cependant  elle  n'a  été  sans  fruit  ni  pour  le  pays  ni  pour  le  prince. 
Elle  a  augmenté  la  prospérité  nationale,  elle  a  valu  au  gouverner 
ment  les  suffrages  et  l'adhésion  sincère  des  classes  (!ommerçantea 
et  industrielles.  Continuée  sur  des  proportions  plus  larges  et  avec 
plus  de  perfection,  unie  à  un  vaste  plan  d'organisation  du  travail 
et  des  travailleurs  de  tous  les  ordres,  elle  procurera  au  pouvoir  un 
peu  de  cette  stabilité  qu*il  cherche  avec  anxi^^té  et  qu'il  ne  trouve 
psis.  La  politique  des  intérêts  matériels  assurera  aux  classes  pauvres 
le  bien-être  qu'elles  désirent,  qu'elles  méritent,  qu'elles  se  savent 
fondées  à  revendiquer  en  échange  de  leurs  sueurs  qu'elles  pro- 
diguent Elle  seule  fermera  la  bouche  aux  adversaires  du  régimye  mor 
narchique,  qui  promettent  aux  masses  populaires  des  satisfactions^ 
devenues  chères  à  tous,  et  qui,  à  l'appui  du  systèi^e  républicain, 
tïacent  le  brillant  tableau  de  l'aisance  dont  jouissent  l'ouvrier  et  le 
paysan  dans  les  états  de  VUnian  américaine;.  Chez  nous,  fui  avQi^ 
u,ne  dynastie  nouvelle,  assise  sur  un  trdi^  dressé  par  le  bras  popur- 
.  laire,  elle  est  plus  qu'ailleurs  une  nécesailé  et  un  devoir. 

Ceci  est  donc  bien  entendu,  tout  européen  doH  vouloir  les  amÀ*' 
l(prations  positives.  C'est  de  la  politique  teUe  qu'il  est  indiapensaUe 
dfen  faire,  de  celle  à  laquelle  doivent  prêter  leur  c^ncouia  dévoué 
tous  ceux  quj  aiment  l'humanité ,  ton»  cçux  <|ui  veulent  que  le  seur- 
tiiuent  de  fraternité  gravé  lentement  d/an^  le&  coaurs  pajç  le  christûi*? 
nismç ,  et  mainten^Qt  ea  ^rain  de  s'introdu^e  partout  dans  les  lois 
8(>us  Iç  titre  d'égalité,  devienne  ujoi  gj^(e  de  honheux  priivé  et  4e  prc^sr 
périté  pj^lMiiU^,  et  v^JK  IfijffQsmmUsfHi  4^  ^i<ie^verse<Qewiiffv«W9ir 


290  BSV«»  ms^  BBOt  MMMRK 

parla  que  la  Pravidènee lestait' poiirkiB^peQBser'tS'iM^^ 
brafiser  ensemble  toutes^  lesrflpacëeRs»  de 'PtnwiMMéf  préptnmt  aîfitiv 
par  lesiiittio»<lellioimiie{  l%nilé*lianiMmiefue4e  lihcîwNiatîèffk  CT^afr 
pffirlà  que  leufs  cbefe  tefi  mèmot.  Sravêatc'esH  aMfit  iMi^  pou» 
asiirer  leur  sopréuMitie  au'  deiM)rs^  peur  aMâtadm^  e|i  dépaisw  lèuit^ 
rivaux,  ou  pour  frapper  un  coup  déeiriP sun l^ètranggfi  qu'ils  réàln^ 
sent  des  amélkmtkmti  dân»  toursaîâ.  nè^viveBt^tantdtliM  fteeielé^ 
rienre,  que  quelquefois  e^estsimplemeiit  le  désir  de  gappeMès  iqiplaafr 
dissemens  du  dehors  tpii  règle  leur»  aetesde  p^Hf^ue  inténeiine  el. 
d^administratiôn  intime,  car  nou»90flEmies^bieQ'de4»'rataie  aovohe^ 
qu'^exmidi^  qui,  au  plus  fortde  ses  vietoiress  s'éariait  :  Que  ne^fut»» 
onpas,  6  Athéfnien»,  pourmériler  vo»*éloi||;es4^ Nèm<  Ffauçaîl, «ona 
n*arons^  réalisé  nos  ptûs^  beaui  perfectiômMiBens  adminisDratMi  qio»- 
lorsque  BOttstKms^mme»  sentis  ^tttmdéapar'l^Ml^ilio^      la^gaerre^ 
C'est  à  un  sentiment  guerrier  que  bous^  devons  nette  oentralisation', 
par  exemple;  Ces  jours-^i,  les  chambres  ent  voté  deuX' lois- irapor* 
tantes ,  Tune  en  Aveur  des  chemins  de  fifer,  Pèatre  pour  Ih  eréation 
dfe  paquebots  è  Tapeur  transoMantiques;  Quel^a  été-rargumentie  phia 
décisif,  cehit  qui*  a  fait  tomber  dans  l^mia  les  Uoulèsr  bhmcbes^'Deiis 
un  cas,  le  développement  qu'ont  acquit  le»  oBemkiS'de  ftrclies<  te§ 
peuples^  voisins  et  la  crainte,  d'être  montrés  au  doigtoomme^use  na^ 
tien  arriérée^,  dans  l'autre,  la  volofrté  de  fiflôre  coneimenoe  è^PAngk»^ 
terre  sur  tes.  plage»  dli  Nouveau^Honde,  el>  enea^éis- guafiB-mati^ 
time,  de  lui  moBti:er  qu'elle  se  dit  en  vam  la  maitres(aede»imnh 

L'industrie  est  uft  combat  contre  la^nattère^brute,  GMibat^toujern»- 
honorable  peur  l^spècebumainei  audacieux  et  toposMit^BdqueMat 
P^r  eHe,  l'homme  triomphe  du  monde  physique^  asservît  la  nature 
et  la  ploie  à  son* usage  comme  un  docile  esclave,  instrument  desett* 
bien^e.  Mais  ce  ne  serait  peint  assm  pour  satifiMjpe'lè  besoin'  Ù^ 
lutter  qui  est  dans  le  cœur  des  Eurq)éens,  pour  aasDiifik'' tour  soîftfe» 
domination.  tt>leur  fiiut  un- adversaire^  UBrobstocle,  uO'Sttjel  d^eotf^ 
vite  qui-seppésente  son» la fonnehumainet  8*41  étailvtat de» nations* 
européennes  que«  désormais*  l'industrie»  pàt  oapler  tovi'  leur  bie*^ 
être,  et  si  en  conséquence  eHes  se  bornaient  ai  soin  dt^choE  soi^, 
c'^esitiue  la  primauté  passeraft  à  d*autre»,  et  qu^eltes-mèmesi  dépen- 
sant le  mandat  qur  leur  avait  été  confié,  dbnneraient  teur  déraissiofi;' 
c'est  (fu'^les  avaient  dégénéré.  La*  oiviliaatio»  à  laquelle  non»  ap-^ 
partenon»esttemieà  s^épandreelàa{^r>aatourd>eHe.  âe»ooryplléea^ 
ne  sauraient  s'arrêter  pour  se*  consacrera  parer  teur  demmre^et  pour 
faire  leur  Ut.  Le  mot  d'ordre,  mardie!  aar^i>  a'étédttpmrem; 


Km$  AmMns  daiw  r Algérie  tme  preuve  péremptoirede  h  néces- 
irité  Aêslmd  ée  fournir  de  raUmeut,  tant  tnen  que  Hial,  au  besoÎD 
â*«oNM  ^stértonre  qui  mm»  tomrmeffte  de  même  que  les  aetms 
mikttiB  de  l^Ëwope.  Ou  ne  peut  raisonmliiement  s^eipliqunr  qae 
par  4à  tretre  persévèrMceà  retenir  Alger  au  prix  de  tant  d'argent  et 
ée  4a!Ét  de  mng.  Ce  «efrait  ta  plus  înaigtte  des  féties  que  d'avoir  eoti- 
mmeé  à  fAlf^èrie  de  patieilles  somnies  et  un  sang  si  précieux,  s*it  ne 
«^agissait  qœ  de  uot»  «yiproptiier  et  de  mettre  en  culture  la  lisière, 
de  valeur  wsetidoïKMae,  «u  dire  de  bom  juger,  qui  est  comprise 
entre  le  pied  de  TAllas  et  la  mer.  Netis  avons  dans  notre  €orse  trep 
^uUiée,  dans  iee  Laudes,  dam  h  Sologne ,  dans  la  presqu'île  de  4 
6anQ»rgiie,«t  sur  d'sftitres  points  de  l'antique  sol  français,  de  vastes 
teqiaces  qui ,  à  dii  fois  moins  de  frais ,  eussent  nendu  des  produits 
fftos  l^eaut  qm  tout  te  que  parsM;  devoir  de  long-4emp6  rapporter  b 
ci^levflnft  Kégenee.  Comnie  «fbire  d'intérftt  maftérfel,  du  point  de 
vue  duddit  et  avoir,  nolare  entreprise  au  nord  de  l'Afrique  est  insou- 
tenable. Considérée  comme  ayant  pour  but  d'accerder  une  certaine 
satisfieidikm  i  un  senlineÉt  très  vif  dans  te  pays ,  celui  de  révéler 
<»lérieiiieniefit«otree:âMonce  dans  ie  monde,  elle  se  conçoit,  elle 
^  raetive,  elle  se  jugtifle. 

Le  besoin  d'èctioii  eïtérieore  qui  mme  ctocun  des  peuples  de 
itVnt&pt  s\esl  témoigné  pnr  de  vastes  entreprises  loîntaiues  :  tele 
M  l^érupÉtoh  des  croisades  qui  dtn^  deux  sièdes,  tel  a  été  l'enva- 
bissemei^deCkinérique;  mà^  le  ptas  souvent  M  s'est  déployé  dans 
éfm  dédviveuieDs  européens.  AiqovrdYmi  un  heureux  changement 
s^opère;  nue  «éveWKeu  énÂaemment  fiaverable  à  la  paix  iatérieure 
est  en  train  de  s'accomplir  dans  la  politique  européenne.  La  commu- 
nauté d^  idées  et  des  aentimens,  tasolidarîté  des  intérêts,  la  facilité 
«foissaifte  destnetations  d'an  Hout  de  TËurope  i  l'autre,  ont  fait  des 
nations  qurl^biteut  megi^ndeismille.  Peut>*6tre  seron»nons  encore 
tëfflOias,c^fiuropeyde  quelque  choc  ailreux;  mais  certainem^t^^i 
k^uenre^ielotail,  elle  sereit  de  très  courte  durée.  £tte  pourrait  être 
sanglante,  g»me  dana  ses  conséquences  ;  mais  dfe  passerait  mec  rapi- 
dité. LéSTtfppoils  desig(Hn<0Piiemens  lentre  eux  laiwent  beau(^oup  à 
désirer  Mieere;  ils  ne  sont  (pas  en  harmofiie  avec  les  instincts  des 
popidetioiis  i^beeucdup  près,  «laislts  y  serdnt  tien  tôt,  paroe  que  la 
:i«aiMondeegMvernaKaB«Tae»gouvevnés,t)ete  vériliUefaoïi^yeranicté 
popdiffire,  fi*a  ^mais  été  Mstfi  ptfisaonte.  Après  le  maintien  de  la 
pffk,  etiMdOE,  iqoi  pdorriStdMterdelaptépondârflBoe  des  intérêts 
pWiBqtMdtosIa  pétMqneteuiopieniie?' 

16. 


parla  que  Ift  Ffoviaène&l6s««âait*p€W^lèft^pê«wer«ii'aiWl^6t^^ 
brafiser  ensemble  feoutes^lesrfradieRSfdb'KhuiDMMéf  préparawtatniiv 
par  les'nifiiB»<le  llionmie;  l%nîlé'lianiMmiefue4e  lihcilHlteatièfU  CT^s^ 
par^  là  que  leufs  cbefo  tefi  mètieot.  So«v«at  c*esH  «Mfit  iMi^  pow 
asiirer  leur  sopréuMitm  aa>  deiM)rs^  pwr>  aMâiodm >e|t  dépais»  tom»? 
ritatix,  ou  pour  fmpper  un  ocmp  déeMr^sur  l^ètranggfi  qu'ite  réalw 
sent  des^ioBéUoratkma  dàn»  leursaîâ.  Di^vi^eBl^tint  d^bM-vIe  eielé^ 
nenre,  que  qnelquefoh  o^estsimplemeiit  le  âéair  de  gappeMes  i^iptat^fc 
dteaemens  du  delumtpii  règle  leur»  aete».de  peIRilpie  itiAéâeùm  eli 
d^adhrinistratiôn  intime,  car  nous  soames^  biendelv-intaie  aMohe^ 
qn^Alexandi^  qui ^  au  plus  fort' de  sea  vietoîre»^  s'éorMt  :  Qtte  iie>f«t»» 
on  pas,  ô^  Athéfniena,  pour  mériter  vo»^élagea4^  Nèm«  Ffm}()iitv  «ona 
n*arons^  réalisé  nos  ptûs^  beaux  perfeetiènranaiens  adminiilrattti  qioe- 
lorsi^e  Bous^notts'somme»  sentis  ^«idéa  par 'l^ti^^lkm  la^goetre^ 
C'est' à  un  sentiment  guerrier  que  nous  devons  nette  oentralisationv 
par  exemple.  Ces  jours^^i ,  les  ebambres  ont  voté  deux*  kris-  inqMNH 
tantes,  1-une  en  Aveur  des  cbemîns  de  ttr,  rentre  pour  Mi  eréation* 
de  paquebots  à  Tapeur  tmnsefttantiques^.  Queba  êté-rargument  le  phia 
déeisif,  cehri  qui' a  fait*  tomber  dans  Ihmie  les  boutesr  bhiRobes^Daiis 
un  cas,  le  développement'  qu*ont  acquit  le»  cUemkis  de  ib^  cbes'  lèa 
peuples^  voisins  et  la  eramte.  d'être  montfés  au  doigt^oomme^mie  na» 
tion  arriérée;  dans  l'autre,  la  voloirté  de  fidire  eoneuffenoe  è^PAngk»^ 
terre  sur  le&  plage»  dii  Nouveau-Monde,  el>  en^oasdegMffB-inank 
time,  de  lui  moBti:er  qu'elle  se  dit  en  vain  la'maitrefleede^merav 

L'industrie  est  uftcomtrât contre  kmnattère  brute,  GMibat^toujattr»- 
honorable  peur  r-espècebumatnei  audaeieuxettoposMit^Bdqveiaiiii 
MreHe,  Thomme  triomphe  du  monde  physiqnev  asservît  la  natufe 
et  la  ploieà  sonusage^comme'un  docile  esobive-,  insIraaieBl  de  sett* 
bien^e.  Mais  ce  ne  serait  point  asset  pour  sfirtfaMiPO' le  beaoki'  dh^ 
lutter  qui  «st  dans  le  cœur  des  Européens,  pour  aasoufilf^  tour  soif  tfe> 
domination,  tt^leur  fitut  un- adversaire^  uiirobstecle^  ua^s^jel  &m^ 
vite  qui  se^ppésente  sous  la fonnebumainet  S'^^Uril vtai^dês^^natiaBa* 
européennes  que'  désormais*  Tindustiie»  pàt  mp^p  tovl'  leur  btetr* 
être,  et  si  en  conséquence  eUes  se  borniûënl'ai  soin  dë^cbee  soi^, 
c^est  que  là  primauté  passerait  à  d'autres*,  ei  qu^elles^mèmesi  dépen- 
sant le  mandatqufleur  avait  été  confié,  dbnaeraient»  teur  démiasiefi;' 
c^t  qu'îles  avaient'  dégénéré.  La*  oiviliMio»  à^aqMlle  nous^  «p^ 
partenons  esf  tenuoè  s^épandre  el  k  agir^otour  d>eHe.  âes^oorypbéea» 
ne  sauraient  s'arrêter  pour  ^e»  eonsaorerà  parer  teurdemeare'et  pour 
faire  leur  Ut.  Le  mot  d'ordre,  mardie!  mafebe^f  a'étédttpmir< 


Km$  dmMns  daiw  TAIgértetiiie  preuve  pérempteirede  h  néces- 
rité  AÉékse  de  founrir  de  Talinieiit,  tant  bien  que  mal,  au  besoÎD 
â*«oNm  ^stérienre  ipri  tiotift  tommieifte  de  oiène  que  les  antras 
mikttiB  de  PËwope.  Ou  ne  peut  nrisonnaUemeiit  «^spliquar  qae 
par  U  netre  persèyérftuceà  retenir  Alger  au  prix  de  tairt  d'argent  ^et 
de  4a!Ét  de  wag.  Ce  serait  la  plus  inaigtte  des  faUes  que  d'avoir  coti- 
mevé  à  ¥klgMt  de  pareilles  sommes  et  un  sang  si  précieux,  s'il  ne 
«"agirait  qœ  de  nous  approptiier  ^  de  mettre  «n  culture  la  lisière, 
de  valeur  wsea  doiKMae ,  «u  dire  de  tens  juges,  qui  est  comprise 
entre  le  pied  de  r  Atlas  et  la  mer.  Nous  avons  dans  notre  €orse  trup 
"OuUiée,  dans  les  Landes,  dans  la  Sologne^  dans  la  presqu'île  de  ià 
Camargue, «t  sor  d'flttftres  points  de  Tmittque  sol  français,  de  vastes 
•espaces  qui,  à  dii  fois  «Mins  de  ttrais,  eussent  nendu  des  produits 
fftos  l^eaut  que  tout  ce  que  parait  devoir  de  loag-4eRip6  rapporter  b 
ci-devmft  Hégesee.  Comme  ofAnre  d'intérêt  matériel,  du  point  de 
vue  du  doit  et  avoir,  notre  entreprise  au  nord  de  rAfrîque  est  rnsou- 
tenable.  Considérée  comme  ayant  pour  but  d'accorder  une  certaine 
satisfoctiôn  A  un  seulimcAt  très  vif  dans  le  pays ,  celui  de  révéler 
«wlérîeiiiement  notre  exiatonce  dans  le  monde,  elle  se  conçoit,  elle 
ne  motive,  cflle  se  justifie. 

Le  besoin  d'action  extérieore  qui  anime  ohacun  des  peuples  de 
tVm&pt  «\esl  liénoigné  par  de  vastes  entreprises  lointaines  :  tele 
M  l'^pHoti  des  croisades  qui  dtn^  deux  sièdes,  tel  a  été  l'enva- 
bissemei^de  d'Amérique;  mais  le  plus  souvent  îA  s'est  déployé  dans 
dm  déeMremeDs  européens.  Anjo«Érd%ui  un  heureux  efaangement 
s^opère;  une  févoWlion  éminemment  favorable  à  la  paix  intérieure 
est  en  train  (te  s'accomplir  dans  la  politique  européenne.  La  commu- 
nauté d^  idées  et  des  senlimens,  ta  solidarité  des  intérêts,  la  facilité 
«foissante  des  relations  d'an  bout  de  l'Europe  i  l'antre,  ont  fait  des 
nations  qu^lHiabitont  «negraadeismille.  Feut^ètre  serons^ious  encore 
lëfflOins,  enfinropcyde  quelque  choc  aiXrenx;  mais  certainement, «i 
te^ttOrre^olitait^,  eHe  serait  de  très  courte  dnrée.  £tte  pourrait  être 
sanglaute,  gvtfve  dans  ses  conséquences  ;  mais  dfe  passerait  avec  rapi- 
dité. Lésvnppoils  desigonvepuemens  lentreeux  laissent  beaucîoup  à 
désirer  «ncere;  ils  ne  «ont  pas  en  harmonie  avec  les  instincts  des 
popidatiens  i.beeucdup  près,  nais  ils  y  serdnt  bientAt ,  piroe  que  la 
•féa<MondesgMVémflnaBtrileftgouvevnés,t)ete  véritaUersouveraradté 
popdlarlre-,  ^n'a  jèimais-été  MmH  ptttsBonte.  Après  le  malntim  de  (a 
paiK,enM3»,  ^ipcaniiiitdMtdrdetaptépendérwûedes  intérêts 
fWifiqtiSdtos4a  pétHlqii0«ttnipiehnef  ' 

16. 


2i8  BEVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Ainsi ^  sauf  la  chance  de  quelques  collisions  qui  pourraient  être 
cruelles,  maïs  qui  au  moins,  par  le  bref  interyalle  de  temps  qu'elles 
occuperaient,  ressembleraient  à  de  simples  accidens,  on  peut  regar- 
der la  cause  de  la  paix  européenne  comme  définitivement  gagnée. 
Et  comme  il  faut  être  juste  envers  tout  le  monde,  même  envers  les 
rois,  disons  hautement  ici  que  ce  triomphe  de  la  paix  au  sein  de 
l'Europe  est  dû  à  la  sagesse  du  roi  Louis-Philippe.  C*est  à  lui  qu'appar- 
tient Finîtiative  de  cette  belle  et  salutaire  pensée  qui  devrait  former  la 
devise  de  la  dynastie  d'Orléans,  et  qui  lui  portera  bonheur.  Si  d'autres 
princes,  à  commencer  par  le  vieux  monarque  qui  vient  Jôtre  ravi  à 
la  vénération  de  la  Prusse,  et  des  hommes  d'état  tels  que  M.  de  Met-^ 
ternich ,  lord  Wellington  et  lord  Grey,  peuvent  revendiquer  une  part 
dans  l'honneur  du  succès,  c'est  encore  au  roi  des  Français  qu'en 
revient  le  principal  mérite;  car  lorsque  la  tempête  allait  éclater,  lors- 
que le  Nord  et  le  Midi  déchaînés  semblaient  au  moment  de  se  préci- 
piter l'un  contre  l'autre,  il  a  eu  à  contenir  et  il  a  contenu  le  plus  fou- 
gueux des  autans. 

C'est  précisément  pour  consolider  cette  paix  européenne  qu'il  faudra 
qu'on  permette  aux  peuples  européens  de  se  répandre  au  dehors. 
L'Europe,  je  le  redis  encore,  a  le  tempérament  belliqueux,  lut- 
teur, jouteur;  elle  aime  à  brandir  son  épée,  et  malgré  la  prophétie 
d'Isaïe,  malgré  l'adoucissement  des  mœurs,  elle  n'est  pas  au  momept 
^e  convertir  les  fers  des  lances  en  socs  de  charrue.  Mais  les  glaives 
que  dirigeaient  autrefois  l'amour  du  pilltige,  l'esprit  d'oppression ,  des 
haines  féroces  ou  de  hideuses  jalousies,  se  mettront  et  se  mettent  d^à 
'au  service  des  principes  civilisateurs.  Au  nom  du  ciel,  que  la  civili- 
sation accepte  ! 

On  s'y  est  pourtant  refusé  jusqu'à  présent.  L'esprit  guerrier,  à  qui 
on  demandait  des  concessions  sans  retour,  n'a  donc  pas  cédé  sans  une 
vive  résistance  le  terrain  qu'il  a  perdu  depuis  l830.  L'hostilité  a  été 
bannie  du  monde  des  faits,  en  ce  sens  que  l'on  n'^  pas  promené  les 
bataillons  à  travers  champs,  ou  que  du  moins  on  ne  les  a  pas  poussés 
les  uns  contre  les  autres;  mais  elle  est  restée  dans  les  sentimens.  On 
ne  s'est  pas  égorgé,  mais  on  ne  s'est  pas  moins  cordialement  détesté. 
Les  congrès  et  les  conférences  ont  pris  la  place  des  batailles ,  con- 
quête Immense  du  génie  de  la  paix  européenne  !  Mais,  pendant  qu'on 
imposait  silence  au  canon,  que  de  fois  les  dagues  ont  été  tirées  sous 
la  table!  On  a  jtu*é  la  paix  en  se  prodiguant  les  uns  aux  autres  les 
dértionstràtions  d'une  antipathie  tracasàiére^  brutale  même  entre 
adversaires,  d'une  méfiance  insultante  «  d'une  envie  sans  dignité 


L*£UROPE  ET  LA  CHINE.  2&9 

entre  amis  et  alliés.  Les  crocs-en-jambes  diplomatiques  ont  joué  avec 
une  activité  égale  à  celle  de  la  meilleure  artillerie.  On  a  vu  se  dérouler 
les  incertitudes,  les  anxiétés,  les  inconséquences,  les  contradictions, 

■à  ' 

les  embarras,  les  bévues,  parlons  franchement,  les  manques  de  foi  et 
les  lâchetés  qui  sont  inséparables  des  transitions  mal  ménagées  ou 
non  ménagées  et  des  positions  fausses.  , 

X)u  moment  où  Ton  reconnaissait  qu'on  ne  devait  plus  guerroyer 
en  Europe,  il  convenait  de  rechercher  les  bases  d'un  accord  durable 
entre  les  puissances.  Puisque  la  guerre  européenne  était  proscrite,  il 
était  tout  simple  de  détruire  en  Europe  les  causes  de  guerre  en  don- 
nant satisfaction  à  tous  les  grands  intérêts  européens,  par  l'organisa- 
tion d'une  association  des  puissances  qui  permit  à  chacune  de  se 
développer  suivant  ses  tendances  naturelles.  Au  nom  de  la  paix,  de 
l'harmonie  et  du  progrès ,  on  s'est  cramponné  à  une  politique  har- 
gneuse, envieuse,  immobile,  qui  ne  profite  à  personne  et  qui  nuit  à 
tous,  qui  torture  tous  les  peuples  en  les  refoulant  sur  eux-mêmes. 
Ainsi  que  l'a  dit  un  illustre  orateur  dans  l'un  de  ses  plus  admirables 
discours,  à  l'occasion  de  la  question  du  Levant,  «on  s'est  attaché  à 
une  politique  d'exclusion  et  on  a  chicané  là  où  il  fallait  une  politique 
de  magnanimité  et  de  compensation  (1).  »  On  a  nié  la  guerre,  mais 
on  n'a  pas  constitué  la  paix.  On  a  voulu  la  bonne  harmonie  de  l'Eu- 
rope, on  en  a  repoussé  les  moyens,  quoiqu'ils  fussent  parfaitement 
honorables,  éminemment. propices  aux  tendances  évidentes  de  l'hu- 
manité, au  resserrement  des  liens  de  la  grande  famille  humaine. 

Nous-mênies,  Français,  qui  avons  l'habitude  de  nous  distinguer  jfar 
les  généreux  penchans  de  notre  politique  extérieure,  nous  qui  étions 
les  plus  intéressés  à  la  p^aix  et  qui  la  voulions  le  plus  fermement ,  tout 
comme  les  autres  nous  avons  fait  et  nous  faisons  de  l'exclusion  et  de 
la  jalousiiç.  Noms  hous  sommes  mis  en  travers  des  tendances  les  plus 
naturelles  de  notre  prochain.  Celle  des  Russes  est  de  prédominer  à 
Constantinople^  Celle  des  Anjglais  à  Suez  et  en  Syrie.  Nous  nous  oppo- 
sons aux  Anglais  en  Syrie  et  à  Suez,  aux  Russes  à  Constantinople. 
Par  là  nous  travaillons,  sans  nous  en  apercevoir,  à  ce  qu'au  lieu 
d'une  prédominance  dont  les  uns  et  les  autres  se  seraient  contentés, 
ils  aient  une  domination ,  au  lieu  d'une  tutelle  et  d'un  protectorat,  la 
maîtrise. 

Mais,  je  le  r^pètç,  ces  fau^s  manœuvres  sont  de  celles  qui  accom- 
pagnent néc^sairement  les  transitions  brusques.  L'Europe  ne  pouvait 

^1)  Discours  de  M.  de  Lamarline  da  11  janvier  1840. 


1MM  RBI^W  DBS  tMB9K*  WMlUlBS. 

|tf9e>€A'Uli«HR^'t(él  teftitmi  ^atifgweDttte  IroÉttilete^iermiia 
I^  é«rof>éei«i6,  de  l'Mfttilite  À  l'ii^^ 

•fdtfe.  L'îftèérétifieB  «Me^da  de  ^KinCes  les  imisntÉceB  est  ^^eHesite 
iMdeÉi  è  4a  taîeoii ,  et  ettes  s*y  i^endrent.  Ce  doit  en  être  fM  4e  fe 
poKlitpie  des  %mtph  |MBsésv  inspMe  par  le  nkiséraUe  f  nstinct  ^ 
porte  les  hommes  à  abaisser  levs  ^aemUabtes  A  tout  fffn,  tDémi'M 
Wsmit-le  saovâee  de  levélévation  propre.  Les  honone^éMioeffS'qiH 
gdttvernfeBt  l'Europe  wateot  eetve  lem^  poignets  -les  rudes  vJbniK 
fions  d'm  ressort  ^i  fausersrit  des  4>oidevcfrseroeiis  ^  l'on  eorA^ 
Wftit  it  le  presset  sor  fcri-4ii6me.  ils  ^yent  le  puti  l|n^DD  en  poiH^ 
rait  tirersi  on  lui  permettait  de  «e  étendre  aa  dehors  sons  rin(hieiKl& 
d'iièepenséeci^ifeatrioe.Mr^raînle  des  pertorbattons;,  on  plutôt  p«ta* 
imof^  de  klir  paÉrie^t  de  rfamnanité,  fc  s>aeoeréeront  à  evrrir  «Mé 
earrière  à  ces  généraitkms  dont  l'ordear  fermente.  Hs  voudront  ^fde 
uù^t  'EniiDpe,  ce  petit  coin  dn  flobe  oà  est  concentrée  tme  imfSie 
extraordinaire  dfe  lumières  et  d'énergie,  êA  les  bonnnes  s'entassent, 
06  lesîAiagmatîons^^éehauffient,  où  les  ambitions  hidividneltes  et  col- 
lectives, les  peuples  et  les  rois,  les  intérêts  et  les  idées  se  fMMttt 
et  se  heurteni,  versé  à  Textérieiir  sa  force  vitale  en  excès,  ^'ils  ont 
tant  de  peine  è  retenir.  Us  le  von<6tmt  bientôt,  on  doit  te  croh^.  S*Bs 
se  le  voulaient  pas,  elle  déborderait  malgré  eux.  Tont  ftiit  une  loi  de 
cette  nouvelle  ère  d'eipanlîon  ;  tout  est  prêt  povr  eHe:  le  matériel  tie 
la  tampagne  est  déjà  réuni.  Et  quel  pourrait  en  être,  je  ne  dis  pis 
l'unique  but,  niais  le  but  prineipaU  le  but  le  ptas  glorieux,  le  plus 
£gne  d'ex€!iler  l'ambition  ries  grandes  âmes  et  des  âmes  remuantes, 
le  plus  attrayant  pour  l'humeur  envahissante  et  dominatrice  de  f  EIk 
vope«  sinon  l'extrémité  orientale  du  continent  d*Asie?  Va  vioteét 
JnstiBct  ne  pots^t-il  pas  étik  r£mépe  vers  œs  parages?  Qu*est^aoe 
donc  ^u'y  votot  fiaire  en  œ  rfioment  les  Anglais? 

Le  «fftod  pal  ({ne  fit  la  dviUsation  t)ocidéntale  rêrs  le  terme  de  SOb 
pèlerinage  autour  du  globe,  en  portant  ^es  avant^poi^tes  de  l'aiiti^ 
eAté  de  F  Atlantique  dskis  le  nouveau  continent,  aNfait  été  précédé, 
eÉnMie«on  l'a  vu ,  de  perfectîonnemeHS^nalés  dans  l'art  de  h  naMk 
gatton.  De  «lème,  de  nos  jours,  eHe  a  acKpiis  des  moyens  pnissatis 
de  viabiUlé^  réellemjent  autorisent  à  répéter,  en  le  prenant  cette 
fois  au  sérieux  et  à  la  lettre,  le  mot  de  Colomb  à  Isabelle  :  El  nttmdo 
es:poea.  Void  vetthr  la Tapeinr,oqui,  de  nos  jdinv,,pai^  devoir  «ai^ 
6v  tes  destinées  du  ffanie  humaiin  une  teflmnoe  eompaàible  à  MRe 
qu'eut,  il  y  a  trois  ou  quatre  siècles,  la  découverte  de  l'imprimerie. 
Des  véhicules  inconnus  de  nos  pàres^  lunespérés  'de  nOuS'Wéâié^  au 


coiÊÊÊieumÊsmtà^&ù  sNtte,  «ttiiiittMnt  nniiteGfsvfe  ftiyice  sur  tag 
coMfinans-oefmne'Sif  H'iae».  G^esth  vapMrfiirtossafiikii^^  Afeels» 
ctonin^ée  ftr  ê<^  Iw  bateaux  è^mf^up,  \èffb9^é&  FAsie^oessé  d^êb«> 
ua^lMne  tointatiie.  PHris  el  LmAm  ■esesl  dtfà  plmqs^è  dëu  isoisr 
de  Gantoft.  Dan»  qmkiMS^  amiées,  tonq«6  la  navi^MôirfiiiMitline  h 
vapeur,  enoore  ao^erccmi,  sa  sera  déveh»ppée.,  et  cpoe  des  oeotre» 
€eipmameBi  amrêféeRS  a«Mit  élé  cmistttiié»  sra»  ie»^  ampiees  da 
paaka*  et  4b  saltan  q«î  eiialeiit  de  a^6l]rapéani96i^  eu  aoita  ceux  de 
rAttgMerre  et  de  b  BvsMe-OB  de  tiereea  pniMaeeee,  àSiayme,  et 
AlaaUBdrie^  èr  CoB6taiilÉK>ple,  qattlte  ne  sera-  pas^  la  piroihÉil&  de» 
deax  cilîlfaaiioii»  orientale  et  oeeîdeiitalel' 

Aioai^  tors  BiéMie^e  CBosepe  resterait  à  sa^ftaMi  oaauBieinaiie 
s*éoarteraflpa5dttbas9Hvde  la  MéditeiTaiiée,  le  grand  Orient  oesserail^ 
d^MieinaocemMe  pour  elle ,  eieNe  serait  en  inesnre  ée  vefsiberaTee 
lui  de  gré  ou  de  foroe.  MMs  cette  Europe  est  aBjeurdrinî  partent.  Eft 
mARie  tempe  qa*eUe  a  anoîDdrî  les  distanoes  par  la«  rapidité*  qu'èHe 
met  è  les  fimiehir,  eHe  a  suppriné  sur  la  oarte  lèstfoii'qaartade  Pi»- 
tervaHe  q«î  la  séparait  de  TempRe  chinois.  HIe  s^esItmtaHée littéral 
lement  sur  sa  frontière.  La  plus  grande  partie  de  TAsie  est  aujourd'hui 
la  propriété  de  l'Europe.  L'Angleterre  compte  dans  l'Inde  acUjieUe- 
raent  quatre-vingt-trois  millions  de  sujets  et  cinquante  milKona  de 
Tassauj^  et  de  tributaires.  Peojd^^  que  les  Anglais  çen^eot  W  céleste 
esiyéaa  du  côté  du  oûdi,  \m  Rimaa  le  pseaaeiit  du  cMé  da  iiûsd.  La 
BflBsie  Qoeupe  toet  le  rêver»  septenèrionai  (fe  l'aneieir  crattneiit, 
jusqu'au  Kemchatka ,  jusqu'à  la  mer  de  Bering.  We  pigne  dm  ter- 
nâa  t^nt  qu'elljs  peut  de  ce  côté  comme  dju  nôtre.  EHe  capte  ou  aasu- 
jétit  4;lia4ue  joiu  de  nouvel^  steppes  et  d'autces  trifuis.  Sei^  pdsaea- 
siMe  tadtnaphea  éa  la  Chine  veal  juac^'à  âQP>  el  aoièaie  jvaqtt'à  kSf 
de  lalitode.  Par  eonséqtteflt,  c'est  «n  pays  tovt-à-fiiM  habitaMe,  qvol^ 
qtt*il  e'af^Ue  la  Sibérie ,  et  H  est  facile  de  s'y  préparer  des  ressources, 
d*^  xéunir  des  approvisionoemens  et  une  arm^. 

9îen  plus,  raoBjée  y  ^déjà,  et  €*e^  une  arasée  quir  wt  p«fc  tradî^ 
ticis^çQfspavt  ou  coilqiiîeft  lecélestQ  enpîif .  Cette  légien  qnis^'e»» 
gaaioe  par  les  soins  des  caars  est  celle  qui  (tepuia  l'oiigtee  di»  tempa 
a  été  la  demeure  des  peuples  nomades  et  belliqueux ,  sortes  d^.  Ceq^ 
taures ,  qui  ont  joué  uq  i:ôle  4e  premier  or<Jre  d;^3  Vbistoir^  ej^ 
anBaw8aant4'eapa(C!e  ea^  espi^,  tm%6\  à  l'Oprieni,  tanbàt  i  VOccideot^ 
conipie  dea  fléau.de  Oie«,  gnjjjéa  pap  l'aay  ^rterwaaatwftdea  iMilia»^ 
DaHtés  et  ém  en^kea  (1^. 

(1)  L*aD  des  plus  grands  mystères  des  annales  du  genre  ftamalii*,  e*estfiie  osa 


iSi  RBTCB  DBS  DBfJX  MOraiBS. 

La  Russie  acoomplit  dans  cette  contrée  une  œuvre  dont  les  Eonn- 
péens^  occupés  de  ses  agrandissemens  en  Europe,  n*ont  pas  soigneu- 
sement mesuré  la  portée.  Elle  fait  passer  les  tribus  tartares  de  la  vie 
nomade  à  la  vie  stationnaire.  Mais  tout  en  les  initiant  à  la  civilisation , 
elle  développe  en  eux  les  instincts  belliqueux  plutôt  qu'elle  ne  les 
amortit.  Elle  les  enrégimente,  elle  les  discipline^  elle  les  accoutume 
à  manier  avec  dextérité  les  machines  de  guerre  qu'a  parfectionnées 
la  science  occidentale.  Ainsi ,  parmi  cette  race  d'hommes  dont  le  nom 
est  invasion ,  tout  conune  celui  du  démon  dépossédé  par  le  Sauveur 
était  légion^  elle  se  crée  un  instrument  qui  pourrait  devenir  dange» 
reux  pour  l'Europe,  mais  déjà  redoutable  pour  l'empire  chinois. 

Par  mer,  la  Chine  est  observée  aussi,  menacée,  harcelée  par  les 
contrebandiers  qui  sont  les  avant-coureurs  des  conquérans  ou  au 
moins  du  commerce  régulier.  Les  navires  anglais  partis  de  l'Inde 
assaillent  son  long  littoral.  Déjà  les  intrépides  marins  des  États-Unis 
se  joignent  à  eux;  que  sera-ce  lorsque  les  pionniers  de  l'Union  anaéri- 
caine  auront  pullulé  sur  le  versant  occidental  des  Montagnes-Rocheuses 
dans  le  district  de  l'Orégon ,  ou  lorsque  les  redoutables  carabines  de 


populations  san^  lien  d*attache  avec  le  sol ,  sans  religion  ou  vouées  à  un  culte  gros- 
sier et  rudiraentaire,  sans  littérature  et  sans  science,  sans  qionumens  d'art,  sans 
industrie,  faibles  de  nombre,  aient  pu  peser  d*un  aussi  grand  poids  dans  la  balance 
de  ses  destinées.  Dans  cette  masse  pour  ainsi  dire  fluide,  les  ébranlemens  se  com- 
muniquaient de  proche  en  procbe ,  tout  comme  une  vague  va  sans  se  tasser  d^uae 
eurémité  à  Tautre  de  Thorizon.  \\  suffisait  qii*un  de  ces  flots  tumuluieux  de  ikh 
mades  fût  poussé  par  un  autre  flot  pour  que,  les  tribus  se  refoulant  les  unes  les 
autres,  une  efTroyable  invasion  vint  porter  la  dévastation  et  le  carnage  à  des 
distances  infinies  chez  les  peuples  civilisés.  Les  tempêtes  survenues  dans  ces  arides 
espaces  de  l'Asie  moyenne,  se  propageant  ain^  au  loin,  ont  causé  lès  gi^dés  tévo- 
lutSons  qui  ont  eu  pour  théâtre,  à  rooeident  sotte  Bur»pe,  à  rorient  la  Chiuei  el:les 
pays  qui  TavoisinenL  Cestde  là  que  sont  sortis,  comme  des  ouragans  Curijcui,  les 
Celtes  et  les  Pélasges,  les  Germains  et  les  Scythes,  les  Alains,  les  Avares  et  les  Huns, 
tous  les  barbares  enfin,  les  Slaves  et  les  Turcs.  De  là  sont  pareillement  venus  les 
Mongols  de  Gengis-Khan ,  conquérans  de  la  Chine  ;  avant  les  Mongols,  les  Hioung- 
Nou,  qui  comme  em  s^étaient  portés  à  rOrient,  et  même,  au  dire  de  quelques  éori- 
Vadnsi,  auraieni  pénétré  dans  TAmérique  du  Nord,  chassant  devauteux  des  essaims 
de  peaux-rquges;  après  les  Mongols,  les  Mandchous,  qui  de  même  se  sont  emparée 
de  Tempire  chinois,  où  ils  régnent  aujourd'hui. 

Un  des  plus  curieux  livres  d*histoire  qui  aient  été  publiés  depuis  quelques 
années,  est  certainement  celui  de  M.  A.  J^rdot  sur  les  Révolutioni  des  peuples  de 
VAsie  fnoyenne.  L'auteur  a  clairement  montré  quelle  avait  été  Tinflueuce  des  migra- 
tiens  de  ces  peuples  sur  Tétat  social  et  politique  de  TEurope ,  et  même  de  rorient. 
n  a  jeté  ainsi  beaucoup  de  lumières  sur  les  causes  première^^  des  grandes  fra^sfor- 
maUotts  que  TEurope  a  subies. 


LAi>CHnii.  253 

la  vallée  du  Missiasipi  auroetpOBBSé  jusqa'en  Californie  (1)  la  con- 
quête- vaillamment  commencée  la»  Teus?  Que-seiay^e  lorsque  les 
Bonriireas  archipels  de  la  Polyoéiie,  qui  »'édtelonneiit  dea  Pfadjp- 
pines  «ax Iles  Sandwîdi,  et àe  celle»c)à  k  NouveHe^ollaade,  fécon- 
dés par  le  bHteau  à  vapeur  maritime  qui  semble  avoir  été  créé:  pour 
tenr  usage,  auront  été  un  peu  plus  compèètement  colonisés  par  les 
entreprenans  essaims  que  la  race  anglaise  expédie  partout  du  fond 
4e la  erande-Bretagne  ou  des  rivages  de  l'Aménlque  du  Nord? 

On  se  préoccupe  beaucoup  de  rimmioence.  d'une  «olliw)n  au  coeur 
de  l'Asie,  entre  l'Angleterre  et  la  Russie.  L'esprit  de  lutte  qui  anime 
les  Européens  poarra  occasionner  en  efTet  un  choc  entre  ces  deux 
pnissances;  mais  je  ne  puis  croire  qu'elles  s'acharnent  l'une  après 
l'autre  et  se  déchirent  long-temps.  Je  dirais  qu'elles  doivent  s'en- 
leadre  en  Asie  par  la  raison  qui  fait  que  les  larrons  s'entendent,  si  l'on 
pouvait  qualifier  de  larcin  les  empiétemens  qui  servent  la  cause  de 
la  civilisation.  Il  y  a  place  au  soleil  de  l'Asie  pour  toutes  les  deux;  il 
y  a  une  suf^sante  proie  pour  les  rassasier,  pour  les  gorger  l'une  et 
l'antre.  N'estr-il  pas  probable,  au  contraire,  qu'après  s'Hn  observées, 
mesurées  un  instant  peut-être,  au  lieu  de  s'entredétruire,  elles  se 
réconcilieront  en  faisant  payer  à  l'empereur  du  Milieu  (i)  les  frais  du 
traité  de  paix? 

On  sait  quelle  sensation  a  excitée  chez  les  cabinets  de  l'Europe 
occidentale  la  mission  de  M.  de  Brunow,  tendant  à  raccommoder  Lon- 
dres avec  Pétersbourg,  en  coupant  en  deux,  comme  la  tunique  d'un 
mort ,  le  ci-devant  empire  ottoman ,  et  en  allouant  aux  deux  nations 
rivales  Alexandrie  et  Constantlnople,  qui  en  effet  leur  siéraient  bien. 
Il  y  a  beaucoup  de  motifs  pour  que  cette  transaction  soit  déplaisante 
à  d'antres  nations  de  l'Europe,  et  notamment  à  la  France  et  à  l'Au- 
triche; de  ce  jour-là  en  effet,  si  tes  autres  puissances  n'obtenaient  pas 
chacune  un  lot  semblable,  quelque  hatnle  que  soit  lecabinet  de  Vienne, 
quelque  vatllaiis  soldats  que  soient  les  Français ,  il  n'y  aurait  plus  en 
Europe  que  deux  puissances;  la  France  serait  l'humble  suivante  et 
servante  de  la  Graude-Bretagoe  ;  l'Autriche  serait  la  vassale  des  Uos- 
•covites.  Mais  le  pacte  doit  être  tout-à-fait  du  goât  des  deux  hautes 
parties  contractantes,  quoiqu'on  assure  que  l'Angleterre  n'en  veuille 

tie  des  villages  peupUs  par  des  éniiBraus 
ouri  on  c«1ai  d'ArkaDsas.  Des  caravanes 
rovlnces  sepIeatrJonales  du  Ucxiijue  et 

is  de  l'eDipire  chinois.' 


ip9ti  etiteftdneirtMtr.  Biâiiides  cmditiditt-fiMil  iBfjâiaiB  peur  qaMl^tie 
46iiip9»4iffiéfA>nm  à  a^oution  run  ideees  ^jMf»,  à  la -barbe  4es 
tibi%^  aBÉ6iiiiei€dlii>€i VagFBQdhfteiiC  d'un  p6uce,  4éw  le-eas  oii,«e 
«enfenlMitfdlM'Ia/politktiie  néfii^ejoti  eschisive,  tk  se  pvoebaie- 
mieùtrpaè  la  ;tN>lÉtii{iie  4e  oempeffMtîott  «t  d'éipaoMèR^  et  se^la 
feraéesi  |ias  préimiDir  à  'tour  profit  ^o^mme  à  o^  des^tomc  féato 
de  la  terne  ferme  ret  de -la  mer.  PremièrëRieet,  il  feut  que  l'Autriehe 
et  IftFrafice*^  tieMent  bieh  serrées  Time  eoBtre  ratttre,iKniob9tant 
t'JtaUe,  ^i  feitf>hisi]tte  les  séparer,  ear  eUe  les  divise  et  doit  eon- 
tîDuer  Â  les  diviser  tant  qu'aies  s^en  tteodroiit  à  la  pobtique  d'exehi- 
sion;  secondement,  ^e  la>Fraooe  soit  biea  unie,  bien  ordemiée>et 
bien  ealme  ehei  elle;  troisièmement,  que  la  tiaute  prudence  deTirti- 
triche  s'aeeommede  d'une  attitude  guerrière  et  de  la  possibilité  d'4Uie 
conflagration  eorepéenne;  quatrièmement,  que  Tislanusme  soit  de 
force  À  jouer  le  rdie  d'intermédiaire  obligé  entre  l'Asie  et  TEurope, 
en  dépit  de  la.présence  des  Anglais  dans  l'Inde,  des  Russes  tovt  ati- 
tom*  de  la  mer  Noire,  des  uns  et  des  autres  sur  le  plateau  central  de 
l'Asie  et  autour  de  la  Perse,  et  qu'il  ne  meure  pas  de  sa  beUe  mùti^ 
en  tant  qu'empire,  entre  les  bras  de  eeu&  qui  prétendent  l'opposer  à 
deux  colosses  senaèlables  à  la  Russie  et  à  l'Angleterre.  Le  programme 
de  ces  conditions,  toutes  pourtant  sine  qua  non,  n'est  pas  aisé  à  rem- 
plir. Il  y  u  donc  de  fortes  chances  pour  que  la  proposition  Brunow, 
après  avoir  été  repoussée  une  fois,  deux  fois,  dix  fob,  soit  reproduite 
One  omième  et  acceptée,  puis  réalisée,  et  pour  que  nous  assûtions 
ainsi  à  Me  seemde  représentation  d'une  Pologne  mise  en  pièees,  au 
profit  de  la  ^Russie  et  de  l'Angleterre. 

Or,  ce  qui  peut  se- foire  en  Europe  aux  dépens  de  la  Turqme^peut 
s^efTeotuer  aussi  bien  en  Asie  aux  dépens  de  la  Chine.  Le  céleste 
empire,  malgré  son  innombrable  population,  parait  médio^edfient 
capable  de  tenir  tète  à  la  tactique  européenne,  et  il  n'a  pas  près  de  lui 
des  tiersen  mesure  de  l'aider,  comme  en  Europe  l'Autricheet  la  France 
pourraient  servir  depuissansaiailiaires  au  sultan  et  à  Méhémet-Ali. 
Les  Tartares  connaissent  le  chemin  de  Pékin:  ils  peuvent  y  revenir 
avec  le  drapeau  russe,  tout  comme  ils  y  sont  allés  avec  l'étendard 
mongol  ou  mandchou  ;  il  n'y  aurait  de  changé  que  le  nom  de  la  horde 
et  son  degré  de  culture,  ainsi  que  la  perfection  de  ses  moyens  mili- 
taires. Les  flottes  anglaises  prendraient  Canton  entre  un  lever  et  un 
coucher  du  soleil.  Considérée  comme  objet  d'une  conquête  ou  d'une 
tutelle  intéressée,  la  moitié  de  la  Chine  vaut  infiniment  mieux  que 
tous  les  domaines  des  Osmanlis  ensemble.  Conçoit-on  l'incomparable 


L'KIIOTB  BT  la  CffiNB.  MS 

dientelle  que  foimeraient  pour  les  manafactiues  de  Manchester,  de 
Leeds,  de  ShefBeld  et  de  Bhrmingham ,  360  millions  d'hommes  indu»- 
trienx ,  amateurs  du  bien-être  et  même  du  luxe?  Je  laisse  au  lecteur 
le  soin  de  décider  si  ce  n'est  pas  une  de  ces  tentations  auxquelles  ne 
peuvent  résister  long-temps  les  Anglais,  eux  qui  en  sont  maintenant 
à  chercher  des  débouchés  pour  leurs  fabriques  jusqu'aux  sources  du 
Niger. 

La  préyision  du  rapprochement  étroit  des  deux  civilisations  ou  de 
leur  fusion  en  une  seule  inspire  cependant  un  souci  profond.  On  ne 
voit  pas  le  rôle  qu'y  pourra  directement  jouer  notre  patrie.  Dans  ce 
drame  <||ii  «*|cf ofipItmplHS  Wi  laoinfi  laid ,  plq$  ou  moins.  tM,  mais 
qui  né^  peut  beaacottp  êtr^  ^^mitié^  car  le  pp^togw  est  eomn^ncé 
déjà;  dans  cette  épopée  qui  effacera  par  ses  proportions  tout  ce 
qui  s'est  opéré  sur  la  terre,  et  qui  sera  plus  extraordinaire  encore 
par  l'échelle  de  ses  bienfaisans  résultats,  il  y  aura  une  place  sur  le 
premier  plan  pour  une  puî$$aiice  «otitinfentale  ;  mais  sera  -  ce  pour 
nous?  Il  fut  un  temps  où  Ton  pouvait  croire  que  la  Méditerranée 
allait  devenir  un  lac  français.  L'homme  qui  lui  avait  donné  ce  nom , 
après  avoir,  de  ses  mains  ou  de  celles  de  ses  lieutenans,  planté  le 
drapeau  tricolore  à  Malte,  a  Corfou,  à  Alexandrie,  conçut  l'audacieuse 
pensée  d'attaquer  l'empire  ottoman  au  cœur;  et,  il  a  eu  raison  de  le 
dire,  si  on  ne  lui  avait  barré  le  chemin  à  Saint-Jean-d'Acre,  il  ne  se 
fût  arrêté  qu'à  Stamboul  ;  l'empire  franc  fondé  par  les  croisés  sur  les 
rives  du  Bosphore  eût  été  ressuscité.  Maîtresse  d'Alexandrie,  de 
CMsÉanlinople  el  du  goKé  Persique,  la  France,  du  fond  de  l'Occident, 
auFttit  tenu  les  trois  clés  de  FOrient  le  plus  reculé.  £He  eût  été  non- 
seutement  la  reine  de  la  Méditerranée,  mus  ceUe  du  monde.  Ces 
clés  ont  toutes  échappé  à  nos  mains.  Noire  étoile  a  pàK ,  et  une  autre 
s'est  levée.  Le  prince  putesant  dont  l'un  des  bras  est  au  fond  de  fai 
Baltique ,  l'autre  aux  portes  de  Conslanttnople ,  à  qui  appartiennent 
la  mer  Noire  et  la  mer  Caspienne ,  et  dont  l'étendard  flotte  d'une 
eltrémité  à  l'autre  de  l'Asie  septentrionale,  celui-là  semble  être  le  seul 
homme  continental  qui  ait  à  dire  un  mot  décisif  dans  cette  suprême 
question  du  grand  Orient.  Astre  brillant  de  la  France,  pourquoi  es-tu 
tombé  du  ciel ,  et  comment  pourral»-tu  y  remonter? 

MiCHSL  CHEVAilER. 


I  I  ;  r     I  ,  .  -   ■    •         , 


LA  PEINTURE 


ET  LA  SCULPTURE 


EN   ITALIE. 


De  curieux  calculs  ont  établi  que,  depuis  les  premiers  t^emps  de  la 
renaissance ,  Tltalie  avait  dépensé  à  bfllir  et  &  décorer  ses  églises 
une  somme  égale  à  celle  que  produirait  la  vente  de  sa  superficie 
tout  entière.  Il  n*est  donc  pas  surprenant  que,  pendant  près  de 
trois  siècles,  ce  pays  ait  été  le  sol  classique  des  beaux-arts.  Les 
germes  qu'une  latitude  heureuse  y  avait  déposés  s*y  trouvaient  fé- 
condés par  la  superstition  des  peuples  et  Fintelligent  despotisme  de 
souverains  viagers  qui  ne  voulaient  pas  mourir  tout  entiers;  la  piété 
des  uns,  la  politique  des  autres,  la  vanité  du  plus  grand  nombre, 
contribuèrent  à  la  fois  au  rapide  développement  de  Tart,  qui  leur 
dut  bientôt  une  splendeur  sans  égale. 

Les  deux  tiers  des  richesses  d'un  pays  se  trouvent  d'ordinaire 
entre  les  mains  des  vieillards.  £n  Italie,  à  Rome  surtout,  ces  riches 
vieillards  formaient  l'aristocratie  de  la  nation.  Beaucoup  étaient  dans 
les  ordres;  la  plupart  croyaient  sincèrement.  Habitans  d'un  pays  où 
l'homme  est  naturellement  passionné,  et  vivant  à  une  époque  de 


LA  PEINTiJRE  CT  TA'SCULPttTIŒ  ÏN  ïtALIE.'  25T 

relflchement  singalier,  tous  avaient  beaucoup  péché  dans  leur  jeu- 
nesse, et  avaient,  sinon  des  crimes,  du  moins  des  fautes  à  se  faire 
pardonner.  Ils  bâtissaient  donc  des  chapelles  et  des  églises  qu'ils 
ornaient  magnifiquement.  Ces  fondations  remplaçaient  chez  les  chré- 
tiens les  sacrifices  eipiatoires  du  paganisme.  Les  gens  riches  de  la 
bourgeoisie  imitèrent  l'exemple  des  patriciens  et  des  dignitaires  de- 
l'église.  Au  lieu  d'immoler  cent  bc^ufs  îioira'su^  l'autel  des  dieux  in- 
fernaux, ils  commandaient  de  belles  statues  ou  de  précieux  tableaux 
qu'ils  plaçaient  dans  l'église  nouvellement  b&tie.  Les  motifs  et  le  but 
étaient  semblables,  le  résultat  fut  différent.  Le  crime  et  ses  expia- 
tions profilèreat  surtout  à  l'art ,  et  de  ces  sacrifices  d'un  nouveau 
.genre  11  resta  autre  chose  que  la  cendre  des  bûchers  et  les  ossemens. 
des  victimes. 

Les  profanes  et  les  incrédules,  car  il  y  en  eut  de  tout  temps,  se- 
condaient d'une  autre  manière  ce  mouvement  de  fécondation.  Cher 
eux,  la  vanité  remplaçait  la  foi.  Un  banquier  qui  avait  fait  fortune 
élevait  un  palais  qu'il  décorait  avec  une  magnificence  royale.  C*est 
à  cette  époque  qu'Agostino  Chigi  fait  construire  le  joli  casin  de  la- 
Farnésine  et  choisit  Raphaël  pour  le  décorer.  Ainsi  le  vaniteux  ca- 
price d'un  banquier  nous  a  légué  les  charmantes  fresques  de  Psyché 
et  de  la  Galathée, 

De  nos  jours,  il  y  a  peut-être  autant  de  bons  croyans  en  Italie  que 
du  temps  de  Raphaël  ;  mais  la  plupart  de  ceux  qui  croient  sont  pau- 
vres, et  les  riches  n'ont  pas  trop  de  leur  superflu  pour  empêcher  les 
autres  de  mourir  de  faim.  L'époque  est  aussi  plus  raisonnable.  On 
Ta  dit  depuis  long-temps,  Luther  a  tué  les  arts  en  tuant  les  abus.  On 
ne  fait  plus  que  de  rares  folies  :  les  classes  supérieures  de  la  société 
sTobserVent,  sont  rangées,  et  au  lieu  des  crimes  et  des  gros  péchés 
d*àutrefols,  elles  n*ont  que  des  peccadilles  à  expier.  Il  n'y  a  plus  en 
effet  que  les  pauvres  diables  qui  empoisonnent  ou  qui  tuent;  le 
crime  a  perdu  sa  grandeur,  a  dérogé  et  s'est  fait  peuple. 

D'un  autre  côté,  si  la  vanité  a  toujours  son  empire,  elle  est  impuis- 
sante à  créer  les  mêmes  prodiges.  Il  y  a  bien  encore  dans  Rome 
quelque  riche  Agostino  Chigi  qui  bâtit  des  palais  et  dépense  fort 
libéralement  son  immense  fortune;  mais  le  faste,  plutôt  qu'un  goût 
délicat,  préside  à  la  décoration  de  ces  édifices.  Est-ce  la  faute  du 
fondateur?  Ne  serait-ce  pas  plutôt  une  triste  nécessité  de  l'époque? 
Où  trouver  un  Raphaël  pour  les  orner  de  ses  chefs-d'œuvre? 

La  peinture,  en  effet,  eist  à  peu  près  morte  en  Italie;  Camuccinî 
à  Rome,  Benvenuli  à  Florence,  Appiani,  Bossi  et  Sabatelli  à  Milan, 


258  BZTUB  BBS  PKJX  liOM)BS^ 

soat  les  derniers  pei&lres  de  ce  pays  qui  aieat  obteim  bdc  terkàim 
vogoe.  L'Europe  a  entendu  proBoncer  leur  bob»;  tes  ttalma  les  f»^ 
gardent  comme  de  grands  artistes.  BenTenoM  et  Gamuedni  oui  Ml 
école ,  et  comme  ils  étaient  à  peu  près  sesh ,  Ha  oot  Caeilefliient 
tBOuvé  moyen  de  s*enrichk;  mais  leur  réptlatton  et  leurbrtBBene 
prouvent  qu'une  sente  chose  :  la  déendesce  de  Tart  et  le  maamiia 
goût  du  public.  Applani  et  Bossi,  te  copiste  du  Cénacie  de  LéBBflrA 
de  Vinci ,  ne  se  sont  pas  non  plas  élevas  an^^dtessBi  du  nédieere; 
SabatelU ,  mort  il  y  a  qoelques  aoBées,  est  le  seul  ées  trois  Mitanaia 
chez  qui  on  ait  remarqné  des  échirs  de  génie. 

Quant  aux  peintres  que  l'on  appelle  en  Italie  de  second  ordre,  noBS 
ne  savons  vraiment  à  quel  rang  les  classer;  tb  oecfqpeet  ces  eflpaeea 
ternes  qui  s'étendent  du  médiocre  au  pire.  A  Milan ,  le  noori^re  de  ces 
peintres  est  considérable,  et  la  plnpart  eB  soBt  encore  à  copier  D^id 
et  Girodet.  MM.  Hayea ,  Carlo  Arrienti ,  Luigi  Bisi  et  Feraoim  aes<iBt 
cependant  séparés  du  gros  de  la  troupe ,  et  depuis  qvelques  années 
imitent  la  nouvelle  école  française.  MM.  Hayei  et  Carl0  Arrienti  pd- 
gBcnt  riiistoire  et  le  genre,  MM.  Bisi  et  Fermini  le  faysage  et 
l'architecture.  MM.  Bayes  et  Arrienti,  que  keucs  eembreex  adorfre* 
teurs  ptaoeBl  en  télé  d'une  nwvelle  école  lofldbaide  et  ptodameifei 
les  restaurateurs  de  1^  peinture  milanaise,  ne  sont  qie  de  pâles i«M^ 
tatcurs  de  la  manière  de  MM.  Scheffer ,  Detarocbe  et  antres.  Ha  pei- 
gnent comme  eux  des  sujete  dramatiques  eaq^untés  à  l'histeîre  du 
meyen-àge ,  mais  ils  sont  loin  d'avoir  le  même  talent  d'eiécutîofi. 
Les  deux  Fotcari  de  M.  Hayez  et  VAzzo  et  la  Parùina  de  M.  Carlo, 
Arrienti  ont  en  cette  [année  les  honneurs  du  musée  Bréra;  ces 
tableaux ,  exposés  au  Louvre,  se  seraient  perdus  dans  la  foBle  et  n'eu* 
raient  valu  à  leurs  auteurs  ni  mi  éloge  ni  une  critique.  MM.  Hesse^ 
Sdiefier  et  Devéria  sont  de  beaucoup  supérieurs  à  ces  peintres  de 
meyen-àge  à  Milan  ;  ils  ont  en  outre  le  mérite  d'être  venus  les  pre* 
miers.  Ce  que  nous  vêtions  de xlire  des  peintres  d'histoire  et  de  genre 
peut  s'appliquer  aux  paysagistes  et  aux  peintres  d'architecture;  si  les 
premiers  ont  oublié  Léonard  de  Vinci ,  Luini  et  Corrège,  ces  der- 
niers se  souviennent  peu  du  Mantègna  et  de  Canaletto,  et  certaine- 
ment ,  au  lieu  de  se  traîner  à  la  remorque  de  l'école  française  mo- 
derne et  d'en  suivre  les  capricîrases  évolutions,  ib  eussent  mieux 
fait  d'imiter  ces  chefs  de  la  vieille  et  magnifique  école  lombarde. 
Bologne  a  ses  peintres  comme  Milee.  M.  Pietro  FaruceUi  est  le 
plus  renommé  de  ces  artistes^  C'est  un  homme  d'une  merveilleuse  ' 
facilité  qui  peint  dans  la  maoîère  de  Tiépelo;  disons-le ,  c'est  plutôt 


LA  PEINTSM-Cr  L4  âOJUnmE^W  ITALIE.  819 

no  grand,  dicocateiir  qu'un  véritable.peiotre  d'histoire.  sBologoe  a  de 
plus  uagrand.  nombre  d'ouvriers  de  Uleot,  car  nous  ne  pouvons  pas 
donner  le  nom  d'artistes  à. ces. peintres  que  M.  Guizardi,  l'étonnant 
pasticheur,  a  enr Aies  sous  sa  bannière.  L'art«  pour  eux ,  n'estjMis  même 
•une  honnête  industrie;  c'est  un  métier  de  ianssaira,  ou  lephis  habile 
est  celui  qui  trompe  Je  mieux.  Non  contens  de. pasticher  les  vieux 
maîtres^  ils  copient  littéralement  leurs  compositions  ignorées  sur  des 
toiles ^n  lambeaux  ou  des  panneaux  vermoulus;  puis,  quand  ils  ont 
soigneusement  sali  leur  ouvrage,  ilsprofltent  de  l'ignorance  des  con- 
naisseurs de  passage,  russes  ou  anglais,  pour  vendre  ces  copies  comme 
de  précieux  originaux.  Beaacoup  de  cea  étrangers  sont  dupes,  mais 
beaucoup-aossi  ne  sont  trompés  que  parce  qu'ils  veuleqt  bien  l'être. 
M'est-Kîe  pas  une  véritable  benne  fortune  que  de  pouvoir  enrichir  sa 
galerie  de  Saint*Pélersbourg  ou  de  Londres  de  tableaux  du  Gorrège, 
de  Raphaël  ou  du  Garofalo ,  qu'on  a  eus  pour  rien? 

A  Florence,  du  moins,  le  cuRe  de  l'art  est  plus  pur,  et  il  n'y  a  de 
procès  à  faire  qu'à  la  médiocrité  des  artistes.  Benvenuti ,  le  lourd  et 
triste  déoorateur  de  la  coupole  de  Médicis  à.  fian-Lorenxo ,  a  été 
enseveli  dans  son  triomphe;  il  se  repose  sur  ses  lauriers  et  fait  bien. 
Bezxuoli  a  d'abord  timidement  imité  Gérard;  nuintenant  il  cherche 
la  manière  précise,  ornée,  mais  un  peu  vulgaire,  de  M.  Belaroche, 
auquel  il  semble  avoir  dérobé  ses  derniers  tableaux,  mais  surtout  4a 
Mort  de  Strozzi.  HM.  fienvenuti  et  Bezxuoli  sont  tous  deux  à  la  mode 
depuis  nn^nartde  siècle;  leurs  admirateurs  et  leurs  élèves  sont  nom- 
breux, osais  l'espoir  4e  la  peinture  n'est  pas  là,  et  «i  Florence  est 
peuUêtre  la  seule  ville  de  l'Italie  où  cet  art  semble  appelé  à  de  nou- 
velles destinées,  ce  sera  moins  à  ces  artistes  qu^à  cette  jeune  école 
de  dessinateurs  qui  remontent  sévèren^ent  aux  grands  et  étemels 
principes  de  l'art ,  et  qui  s'inspirent  à  la  fois  de  Masaccio,  de  Fra 
Angeiico  et  de  la  nature^qu'elle  devra  sa  résurrection.  L'amour  de  la 
nouveauté  les  ramène  au  sii^ple  et  au  vrai ,  et  déjà ,  parmi  ces  jeunes 
gens,  on  cooppte  de. grands  dessinateurs,  en  tète  desquels  nous  pla- 
cerons H.  Carlo  deUa  Porta.  Qu!ils  4eviennent  aussi  habiles  coloristes 
qu'ils  sont  bons  dessinateurs ,  et  l'école  florentine  n'aura  pas  dédiu. 

Ces  jeunes  artistes,  un  peu  mtolérans.comme  la  plupart  des  nova- 
teurs qui  débutent,  poussent  sans  doute  le  rigorisme  trop  loin.  Il  en 
est  paraû  eux^  regardent  un  voyagea  Aome  conune  la  plus  péril- 
leusedes  épreuves,  cette  ville  passant  à  Florence  .pour  la  corruptrice 
du  goût,  a  Nous  nous  y  perdrions,j»  disent^ils  naïvement.  Si  le  Bemin 
et  son  école,  qui,  dans  le  courant  du  dernier  siècle,  ont  gâté  la  plu- 


180  RI¥VB  BIS  VEWi  ÊÊOsnS. 

part  des  moiramens  6e  Rome,  motivaient  seiih  ces  craintes ,  nous 
les  regarderions  comme  fondées  ;  mais  il  est  tels  de  ces  messieurs 
qni  font  remonter  la  décadence  à  Raphaël  et  à  Micbel-Ange,  et  qui 
redoutent  jusqu'à  l'influence  des  ouvrages  de  ces  sublimes  corrup- 
teurs du  goût,  de  ces  chefs  de  l'école  matérialiste,  comme  ils  disent. 
Libre  à  eux  de  spfa-itualiser  l'art;  souhaitons  néanmoins  qu'ils  le  tien- 
nent toujours  à  la  pprtée  des  sens,  car  nous  croyons  fermement  que 
la  peinture,  tout  «n  plaisant  à  l'esprit,  doit,  avant  tout,  satisfaire  les 
yeux;  souhaitons  aussi  que  des  artistes  d'un  vrai  talent  renon- 
cent à  ce  fatal  système  d'exclusion  qui  rendrait  inféconds  de  beaux 
germes  que  le  souffle  vivifiant  de  la  liberté  peut  saul  développer  : 
qu'ils  songent  bien  qu'ils  tiennent  entre  leurs  mains  l'avenir  de  la 
peinture  en  Italie,  et  qu'ils  se  hfttent  de  se  départir  d'un  rigorisme 
mesquin  qui,  au  lieu  des  restaurateurs  de  l'art,  ne  ferait  d'eux  que 
les  cruscante  de  la  peinture. 

Les  novateurs  florentins  se  sont  donc  éloignés  de  Rome  avec  le 
même  empressement  que  d'autres  mettent  à  s'en  rapprocher;  b 
dégradation  qui  afflige  l'art  de  la  peinture  dans  cette  ville,  où  jadis 
il  était  si  florissant,  pourrait  seule  leur  servir  d'excuse.  Cette  dégra-^ 
dation  est  inimaginable,  et  l'on  ne  peut  s'eû  former  une  juste  idée 
qu'en  parcourant  les  salles  nouvelles  du  Vatican,  en  voyant  à  quels 
hommes  il  a  été  donné  de  continuer  l'œuvre  de  Raphaël.  Les  salles 
de  la  bibliothèque  sont  le  monument  le  plus  curieux  de  ce  genre. 

Ces  salles  sont  décorées  d'arabesques,  et  de  peintures  à  fresque 
représentant  les  principaux  évènemens  qf  i  ont  signalé  la  vie  si  agitée 
du  pape  Pie  VU.  Le  sujet,  comme  on  voit,  ne  manquait  ni  d'intérêt 
ni  de  grandeur;  l'artiste  chargé  de  ce  travail  n*a  trouvé  là  qu'une 
occasion  de  couvrir  les  murailles  d'une  suite  de  ridicules  compo- 
sitions bonnes  tout  au  plus  à  servir  d'enseignes  au  spectacle  de  Cas- 
sandrino.  Ordonnance,  dessin,  coloris,  tout  est  à  l'avenant,  et  les 
allures  de  ces  petits  personnages  d'un  pied  ou  deux  de  haut  soât 
tellement  comiques,  qu'il  est  impossible  de  ne  pas  éclater  de  rire 
devant  les  scènes  les  plus  sérieuses  d'un  drame  où  un  pape  joue  le 
premier  rôle.  Le  très  faible  plafond  de  Raphaël  Mengs,  qui  orne  une 
de  ces  salles,  gagne  tellement  à  ce  voisinage,  qu'on  le  prendrait  pour 
an  chef-d'œuvre. 

Les  fréquisntes  expositions  de  peintures  modernes  qui  ont  eu  lieu 
dans  cette  métropole  des  arts  offrent  un  spectacle  d'un  autre  genre, 
mais  non  moins  singulier.  L'hiver  dernier,  par  exemple,  nous  vîmes 
à  la  porte  du  Peuple  l'une  de  ces  expositions  payantes,  au  profit. 


LA  PBINTURB  BT  LA  SCULPFUSB  BN  ITALIE.  9M 

des  indigens  de  la  ?ille.  Rosses,  Saxons,  Suédois,  Anglais,  Suisses, 
Prussiens,  Hongrois,  Italiens,  s'étaient  empressés  d'y  envoyer  leurs 
ouvrages,  et,  disons-le  en  passant,  parmi  ces  tableaux  venus  eii 
quelque  sorte  des  quatre  coins  de  TEurope,  il  eût  fallu  chercher 
long-temps  pour  trouver,  je  ne  dirais  pas  un  chef-d'œuvre,  mais  une 
œuvre  supportable.  Quant  aux  Romains,  on  ne  se  figurerait  jamais 
par  qui  ils  étaient  représentés  dans  ce  congrès  de  tous  les  peuples  : 
par  deux  ou  trois.mauvais  peintres  de  paysage  et  d'intérieur,  et  par 
trois  femmes  qui  font  des  copies  sur  porcelaine,  d'après  Raphaël  et 
le  Corrège  (1).  MM.  Camuccini  et  Agricola  ne  laisseront  donc  pas 
d'héritiers. 

M.  Camuccini  jouit  toujours  à  Rome  de  la  même  célébrité  que 
M»  ^nvenuti  à  Florence;  c'est  le  Raphaël  du  siècle,  disent  ses  conci- 
toyens ;  nous  le  nommerions ,  nous ,  le  David  de  l'Italie.  H.  Camuc- 
cini n'a  été  en  effet  que  la  doublure  affaiblie  du  peintre  de  Brutus 
et  des  Horacesy  dont  il  a  naturalisé  l'école  par-delà  les  Alpes.  En 
France,  il  se  serait  placé  naturellement  à  la  suite  des  Guérin ,  des 
Lethiere,  des  Meynier  et  des  Menjaud  ;  à  Rome,  par  ce  temps  de 
décadence  et  de  pauvretés,  il  s'est  trouvé  au  premier  rang.  H.  Camuc- 
cini n'est,  à  proprement  parler,  qu'un  artiste  habile  qui  travaille 
raisonnablement  ses  ouvrages  et  vivement  ses  succès,  et  qui  a  eu 
autant  de  savoir-faire  dans  ses  salons  que  dans  son  atelier.  M.  Ca*- 
muccini  est  l'analogue  de  notre  Gérard;  homme  de  goût  avant  tout, 
si  son  talent  a  paru  contestable,  les  grâces  de  son  esprit  et  le  charme 
de  ses  manières  l'ont  fait  ranger  au  nombre  des  plus  aimables  Ro- 
mains. Un  honune  d'esprit ,  doué  d'une  certaine  dose  de  talent ,  passe 
passe  aisément  auprès  du  vulgaire  pour  un  homme  de  génie;  il  n'est 

(1)  Voici  la  curieuse  statistique  de  celte  exposition  :  quinze  on  vingt  Allemands, 
Saxons,  Suédois,  Prussiens,  Suisses  ou  Hongrois,  parmi  lesquels  le  portraitiste  sué- 
dois Sodermali ,  Taquarelliste  Blayer  et  F  Allemand  Schubert ,  auteur  du  Bon  Riche, 
méritentseuls  une  mention  particulière;  troisAnglais;  un  Français  inconnu,  les  artistes 
français  de  quelque  valeur  qui  habitent  Rome  8*étanl  abstenus;  une  vingtaine  d*Itt- 
liens  des  provinces,  Piémontais,  Padonans,  Toscans,  Bolonais,  Génois  et  Napolitains, 
imitant  les  peintres  de  genre  Léopold  Robert  et  Horace  Vemet,  les  peintres  de  por- 
trait Kinson  ou  Dubufe,  les  peintres  de  paysage  Gaspard  Poussin  oti  Claude  Lorrain , 
le  plus  grand  nombre  dénués  de  toute  valeur  et  n*imitant  personne;  enfin,  les  Ro- 
mains Facetti  et  Castelli,  qui  en  sont  encore  à  pasticher  Michallon;  Porcelli,  qui 
voudrait  imiter  Granet ,  et  M"**  Clelia  Valeri ,  Bianca  Festa  el  EoricbelU  Narducci , 
qui  toutes  trois  font  des  copies  sur  porcelaine.  Je  demandai  pourquoi  les  peintres 
il^histoire  romains  n*avaienl  rien  envoyé  k  celte  exposition.  —  «  Par  une  raison  bien 
simple,  me  répondit-on;  c*est  qu*il  n*y  a  pas  de  peintres  d*histoire  à  Rome.  LandI 
^t  Camuccini  ont  entetré  It  synagogue.  » 

TOMB  XXIII.  17 


doBGpBSMriNrwaiii  qneîleS'noiQbreiu  «nrisde'M.  <2ainiio6ini  l*aimt 
.pfoclanéle.iirfmier  dasipoiotMS'de  Tépoque.  A  Mtie  avi»,  MMe 
lépoiaiîoQ  est  'quelque  pea^usurpée. 

M.  CannacdM,.pvatîeieo«xOToé,  dessinateurpréois,  et  quieatewl 
é  merveille  la»ptrtte-tnalérielle  de  4*art,  a  débuté  par  faire  d'exee^ 
leetea  eepiea  des  fiaada  maîtres <ie  réoole  romaine.  On  cite  de  M» 
daM  œ  geore^  un  vérilable  tour  de  force.  La  fauieose  DépoêHkm  de 
croix  de  If îcbel^nge  de  Caravage  éif  it  au  nombre  des  taUeaox  que 
laTÎetoire  afaitais  entre  les  maws  des  Français  et  allait  être  envoyée 
à  Paris.  M.  Camuccini  en  fit  la  copie  en  vingt«aept  jours,  et  oeUe 
copie,  d'une  fort  belle  eiécutîon,  rappelait  d*une  manière  frappante 
l'énergique  grandeur  et  l'expression  passionnée  de  l'original.  M.  Ca- 
muccini reproduisit  avec  un  égal  bonheur  plusieurs  des  tableanx  les 
plus  renommés  de  Kaphaël  ;  mais  lorsqu'il  puisa  dans  son  propre  fonds, 
il^fut  moins  heureux,  et  ses  grandes  compositions,  si  vantées,  sontde 
très  médiocres  ouvrages.  La  Mari  de  César,  la  Mort  de  Virginie^  Cor- 
mlie,  mère  des  GraequsSj  le  Banquet  des  dieux  au  palais  Torlonia,  et 
sept  ou  huit  autres  grandes  po^  de-plusieurs  centaines  de  pieds  car- 
rés, nous  reportent,  pour  la  manière  et  le  choix  des  sujets,  attxbeasx 
temps  de  l'école  de  David.  La  Mon  de  César  est  le  meilleur  de  ces 
tableaux ,  que  ^  Brulus  condamnant  sesfils^  de  Lethiere,  semble  avoir 
tous  inspirés.  L'exactitude  historique  esta  peu  près  le  seul  mérite  de 
cette  composition  dont  l'ordonnance  est  trop  compassée.  Aien  déplus 
froid  en  effet  que  ce  groupe  des  conjurés  à  l'œuvre;  rien  -de  moins 
naturel  que  cette  figure  de  César  qui  tombe  en  étendant  les  bras,  fie 
sont  des  acteurs  qui  répètent  leur  rôle  derrière  la  rampe  d'un  théâtre, 
et  l'on  s'attend  à  ce  que  tout  à  l'heure  de  pompeux  alexandrins  sor- 
tiront de  leur  bouche.  Le  seul  de  ces  personnages  qui  laisse  un  sou- 
venir, c'est  le  faible  Cicéron,  ce  type  de  l'irrésolution  politique; 
tandis  qu'on  frappe  le  dictateur,  il  reste  assis  dans  sa  chaise  curule, 
n'osant  s'opposer  ni  du  geste  ni  de  la  voix  à  un  assassinat  qu'il  dé- 
plore et  dont  il  calcule  déjà  toutes  les  conséquences ,  mais  surtont 
les  conséquences  qui  peuvent  le  toucher. 

La  Mort  de  Virginie ,  Comèlîe  ^  mère  desGraequeSy  la  Continente 
de  Scipion,  le  Banquet  des  Dieux ^  sont  de  ces  œuvres  d'une  médio- 
crité transcendante  dans  lesquelles  on  trouve  peu  à  reprendre  et 
encore  moins  à  louer.  Ce  sont  des  scènes  des  tragédies  de  Campistron 
BU  de  La  Harpe  transportées  sur  la  toile.  L'ordonnance  est  eduTe- 
nable,  le  dessin  correct,  l'exéetition  Irréprochable;  il  n'y  manquie 
qu'une  seule  chose  :  la  vie  que  le  génie  seul  peut  donner. 


LA  PEiimjM  n  ik  mnMwm  m  itaub.  M» 

M.  Agpicoto  t  Tuft  dea  6lè»#ft  de  c»  itou  et  faoUnfB»  BiÉtoit,  mm 
dffiMit  des  kçDM  dja  goâl  a«  «ai^iwli  de  •enws,  el  ftiiftl  Imt  do 
bnûU  ftoiDe  vers.  1^ fiji  du  derptot  aiiaK 4 été  le  wôdmtamféào 
M,  GamofieittL  liL  Afprieele  a  e«iMMiQ4,  #MMit  sm  nailne,  pav 
peindre  des^porliraitoii  |Miis  H  se  miâ  sasmvMl  à  la  iiBtIe  éi  RephaH 
e(  d'^^adi^  del  Sai)tp^  ^  se  81  le  paiatw  des  iMdairafl^dM 
C^TieEges^  de  M»  Agrieola,  sooiL  bMOflMp  tnopî  neudaines,;  ee  seat 
d»  t^rtestnes  et  ooqiaetlea  beaiité»  dw»  teftjfteMeB  it  tf  ert  ya»^  pefttifcf  e 
d^i^ouiieptoœèeed*un  ];)jie«failitf>aw«.M.A9  kapfcaël* 

pekrtre  des  «adonnes  de  Fetigon  tl^BaMai(Qλ,  o# <pa  V.  CaafMie- 
einaa»  à  Raphaël,  peintre  do  ekAtinaot  d'Héliadiirev  d*AMik  o« 
de  b  bataiUe  de  ConataiiAiii  eoakier  MiMMe^  C'mI  w  iobe-SaîMeel 
d^uroé  qni  ee  répèle  (|ii*iiii  aaot  d'«ft  diacQMBft> 

A  MUan,  à  Veotoe,  à  Ftoreage  et  à  Beeie,  j^'ai  ooeseMé  beameeiif 
d'homioea  de  gaâi  aii  sujet  de  celle  piefbode  éjc^tjMffù  de^  l' arU  Les 
Milaiiais  me  répiRidaieat  :  Ceameat  v^teft-vous  yie,  sms-  lie  gou- 
vermmeat  de  proGoasuls  avares  B[iétiiedMpie»el  fiatda«  les  ar^^Gis-* 
sent  aueui^  pregris?  Les  gens  qui  lésitteat  sur  tout,  ^  font  «eu» 
de  Vienne  leurs  épingles  et  leurs  liafttoefl  d'habita,  «ImI  guère  de 
ûmm  4  d^enser  peur  aieheter  des^  taUeaux.  —  Lfb  peinture,  c'est 
du  superOtt,  me  dl^it  ui>  Vénitien ,  el  c*est  toirt  m  fhm  ù  nos 
faaûHes  nobles  ont  le  néeesasioe.  Ln  grandie  affaire  pour  elles,  e'est 
de  ne  pi^  owiffir  de  CaioB ,  d'enq»ècber  teursr  pninia  de  s^éemuler 
dans  les  eaunux;  les  maçons  el  les  boulangera  euHMivient  la  meU- 
leure  partie  de  leurs  revenus.  —  Reodes^^BMiua  la  lîherlé  et  les  pa»- 
sious  fartes,  et  nous  aurons  eneore  4»  gramb  astiatoa>  voue  disent 
les  Bolonais.  —  Que  nos  grand»  seignem^  et  non  baocfuiurs  soient 
moins  avares,  et  nos  aeadémiaens  aioins  intoléransr;  qu'ils  fassent 
un  plus  noUe  usage  de  leur  amour-propre  et  de  leur  aeienoe;  qœ 
les  una  préfèrent  les  jouissances  de  Tespant  et  du  goAl  à  la  satisfao- 
tîoD  de  pamUre;  que  les  autres  ouvrent  la  porte  un  peu  plus  grande 
à  rkntelligence,  et  vous  verrez  renaître  une  noufeHe  génératiM  de 
peiirtres  de  génie,  vous  répètent  les  Florentins.  Les  Romains  accu- 
sent leur  gouvernement  égoïste  et  leur  pauvreté;  les  Napolitains,  le 
matérialisme  des  gens  riches  et  la  trop  grande  vivacité  ialeUeduelle 
de  leurs  artistes,  qui  exakt  la  patience,  vertu  sans  laquelle  le  génie 
n0  peut  prendre  son  entier  déveton^emenl.  A  louÉes  ces  causes  de 
misère  et  de  stérilité,  il  faut  en  qauter  d'autres  qui  les  dominent  et 
qqi  ne  sont  pas  moins  réeHes,  l'espèce  de  décadence  naorale  des 
divers  peuples  italiens^  leur  prostration  chaque  Jour  croissant ,  et  hi 

17. 


perle  de  leurKbeirté.  -^  Si  ndttâ  ii^*voM  (fta^  de'  grands  peintres, 
disent  tristement  quelques  ftmsietirs  fatalistes,  €*est  que  ce  n'est 
ptos la saiion.  ^Ce  tnottésutnè tont^et^en le  prodonçbnt,  tmiM 
qu'ils  comptent  sar 'l*8(ve«ir,  €it  q«*lls  est)èrefrt  que  la  saison  re?iendhî. 

Les  artistes  qa'^R  amodr-propre  ridicule  n^aveuglepas,  et  qèl, 
pour  avoir  couvert  quelques  pieds  carrés  de  toite,  ne  se  croient  phs 
ëes  Micliel-Ange  ou  éeê  Rfapliaël ,  sont  presque  tous  du  mèitie  avis;  ils 
avouent  firancliement  leur  infériorité,  ^  Ils  l'attribuent  tout  naturel- 
lement au  manque  d'emploi  de  leur  talent.  —  On  n*ahne  plus  la 
peinture,  disent-Hs;  fiiut^H  faire  tant  d'efforts  pour  contehter'des  fn- 
différens? — La  désespérante  supériorité  de  ceux  ^ui  les  ont  précédés 
dans  la  carrière,  la  comparaison  écrasante  des  chefs-d'œuvre  consa- 
crés qui  remplissent  leurs  galeries,  les  jettent  aussi  dans  une  sorte  de 
découragement  atonique  qui  tend  encore  à  accroître  cette  paresse 
naturelle  aux  peuples  méridionaux.  L'entraînement  du  climat,  la  trop 
grande  facilité  de  la  vie,  qui  ne  leur  permet  pas  de  connaître  le  prix 
du  temps,  le  manque  absolu  d'émulation ,  le  défaut  d'amour  pour 
leur  art ,  qui  pour  eux  n'est  plus  qu'un  misérable  gagne-pain ,  con- 
damnent bientôt  à  la  médiocrité  ceux  qu'un  premier  succès,  un 
accident  heureux  avait  un  moment  fait  sortir  de  ligne;  ils  songent 
moins  à  se  satisfaire  qu'à  plaire  à  la  foule,  dont  ils  étudient  les  ca- 
prices et  les  grossiers  instincts.  Si  chaque  jour  l'art  de  la  peinture 
dégénère  et  se  corrompt,  si  l'indifférence  des  gens  riches  et  puis- 
sans ,  si  le  mépris  des  gens  de  goût  ont  pris  la  place  des  enconrage- 
mens  et  des  éloges  d'autrefois,  les  artistes  doivent  s'en  prendre 
plutôt  à  eux-mêmes  qu'au  système  de  gouvernement  et  ati  plUs  ou 
moins  de  libéralité  et  de  goût  de  leurs  patrons.  Leur  art ,  qu'ils  n'ai*- 
ment  pas,  les  trahit;  le  public,  qu'ils  méprisent,  les  abandonne. 

Ce  qui  vient  à  l'appui  de  ces  considérations,  c'est  quefltatie,  qui 
n'a  plus  de  peintres,  a  encore  des  architectes  et  des  statuaires; 
ceux-ci  ont  pris  leur  art  au  sérieux  et  l'ont  aimé  avec  passion  ;  l'art  a 
répondu  à  leurs  avances  et  leur  a  été  fidèle.  Ces  architectes  et  ces 
statuaires  sont  de  beaucoup  supérieurs  aux  peintres,  et  parmi  les 
statuaires  il  est  des  hommes  d'un  rare  talent,  nous  dirions  presque 
des  hommes  de  génie. 

Si  nous  nous  occupons  d'abord  des  architectes,  nous  conviendrons 
que  les  hommes  qui  ont  bâti  les  théâtres  de  Gènes  et  de  Naples,  qui 
ont  achevé  le  dôme  de  Milan ,  restauré  la  cathédrale  de  Pise,  et  qui 
à  Rome  relèvent  de  ses  mines  l'église  de  Saint-Paul-hor^es-Murs, 
satisfont  à  certaines  conditions  de  Tart.  Ils  ne  manquent  ni  de  fécon- 


LA  PBINTUiUH/EV  |A«  ^CULffTWffr  W  ITALIE.  M( 

dite,  ni  de  scieace;,  la.GOQDiv0Wi^approf(mdie  des  ii9S9oaroeB  et  de^ 
secrets  du  métier  Jeur.  ^a  été  tnioam96'tra4iUonQelleiiientvet  cepen- 
dant ce  sont  plutôt  des  ouvriers «saYAfis.<p]e.  des  génies  supérieur^. 
$*ils  plaisant,  c*es|t  b>oîos  A  lasuUmité  4e  leorsi cooceptiMS  qu'à 
d'jûdgéQieuses  coiobioBisoQs.et  i  d'hfsurevx  leurs  d'adresse  qu'il  faut 
attribuer  leur  succès* . 

Prenons  pour  exemple  la  restauratioA  ou  plutôt  la  reconstructîoH 
de  Saint-Pai4-horsHies-Muffs  :  cîest  TouTrage  capital  du  moment. 

On  sait  qjue  cette  vieîUe  basUique,^  dont  Constantin  avait  jeté  les 
f9ndemens  et  qu*Sonorius  avait  achevée,  fut  détruite  par.  un  incen«- 
die,  le  25  juillet  1823,  la  veille  de  la  mort  du  pape  Pie  VII.  Cent 
trente-deiox  colonxies  soutenaient,  non  pas  la  voAte,  mais  la  char- 
pente de  cèdre  qui  portait  le  toit  de  Téglise.  Quatre  rangées  de  vingt 
colonnes  chacune  divisaient  la  basilique  en  cinq  nefs;  les  quarante 
colonnes  de  la  nef  centrale  étaient  les  plus  précieuses.  Vingt-quatre 
de  ces  colonnes  provenaient  du  mausolée  d'Adrien ,  aujourd'hui  châ- 
teau Saint-Ange;  chacune  d'elles  était  formée  d'un  seul  bloc  de 
marbre  violet  d'Afrique.  Le  malheur  a  voulu  que  la  charpente  en«- 
flammée  de  la  toiture,  en  s'abîmant ,  ait  justement  rempli  cette  aef 
du  milieu  et  une  partie  des  nefs  latérales.  L'ardeur  d'un  pareil  foyer 
calcina  et  fit  éclater  ces  belles  colonnes.  Celles  qui  décoraient  les 
nefs  latérales  soufrrirent  également;  la  plupart,  quoique  fendues  du 
haut  en  bas,  étaient  restées  debout  comme  par  miracle;  l'église 
ne  présentait  plus  qu'une  masse  de  ruines,  mais  l'ensemble  de  ces 
ruines  était  des  plus  imposans.  On  eût  pu  déblayer  l'édifice  des 
cendres  et  des  débrjs  de  charpente  qui  l'encombraient,  laisser  de- 
bout ces  colonnes  à  demi  rendues  à  travers  lesquelles  on  entre- 
voyait des  pans  de  murs  démantelés  et  toute  la  tribune  revêtue 
de  mosaïques  gigantesques  que  l'incendie  avait  respectées.  On  aurait 
eu  ainsi  une  ruiue  chrétienne  de  l'effet  le  plus  sévère  et  le  plus 
grandiose,  une  digne  rivale  des  ruines  païennes  de  la  vieille  Rome; 
on  a  mieux  aimé  tout  abattre  pour  tout  reconstruire,  la  tribune  seule 
est  restée  dans  son  état  primitif.  Cette  réédification  d'une  église 
tout-à-fait  inutile  et  située  dans  une  plaine  empestée  par  le  mau- 
vais air  n'est  pas  heureuse  (1).  Les  vénérables  mosaïques  de  la 
tribune  (elles  dataient  de  A40] ,  légèrement  altérées  par  la  flamme, 
ont  été  remises  entièrement  à  neuf,  et  ont  pris  une  fraîcheur  et  une 

(I)  Pendam  rété,  oo  n'y  laisse  qu'un  seul  molaepour  gardien;  cet  homme  conv- 
munie  et  se  ponfc^sse  cofone  on  condamiié  à  mort.  Aaremeot  il  passe  la  saison. 


sqrtA  40  nwm  wwJBmeg^oiijinuoiiit'sarifrpaar  dâtraiM  r«iickfMi^ 
haffiW!mî«  4»  k'édiSoâ  ^  pour  lok  6lif  cttli  phyaioDMMe  aistàieel 
eMtîrane  qui  te  dfelbigttaît  hw  oeol  tieole^'dMi  c^kMMiM  éi 
loaière  Miliqw  «ont  sem^oé^ft  par  aalant  dt  eolovBe»  de^^MMiit  de 
l^mbardie.  €iiiVM»te  ou  soimile  di9  ceacolMOM  M»t  déjà  ddfconat» 
entre  autres  les  colonnes  maîtresses  à  cbapHeaax  diarkiues  de  ta  «ef 
ce«ti»te.  Ges^oirioanaaoixapent  Jl  esl  f  rat,  la  place  desb^^ 
de  l'ancicone  hasîlwpie,  «Mis  eHes  le  lesfomplacsiil  paa.  L#fÉI,  d^m 
gmUe^âtreetpoUd^la  vieille,  lescbaptlea«xean(MM!breMaiie,d^iMi 
trauaU  a»  peu  see,  u'auront  ni  r^léga^ce,  ni  la  légèaelé,  ni  le  M 
des  fBaebnes  antiques  ;  noua  doutotts  iDèaae  que  teurs  proportioos 
soifQt  parféiteroeDl  semblables,  et  pearlaul  ckacuBe  de  ees  eotouues 
ca4te  des  aoovMs  éwmBes.  Les  voàtes  e»  pleki  cinipe  qu'elles  sup> 
peiïlesiit  swt  coastruites  de  grands  Uoos  de  marbre  blanc,  comme 
dans  ranoîeiiédiikoe.  Ces  voAtea,  CMiraol  de  chapiteaux  en  chapiteaux, 
étatoot  une  twwitvatieft  dans  les  premiers  tenaps  du  christianisme  od 
c^le  basilique  fM  construite,  et  sans  doute  une  innovation  rdi- 
gie«sa.  Vblto  cenaptaçait  la  ligne  droite  de  TentaUement  des  temples 
gnx»  ;  c'était  un  premier  acheminemenl  vers  Vogive.  Lorsque  rou 
déèatitt  deTunA  le  pape  Léon  XII  le  projet  de  reeoustruction  de  la  ba- 
silique, il  fut  question  de  remplacer  ees  arcs  par  un  entabtement  fwt 
simple ,  qui  eât  été  moins  dispendieux  ;  mais  les  architectes  tinrent 
boD ,  et  ils  eurent  raison. 

PoiBX|UOt  n^nsMls  pa»  nMmitFé  une  égale  (èmeté  lorsqu'on  a  ré- 
solu de  f eeouvrir«  par  des  plafoncfe  omés  de  rosaces  et  de  dorure», 
les  cinq  neis  de  la  hasiliquieV  8i  Ton  vamlait  absohimefit  masquer  la 
nudité  des  énormes  poutres  qui  supportaient  la  toiture ,  et  qiri  doD« 
naient  à  raueîen  édifice  quelque  chose  de  si  austère  et  de  si  reli- 
gieinement  sodpri>re ,  pourquoi  u\ml-ils  pas  insisté  pour  que  ces  pla- 
fouds  fussent  routés?  Ces  lambris  tout  plats ,  omés  de  rosace»  et  de 
caissons  dorés ,  diminueront  singulièrement  la  grandeur  de  l'édifice 
et  \m  donueront  Taspeot  coquet  et  mondain  des  églises  des  Jésuites 
et  de  âamte-Marie^Majeure  ;  on  peut  déjà  juger  de  cet  effet  parle 
plafond  de  la  tribune,  qui  est  achevé.  Cette  fiiute  est  capitale ,  un 
architecte  de  génie  ne  l'eAt  pas  commise;  un  architecte  de  génie 
n*eàt  pas,  du  reste,  voulu  copier  un  monument;  il  en  eût  construit 
un  autre  d'après  ses  plans. 

Il  n'est  pas  moins  vrai  que  cette  église  moitié  ruine,  moitié  neuve, 
est  aiûouid'bui  l'uii  des  mounmeiis  les  plus  curieux  de  Tltatie. 
Conuueeo  travaille  ieî  de  tradition,  et  que  la  partie  technique  de 


LA  PEiHwmm^sMk  âçmfWÊm^oi  italie.  mt 

Vêitty^fi&ws^nwyêmây^n  un  iMl.r8oat4w^aaAincsipi'4l,7«  Imîs^ tiè- 
de», OA.peat  te  figu^r  qu'on  Mdsle  à  la^ofiraelteade  qoelqii/iiDe 
ée  ce»iiiagfiiQqtteségKsesde'RoDid,  da^auiUPierie^  i^kuh-Cmlli,^u 
•deâaûit-46an<'4e*i*Lair«n*  Voioi^  ee  €ô4é  les  afteUere  des  chavpaii- 
Uetè  et  des  memiiBwrs  oà  Von  InifaâUe  les  éBomes  piMiires  de 
sapin  401  doiveoi  soutenir  la  toitore  «t  tes  kois  sculptés  des  plafonds; 
sow  ees  'baugards,  les  iinouteun  et  las  marbriers  «soot  à  Touvnige; 
dans  Ton,  en  scie  les  marbres  et  les  granits  échappés  au  feu,  on 
sépare  les  {parties  calcinées  et  cariées  des  parties  saines  qui  servi- 
ront à  lambrisser  les  autels  ou  i  orner  les  murailles  de  pilastres 
et  de  colonnettes;  dans  itn  autre,  on  polit  les  marbres  sciés  ou  les 
colonnes  nouvellement  débarquées  :  ces  colonnes -de  granit  d'un  seul 
morceau  sont  extraites  des  carrières  de  Baveno  sur  le  lac  Mqeur, 
non  loin  des  lies  Borromées.  Du  lac,  elles  passent  sur  le  Naviglio- 
Grande,  et  du  Naviglio-Grande  dans  l'Adriatique;  elles  font  ensuite 
le  tour  de  l'Italie  méridionale,  et  remontent  le  Tibre,  sur  les  rives 
duquel  on  les  débarque  à  deux  cents  pas  de  l'église  en  construction. 
Ces  colonnes,  revêtues  de  cordes  pour  éviter  les  avaries  et  transpor- 
tées sur  des  rouleaux ,  renftpNssent  des  faangards  où  l'on  s'occupe  à 
les  polir.  U  faut  près  de  trois  mois  pour  polir  une  seule  colonne,  et 
malheureusement,  comme  nous  l'avons  dit  tout  à  l'heure,  le  ton  de 
ces  granits  est  d'un  gris*bleu  un  peu  cru  que  le  vernis  du  temps 
pourra  seul  adoucir. 

L'atelier  des  sculpteurs  n'est  pas  le  moins  curieux  ;  on  7  termine 
plusieurs  colosses  en  marbre  blanc  de  vingt-cinq  à  trente  pieds  de 
haut,  et  qui  n'ont  guère  que  le  mérite  de  la  masse.  Là  nous  avons 
été  témoins  d'un  spectacle  tout-à^t'ait  propre  à  l'Italie  :  des  galériens 
tfavaillaient  le  marbre  sous  la  direction  d'un  maitre  sculpteur,  et  le 
travaillaient  avec  talent;  mais  néanmoins  ce  n'était  là  que  de  la  sculp- 
ture de  décoration.  Le  gouvernement  romain  ne  peut  entreprendre 
de  si  grands  travaux  qu'en  embrigadant  un  grand  nombre  de  ces 
forçats  avec  les  autres  ouvriers,  qui  les  accueillent  sans  répugnance. 
Grâce  à  ce  concours,  le  prix  de  la  main*d'oMivre  devient  presque  nul. 
Lors  de  ma  visite  à  Saint-PauNhors-des^Murs,  il  y  a  quelques  mois, 
trois  cents  ouvriers  environ  y  étaient  employés,  et  cependant  cette 
restauration ,  commencée  il  y  a  quinze  ans,  marche  fort  lentement; 
avant  d*ètre  achevée,  cette  église  aura  vu  passer  bien  des  papes. 

Quelqu'imparfaits  que  soient  ces  travaux ,  ils  ne  sont  possibles 
qu'en  Italie,  et  peut-être  à  Rome  seulement,  parce  qu'à  Rome  seu- 
lement ils  peuvent  être  en  quelque  sorte  exécutés  gratuitement.  Ces 


et^Mies,  en  <efrèt,^soiit  données  par  iin  souverain  (1) ,  ces  marbres 
par  «n  antre.  Gens  quine  peuVetit  'faire  don  de  inatériamx  s!  prè- 
oieux^ootrîlHieQtparAesienvoiS'd^évgént;  de  sorte  que  cetédiQce, 
qui;,  achevé,  repréëenterai  petit L^fttre  une  valeur  de  près  de  trente 
mitticms,  iiTen  aura > pas  eOfitécAfi^ M  ^otiitemement  romain,  et  ces 
etoq  iittHions,<N  aàra  mis^ciniq^nte  ans  à  les  dépenser:  Ajoutons  en- 
ewequron  ne  ti^ome^qo^à  R^me  des  forçats  qui  sachent  travailler  le 
marbre,  et  des  sculpteurs  etdesarobitebtesqui  veufHenthfeh  employer 
ces  forçats,  «!  vitre  en  quelque  sorte  fraternellement  avec  eux.  Re- 
marquons enfin  que  par-delà  les  Alpes  seulement  on  est  encore  assez 
artiste  pour  faire  une  splendide  folie  de  ce  genre ,  et  pt'éférer  les 
plaisirs  du  goût  au  raisonnable  et  à  Futile. 

En  Italie,  on  est  architecte  par  tradition ,  et  c'est  aussi  diaprés  cer- 
taines règles  traditionnelles  qu'on  y  taille  le  marbre.  Comparés  aux 
chapiteaux  des  colonnes  antiques,  les  chapiteaux  des  modernes  co- 
lonnes de  Saint-Paul'hors-des-Murs  paraissent  secs  ;  les  arêtes  en 
sont  aigres  et  dures,  et  l'ensemble  des  omemens  manque  de  moelleux 
et  de  largeur.  Comparés  aux  ouvrages  de  nos  marbriers,  ces  chapi- 
teaux seraient  des  chefs-d'œuvre,  et  l'exécution  en  paraîtrait  savante 
et  irréprochable.  Plus  heureux  que  les  peintres  qui  paraissent  avoir 
oublié  jusqu'aux  procédés  matériels  de  l'art ,  et  dont  la  touche  est 
aussi  pauvre  et  le  coloris  aussi  terne  que  l'imagination  est  stérile  et 
la  conception  misérable ,  les  statuaires  et  les  sculpteurs  italiens  ont 
du  nK)ins  gardé  la  main;  ils  modèlent  le  marbre  comme  d'autres  la 
cire  et  l'argile. 

Cette  habileté  pratique,  cette  adresse  à  taîtler  lé  marbre  à  trompé 
beaucoup  d'ouvriers  de  talent  qui ,  du  moment  qu'ils  saVaiéïît  copier 
une  statue,  se  croyaient  statuaires.  Ceè  copistes,  fussent-ils  excellens, 
eussent-ils  même  égalé  l'original ,  tf  ont  droit  qu'à  une  place  tout- 
à»fait  secondaire. — Tout  homme  qui  en  suit  un  autre  né  peut  passer 
devant,  disait  Michel-Ange  à  Baccio  Bandinelli,  ce  présomptueux 
copiste  du  Laocoon ,  qui  se  posait  comme  son  rival. 

Mîchel^Ange,  esprit  supérieur  et  caustique,  s'amusa  plus  d'une 
fols  des  prétentions  de  ces  habiles  tailleurs  de  marbre.  Un  jour, 


(1)  l\  n'est  pas  jua|[|u>|iébémetrAU,  pacha  d^Égnta,  ^i  ii*aii  vopihi  eoDtrikncr 
pour  sa  part  à  la  réédificalion  de  la  basilique  chrétienne;  le^  d^ri^ièi>es  i)ovvel)ei0  de 
Rome  noiis  apprennent  que  le  pacha  vient  de  faire  présent  au  pape  de  quatre  belles 
calotttôsite'tttirbre  ttlaae  é^plten,  destinées  k Tun  destiàtéfs  de'Sàttit-Paul-hors- 


LA  PEINTIJl)A,^(VLAi9QlIiraDU.Bl|  FTAUE.  869 

taïuUs  qu'il  tra?aiUaît  aatombaaq  dv.pape  Inlas  H;  il  enteiidît  «es 
oavrters  qui  se  inoqpaient  ,d-ttn  de  lf»i]p  'O^mpaeDoiis.  Cekd-Hsi.^n 
achevant  d'éqoarrii:  unbloQ  4e.iviarlKie.  Abto«t  satisfait  de  la  fadiilé 
avec  laquelle  il  eo  faisait  volei;  les*  éclats  4  ipréteMlait  qu'avec  un  peu 
de  patiepce  il  serait  tout  .aqss^  gcajuA  soulpteur  qu'^tni  autre  <  que  île 
seigneur  Buon^rotti  p.eutHHre.*  QmhiiiQSHms  de  ses  camarades 
riaient  de  ses  prétentions^  d'autr/ss  s'^n Jndigoaîeot  «  regardaot  ses 
paroles  comme  autant  de  blaspbèipes* . 

«  Cet  honome  a  raison»  dit  Micbel-AJDgfi .  d'un  air  fart  grave,  en 
s'approchât  de  l'ouvrier  :  je  reconnais  à;  sa  maniera  de  tailler  le 
marbre  »  qu'il  peut  être  aussi  habile  statuaire  que  moi  ;  il  a  besoin 
seulement  de  quelques  conseils ,  et  je  vais  les  lui  donner.  » 

En  effet,  tout  en  remontant  sur  ses  écbafauds  et  en  se  remettant 
à  l'ouvrage,  il  crie  à  l'ouvrier  d'enlever  tel  nHNrceau  du  bloc  de  marbre 
quHI  a  entre  les  mains,  de  pousser  de  ce  cAté  le  ciseau  à  telle  profon* 
deur,  d'arrondir  et  de  creuser  telle  partie,  de  laisser  teUe  autre  sail^ 
lante.  L'ouvrier  fut  conseillé  ainsi  tout  le  jour,  et  le  soir,  il  arriva 
que  notre  manœuvre  avait  achevé  une  très  belle  ébauche. 

a  Eh  bien!  vous  voyez  que  cet  homme  avait  raison,  dit  liiobel«- 
Ange  à  ses  ouvriers  émerveillés  :  quelques  indications  ont  sufB  pour 
développer  son  talent  naturel;  maintenant,  il  peut  Caire  son  oh^ 
min.  x>  L'ouvrier  se  jeta  aux  pieds  du  mattre ,  en  s'écriant  :  a  Quelles 
obligations  ne  vous  ai-je  pas!  me  voilà  donc  sculpteur I  s»  Le  lende^ 
main ,  il  essaja  de  travailler  seul ,  et  il  fut  bien  surpris  de  voir  qu'il 
était  resté  tailleur  de  pierre  comme  auparavant. 

En  Italie ,  de  nos ,  jwrs,  b^ueoup  de  ces  tailleurs  de  marbre  qui 
se  çroiçnt, de  grands  sculpt^ur^i,  n'pnt  pas  même  reçu  les  conseils 
d'ui^jbomqfç^o  g^ie;.ceux  qui  sortent  de  ligne  et  qui,  à  tort  ou  à 
raison ,  paraissent  plus  sûrs  de  leur  fait,  ont  étudié  sous  Tborwaldsen 
ou  Canova«  qui^  l'un  et  l'autre,  ont  fait  école,  mais  qui«  en  général, 
n'ont  laissé  que  de  médiocres  élèves.  L'école  de  Ganova  cherche  le 
gracieux,  celle  de  Tborwaldsen  l'énergie.  Pompeo  Mardiesi  à  Milan  « 
Bartolini  à  Florence  et  Tenerani  à  Rome,  sont  les  héritiers  les  filns 
directs  du  talent  de  ces  deux  premiers  sculpteurs  de  l'épo^me^  Rnelli^ 
l'auteur  d'un  fort  joli  groupe  de  V Amour  et  de  Psyché f  et  d*une  statue 
de  Y  Archange  Gabriel^  le  Florentin  Ricci  et  Baruzzi,  de  Bologne,  le 
gracieux  seulpteurde  Salmacis,  ne  viennent  Qu'après  eux. 

Pofnpëo  Marches!,  le  contemporain  et  rimitateur  de  Canova,  vit 
aujourd'hui ^i|f  son  passé*  Accablé  d'honneurs,  de  commissioiis  et 
de  travaux  de  toute  espèce,  il  en  prend  fort  à  son  aise,  ne  Irataitle 


vrsfesi  BMiecicolH  (to<  Vâcane^  et  Ferrarlr,  <l^¥eBhe,  si^nfeJes'pte» 
<)is4tti($«ié8<de  qQftjet|O0§*Mttliyleiii«;  ed  a«fi4>eiit  qm  chiH|tte  année- 
penfiMH»  les*  salt^  dft' iB«64e«  iviéM.  ^«eQii<eK,  Vmaânr  éF'Atkitk: 
b/.êméy  àt  O^Hé^  à0  QfpimêBi  old'^Hie'IcH^litUe  statae-d'iFtTe,  prolM^ 
de  dmroMi  aa  atajtoalfv  fe«l;  MOMirqiiaMe ,  ei,  tovt'jetiiie  qu'il  esft, 
secmoRto  ptml-AlitQ'  Mf^ériMiMaii'  vlem  PMipeo.  Eti  loi  et  eo-soii 
émule  Ferrari  repose  l'espoir  de  lASOttlptafeen  Itelie«  c*est  du  mojii» 
cei^UfBF  répilteo^  tws^oeasLqpi  ^^foeap&ùiédtt  de  Veniae  à  Mlafi. 

BartoKfii  06t  d^  celle  vieiito^  née  de  «oulpteufs  itaNeos  damt  t» 
ciaeiii  ffeeoiid  a  enèé  des- années  de  statues.  H  se  distingue  ef>  cela 
des  sculpteurs  de  l'école  inneeliiie ,  teejoiuns  si  sobre  et  si  sévère, 
Jeaii  d»  Bologne*  esieeflé.  Sra  atelier  est  on  véritable  musée;  les 
prejels.  d&  nKHwmenfr,  tes*  baa^retiefs^,  les  groupes  eC^  les<  sletoes  à 
l'état  d^ébauciteft,  te»bes-i«Keft«  les  greupes^et  les  statues  achevés  7 
sonleii  grand' Qcwlffe^  et  ieabiifiitesfi'y  comptent  parcentoities.  Toute» 
le»  oélébritéft^  eoropéetuies  dè^  Tépoqee  semblent  s'y  être  donna 
rendez-vous;  f  AHeiftagiie,  l'AngleteiTie,  la  Russie  et  la  France  y  oot^ 
d'Hhtttfes  Mprésenlans.  Lors  de  le^t isite  qm  nous  lui  ffmes,  Bertelini 
teimieaiten  mapbre  leabeatoado  maréchaMIaîson ,  de  la  princesse 
Metbfidev,  fiHe  du  foi  Jérôme,  ée  W^^  lïMers ,  do  duc  de  Sutheriand 
et  de  piiisieora-  aeftres  peraouiiages  de  raristocralie  anglaise,  el  il 
acbeiiai^  lee  ébanebes  de  biM  et  de  Hf*^  d^ Agent  s  déjà  frappantes,  de* 
ressemblance* 

Bartolini  excelle  à  repeéseoter^de»  aftoctiom  morales;  il  {aitsai»-^ 
toott  vivre  ses  peieoMages  par  la*  pensée.  Il  s'altaohe  aox>  moindres 
par4ieiriaf  ités  ipil  peonent  loi  faire  eonneitre  à  fond  le  caritolère  de 
rbottffiequi  vi-peserde^aotUii,  el  il' ne  se  met  à>  l'ouvrage  que  lo^a^ 
qu*U  »  Mtievé  celte  preQUài3e<  étude  morale  qtiHI,  te^féb  comme^ 
indispensable.  Jto>l^ai  w  entrer  à  ce  sqel  dans  dies  détails  siagoHem^ 
en.  apparence  fort  minntienx,  et  dont  lui  seni  pettvail  comprendre 
TiHiPpoilaBce^  b'éiiéonti^des^bnste»  de  BerloiM  est  large,  facile  et 
padAitemeot  «raiei  M  saitihiiie  la^cbair,  ce  qee  Fampalenî,  son  rivet 
dalteiienGe  dMn^la  aooiptute  4es  bosteo,  peratt  absolument  ignorer* 
n  yacentpabnes^le  il^refiee  entre  iMttoNni  el  ienveonCi ,  et  c'est 
en«omparant  leora^prodiiolioos-cpie  Ton  ¥oiisur«le-4*Jiamp  de  cmn-- 
bien  la  sculptnve  Pe^iporte  en  Ralie>6ur  tepemtuMi  Lejeuno^éoolè* 
pourrez  seule.  renelilBe  les-cboei»  sur  le^  pied<d?éga)ilé^  qwnd  eHq>e«t 
prednit  et  se.aeoe  A»t  aoeeptee. 

<|oeh|QeiHanee4leiaiD«ibi«uaearfl|Qtaee  d»IW>)W*»M  dgseoip» 


LA  PBiNTCHBar ui mxunotm «  italib.  SU 

pOputant»!.  LHme  d'elles  l^ispémuM  m  tHm$y  t  été  tûpKfè  ittMe 
Ms  tft)  marbre  et  eniyrdnze,  et,  fioyttMilitte  pnr  le  mmte,  km  la  fén- 
emfre  dam  liauta  rfiuMpe.  l'iS^N^y^rmii^  m  HlMi  ite  BttitolM  «H 
igui^  )[iar me  jetine  Mie  à|!eMro)i,  leaMMim  jointes  et  les  yeux 
levés ato ciel.  Ii4èe, oenme oniwlt,  ti^He*^<|vieiAe féMonlhnifm; 
iMis  f '«rtîate  «  rendu  air ec  «i  ^ringvNèr  tonlie«ir,  tlans  ohacotie  êés 
phriiea  de  eette  Jolie  Mtiie,  le  passage  de  renfafice  à  FadolescHeece. 
LàfNiae  A'aiileiM  a  maraud  c^ariMe  deMM  paMMé  slm^llcHé,4ït 
fesLpfesiifon  du  vrsage  est  toet-*è4Mit  afbgiMiqvie;  cm  dftfflt  une  slaMe 
de  GMievi,  lÉaia  les  fennes  e«i  sont  moAis  rendu  eie«i  titème  tetti|)s 
Moins  ^Mes. 

On  peut  v^  è  Parte,  dffUs  ta  dMrlMnieltolleeiMA  4è  M.  PorMISl, 
une  autre  statue  de  BartoHni  ,^  «erafi  la  MiMlMre  et  la  pMs  gri^- 
eleose  de  ses  prodnetiom,  ^i  les  jambes  «étaient  ^tos  correctes  :  e'est 
la  atatne  d'un  jenfie  vendangeur.  Kartelini  a  Mm  «emi  tes  défauts 
de  cette  stalne,  car  fl  en  «K^ève  nue  copie  dans  la<)beUe  fl*s*eât  ef- 
forcé de  les  corriger,  n  le  donnefaîs  tout  au  niMde  pour  tfriètMëAk 
Mt  ph»  parfaite  <|ue  celle  de  Parts^  noM  dit4l.  -^  BtpoiN^tioi?  «^ 
iftaurYafre  mèlye  à  M.  Poitalè»,  dMt  je  ne  ^uts  pas  content.  v>  Qur  a 
flu  eaMer  ee  ÉvécoMentemenl  ie  l'antete?  BartoKwi  nous  Ta  laissé 
ignorer. 

4a  omette  4e  la  Ji^viatt ,  idestlnée  ift  Mrvfr  de  pendaift  I  cette  aflo- 
nMe  statue  de  4i  ptine^^  PkmHne^  ^  faite  par  xtH  tMips  chavrd,  » 
comme  le  disait  in^nuenient  faimabte  priVieesse  qaatifd  on  s'ëtcto- 
■«tt'de  «à  complète  nudité,  estiiwecBfifre  è  peu  près  manqenfte.  Ce4te 
^statue  ^l  couchée  sur  l^n  des  cdiés,  comme  celle  4e  Canota  ;  mais 
Pdnsembte  en  ^i$t  médiocre  et  prétefntienx  :  te  iMras  levé  til  d^étc%- 
tlMe«  le  vénlfe  est  pauwe,  ftàsqiae  tdt  d'une  vérité  par  frop  viilgafre  ; 
c*est'uné  fanune  qu*nne  touche  a  maSgrie  et  déformée,  et  qnf  âHnble 
«voir  faiit  te  pari  de  tèmirle  plus  lu^g^teftips  pcESribte  le  bras  leré,  le 
reAe  #a  corps  étant  couché. 

Lés  bb^fàphes  du  Barroehe  WéUs  rt^eontent  ^ué  ce  peintm  ne 
UMNiqUiA  jautttfe  de  demander  lau  <noièie  qui  posflfft  devant  loi  s'HI 
se  trouvait  bien  è  son  aise,  l'aisnnce  ttri  paraisisant  f nséparèMe  'de  la 
giuce.  le  doute  ftxrt  que  ftafrlxAlni  aft; jamafs  fMl  pareille  qoestf^o  au 
modèle  de  la  'Junm  ^^quî  n'aurait  pnuanqué  de  lui  répondre  :  «  Cette 
hanche  sur  laquelle  tout  le  corps  pose  me  fait  un  mal  horrible,  et  y 
s^  Tant  qiie  je  tienne  une  minuté  de  plus  mon  bras  levé  et  tendu  de 
oette  façon ,  Je  vais  m*évaiiouir.  » 
'  BartoUni'termhiait,  en  même  temps  que  la  /trnon,  un  grand^Mifi- 


2fT^  K    '      iCfiVlTE  tes  DÈijl  MONDES.  ' 

beau  dont  le1^tB-ren«f  tiôos  A  paHi  Compliqué  et  peiï  Frappant.  Ce- 
pendant la  tête'd£f  reiiftinl  Sbtifflrbnt,  aux  lèvi^s  duquel  une  femme 
présentait  une»  CMpe,  bat^  dU^ule  la  cbup^  de  la  santé,  est  à  elle 
seule  un-  petit  cbeid^<0Uvre.  âarfdlini  excelle  datis  ces  détails  ex- 
pressifs. Son  exéotttien  est  puissante,'sa  pensée  énergique,  et  cepen- 
dant nous  ne  voyons  pas  qu7l  ait  rien  produit  d*un  style  bien  relevé. 

La  statue  colossale  de  Napoléon  pourrait  faire  exception  parmi  les 
œuvres  de  Fartiste*  mais  ce  n*est  là  qu'un  projet  :  Bartolini  attendait 
la  décision  des  autorités  de  fa  ville  d'Âjaccio  pour  savoir  s*n  le  met- 
trait à  exécution.  Si  cette  décision  est  favorable,  qu'il  n^oubtie  pas 
d'étudier  d'une  manière  plus  sévère  les  draperies  et  de  dégrossir  les 
extrémités  inférieures  de  cette  statue,  beaucoup  ttop  carrée  par  la 
base,  pour  nous  servir  de  Tune  des  expressions  favorites  du  héros. 

Le  style  de  Bartolini  est  à  la  fois  gracieux  et  sévère,  mais  peut-être 
un  peu  lourd.  L'artiste  a  trop  souvent  oublié  cette  belle  loi  des  deux 
forces  que  les  grands  sculpteurs  grecs  ont  si  heureusement  appliquée 
à  lensemble  du  corps  humain  et  à  chacune  de  ses  parties  :  la  loi  de 
la  force  active,  en  vertu  de  laquelle  ces  parties  agissent  et  se  meu- 
vent, et  la  loi  de  solidité,  qu'aujourd'hui  nous  appellerions  de  gra- 
vité, en  vertu  de  laquelle  ces  parties  posent  et  sont  soutenues.  La 
première  de  ces  lois  conduit  à  l'élégance  et  à  la  légèreté,  la  seconde 
à  la  force  et  à  la  grandeur.  Bartolini ,  quoique  cherchant  la  grâce,  ne 
semble  guère  préoccupé  que  de  la  loi  de  solidité  ;  il  l'exagère  trop 
souvent  et  arrive  à  la  lourdeur,  comme  dans  son  Napoléon^  dans  sa 
Junon  et  même  dans  son  Jeune  vendangeur,  dont  les  jambes  parais- 
sent trop  fortes,  et  dont  l'attitude  n'a  pas  cette  légèreté  pétulante  et  * 
joyeuse  qui  accompagne  le  comrmencement  de  Tivresse.  ïlUsieurs  de' 
ses  bustes  nous  ont  aussi  paru  taillés  trop  en  force;  éélul  de  lëi  prin- 
cesse Mathilde,  fille  du  roi  JérAme,  par  exettiptè.  L'ampleur  et  la 
liberté  du  travail  nuisent  à  la  parfaite  correction  des  formés  un  peu 
vulgarisées ,  et  qui  ne  rappellent  que  d'une  manière  fort  éloignée  la 
gracieuse  élégance  du  modèle.  V Espérance  en  Dieu  est  peut-être  la 
seule  statue  de  Bartolini  qui  nous  paraisse  irréprochable;  néanmoins 
ce  n'est  pas  encore  là  du  grand  style  (!]. 

On  a  dit  que  lesr  artistes  se  peignaient  dans  leurs  ouvrages  ;  appli- 
quée à  Bartolini ,  cette  remarque  ne  manquerait  pas  de  justesse. 

(1)  La  lédupMoD  du  tombeau  4e  M.  N.  de  Demidoii;  que  Baff|«Iint  a  ewf qyée  cette 
année  à  rexposition  du  Louvre,  est  un  ouvrage  d*uji&  çj^u^il  préçî?M9e,  lUMs  qui. 
ne  donne  qù*une  idée  fort  imparfaite  du  talent  et  de  la  mai^ière  du  statuaire  fl<;H 


LA  PEurruiup;,  ET,^iV  ?Çff^yJV^  ^,  itaue.  973 

Bartolini  est  un  gros  pet,it  (iqmiQp  d'ijina.  Dabve  forte  el  trapue; 
ses  cheveux  rudes  comiuenceot  I)  grisopnec.QMldQit  afoir  dépassé 
la  cinquantaine.  Sa  physiooomiç,  comme  tout  l'ensemble  de  sa  per- 
sonne,  a  plus  d'expcessipn  que  de  distinction,  Son  ϔl  est  vif  et 
plein  de  feu«  ses  gestes  sont  brusques  et  énergiques,  et  sa  tenue 
nous  a  paru  singulièrement  négligée.  A  voir  dans  son  atelier  ce  petit 
homme  en  blouse  bleue,  le  marteau  et  le  ciseau  i  la  main ,  s'escri- 
mant  contre  un  bloc  de  marbre  dont  il  détache  de  larges  éclats,  et 
cela  tout  en  causant  avec  une  certaine  bonjbomie  brusque  et  parfois 
mordante,  se  plaignant  de  Tavarice  de  l'un,  de  Tinsolence  de  Tautre, 
de  la  sottise  du  plus  grand  nombre,  vous  diriez  un  ouvrier  spirituel, 
et  vraiment  le  sculpteur  florentin  n'est  souvent  pas  autre  chose.  Deux 
ou  trois  fois  cependant  il  a  été  un  statuaire  de  génie. 

Tenerani,  Télève  le  plus  distingué  de  Thorwaldsen,  a  égalé  son 
maître  s'il  ne  l'a  pas  surpassé.  Le  style  de  ses  faciles  et  gracieuses 
productions  se  rapproche  plutôt  de  la  manière  de  Canova  que  de 
celle  du  sculpteur  suédois.  C'est  un  artiste  sans  furie;  mais  s'il  n'a  pas 
la  fougue  de  Bartolini ,  il  en  a  l'abondance  et  la  merveilleuse  adresse. 
Tenerani  n'a  pas  non  plus  les  rudes  dehors  du  Florentin.  C'est  un 
homme  d'une  cinquantaine  d'années,  d'une  taille  élevée,  de  ma- 
nières douces,  timides  même,  et  à  la  tenue  virgilienne.  Il  y  a  du  reste, 
dans  ses  compositions ,  quelque  chose  du  feu  contenu  et  de  la  sage 
abondance  qui  distinguent  les  ouvrages  de  ce  prince  des  poètes  ro- 
mains. Ses  conceptions  sont  ingénieuses  et  variées,  ses  personnages 
noblement  et  naturellement  dessinés;  leurs  altitudes  se  distinguent 
par  la  vérité  et  raninuiUon;,les  draperies  qui  les  recouvrent  sont 
d'un  grpnd  s^le  et  bien  jetées.  L'été  dernier,  lorsque  nous  visitAmes 
ses  ateliers  de  la  place  Barberini ,  Tenerani  achevait  un  charmant 
bas-relief  d'Eudqre  et  de  Cymodocée,  commandé  par  M.  de  Château* 
briand  lors  de  sa  prospérité,  et  dont  l'illustre  écrivain  se  proposait, 
je  crois ,  de  faire  hommage  à  M"'  Récamier.  Le  sculpteur  a  choisi  le 
moment  où  les  deux  victimes  amenées  dans  l'arène  vont  être  livrées 
aux  lions.  Leur  pose  est  pleine  d'abandon,  de  résignation  sainte  et 
d'exaltation  sans  emphase.  Tout  en  s'élevant  à  là  haute  et  virginale 
pureté  de  son  sujet,  l'artiste  a  su  donner  humainement  et  avec  un 
rare  bonheur,  par  l'angélique  suavité  des  formes,  par  l'étreinte 
ardente  et  dernière  de  ces  victimes  puriOées ,  par  l'entrelacement 
quelque  peo  profeoe  de  lears  beaux  corps  à  demi  nos,  une  sorte  de 
soblime  amnt-goftt  des  voluptés  célestes  auxquelles  ces  amans  mar- 
tyrs sont  réservés.  Dans  Tun  des  angles  du  bas-relief,  an  bourreau 


Mfv^  la  ^nie  4e  ^  «a^e  ûkf^  taquelte  mgis^ètit  des  Hons  prëiSi  "à 
«VlMi^Mr  1«B  victimes,  fje  toï*^  Se  ce  boaireaaeAt  frit  'honifèir 
à  Cottevà. 

Pûigi(tieiT0Qi$*9endM  4e  frrenrender  encore  une  fois  le  noifi  ^^ 
pof  tieS'stétfHrfi'ljHÉoAernes,  Mes  nous  peraiettrons  ie  tHre  ici  <|tle 
mfi  tnfkience  m  fMt  teflacoup  trop  sentir  chez  tons  les  seiitptetifs 
lteKeris*de  Vépeqne  «etnette,  même  chez  cenic  qni  se  pMicefit  au  pvé-- 
mier  ran^.  BaitteHtVi  etTenéraifi  ma  Um  dem  un  taleiftpr^tdîgteM , 
tous  deux  parais^^M  av^  f^  tennaîssance  avec  la  naftore;  tncRs  ee 
n'est  {vas  toujours  ébet^e,  €*e^  pitttôt  en  visMe  dans  l'ateHet*^ 
Ganocfa ,  i^iilts  seinbtonll'^avetfr  peticof^trée. 

On  nous  a  montré,  dans  l'une  des  salles  do  musée  de  «etAfitore'de 
la  villa  Médicis,  tAi  admtraÉfle  torse,  pfovenai<^i  do  Trente^  daParfbé- 
non  et  atlribué  è  niîdvas ,  que  M.  Ingres  n  fait  mouler.  La  chafr'de  ce 
torse  est  palpitante;  tes  musclés,  modelés  par  grands  lÉféplats,  partfiè- 
sent  mobHes  et  «e  relient  auk  attaches  avec  une  grandetn*  "et  tme 
aouplesse  infinies.  Près  de  ee  fragAfient,  nons  avons  vu  la  sftàrlue  à  detihi 
drapée  d%ne  femme  •cJottcihée,  montée  comnie  ce  toirse  sur  le  marVi^ 
«ntevé  tfû  même  fronton.  <}oene  fnorbidèsse  sirrguKère  dans  <!es 
chairs  souples  et  ^ofndoyanftesl  quelle  admirable  vériCé  dans<^  ^sein 
^i  «e  TÉssied  !  quelle  précision  et  en  même  teMps  t|tmHe  Itfi^èir 
4ans  ces  pHs  de  'la  tobè  si  'aehe^  0t  qui  cependant  tieidèvaient  elfe 
^s  que  d'une  ^IMnce^de  cinquante  piodsl  Gesont  cesfrédeoimcH-- 
«eaut  et  lés  marbres  gnecs ,  «tafues  et  baH^refiefs ,  4e  1è  villa  Albaiii 
«que  l^école  seiMpturale  moderne  devrait  surtout  êtodier.  M.  Bart^ini 
et  Tenérani  aortentde  ligne,  il  est 'vrai,  mais  Ils  ne  paraissent  phs 
cependant  s'être  assez  pénétrés  de  t»s  chefe^'œuvre,  'd^une^  bien 
aiitre  excellence  que  'les  produeHons  de  la  stétuatré  moderne.  l.%s 
succès  récens  et  la  gidire  «ncoï'e  présente  de  Canova  ont  trop  dSn- 
fluence  sur  leur  manière  de  sentir  et  d^xprime*r,  *rop  d'empire  sur 
leur  volonté.  Cèst  un  j6ug  qu'ils  auront  peut-être  peine  à  secotiélr, 
car,  pour  l^n  et  ratitrcilest  déjè  t^  peu  lard. 

Ces  réflexions  ^nt  surfout  appttcQbles  aux  grands  ^ouvrages  ie 
Teneranl.  Le  SOitif  ihan  coloasal  qti'il  achève  *pour  une  égKse  de 
Naples  (I )  u*est-îl  pas  d'un  istyte  trop  cèhne?  Et  quoique  l'ertseuftle 
de  la  stutée  ne  manque  pas^e  tidblèsse,  cette  majesté  n'est-^llè  pès 


(1)  L^gKse  deSafsC-François-derFatile,  cette  misérable  imitation  dcBaint-l^ierre 
'aettome,  que  le  feu  roi  a  fait  construire  sur  la  place  du  palais. €*est  là,  dft*on,  qiie 
MiK  i)iadée»4es'mellH»i<i^  8tMués«É^lltaWe8'mddérite^^  ettet'écbaiitnkiih  ^oMe 


LA  PKIWiUm  VmiM  flMiMPtniir  BU'  ITALIE.  949 

utif0B'bMrfeoi»e  elfiaf  4pep  ddlMHHiBilw?  Le»  Ihêleafit^  est^pHlMiraiw 
gk|ue  :  c'est  une  statue  seoUe^  t^-cotWHlfinttKftrtiitBta^pe»!*  lH^élfr 
eboofe  trop  préoeoupé  de  lli^  graoe;  ^  fbrr^  (te  oaresser»  soO'nNitfère 
el'cVen  atMIfe- tes  angles^  ila  eiiteiii»à'fi9«<BuvM>quel(|ttl^olM>S0  dd' 
oeMe  rude«e  quioenvieiil  «a  di^ulMiftitem  dt»  tHigenwa  Bu  re^ 
Yanehi^^  sa  graode  Bes^mle  de  Qrùi»  es^  qb  moreeeu'  de-  premier 
oi^reet  lepluséiiei^quepeut^ti^fqiii  soitaoïU  de  son  aleHer»  0^ 
diraii'ungrpiipe4e  Jeande  Belognei  aaiê-étudié,  séitère  et  toochank 

Gelteheprevnqoa  l'éeole  deGanoya^  6le»géAéKel  l'éœle  moderne^ 
nWfilirepoar  Ies«ngles4  pari  d'un  prteeipe  miseBoaUe;  maîs>  poossée^ 
à'Veitréme,  elte  conduit  aux  formes  londes,  gi^pcieuseiiiwt  affeo- 
téis»  ei  à  la  iBelh»se> 

Canova  a  été  un  statuaire  du  premier  ordre,  arrivant  surtout  à  to 
suite  de  la  déleatable  éeole  duBensin.  Sa<  Fiéntiâ  d«  palais  Pltti»,  seo 
P0fsé0y  afiB'LiiMMiivetseeXytfil«#'Seot4'adiiuraMes4Borceaut.  L'fidé# 
dli'L^lias  est  ingéiiiewe  :  le  noaUieiireex'  envoyé  de  Séjamn»  s'atv* 
taebe  au  nmrbre  de  l-autel ,  mais  il-est  dans  les  bras^d'Sercuto^  etoeat 
bras  offrant  u»  si  pi:odigi«UK  développement' de  ^4^eur>  et  Vinfei»^ 
toné  qu'ils  étueignent  est  d'une  beauté  si  fMfle,  qu'on  le  voit  déjà 
tourbilionner  sur  l'abîme.  Thésée  wiinqueurd^  oentaum^  le*ehe^ 
d(eiBvrerd&  statuaire  vébitien  (4)»  Ce  cbef^d'œuvr»  n'^est  cependant 
pae  complet,  ba-flgure^dli  Thésée  nMnque  de  puissance  et  d'énei^i 
ona>peîne  à  comprendre  que  ce  combattant  vu)geiretriemph»d-aii 
srletriblet  aditeroaire.  Bu  pevancbe,  le*  centaure  esl  superbe.  II*e8tè 
dMii.r0overséwsen  veutro  touobO'la  lierre,  sa  tMetomèe  enafrièroi 
ses  pîed&.  agitent  eonvulsivementi,  et  le  poison  da  la  douleur  court 
dMi'eiMiow  des  muaeies^et'dans^haciindes-oeffe-de  sa  croupe- Nf^ 
niiwnteii  Ceatle^ntaune  miociitd^AQdié^Qhénier  : 

Vioavlept  qiiafinip^aii  vain  t^écmh  ^:Don>)>c^ 
^  soO(  gied  1|9^  1^  ^  qpî  4oit(  é(f)o«aa  toi)[^ 

On  assure  que  Canova ,  voulant  exprimeit  tomtes  les  nuances  et  lea 
dégradations  de  l'agonie  et  prendre  sur  le  fait  ce  passage  de  la  vie  à 
la  mort,  fit  expirer  lentement  sous  ses  yeui^  un  beau  cheval.  La  per- 
fection de  çeUe  qfiagnifiqfiç  et  sipi;uli^re  ^tfitfi^  i;epdl  c^tt/a  anecdote 

uuebleii'trlsC^Méedtt  reste.  La  sortoe  dè*Miai  AugnstMi.leaaiit  en  maiii  sot  tivilé 
leole  exception. 


376  B£VIK  SIES  W^  MÇiqi^BÇi 

yraisemblable.  Ce  centaure  ^stbiei|i3apé|rf)çpr,wx  lions  si  yaotéis  da 
tombeau  de  Clément  xm  (JRquqdlçq.),.  .  i  ,, 

Ganovardans  cea  copvo3iMons  ,^  div^rse^^  brille  surtout  CQn(inpe 
poète,  comme  homme  de  d^eati^  ^t  ^piûssaatis  imagiQ^tion;  mais» 
coosidéré  sous  un  autre  point  de  vue  e;t  coiame  réformateurvCanoya» 
malgré  son  immense  talent/n*a  peut-^tre  pas  mérité  toute  Vimpqrr 
tance  qu'on  a  vouli;^  iui  donper»  H  a  pu ,  il  est  vrai  «  accomplir  dans  la 
sculpture  cette  révolution  que  Raphaël  Mengs,  beaucoup  trop  décrié 
aiûourd'bui,  avait  tentée. dans  la  peinture.  11  a  refait  L'antique,  mais 
sans  grandeur  et  beaucoup  trop  joli  ;  aussi,  nous  Ta  vouerons  ^  nous 
avons  peine  à  distinguer  ses  Vénus,  ses  Nymphes,  ses  Génies  et  st^ 
Grâces  mignonnes,  des  froides  et  coquettes  divinités  du  Parnasse  de 
Hengs. 

Bartolini  et  Tenerani  sont  de  l'école  de  Canova ,  en  ce  sens  qu'ils 
ont  suivi  tous  deux  l'exemple  de  ce  maître ,  qu'ils  se  sont  rapprochés 
de  Fantique ,  et  qu'ils  ont  fait  l'un  et  l'autre  une  étude  particulière 
des  formes  nues.  On  peut  dire  que  ces  deux  premiers  statuaires  de 
ritalie  moderne  ont  déshabillé  les  statues  que  l'Algarde,  le  Rossi  et 
le  Bernin  avaient  couvertes  de  draperies  écrasantes,  de  lourds  vête- 
mens  d'airain  contourné  ou  de  marbre  volant.  Ils  ont  aussi  simplifié 
Taltitude  et  rejeté  ces  poses  forcées  que  désavoue  la  nature,  et  que 
le  génie  seul  de  Michel- Ange  a  pu  faire  absoudre.  Ils  ont,  de  plust 
renoncé  généralement  à  faire  du  bas-relief  un  tableau  avec  clair** 
obscur,  perspective  fuyante,  saillie  exagérée  et  agrandisseipentcalr: 
culé  de  certaines  parties  destinées  à  accroître  ce  qu'cin  appelle 
l'effet.  En  un  mot,  ils  sont  sagement  rentrés  dans  les,l|n^ite$4e;  to 
sculpture,  qui  a  pour  objet  de  reproduire  les  belles)  foripes4e  la  pâture 
en  les  simplifiant  pour  les  idéaliser,  et  non  pas.  d'Imiter  ae^l^ment 
l'aspect  des  objets,  ce  qui  est  surtout  du  domaine  dç  la.pelnture  ($); 
le  peintre,  en  effet,  ne  peut  représenter  que  l'apparence  de  la 
forme,  tandis  que  le  sculpteur  reproduit  la  forme  elle-même.  Enfin  « 
Bartolini  et  Tenerani  sont  tous  deux  revenus  à  la  simplicité  des 
moyens,  ce  grand  art  des  statuaires  antiques. 

(1)  Ua  sculpteur  qui  veut  rendre  la  couleur  et  Terfel  commet  le  même  contre-sens 
que  ce  peintre  (  Giorgione  )  qui  voulait  rendre  la  forme ^us  tous  les  aspects  possi- 
bles à  Taide  d*un  seul  personnage. 

Il  peignit  un  homme  nu,  vu  de  dos;  une  nappe  d*eau  .limpide  s*^ndait  devant 
lui  et  réfléchissait  le  devant  de  la  flgure;  une  cuirasse, f)*aç|er  (>oli  g?^  faisait  VQi,r  le 
côté  gauche,  et  un  niiroir  le  côté  droit.  ;..   -  „  .       .  ■     ■     - 

«  Très  belle  imagination,  s^écrie  Vasari,  e|  qui  prouve  qUe  la  ^inturç  a  plus  de 


''/  j)t//  .^f/«)i 


WASTBK  RAUSGir.  lÊl9 

éedts'  IkHBines  va*  runier  et  réduire  eti'  eendre»  xsm.  fMe  de*  dbiM 
ioille  âmes.  Ud  vaisseau  anglais ,  ayant  fait  une  riche  eai^tui^ \  té^ 
§ngae  le  poit  voiles  d^loyéesy  et  ces  voiles  sont  de  soie  poorpmv  le^ 
cordages-de  fil  d'argent,  les  menus  agrès^ de  fil  d'or.  Un  fMre  ûVitIa 
de  Raleigh,  Humphrey  Gilbert,  avait  depuis  long-temps  të9é  ITune 
cte^plus  belle» entreprises  que  l'on  pût  alors  concevoir,  la  eolbnfsa- 
tium  de  la)  Virginie;  qui  ne  portait  pas  alors  ce' nom.  Idée  à  Itf*  fbis 
fraude,  praticable  et  féconde,  qui'  nous  a  donné  la  pomme  de  tlnre 
«^  te  tabac;  elle  appartieni;  à* ce  fl^re  utérin,  conune  l'avouent  et 
ML  Tytler  et  la  Revue  d'Edimbourg^^  si  ardens  touteibis  à'fhire  passer 
iur  la  tète  de  Walter  Raleigh  Thonneur  des  entreprise»  contem^ 
poramesi  Ce  qui  est  certain ,  c'est  que ,  faute  de  ressources,  le  pre-^ 
Hlieij  plan  de  sir  Humphrey  avait  échoué',  qu'il  vouUit  mettre  àprofit 
tab  feveur  nouvelle  et  inattendue  de  son  fiiére  Walfer,  et  que  ce  deiu 
■ièr,  non  content  de  lui  prêter  secours,  s'empara  du  crédit  et  de  Ih 
fenommée  dus  à  HUmphrey  Gilbert.  Ajoutons  quMI  resta  paisible 
à  la  cour  pendant  que  son  frère,  armé  d'une  patiente  de  la  reine, 
concédée  à  sir  Walter,  courait  lés  mers,  essayait  de  transplanter  dans 
les  savanes,  de  l'Amérique  une  colonie  rebelle ,  et  luttait  à  la  ft>iB 
OMibne  les  sauvages  indigènes  et  contre  son  propre  équipage.  Ce  brave 
bomme  mourut  à  la  peine.  Son  frère  Walter  vendit  sa  patente  à  une 
compagnie  de  négoeians,  qui  laissa  languir  pendant  lé  resté  dû  règne 
dlËlisabeUi  la  colonisation  virginienne. 

Ea  Revue  d'Edimbourg  prouve  que  Raleigh  essaya  de  secourir  et 
dfe  sauver  les  débris  de  ces  malheureux  colons,  jetés  cruellement 
pCHT  leurs  concitoyens  au  milieu  des  anthropophages,  et  qui  finirent 
par  êttre  massacrés.  Mais  ce  n'était  point  assez  de  leur  prêter  secours: 
Aalèigh ,  colonisateur,  devait  un  autre  genre  de  sacrifice  à  la  gloire 
qu'il  affectait.  L'abandon  violent  du  projet,  auquel  tenait  la  vie 
des  colons,  prouvait  une  légèreté  féroce  et  égoïste,  dont  la  Revue 
d^ Edimbourg  essaie  en  vain  de  fhire  un  héroïsme  éclatant.  Quoi  ! 
Walter  Raleigh  commence  par  dérober  à  son  frère,  victiifne  de 
^expédition ,  l'honneur  de  ce  projet  ;  il  ne  court  aucun  risque  luî- 
rnÉtne;  il  excite  Gilbert  à  l'accomplissement  d'un  exploit  diflicile, 
dent  lui,  homme  de  cour,  va  recueillir  les  flruitsMés  plus  lucratifs; 
il  passe  dans  le  monde  et  dans  l'avenir  pour  le  créateur  de  l'en- 
treprise; il  se  contente  d'obtenir  de  là  reine  sa  maîtresse  «  une  petite 
ancre  d'or  »  pour  son  frère  Gilbert;  il  lai  donne  cette  petite  ancre 
d'or,  que  le  pauvre  Gilbert  suspend  à  son  cou,  et  lorsque  Gilbert 
est  mort ,  dévoré  par  la  tempête ,  lorsqu'on  lui  apprend  que  deux 


chercher  à  finir,  apprends  à  ébaucher. —  La  répliqué  du  grand  artiste 
à  Vasari,  qui  se  vantait,  en  lui  montrant  un  de  ses  tableaux,  d'y 
avoir  mis  peu  de  temps,  s'appliquerait  avec  un  égal  à  propos,  aux 
prétentions  de  quelques-uns  de  ces  ouvriers  faciles,  ^  Cela  se  voitl 
pourrions-nous  dire  comme  lui  ;  eif  effet,  cela  se  voit  beaucoup  trop. 
En  France,  la  décadence  de  la  statuaire  s'annonce,  comme  chez 
les  Romains  et  les  Grecs,  par  l'invasion  du  grotesque;  Tapparition 
d'une  armée  de  statuettes,  où  l'iiicorrection  le  dispute  au  ridicule  et 
au  mauvais  goût,  a  perverti  l'art  en  le  popularisant.  En  Italie,  cette 
décadence  est  amenée  par  l'abus  de  la  facilité  gracieuse  et  par  lé 
léché  habile.  On  adopte  certaines  formes  de  beauté  conventionnelle, 
et  pour  simplifier  les  lentes  études  du  modelé,  on  met  de  côté  la  na- 
ture, et  Ton  donne  à  toutes  les  formes  quelque  chose  de  souple  et 
d'arrondi  qui  séduit  le  vulgaire,  mais  qui  s'éloigne  autant  de  Pidéaf 
que  de  la  vérité.  Enfin  on  néglige  absolument  les  détails,  qui  sont 
laissés  et  non  cherchés,  et  qui ,  selon  q^ue  Tartiste  veut  être  gracient 
ou  énergique,  semblent  faits  au  moule  ou  à  Temporte-pièce. 
,  Apelles  disait  qju'il  avait  un  grand  avantage  sur  Protogène,  celiii 
de  savoir  le  moment  où  il  fallait  quitter  son  ouvrage.  Les  statuaires 
italiens,  qui  travaillent  le  marbre  avec  une  si  merveilleuse  facilité,  né 
notus  paraissent ,  eux ,  préoccupés  que  d'une  seule  idée  :  c'est  de 
quitter  leur  ouvrage  non  pas  quand  il  le  faudrait,  mais  te  plus  vite 
qu'ils  peuvent 

FkAmIaIC  liEftCEV^ 


r  -i'! 


factice  «le,  se  i|ffOQti^,s<w,prpj^Mri$mBPff^-.n'ioii'M(S«Ws^i^^  di», 

P^ip.*t  --,1       I,.  •    '■'  .f  J  »    J^W  M*'  '♦Mm  h  ,   •i.<«'''  •.  1     '!.  '1    .       ''  M  :■('   / 

lorsque  la  reine  lui  con6^j|ip  .po9ti¥,4in#^pt  <^q^  j'^p^  aq^i 
glfW^iUaijSçjutçoftit  les  4irpi^sdtt,Bneuj(.d^(CK»to  wW)i>e  dePortugtl. 
IJl  était  brave. et  donna  daps^çf^tte^  ocçasjipa  plps^.fi'wie  preuve  de  sont 
cofT^g!?.  Son  le^rit,  son  adr^s^  et^i^  i^loqu^i^CQ  taillèrent  à  la  fois 
9ji^ .p^rleip^ti  dont  il  $e  fit  uomDoqr  ineiDlKei,0t  .dans  le  preuiier  des- 
lixre^,qu',il  pul|li^.  ,Pour  la  preuiji^e  £o^s^  ia  prpse  .anglaise  rejetait 
l^a.ep^^y€;s4ç  ^ci^ti^que  pédantismç  ^et  de  citatioa  bavarde  dont 
Voyaient  ,<;bargée  les  écoles  et  le  moy/enrAge»  C'était  un  récit  grave  « 
aninié,  tragique  dans  sa  nudité  noâle,  du  cpnihat  soutenu  par  Failli- 
rai GrenviUe,  ou  plutôt  Greenville ,  monté  sur  son  unique  navire, 
contre  cinquante- cinq  vaisseaux  espagnols.  Deux  cents  hommes 
avaient  lutté  contre  dix  mille ,  un  seul  vaisseau  contre  cinquante- 
cinq.  Enfermé  dans  un  cercle  de  voiles  ennemies,  l'amiral  du  vais- 
seau, désemparé ,  couvert  de  sang  et  de  blessures ,  entouré  de  morts, 
n'ayaut  plus  de  Qiunitions,  ordonne  au  maître  cauoimier.de  faîr^ 
sauter  le  navire,  a  pour  ne  laisser  à  l'Espagnol,  dit  RalQigb,.pa9 
m^ipe  an  débris  de  gloire,  et  pas  un  fragment  de  triompha,  ^  Lfi  rq^tet 
de  l'équipage  s'oppose  à  cette  résolution;  et  Greenville,  .mutilé ,  esjt: 
pprt^  à  bpicd  du  vaisseau  amiral  espagnol  ;  il  y  meurt  trois  jours  après.i 
On  ae,tro|ifv^.dans  Ip  récit  que  Raleigh  a  consacré  à  cet  eiidoib 
^cunie,  Iface  d'affectation,  d'ex«gération  et  de  fausse  poésie,  fi'unr 
]^pti(J'ftVtr,<î„ç!eft  unq.»in»pl|efté  n^erveilleusc,  une  émotion  virile, 
up.fi^^P^^  P[ii)gpjOqVi^  4e  l'^pitbètçi  et^  de  la  métaphore,  une  puissance 
dç,  s^{^,nuf;,^^||jpp^  ^dney  compare  au  retentissement  du  clairon^ 
i^ k  jjii^p t^qn^ r  ^ifC Édpu  Coke,  voulant  foire  de  l'éloquence, 
ciltajjt  Ovi^e^piut^rque,  1q  Talmud  et  Boccace,  dans  une  seule  phrase^ 
iprppos  d'iin  proqès  dont  il  soutenait  l'accusation.  Quand  on  étudie 
l'histoire  Uttérairq ,  il  fqiut